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Moi et ma Directrice des Ressources Humaines

Bon.

Voilà.

On est vendredi soir et ma semaine de boulot est terminée. Je quitte mon bureau et comme d'habitude je regarde par toutes les baies vitrées pour voir si les parents de Mirabelle ou le journaliste Sosnowski ou les gendarmes ou le juge Besnard ne seraient pas en train de m'attendre dans un coin de rue autour du bâtiment du Crédit Mutualiste, prêts à me tomber dessus pour m'importuner.

Mais non.

Rien.

Ça fait trois semaines que c'est le calme plat dans ma vie. J'ai toujours un peu de mal à m'y faire. Je veux dire : depuis la fin de l'automne, mon quotidien c'était devenu n'importe quoi. Je reste toujours hyper méfiant et je me demande continuellement quand les emmerdes vont reprendre. Pourtant on dirait bien que l'ouragan est passé. À moins que je ne sois perdu dans l'oeil du cyclone. Je n'arrive pas à me décider.

J'ai allumé la télévision et regardé vite fait les journaux locaux : l'enquête à propos du meurtre d'André piétine et de temps en temps, Sosnowski fait un compte rendu. Aux dernières nouvelles, le juge aurait finalement décidé que l'assassin d'André n'est pas du tout un voisin, ni une relation de travail. D'après les journaux, les gendarmes seraient en train de remonter la piste de prêteurs sur gage crapuleux, puisque André avait plein de dettes – ce que je peux confirmer après avoir consulté son dossier bancaire sur mon écran de boulot.

Les parents de Mirabelle se sont enfin calmés et je ne reçois plus de lettres de menaces.

Ma frangine et sa famille d'arriérés mentaux disent qu'ils sont bien installés dans leur nouvelle maison et maintenant ils ont hâte que je passe les voir pour dîner chez eux. Pour l'instant j'arrive à botter en touche en prétextant que j'ai trop de boulot et qu'on verra plus tard, pourquoi pas aux retours des beaux jours pour le barbecue, tout ça tout ça. J'espère qu'ils finiront par m'oublier rapidement.

Je dois par contre reconnaître que depuis que Magali a repris une vie normale – c'est à dire en dehors de sa clinique – ma mère me laisse un peu plus tranquille; elles sont toutes les deux occupées à rattraper le temps perdu ou je ne sais quelle autre connerie, genre elles font des randonnées, elles vont à la piscine, au spa, au club de fitness et autres trucs de gonzesses débiles.

Maxence s'est trouvé une nouvelle maîtresse de dix-neuf ans et il ne s'est pas encore aperçu que je me tape Esther. Cette connasse se complaît d'ailleurs dans son délire d'adultère et n'arrête pas de m'écrire et de m'envoyer des photos de ses boobs par sms. Je ne devrais sans doute pas l'encourager sur cette voie là, mais j'ai tellement envie de me venger de cet abruti de Maxence, que j'en profite au maximum. Et puis, elle est surtout loin d'être dégueux, Esther.

Je sais que ce n'est pas bien. Que je me sers d'elle pour de mauvaises raisons, que je vais finir par lui briser le cœur si jamais cette conne venait à s'attacher à moi et cætera. Mais d'un côté je me dis que elle aussi, elle mérite bien de se venger de ce gros con de Maxence qui la trompe en non stop depuis le jour de leur mariage. Elle aussi elle a le droit de lâcher prise. Tant qu'elle ne me casse pas trop les couilles avec ses fantasmes de divorce et de refaire sa vie avec un type bien comme moi. Je ferais mieux de ne pas aller trop loin avec elle. Sans quoi cette affaire deviendra vite un nid à emmerdes.

Pour l'instant je gère. On verra plus tard. De toute manière c'est une relation secrète et bien cachée. Personne ne sera jamais au courant. Donc, pas de quoi s'enflammer.

