Chapitre 22 - « Eh oh, je suis là. »
Lucas soupira, la frustration prenant petit à petit le pas sur sa patience. Il n'avait jamais été du style à s'agacer en pleine rue lorsqu'il y avait trop de monde, estimant habituellement que ce n'était pas ce qui allait le faire avancer plus vite et qu'il valait mieux préserver ses nerfs.
Il abordait donc toujours ces situations avec un calme étonnant, surtout si on prenait en compte son hyperactivité qui ne lui laissait jamais de répit. Il attendait que la situation se débloque avec un sourire, adressant des signes de tête à tous ceux qui semblaient sur le point d'exploser de colère, ne faisant que rajouter à leur agressivité.
Et pourtant, ce jour-là, il était incapable de prendre son mal en patience. Il avait besoin d'avancer, de passer toutes ces personnes qui trainaient le pas, la tête vide de toutes pensées et le regard ébahi par la stupidité qui flottait derrière leurs iris. Ces personnes qui ne semblaient avoir aucun problème dans leur vie excepté arriver à l'heure pour l'apéro.
Il ne supportait plus de devoir ralentir à chaque fois qu'une famille un peu trop imposante prenait tout le trottoir et s'arrêtait en plein milieu à chaque fois qu'elle voyait un article qui lui plaisait dans une vitrine, ce qui était souvent.
Il ne voulait plus entendre les conversations dénuées de sens des touristes qui pensaient que toute la ville avait besoin d'entendre à quel point le réchauffement climatique était une théorie du complot puisqu'il a plu hier, ce n'est donc pas la sécheresse.
Il voulait juste aller d'un point A à un point B sans devoir subir l'absurdité dont pouvaient faire preuve les gens qui allait, par la même occasion, le mettre en retard.
Devant brutalement s'arrêter pour ne pas se faire renverser par un enfant en vélo, Lucas se retint difficilement de lever les yeux au ciel lorsque sa mère l'appela, contournant cette famille de quatre en marmonnant à voix basse. S'ils n'étaient pas capables de tenir leurs enfants correctement, alors ils ne devraient pas faire de vélo en pleine rue piétonne.
Son téléphone vibra, mais il n'y prêta aucune attention. S'il avait à deviner, il pouvait parier qu'il s'agissait de Matteo, ce dernier étant tombé il y a quelques jours sur une nouvelle page de memes et qui lui en envoyait plusieurs par heure depuis. Sauf que Lucas n'était pas d'humeur à supporter ses railleries et préférait l'ignorer.
De plus, il avait plus important à faire.
Il arriva avec plusieurs minutes de retard sur l'heure initialement convenue et retrouva Léo au point de rendez-vous. Ce dernier, ses éternelles lunettes de soleil sur le nez, était assis sur un banc et observait les alentours avec un désintérêt évident. Il haussa un sourcil en le voyant approcher d'un pas agacé.
« Sérieusement, ils ne devraient pas être tous rentrés à ce stade des vacances ? Il y a quoi, même pas trois semaines avant la rentrée ? » Râla-t-il en s'asseyant à ses côtés, jetant un regard mauvais à toutes les familles qui avaient la malheur de s'approcher trop près de leur place.
« Bonjour à toi aussi, j'ai très bien dormi, merci d'avoir posé la question. » Répondit le blond, son ton dégoulinant de sarcasme. « Tu sais, tu es dans la même position qu'eux, je ne pense pas que tu sois bien placé pour leur faire ce reproche. »
Lucas savait qu'il avait raison, mais il ne voulait pas l'admettre. Il avait besoin d'une raison pour excuser sa mauvaise humeur et le monde qu'il y avait dans les rues était l'excuse parfaite. Il n'avait pas besoin que quelqu'un d'autre lui dise qu'il était désagréable, son père s'en était très bien chargé le matin même.
Ce n'était pas qu'il cherchait à être désagréable avec son entourage, au contraire, il en était conscient et regrettait, la plupart du temps, les réflexions qui avaient le malheur de quitter sa bouche. Il ne voulait blesser personne, mais la mauvaise humeur qu'il trainait avec lui depuis quelques jours ne voulaient pas le laisser tranquille.
