Chapitre XXXIX
Nico Di Angelo :
J'ai vu maintes horreurs dans ma vie, bien au-delà de ce que n'importe quel demi-dieu puisse imaginer... Pourtant, pour être honnête, je ne pense pas que quelqu'un puisse un jour être préparé pour ce genre de scène.
Nous avions ratissé l'île au peigne fin dans sa quasi-intégralité, en quête du moindre indice supplémentaire, susceptible de nous remettre sur la piste de Léo et Octavio.
Cependant, nulle autre trace ne s'était présentée à nous. Seul subsistait ce morceau de tissu entre mes doigts, les bribes de pigments mauves émergeant avec difficulté d'entre les marques sombres de brûlures. Cette couleur ne semblait d'ailleurs vouloir quitter mon esprit. C'était celle des augures, des commandants de légions de l'ancien empire romain puis de son héritière, la Nouvelle Rome...
Les pensées toujours assaillies par le doute, des hurlements nous avaient alors finalement guidé à une petite bâtisse délabrée, isolée sur une petite hauteur à la route d'accès étroite et sinueuse. Seulement, nous n'étions pas seuls sur cette terre perdue, un comité d'accueil composé de silhouettes encapuchonnées nous barrant la route. Le combat avait été rude, mais victorieux, l'aide précieuse de Julio et de ses demi-dieux nous permettant de forcer l'entrée du bâtiment en quelques instants.
Luttant contre le temps, nous avions fait tout notre possible, mais ce n'était pas suffisant... Nous étions arrivés trop tard.
Pénétrant le premier dans une ultime pièce vétuste et lugubre, je m'étais alors retrouvé nez à nez avec un Léo à genoux, les poignets maculés de sang ; son corps, saisis de violents soubresauts de rage, surplombant la silhouette d'un corps calciné. Octavio se tenait lui non loin, en partie déshabillé, ses mains et poings liés, tremblant comme une feuille, le regard fuyant.
Nous les avions aussitôt libéré, les installant à l'abri d'un camp établi à la hâte par les demi-dieux nous accompagnant. Depuis, ils étaient demeurés silencieux, tandis que je n'osais imaginer l'épreuve subie pour murer Léo Valdez dans le mutisme.
- Excusez-moi mais où sommes-nous ? Demande soudainement Will ; brisant le court de mes pensées, toutes centrées sur le fils d'Héphaïstos ; essayant de se frayer un passage entre les demi-dieux en armes, afin d'obtenir un meilleur angle de vue sur les cartes étendues pêle-mêle sur le sol sablonneux.
- L'île de Santo Antao, au Cap Vert. Réplique alors sèchement Julio, désignant du doigt un archipel à la croisée de l'Atlantique Nord et Sud et des continents Sud-américain et africain.
- Mais nous ne sommes donc pas si éloignés de la mer Méditerranée ! S'exclame le fils d'Apollon. Si ça se trouve, nous pourrions peut-être même prendre la route parcourue par l'Argo II, et passer par les colonnes d'Hercule, pas vrai Léo ? Termine alors Will face au fils d'Héphaïstos, toujours muré dans le silence...
- Ca, il en est absolument hors de question ! Rétorque aussitôt Julio, ne semblant clairement pas apprécier le plan de mon petit ami, à moins que les deux demi-dieux soient tout simplement incapables de s'entendre, leurs regards se lançant des éclairs en permanence. Le passage est bien trop étroit, et nous serions une cible idéale. Et que l'on mette les choses au clair dès à présent : j'étais d'accord pour vous assurer une escorte, pas un buffet à volonté pour monstres ! De plus, nous ignorons si d'autres embuscades nous attendent sur le chemin, bien que cette éventualité ne fasse maintenant plus aucun doute.
« Je suis bien obligé de reconnaitre qu'il marque un point... » Pensais-je, mon regard rivé sur l'amas de boucliers et gladius romains des sentinelles tombées face à notre assaut. Bien que Léo ne puisse pas nous informer davantage à ce sujet, conservant son silence de plomb, tout comme Octavio d'ailleurs, je suis certain d'avoir déjà vu ces légionnaires... Ils faisaient partie des partisans d'Octave, seulement il semble impossible que ces défunts aient pu être relâchés des Enfers, les Portes du Tartare ayant été verrouillées et pourtant...
