Julio Aguilera :

Cela fait déjà maintenant un an que nous avons gagné la guerre. Notre monde s'est lentement remis des horreurs infligés par les dieux. Depuis ce jour, tous célèbrent ce que nous avons gagné, aucun n'oublie ce que nous avons perdu.

Un an depuis que mon ange m'a quitté. Un an que chaque seconde s'écoule sans que mes bras réclament de presser son corps contre le mien. Un an que mes mains ne peuvent caresser son doux visage, que mes yeux ne viennent plus se perdre dans la profondeur de ses iris ambrés.

Un an que nous guettons le retour de notre ennemi, car oui, maintenant nous savons tous que les temps de paix ne durent jamais. Notre ignorance nous avait jeté dans les griffes glacées de la souffrance. Nous veillerons maintenant à ne jamais plus répéter les erreurs du passé, à ne jamais rendre vain le souvenir de nos camarades trépassés.

Je laisse mes pas me guider toujours plus en hauteur, mon regard parcourant lentement les paysages de Solaria. La reconstruction a été longue et pénible, mais aujourd'hui, notre refuge est à nouveau redevenu un petit écrin de paradis. Cependant, la splendeur des villas à flanc de collines face à l'Atlantique Sud, les champs fleuris à perte de vue, les falaises de marbre d'où s'élancent vers le ciel de magnifiques pégases immaculés, tout cela n'effacera jamais le souvenir de nos morts, leurs cris d'effroi restant ancrés à jamais dans nos mémoires.

L'air iodé de l'océan vient tarauder mon visage. J'en inspire profondément l'odeur, la fraicheur des vents marins caressant mon visage me faisant, comme toujours, un bien fou.

Je monte une à une les marches de la villa centrale de la colonie, pénétrant la salle du conseil en son sommet. La vaste pièce est baignée d'une douce chaleur, les reflets orangés du Soleil déclinant entrant par les arcades de marbre. Malgré la beauté de la vue, les balcons offrant un panorama exceptionnel sur les hauteurs boisées surplombant le refuge, la salle est quasi déserte, seuls quelques demi-dieux se prélassant sur les canapés et coussins, discutant calmement autour d'un verre.

-Hey Julio ! M'interpelle soudain une voix familière.

Tournant mon attention vers mon interlocuteur, j'aperçois rapidement Gaston Gargalen, installé confortablement sur un canapé, me faisant signe de la main.

Je m'empresse immédiatement de le rejoindre, répondant au sourire arboré sur son visage. Depuis la fin de la guerre, nous nous sommes énormément rapprochés lui et moi. Après tout, nous avons traversé les mêmes épreuves, son petit ami Quino ayant succombé à ses terribles blessures. Sans le réconfort de l'un et l'autre, nous n'aurions surement pas pu supporter le deuil. Nous sommes devenus meilleurs amis, et depuis, Gaston et sa compagnie des Crinière Ardentes sont restés ici, à Solaria.

-Où étais-tu donc passé encore ? Me demande immédiatement mon ami, arborant un faux regard de reproches.

-Parti prendre l'air. Répondis-je sans grande conviction.

-Julio... tu te laisses beaucoup trop aller ces derniers temps, ressaisis-toi bon sang ! Léandro n'aurait certainement pas voulu te voir baisser les bras... Profite de la vie ! S'exclame-t-il, sirotant une nouvelle gorgée de son mojito.

-Léandro n'aurait pas voulu bien des choses tu sais... Murmurais-je, le simple fait de prononcer son nom m'étant encore difficile. Et puis tu sais... je pourrai te renvoyer la pareille Gaston ! Toi qui parle de savourer chaque instant, tu es au courant que Marco te dévore littéralement des yeux depuis que tu es resté à Solaria ? Terminais-je d'un regard entendu.

-Il n'est pas mon genre. Se contente alors de répondre le demi-dieu à mes côtés, esquivant clairement ma question alors que son regard se détourne de son verre pour venir s'ancrer à l'astre rejoignant la ligne d'horizon.

-Pourquoi ? Tu n'avais pourtant pas l'air insensible à son anatomie l'autre fois à la plage...

-C'est surtout un égoïste égocentrique de première oui ! Réplique-t-il immédiatement, levant les yeux au ciel. Et puis... il n'y avait que le sexe qui l'intéressait avec moi.

-Attends, attends, attends... M'exclamais-je en m'empressant de me redresser sur le canapé, m'appuyant sur mes coudes. Tu veux dire que vous avez... ?

-Oui. Me coupe-t-il aussitôt, en posant un doigt sur ma bouche afin de me faire taire. Mais c'était une erreur et ça ne se reproduira pas.

-Comment ça ? Il est nul au lit ? Plaisantais-je, tentant de faire renaitre un sourire sur le visage de mon meilleur ami.

-Non, au contraire, c'était... intense. Murmure-t-il, la gêne venant empourprer son visage alors que Gaston retrouve un intérêt soudain pour la boisson dans ses mains. Mais comme je te l'ai dit, Marco n'est qu'un égoïste, doublé d'un enfoiré de première. Tout ce qui l'intéressait c'était de me mettre dans son lit, le reste, il n'en avait strictement rien à faire...

-Je suis désolé Gaston. Soufflais-je, posant ma main sur son épaule pour le réconforter.

-T'inquiète pas pour moi Julio... et puis au moins, maintenant je sais à quoi m'en tenir avec Marco. Termine-t-il, son visage regagnant un sourire ravageur. Mais dis-moi, tu ne dors pas beaucoup toi ces temps-ci, je me trompe ?

-Disons que quelque chose, ou plutôt quelqu'un me tracasse pas mal l'esprit dernièrement... Avouais-je à demi-mots.

A peine avais-je eu le temps de finir ma phrase, que Gaston avait fini d'une traite son mojito avant de s'assoir en tailleur face à moi.

-Dis moi tout.

J'explique alors tout à mon meilleur ami, ce dernier ne lâchant pas mon regard durant la totalité de mon récit. Mon rêve d'il y a maintenant trois jours. Le camp qui était à nouveau attaqué. Le carnage découlant des combats entre monstres et demi-dieux. Mon duel contre Hypérion. La voix glaciale et tranchante de ce que je prétendais être une déesse, appelée Gaia. Et enfin, ma rencontre dans le monde des songes avec un jeune demi-dieu aux cheveux d'ébène.

-Je vois... Soupire alors Gaston à la fin de mon récit, le visage arborant un air grave et préoccupé. Et tu connais le nom de ce demi-dieu apparu dans ton rêve ?

-Oui. Son nom est Nico Di Angelo.