Il faut dire que j'ai toujours un peu de mal à dire non à une jolie fille qui veut coucher avec moi. Je veux dire : c'est souvent risqué, mais c'est plus fort que moi. Je pense que c'est à cause de mes histoires pourries à l'époque du lycée où je n'arrivais pas à me taper de gonzesse. Et puis aussi après, quand j'ai compris que je ne pourrais jamais avoir de vraie relation avec les filles à cause de mon pouvoir. J'ai essayé avec Maryline et c'était n'importe quoi. Avec Mirabelle, j'ai essayé une autre méthode et c'était encore pire. Du coup je me suis fait une raison. Au moins avec un plan cul avec Esther, je n'ai pas à me soucier de relationnel et de sentiments.

En fait, tout va à peu près bien dans ma vie. C'en est même bizarre. Je veux dire : c'est pas que j'aime bien quand c'est le foutoir ou quoi. Mais là, je me sens... Je ne sais pas. Je m'ennuie un peu. Ou plutôt : j'ai peur de reprendre mes anciennes activités comme avant.

Avant la crise avec André et la flicaille, j'avais toujours des trucs à faire le weekend. Genre me recentrer et tout. Espionner mes ennemis. Aller au casino ou au restaurant tout seul ou avec Mirabelle. Là, je ne sais pas. Je me dis que si ça se trouve, en réalité, je suis toujours surveillé de loin par les vieux Eisenduler ou le journaliste Sosnowski. Sauf qu'ils sont mieux planqués qu'avant. Plus aussi intrusifs et visibles. Ou alors, ils attendent que je me sente mieux, plus à l'aise et au bout de quelques temps ils reviendront à la charge quand je m'y attendrai le moins. Comme pour l'enquête des noyés de la Sordyds.

Je crois que je me prends trop la tête.

Je ferais mieux de

— Salut, Didier ! T'es pas encore parti en weekend ?

— Hein ? Euh, bonsoir Rose-Marie. Si, si, j'allais partir, mais je crois que j'ai oublié un truc dans mon bureau.

— C'est sans doute ta candidature pour le poste au recouvrement amiable que tu as oublié de m'envoyer.

— Ah.

— C'est bon, fais pas cette tête là : je plaisante ! C'est le weekend ! On verra ça lundi.

— Oui.

— Tu fais quoi ce weekend ?

— Je ne sais pas encore. Du tir à l'arc peut-être.

Pourquoi elle reste plantée là comme ça devant moi, à se masser la nuque comme une débile ?

— Ça te plaît ?

— Quoi donc ?

— Bah le tir à l'arc ! Tu pratiques dans un club ?

— Non. Juste comme ça. De temps en temps.

— Et tu tires sur quoi ?

— Sur euh... ça dépend.

Voilà, voilà, voilà. Casse-toi, maintenant. Allez : tire-toi, glandue.

— Moi, j'hésitais à passer à ce nouveau restaurant qui vient d'ouvrir dans le centre. La carte a l'air sympa : ils ont remplacé tout ce qui est viande par des ingrédients végétariens et ils proposent que des plats traditionnels français.

— Cool.

— Sauf que ce weekend, ma copine est partie dans sa famille en Vendée.

— Ah.

— Enfin, ma copine : mon amie. Ma meilleure amie. Une pote, quoi. Avec qui je traîne. Des fois.

— C'est dommage.

— Oui, hein ! Tu aimes les plats tra

— Bon, ben : bon weekend à toi alors. Amuse-toi bien. On se revoit lundi.

— Euh... Oui. Bon weekend, Didier. À bientôt.

Je lui tourne le dos et je me casse vers les escaliers, vu qu'elle n'a pas l'air décidée de bouger.

C'est quoi ce sketch au juste ? D'où qu'elle me pose des questions personnelles, cette salope ? Elle espérait quoi ? Que je l'invite à une séance de tir à l'arc ? J'en ai rien à foutre du tir à l'arc et des clubs de sport. Des activités sociales et des sorties entre collègues. J'ai autre chose à faire de ma vie que sociabiliser avec des couillonnes comme elle. En plus, c'est presque ma cheffe. Et moi aussi, j'avais envie de tester ce putain de nouveau restaurant ce weekend. Maintenant à cause d'elle, c'est fichu. Grosse Pute !