C'est à cet instant, tandis que la conversation commence justement à dériver sur les bourreaux de Léo et Octavio, qu'un contact physique vient subitement m'extirper de mes pensées. Me retournant, mon regard se pose alors sur le propriétaire de la main pressant légèrement mon épaule, Will affichant une mine gênée voire même plutôt tendue.
- Je... Je peux te parler s'il te plait ?
Acquiesçant doucement en guise d'unique réponse, le fils d'Apollon fait mine d'ignorer mon air suspicieux, me tirant aussitôt à l'écart de notre petit groupe et à l'abri des oreilles indiscrètes.
- Will ? Tentais-je alors, face à mon petit ami toujours muré dans le silence, son regard fermement déterminé à vouloir m'éviter à tout prix.
- Il s'est passé quelque chose aux Enfers. Lâche-t-il finalement, semblant se libérer d'un poids terrible compressant sa poitrine.
- Comment ça ? Articulais-je incrédule, ne pouvant m'empêcher d'exprimer le fond de ma pensée à haute voix, m'attendant bien à n'importe quelle annonce exceptée celle-là. Qu'est-ce que tu peux bien savoir des événements du royaume souterrain ?
- Eh bien... Après que tu te sois enfui...
- Je ne me suis pas « enfui ». Le coupais-je immédiatement, ayant la désagréable sensation de me retrouver quelques jours plus tôt.
- Je sais... Souffle Will d'un air coupable, trouvant un intérêt soudain pour le sol. Après ton départ, je me suis juré de te retrouver. Avec Léo et l'aide de Festus, on s'est lancé à ta recherche, et notre périple nous a finalement mené jusqu'au Palais d'Hadès.
- Tu... es allé aux Enfers ? Murmurais-je, essayant tant bien que mal d'imaginer un demi-dieu blondinet au style de surfer débarquer chez moi... et c'est sans parler de l'accueil de mon père et... PAR LE STYX ! MIO DIO ! PERSEPHONE ! « Pitié faites qu'elle n'est rien dit ou fait à Will ! » Priais-je intérieurement, mon visage s'empourprant à la seule pensée de la reine des Enfers multipliant les questions ou sous-entendus appuyés sur le fils d'Apollon à mon égard.
Seulement, mon sourire gêné se fane bien vite, à la simple vue de la mine grave de mon petit ami, mon regard dorénavant parcouru par l'inquiétude.
- Je... Je suis désolé ! Je n'ai rien pu faire ! Eclate soudainement Will en sanglot. Le palais était attaqué, la quasi-totalité des Enfers s'était retournée contre ton père. Les monstres étaient bien trop nombreux...
A cet instant précis, mon cerveau ne semble plus rien assimiler, me déconnectant du monde m'entourant. Will continue de me parler, mais seules des bribes de phrases parviennent à m'atteindre. « Ils étaient partout », « Léo est arrivé », « enfui in-extremis », « Hadès », « diversion », « vain », « Perséphone », « message », « prendre soin de lui »...
C'est finalement à l'entente du prénom de la reine des Enfers que ma transe se brise, mes sens me ramenant brutalement à la triste réalité.
- Je sais que j'aurai du t'en parler plus tôt... Mais lorsque je t'ai retrouvé, ce n'était pas le bon moment. Continue le fils d'Apollon face à moi. Tu étais encore loin d'être remis... une telle nouvelle aurait pu réduire à néant ton rétablissement... Tu comprends ?
- Tu plaisantes j'espère ? Lâchais-je finalement, la température chutant subitement à mesure que le choc se voit remplacer par la colère, les ombres coulant dans mes veines prêtes à jaillir. Tu ne me dis absolument rien de cette « nouvelle » juste parce que selon TOI ce n'était pas le « bon moment » ? NON MAIS TU TE FOUS DE MOI ?! Et tout ça pour quoi ? Au fond, je suis sûr que tout ce qui t'intéressait c'était de me sauter dessus ! Et forcément tu t'es dis que l'annonce de la mort de mon père et de celle que je considérais comme une seconde mère me refroidirait c'est ça ?!
- Quoi ? Mais... MAIS NON ! Bien-sûr que non ! S'époumone aussitôt Will, semblant à la fois pris de court et blessé par mes propos. Nico... je te le jure... je pensais vraiment bien faire...
