Chapitre V
Nico Di Angelo :
Un cauchemar, un horrible cauchemar. A l'instant même où mes paupières se sont closes de fatigue, la douceur régnante s'est vue remplacée par l'horreur.
Je me retrouve à l'exact endroit de ma vision, seulement le paysage a bien changé. Le ciel radieux n'est plus qu'une épaisse nuée ardente, aux reflets rougeâtres. La baie en contre-bas, dont la magnificence des eaux turquoises avait marqué mon esprit, semble être en ébullition. Des émanations de gaz nauséabonds s'échappent de la surface, lui donnant un air de marécage putride. Enfin, les vastes plaines et collines, autrefois couvertes d'une végétation luxuriante, n'expriment guère plus que la désolation. La cendre nocive chute des cieux, recouvrant avec lenteur une terre noircie, encore fumante.
Mon regard se pose alors sur l'origine de tout ce chaos, un champ de bataille. Non, pas une bataille, un massacre... Me dis-je alors. En effet, sous la fine couche de cendres grises apparaissent des silhouettes inanimées, innombrables, à en perdre le décompte. Reposent ici, pelle-mêle, les demi-dieux, pégases, et monstres de ma vision. Je parcours avec peine ce champ de désolation, me frayant un passage entre les corps sans vie de ses enfants de l'Olympe. Leurs manteaux pourpres sont déchirés, leurs armures d'argent éventrées, leurs épées et lances... brisées. Leurs bannières, arborant autrefois fièrement un pégase blanc sous l'éclat d'un Soleil d'argent, sont encore la proie des flammes.
Mon corps se fige soudain, mon cœur loupant un battement à la vue d'une scène déchirante. En effet, reposant sur le sol froid, deux adolescents gisent sans vie à mes pieds. Il s'agit de deux jeunes garçons. Le premier a le regard sombre, ses cheveux châtains clairs laissent retomber quelques mèches, aux reflets blond vénitien, couvrant l'un de ses iris. Sa tête repose sur le torse du second, dont les bras musclés encerclent sa taille. Ce dernier, à la chevelure brune aux reflets d'épis de blé, a ses iris couleur ambre ancrés sur le jeune homme dans ses bras. Pressés l'un contre l'autre, les deux demi-dieux, malgré les terribles blessures ayant entrainé leurs morts, affichent des mines sereines. Il me semble même deviner les prémices d'un sourire, étirant le visage ensanglanté du premier, comme si le fait d'avoir affronter la mort avait été, pour eux, un dernier moment à partager... ensemble. La fine pluie de cendres, tombant sans discontinuer, dissimule progressivement les deux jeunes, leurs corps entrelacés ne formant plus qu'un tout, les liant pour l'éternité...
-Pourquoi... Articulais-je fébrilement, détournant le regard avec difficulté du fait des larmes menaçant d'obstruer ma vision à tout instant.
Un faible gémissement vient soudain capter mon attention. Je relève immédiatement ma tête, dans l'espoir d'identifier la source du bruit émis.
Je guide alors mes pas au son d'une respiration saccadée, paraissant ralentir à chaque seconde qui passe. Inquiet, j'accélère ma progression, mes yeux scrutant les vastes étendues désolées couvertes de figures inanimées, en quête du moindre signe de vie, ou plutôt, de survie...
Une masse se présente soudain à ma vue, s'étendant de tout son long sur le sol, me barrant le chemin de son immensité. M'approchant, je reconnais immédiatement le monstre me faisant face, Hypérion. Ce dernier, allongé au sol, affiche un visage déformé par la rage et la haine. Son armure, auparavant nimbée de flammes, est barrée d'une longue entaille au sommet du torse. Du sang, semblable à de l'or en fusion, se déverse abondamment de la blessure envahissant l'air d'une odeur sulfureuse et irritante. Me provoquant un violent haut-le-cœur, l'odeur insupportable me contraint à détourner le regard, mes yeux se posant alors sur une longue trainée formée par le sang du Titan. En suivant cette dernière, mes iris entrent alors en contact avec un jeune homme, déjà recouvert partiellement de cendres grisâtres. Un détail attire rapidement mon attention.
Il respire.
Je me jette immédiatement au sol, auprès de l'adolescent. Seulement, à l'instant même où je m'apprête à prendre son pouls, je stoppe net mon geste en reconnaissant la personne face à moi.
-C'est toi... Tu es celui que j'ai vu dans ma vision...
Le jeune homme face à moi ouvre alors péniblement les yeux, ses iris ambrés venant s'ancrer dans les miens. Il hoche lentement la tête, esquissant un léger sourire se fanant bien vite du fait de la vive douleur engendrée par ses nombreuses blessures.