Voilà : ça y est, je suis énervé. Et puis cette façon de me rappeler, l'air de rien, que oui, je suis censé présenter ma candidature pour un poste dont j'en ai rien à foutre. Je détestes ses méthodes sournoises. Je déteste le management. Je déteste la gestion de ressources humaines. Je déteste Rose-Marie.

Elle sait tout sur moi et moi, je ne sais presque rien sur elle.

Enfin. Si un peu.

Je me suis toujours méfié de cette grognasse. Depuis la toute première fois que je l'ai croisée, j'ai su qu'elle serait une plaie. Au bout de neuf ans à la croiser toutes les semaines dans les couloirs du Crédit Angevillin, j'en suis désormais persuadé : Rose-Marie est une raclure Je veux dire : une connasse qui est capable de garder son calme en toute circonstance alors que je fais tout pour la rendre chèvre, c'est forcément une manipulatrice hors pair. En plus elle n'arrête pas de me tendre des pièges, avec ses faux airs de ne pas y toucher, genre polie et aimable et bien habillée. Et à chaque fois elle essaie d'en savoir un peu plus sur moi : qui je fréquente, avec qui je m'entends bien, qu'est-ce que je fais de mon temps libre, est-ce que ma sœur va mieux, est-ce que cette année je vais enfin me décider à participer aux activités de loisirs de la boîte et venir aux séminaires de cohésion interne au lieu de me défiler comme d'habitude.

Je pense qu'elle joue un jeu malsain avec moi. Si elle était si irréprochable, dans ce cas pourquoi tous les autres mecs de la boîte passeraient leurs temps à la reluquer et à dire des insanités à son sujet ? J'entends ce qui se dit dans son sillage, lorsqu'elle arpente les couloirs de la boîte. Tous les mecs la matte comme si c'était une sorte de madonne sexuelle et tous disent qu'ils voudraient se la taper mais qu'elle est hautaine et distante et des fois même menaçante quand on lui fait un compliment déplacé.

C'est bien la preuve, non ? Elle n'est jamais comme ça avec moi. C'est parce que je ne lui fais jamais de compliment. Je prends toujours soin de l'ignorer ou de lui montrer à quel point elle me dégoûte. C'est parce que moi, je ne m'arrête pas à son apparence extérieure, je sais voir au-delà de son physique parfait : je sais qu'il y a un monstre d'arrogance planqué derrière ses petites lunettes ovales et ses jupes de lycéenne BCBG.

De toute manière, depuis le début, je savais qu'elle serait une plaie pour moi.

Rose-Marie et moi, on a été recruté en même temps. Le même jour. C'était il y a presque dix ans.

À cette époque, je sortais d'une période bizarre de ma vie. J'avais réussi à reprendre les études et enfin obtenir mon diplôme de droit. Après l'accident avec Maryline, j'avais perdu mes pouvoirs. C'était à la fois sinistre et un peu rassurant. D'un côté je regrettais de n'avoir pas su bien utiliser ce don pour faire des trucs utiles – genre trouver des vraies combines réellement lucratives et pas seulement des petits larcins minables – et puis d'un autre côté, je me disais que de toute manière ces capacités extraordinaires ne m'avaient apportées que des ennuis. Je m'étais fait à l'idée que puisque j'étais débarrassé de ce handicap, je pourrais commencé à avoir une vie normale. J'ai commencé à chercher du boulot et c'était super pénible. Je n'arrivais à rien. J'ai fait un ou deux stages bidons, suivis des ateliers à la con à Pôle Emploi. J'ai même fait un CDD de quatre mois en tant que standardiste chez le grossiste de fruits et légumes où bossait mon père. Tout ça était nul et je me faisais chier comme un rat mort. Et puis mes pouvoirs sont revenus. Pas d'un seul coup mais de manière progressive. Enfin, quand même assez vite. En à peu près trois ou quatre mois, je suis repassé du stade des premiers tremblements d'objets au retour de mes capacités pleines et entières. Je me suis aussi vite rendu compte que j'étais beaucoup plus précis et sensible qu'avant. Et aussi beaucoup plus fort. Je me suis mis à m'entraîner vraiment. À pousser les limites du pouvoir. C'était grisant. J'ai recommencé à faire des petites arnaques et des tours pour choper du fric comme je faisais avec Maryline et surtout, je suis devenu très doué aux jeux de casino.