- Ca suffit Solace. Rétorquais-je d'une voix glaciale, luttant pour canaliser ma magie des Enfers, tandis que je repousse un peu trop violemment les mains du jeune blond face à moi tentant de prendre les miennes. Le mieux ce serait que t'arrêtes de penser, laisse-moi tranquille maintenant. Murmurais-je durement, m'éloignant vivement du fils d'Apollon, ne prêtant aucune attention aux regards de nos camarades de quête, très certainement rivés sur nous.
« Je n'aurai sûrement jamais cru dire une chose pareille, mais mon ancienne vie me manque. » Pensais-je, m'étant isolé du reste du groupe, assis sur le rebord d'une falaise, mes pieds se balançant doucement au-dessus des flots au gré du vent. « Reyna dirigeant d'une poigne de fer le Camp Jupiter. Hazel faisant tout son possible pour éloigner Frank de mon courroux, car oui il serait préférable pour ce dernier qu'il traite ma sœur comme une reine s'il ne tient pas à obtenir un aller simple au Tartare. Jason s'entrainant encore et toujours à l'épée, son torse nu laissant sa puissante musculature briller sous l'écrasant Soleil d'été. Léo, toujours à l'affut de la moindre occasion de faire exploser quelque gadget de son cru, à en faire friser le poil de Chiron et les cheveux de Clarisse. Percy, à déguster ses légendaires entremets bleus, bien que je ne comprendrais probablement jamais l'apport de la couleur dans le gout des aliments. Et puis Will, nos rendez-vous à l'infirmerie et tous nos moments passé à deux, avant que cette fichue histoire de quête ne vienne tout gâcher... ».
Alors que cette ultime pensée m'effleure, une sensation glaciale vient soudainement m'assaillir, la voix sinistre de Gaia résonnant à mes oreilles, m'emprisonnant dans une sorte de champ de force oppressant et comprimant ma poitrine, rendant ma respiration des plus difficiles et douloureuses.
- Quelle joie de te retrouver fils d'Hadès ! S'exclame la déesse, ricanant face à ma réaction, tandis que je détourne vivement le regard en direction de l'origine de la voix, pour ne rencontrer qu'un brouillard opaque.
- Que me voulez-vous ?! Crachais-je, mes mots peinant à percer l'air pesant.
- Voyons, pourquoi donc tant de hargne ? Se plaint Gaia, d'une voix faussement déçue, bien que je puisse aisément imaginer un sourire carnassier trônant sur son visage. J'aimerais te poser une simple question... Te souviendrais-tu, par le plus grand des hasards, des ultimes paroles prononcées dans les flammes à ton départ des Enfers ?
« Minute... Comment saurait-elle cela ? » Me demandais-je intérieurement, totalement pris au dépourvu par les mots de la déesse mère. « J'en suis persuadé, c'était une autre voix, plus douce, plus délicate, qui avait percé les ténèbres pour m'atteindre, avant que Thémis ne nous fasse jaillir hors des Enfers... ».
- A en juger par ta tête, je suis prêt à parier que oui. S'exclame Gaia, d'un air ravi. « Le Soleil décroit et l'heure avance, ton cœur se doit de faire le choix de son allégeance. Car des Ténèbres grandissantes, une seule âme pourra sortir vivante. ». Il n'y a pas à dire, il n'y avait vraiment qu'Aphrodite pour faire de la niaiserie aussi mielleuse... Enfin bon, elle se sera montrée d'une certaine utilité... avant d'être prise d'un soudain élan suicidaire et de tenter de me trahir... mais je m'égare ! Se reprend la déesse. L'important demeure que le message soit passé, et me voici, avec une offre à te proposer !
A peine mon interlocutrice a-t-elle le temps d'achever sa phrase que la brume s'amincit tout à coup, laissant apparaitre une maigre ouverture. Au travers d'eux, les rayons lumineux présentent alors à mes yeux éblouis deux scènes : Sur ma gauche, Julio, affairé auprès d'un feu de camp, les braises rougeoyantes illuminant des cartes sur lesquelles les demi-dieux débattent férocement ; sur ma droite, Will, se tenant à l'écart aux côtés d'Octavio, ses gestes d'une infinie douceur auscultant le jeune demi-dieu, Léo les observant silencieusement.
- Qui choisiras-tu ? Susurre finalement la déesse d'une voix à la fois enjouée et manipulatrice, les brumes m'encerclant à nouveau. Le fils d'Apollon ayant remplacé le prince des océans dans ton cœur ? Ou bien le fils d'Hélios pour qui tes sentiments te font douter à chaque instant ?