Son armure, autrefois argentée, est tellement noircie que je serais prêt à croire qu'elle ait subie la fureur ardente des tréfonds du Tartare. Son manteau déchiré recouvre partiellement une plaie béante au flanc droit. Saignant abondamment, la blessure imbibe le tissu d'une vive teinte pourpre. Les cendres envahissent doucement sa chevelure, dissimulant la beauté de ses cheveux bruns. Son arcade sourcilière, ouverte, inonde la moitié de son visage de ce même fluide rouge. Le corps du jeune homme repose contre le cadavre d'un pégase blanc en armure de plates d'argent, percée en de nombreux endroits par de multiples pointes de flèches. La main droite du demi-dieu effleure du bout des doigts le manche d'une épée d'argent, légèrement courbée en son embout. Sur le pommeau de l'arme sont inscrites, sous un Soleil d'or, deux initiales J. A.
-Ju... Julio Aguilera... Me précise-t-il avec peine, ayant suivi la descente de mon regard sur sa lame. Sa voix, marquée d'un fort accent hispanique, semble épuisée, comme éteinte.
-Nico Di Angelo. Me présentais-je, tout en précipitant mes mains contre son flanc afin de compresser la plaie, dans l'espoir de faire cesser le saignement.
Au contact de mes doigts sur sa blessure, son visage se crispe aussitôt de douleur, étouffant avec peine un juron.
-Désolé... M'empressais-je de m'excuser, lui adressant un sourire voulu le plus réconfortant et rassurant possible.
-Ce... Ce n'est rien... Me dit-il, esquissant à son tour un sourire. Seulement, les traits étirés de son beau visage ne peuvent que témoigner du supplice qu'il est en train de traverser.
Julio laisse soudainement échapper un faible soupire, m'amenant à retirer sous l'effet de la surprise l'une de mes mains compressant sa blessure. Mes yeux se figent alors à la vue de mes doigts, couverts de sang. Je n'y arriverais pas... Me dis-je intérieurement.
Relevant mon regard, mes iris croisent ceux du jeune demi-dieu face à moi, me fixant intensément. Je me perds immédiatement dans ses prunelles couleur caramel. Des éclats dorés illuminent ses iris à la façon de mille soleils dans l'univers. Ses yeux n'expriment qu'amour, joie, malice, et détermination. Une de ses mains s'avance, caressant ma joue avec tendresse et fébrilité. Ses doigts descendent doucement le long de ma nuque, faisant s'abaisser mon visage vers le sien d'une infinie lenteur. Nos souffles se mêlent du fait de notre proximité, nos lèvres se frôlant presque.
Une vibration vient soudainement cesser nos gestes, nos iris alors marqués par l'incompréhension et l'inquiétude.
Une seconde vibration, plus forte, fait trembler le sol sous nos pieds. Mon sang ne fait qu'un tour, mes doigts s'empressant d'empoigner le manche de mon épée en fer stygien. Julio à mes côtés a le même réflexe, saisissant également sa lame argentée avec peine, cette dernière encore couverte de sang de Titan.
Une troisième vibration, beaucoup plus violente, manque de me faire perdre l'équilibre et de tomber à la renverse.
-Il est trop tard fils d'Hadès... Résonne soudain une voix, comme venue des profondeurs de la terre. Je la reconnais immédiatement, l'horreur de ces paroles faisant marteler mon cœur contre ma cage thoracique.
-Gaia... Répondis-je avec méfiance et haine.
-Le destin est bien plus avancé que tu ne le craignais, prince des Enfers. Mes forces approchent, dans l'ombre, et ni l'Olympe et encore moins son insignifiante progéniture ne pourront s'opposer à leur propre destruction.
Je ravale ma salive avec peine, l'impression de se tenir sur la gorge même de la déesse mère m'étant insupportable.
-Je vous ferais payer votre odieuse et pitoyable résistance. Vous, aux camps Sang-mêlé et Jupiter, pensiez avoir souffert ? Interroge-t-elle lâchant un rire orgueilleux. Vous comprendrez bien vite que vos misérables pertes n'étaient qu'un moindre mal par rapport à l'infinité de châtiments que je vous réserve !
Relevé, l'épée dressée et prêt à combattre, je retourne mon attention vers le demi-dieux étendu derrière moi. Julio, le visage déformé par la douleur ne parvient même plus à tenir son épée d'argent, cette dernière retombant lourdement sur le sol désolé. Sa respiration est saccadée, fébrile, l'hémorragie de sa plaie continuant de sévir.
-Ne comprends-tu pas que votre cause est perdue ? Reprend alors Gaia sarcastiquement. J'ai d'ores et déjà gagné. Votre vaine résistance ne fera qu'accélérer votre perte. Seulement, cette fois-ci, je ne vous laisserai pas le plaisir de trépasser ensemble.
Une vive douleur traverse soudainement mon corps, m'extirpant du monde des songes.
Me redressant en catastrophe sur mon lit d'infirmerie, le visage en sueur et le regard vide, je ne remarque même pas Will accourir à mon chevet.
Haletant, un unique mot perce avec difficulté la barrière de mes lèvres, mon corps pris de violents soubresauts.
-Gaia...
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