Un jour, quand j'ai ramené six mille balles d'un coup à la maison, j'ai dit à mes parents que j'avais besoin de prendre des vacances. De faire le vide dans ma tête avant de me remettre à chercher un vrai boulot. Mon plan, c'était plutôt de partir à l'autre bout de la France, là où personne ne me connaissait, et tenter de plus en plus de trucs super forts avec mes pouvoirs.

J'ai loué une chambre d'hôte dans l'arrière pays niçois en période hors saison et je me suis éclaté dans les montagnes et dans les casinos de la Côte d'Azur. J'ai appris à mieux voler, à sauter, à me raccrocher aux branches, à balancer des tas de cailloux super loin et super vite. J'ai même acheté un téléscope pour regarder jusqu'où je pouvais lancer des objets dans le ciel. Peut-être qu'un jour, quelqu'un découvrira par hasard qu'il y a une région du ciel où orbitent deux kangoos et une bentley. Bon, bien sûr, il y a aussi un endroit de la méditerranée où il y a à peu près trois douzaines d'autres bagnoles en train de rouiller. Je veux dire : lancer des machins tellement haut dans le ciel qu'on n'arrive plus à les voir, c'est une chose, mais coordonner le mouvement d'un téléscope avec celui desdits machins, c'est beaucoup plus difficile. Maintenant je sais que si je pousse vraiment mon pouvoir à fond, du plus fort que je peux l'imaginer, les bagnoles restent en orbite et ne retombent pas.

Ce qui marche avec les voitures, fonctionne bien entendu avec n'importe quoi d'autre. Et peut-être qu'un jour quelqu'un découvrira aussi qu'il y a d'autres régions du ciel où gravitent des chiens congelés dans l'espace. Voire des gens morts.

Bref. Tout ça pour dire que je me suis bien éclaté durant cette époque de ma vie. Avec tout l'argent que je réussissais à gagner, je n'avais pas du tout envie de me trouver un boulot naze. Les vacances ont duré plus longtemps que prévu mais j'ai quand même dû les écourter. La faute à cette histoire de dégringolade du haut d'une falaise. Je m'étais mal réceptionné et j'ai commencé à glisser-tournebouler jusqu'à me réceptionner à plat ventre sur une route de montagne au petit matin. Comme j'étais un peu sonné par l'atterrissage plus que violent – heureusement je ne m'étais rien cassé – j'ai mal dosé ma force en essayant de dévier le car qui me fonçait droit dessus. En plus les pleins phares m'ont ébloui et j'avais la tête qui tournait et de toute manière ce car roulait beaucoup trop vite.

Les accidents, ça arrive.

Mais quand j'ai vu tout le battage médiatique, les cohortes de gendarmes le long de la route, les experts judiciaires qui relevaient les moindres brindilles sur le lieu du dérapage, j'ai un peu flippé. En plus, il y avait soi disant des témoins qui auraient vu un homme posté à la sortie de ce virage juste au moment où le car déboulait.

J'étais pas très fier de moi – vingt-huit scouts, trois accompagnateurs adultes plus le chauffeur quand même – mais surtout, j'ai eu un peu la trouille. J'ai fait une rapide introspection et je me suis dit que si un berger et un couple de randonneurs m'avaient réellement vu en pleine prouesse télékinésique, c'est que je n'avais pas été si discret que ça. En plus, le compte rendu de Synesthésia quelques semaines plus tard livrait une description assez proche de la réalité : jeune homme entre vingt-cinq et trente ans, environ un mètre soixante quinze, plutôt épais, portant un jean noir et un sweat vert pomme, aperçu quelques instants avant le drame mais aussi quelques jours auparavant dans le même secteur. Autant dire qu'en lisant ça, je me suis débarrassé de ce numéro du magasine et du sweat vert. Ce qui est assez regrettable, puisque c'était un peu une fierté d'apparaître dans mon magazine préféré. Et aussi parce que c'était un très joli pull que j'avais acheté une fortune à Monaco, quoiqu'un peu trop voyant.