- Mais dites-moi. Répondis-je, préférant ignorer la question de Gaia semant la confusion dans ma conscience comme dans mon cœur. Qu'est-ce que vous pourriez bien exiger en échange de cet élan de générosité si soudain ? Comprenez bien mon désarroi. Vous vous prétendez invincible et dans le même temps vous venez implorer mon aide, c'en est assez perturbant. Ironisais-je d'un air de défi, ne croyant bien évidemment pas un traitre mot à la proposition empoisonnée de la déesse.
- Sers-moi. Déclare aussitôt Gaia, d'une voix soudainement moins enclin à la sympathie et beaucoup plus autoritaire, me rappelant bien davantage la version malfaisante et psychopathe de la déesse, souhaitant la couronne d'un monde ruiné et désolé, façonné à son image.
- Parce que vous croyez sincèrement que je vais vous suivre bien gentiment, et sans broncher, juste parce que vous me l'avez demandé ? Répliquais-je, d'une voix se voulant amusée, essayant en réalité de dissimuler la bile me montant de la gorge. Vous avez oublié le « s'il-vous-plait » d'ailleurs.
- Il n'est pas prudent de me défier, petit insolent. Rétorque alors derechef la déesse, mon rythme cardiaque perdant subitement tout contrôle pour battre des records de pulsations à la seconde, me provoquant une douleur lancinante à la poitrine. Le fait est que je manque cruellement de serviteurs compétents, et un prince des Enfers surpuissant comme toi serait le joyau de ma collection !
- C'est officiel. Annonçais-je, pris d'une méfiance redoublée. Vous êtes tout bonnement folle, ou totalement naïve, pour honnêtement croire que je serais un demi-dieu loyal et serviable !
- Bien-sûr que non. Se corrige aussitôt Gaia. Je crains m'être mal exprimée. Tu ne seras en aucun cas un vulgaire serviteur, juste bon pour les sales besognes... Tu seras mon assistant, mon bras armé, mon assassin personnel !
- Vous plaisantez ? Jamais, vous m'entendez ?! M'écriais-je, la déclaration de la déesse me provoquant un violent haut-le-cœur. JAMAIS JE NE DEVIENDRAI UN MEURTRIER ! ET ENCORE MOINS POUR VOUS !
- Ah... Nico, Nico, Nico... Murmure finalement Gaia, d'une voix terriblement glaciale, laissant aisément deviner un sourire sanguinaire étirer ses lèvres. Après tout ce temps, tu t'obstines donc encore et toujours à renier ta véritable nature... Mais voyons, tu ne fais que refuser d'accepter de devenir ce que tu es déjà... un criminel.
- N'im... n'importe quoi. Marmonnais-je avec peine, perdant légèrement en contenance.
- C'est pourtant la vérité. Répond calmement la déesse, ne parvenant guère à dissimuler son amusement. Ta très chère mère... Bianca...
- JE T'INTERDIS DE PARLER D'ELLES !
- Et ton si précieux Percy Jackson... Poursuit Gaia, ignorant mon interruption. Tu as échoué à le rattraper, et ce n'est même pas toi qui l'as extirpé du Tartare. Le fait est que sans ta ridicule petite équipe, tu n'aurais rien pu faire... et ton fils de Poséidon n'aurait jamais été sauvé, voilà tout. Pourquoi en serait-il différent pour Will ou Julio ? Je t'offre une chance inespérée de réussir à protéger quelqu'un qui t'es cher. La véritable question est plutôt de savoir quel prix seras-tu prêt à payer pour sauver une vie précieuse à tes yeux et à ton cœur... Songes-y sérieusement... Insiste la déesse, sa voix comme sa présence se dissipant dans l'air, me libérant de sa lourdeur et pesanteur. Il se pourrait bien que le jour approche où tu n'auras guère plus le loisir du choix...
Revenant difficilement à la réalité, ma respiration toujours saccadée et douloureuse, mon attention est aussitôt attirée par un léger craquement survenant dans mon dos.
- Qu'est-ce que tu ne comprends pas dans « laisse-moi tranquille maintenant » ?! C'est pourtant pas compliqué à la... fin. Commençais-je à m'emporter, m'attendant à devoir affronter Will, avant de taire ma phrase dans un murmure, mon regard venant soudainement se noyer dans deux magnifiques iris ambrés, n'appartenant à nul autre que Julio, demandant dans un timide sourire :
- Je peux m'assoir ?
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