Même aujourd'hui, je me dis encore que j'étais sans doute allé beaucoup trop loin dans l'expérimentation de mes pouvoirs en terrain découvert. D'autant plus que l'article finissait une fois de plus par une déclaration sybilline d'un certain capitaine M. de la Gendarmerie Nationale – quelques mois plus tard il était appelé Colonel M. Dans d'autres articles du même magazine ce qui me fait dire que ce type, si il existe, a déjà une longue carrière dans les affaires mystérieuses.

Une fois de retour à Angevilliers, je me faisais la promesse de ne plus jamais me faire remarquer et de mettre en danger. C'est à ce moment là que j'ai commencé à élaborer mon mode de vie autour de cet unique impératif : discrétion, toujours.

De ce fait, je m'étais surtout résigné à opter pour une vie chiante et nulle, mais bien cachée. Il me fallait donc un boulot à la hauteur de ces aspirations.

Quand j'avais vu passer l'annonce d'emploi pour bosser au Crédit Angevillin, j'avais sauté de joie. Le poste semblait parfait pour mes besoins : presque payé correctement, horaires de bureau du lundi au vendredi avec RTT, aucune responsabilité, aucune opportunité de développement de carrière et surtout un bureau individuel dans la ville où j'habitais déjà.

Comme je n'avais aucune expérience dans le recouvrement contentieux à part un stage de six semaines dans une mutuelle, j'ai dû tricher un peu et adapter mon CV. Bien évidemment, ça n'a pas suffit et quand j'ai reçu la lettre de refus standard, j'ai hurlé de rage parce qu'il ne me restait qu'une seule solution : demander de l'aide à mes enculés de grands-parents. Je suis allé trouver ma mère pour lui expliquer que la vie c'est dur, qu'il n'y a pas beaucoup de boulot dans le département et que si elle ne réussissait pas à convaincre ses parents de me pistonner, je serais bon pour aller croupir à l'usine de conserves de légumes de Sordyds-sur-Yvette jusqu'à ce que je meure du cancer de l'amiante et qu'elle ne voudrait pas d'un deuxième enfant cancéreux à la maison.

Papy-mamie m'ont obtenu un repêchage pour passer les entretiens d'embauche en me précisant toutefois que j'avais intérêt à ne pas les décevoir parce qu'ils ne supporteraient pas de passer pour des cons si jamais je foirais.

Pour mettre toutes les chances de mon côté et obtenir le poste, je me suis donc entraîné comme un fou pendant deux semaines. J'ai bossé comme un taré. Bien entendu, j'ai un peu potasser mes cours de droit de la fac et j'ai même acheté un bouquin sur les procédures commerciales, histoire d'avoir un peu de vocabulaire, mais surtout, je me suis exercé avec mes pouvoirs en conditions réelles. Pendant quinze jours, j'ai passé un temps fou dans toutes les salles d'attente possibles pour utiliser mes pouvoirs en public et en toute discrétion. Le jour de l'entretien, j'étais fin prêt.

J'avais prétexté je ne sais plus quelle excuse pour passer le plus tard possible le jour des entrevues – genre j'étais surmotivé mais je devais revenir d'une compétition de tir à l'arc, truc du style. L'idée étant bien entendu d'arriver tôt et de me débarrasser de tous les autres candidats un par un dans le lobby où on attendait notre tour.

Je m'étais installé dans un coin, sans prévenir personne, de peur qu'une secrétaire trop bien intentionnée me demande de partir et de revenir lorsque ça serait réellement mon tour.

Je m'étais vite aperçu qu'en réalité, il y avait deux postes à pourvoir ce jour-là : un pour moi au contentieux et un autre pour un assistant aux ressources humaines. Je ne m'étais pas préparé à ce cas de figure, mais très vite je compris que la plupart des filles venaient pour la RH et les gars pour le contentieux. Quelque part, c'était assez logique : les métiers de RH sont vraiment des métiers de salopes. Dans le doute, je préférais quand même déstabiliser tous les autres candidats, quelque soit leur genre.

Au début, je m'étais un peu montré timide et je m'étais limité à saboter les accessoires ou les fringues de mes concurrents. Pour les filles : des ceintures qui se dénouent, des boutons de chemisiers qui sautent, des barrettes ou des élastiques de cheveux qui sautent. Pour les garçons, un peu la même, mais plus axé niveau braguettes. Au bout d'un moment, je me suis dit que ce n'était pas suffisant et qu'Il fallait que je devienne plus sévère sous peine de voir toutes mes chances s'envoler. Je suis donc progressivement passé aux attaques physiques : accidents de tasses de café sur les jolis costumes et sur les tailleurs, encre de stylo qui bavent dans les poches de chemises, flacons de parfums qui se déversent dans les sacs à mains, lunettes qui glissent et éclatent sur le carrelage. En gros, de quoi déstabiliser suffisament les candidats les plus stressés et les moins dangereux.

Bien entendu, pour les killers, celles et ceux qui arrivaient avec un air supérieur et un sourire carnassier – histoire de bien faire comprendre aux autres qu'ils étaient venus pour gagner – j'avais réservé mes attaques les plus féroces : torsions de chevilles pour les connasses en hauts talons, lacets dénoués et attachés entre eux pour voir les types se vautrer dès la sortie du fauteuil, une ou deux explosions de cuvettes de chiottes aussi et bien sûr le fameux coup de la mâchoire bloquée pendant l'entretien. À propos de cette méthode, j'appris plus tard que la fille à qui j'avais fait subir ce traitement était la nièce d'un des directeurs; les commérages qui s'en suivirent m'indiquèrent que, parait-il, elle avait tellement été crispée par le stress avant son entretien qu'elle s'était broyée sept incisives et qu'il y en avait pour des dizaines de milliers d'euros de réparation.

Mon chef d'oeuvre ce jour-là, resta tout de même les deux types qui à force de se lancer involontairement des crayons et des carnets à la figure, avaient fini par s'embrouiller et se taper dessus tous les deux. Un agent de sécurité vint les séparer et les foutre dehors.

C'est à peu près à ce moment-là qu'elle entra dans le lobby et vint s'asseoir en face de moi.

Elle avait les cheveux mouillés par la pluie à l'extérieur mais était parvenue à sauver son maquillage. Son visage fin et son front lisse dégageaient une sorte de plénitude plus que d'assurance. Elle paraissait amusée d'être là et souriait en permanence. Pas du tout impressionnée par les regards en coin et les saluts polis et pincés des autres candidats. Elle me regarda un moment droit dans les yeux et se passa une main délicate dans les cheveux, à l'arrière de la tête. Je m'en souviens parfaitement. Dès que je l'avais vu arriver, j'avais ressenti comme une sorte de crispation passagère. Comme si je suffoquais rien qu'en la regardant. Elle du haut de sa taille immense et moi engoncé au fond de mon fauteuil, exténué par tous mes efforts de concentration sur mes pouvoirs. J'étais claqué et je savais que je n'arriverai plus à rien aujourd'hui. De toute manière, c'était bientôt mon tour et j'avais vite conclu que cette pimbêche trop jolie pour être honnête postulait pour les RH : elle avait tous les airs d'une connasse, parfaite pour ce boulot.

Mon entretien ne fut pas extraordinaire mais de tous les candidats, j'étais celui le plus présentable et le moins stressé. Autrement dit, pas le meilleur, mais tout simplement le moins minable. Ce qui en réalité était plutôt une bonne chose. À partir de ce moment là, l'entreprise ne pouvait pas réellement avoir de grandes attentes à mon égard.

Et aujourd'hui, neuf ans plus tard, cette pouffiasse de Rose-Marie a gravi tous les échelons de son service jusqu'à devenir cheffe tandis que moi je fais des efforts inconsidérés pour rester au même stade que lors de mon embauche. Et comble de malheur, je sais qu'elle s'apprête à tout faire pour que je prenne du galon.

Pute ! 

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