Peu importe les efforts qu'il essayait de faire, un rien l'agaçait et il avait besoin de le faire savoir.
« Je vois que ton humeur est toujours aussi massacrante. » Remarqua Léo qui avait d'ores et déjà essuyé plusieurs de ses réflexions. « À tout hasard, tu ne te serais pas décidé à dire ce qui te travaille à ce point ? »
Lucas était parfaitement conscient du problème, il n'avait pas eu à chercher bien loin, il s'était présenté tout seul sur un plateau d'argent. Il était là, omniprésent dans sa vie quotidienne, prêt à le frapper sur la tête avec ledit plateau dès que l'occasion se présentait. Il ne comptait plus le nombre de bosses qui s'était accumulé sur son front tel un panneau publicitaire criant eh oh, je suis là.
Oh oui, Lucas le savait.
« Enfin, je sais très bien que ça a un rapport avec Lucie puisque ça fait deux jours qu'elle a disparu de la surface de la terre et qu'elle ne répond à personne. »
Le brun ne put s'empêcher de lancer un regard noir à son ami. Lui aussi méritait d'avoir son coup de plateau sur la tête.
Mais il avait raison. Voilà deux jours maintenant que Lucie avait perdu son portable et qu'elle n'était pas sortie, déclinant toute les visites qui se présentaient à elle. Elle s'était isolée et refusait d'expliquer pourquoi. La distance qu'elle avait installé entre eux était abyssale et Lucas ne savait plus quoi faire pour y remédier.
Il n'était pas bête, il avait bien compris que ses parents en étaient la raison. Ce changement avait eu lieu juste après qu'elle soit rentrée après avoir dormi chez lui, ils lui avaient forcément dit quelque chose qu'elle ne voulait pas entendre, mais il n'avait pas la moindre idée de ce dont il s'agissait.
Il avait bien essayé de la faire parler, ayant pu la voir pendant de courtes durées durant ces deux jours, mais elle avait éludé le sujet, passant à autre chose ou lui adressant simplement un sourire triste. Après ça, il se contentait d'abandonner, ne pouvant tout de même pas lui mettre le couteau sous la gorge. Si elle ne voulait
pas lui parler, il ne pouvait pas la forcer.
Pourtant, il la connaissait assez, ayant passé des heures à l'observer que ce soit au lycée ou pendant ces vacances, pour savoir qu'elle était indécise et qu'elle essayait de prendre une décision. Et cette décision, il en
était le sujet principal.
Lucas pouvait le voir dans la façon dont elle refusait de le regarder dans les yeux, comme le fait qu'elle voulait être le plus loin possible de lui, mais également le fait qu'elle voulait qu'il soit près d'elle lorsqu'ils se trouvaient dans la même pièce.
C'était très contradictoire et il ne savait pas quoi faire de ces informations. Pourquoi avait-il l'impression d'être tout ce qu'elle voulait et tout ce qu'elle détestait ?
Dans tous les cas, sa mauvaise humeur venait de ce point précis. Il ne pouvait en vouloir à Lucie, il ne pouvait pas être en colère contre elle alors qu'elle vivait très clairement une mauvaise passe, mais il avait besoin d'évacuer sa frustration et le seul moyen qu'il avait trouvé était de s'en prendre à lui-même ou encore à ses proches.
Sauf qu'il n'était pas sûr de pouvoir continuer comme ceci pendant encore longtemps.
« Je ne sais pas, » craqua-t-il, soupirant de lassitude, « ne me demande pas pourquoi elle se comporte comme ça, je ne sais pas. »
Léo enleva ses lunettes de soleil et se tourna vers lui, l'inquiétude brillant dans son regard. « Tu as pu la voir au moins ? »
« Pas longtemps, » acquiesça Lucas avec une grimace, se remémorant leur rencontre de la veille, « de toute manière, c'est comme si elle était là sans être là. C'était tout juste elle m'écoutait quand je parlais. »
« Tu- » Le blond fronça les sourcils, cherchant les bons mots pour poser sa question. « Tu as fait quelque chose de mal ? »
« Non, je- » Il ferma les yeux et prit plusieurs respiration pour essayer de se calmer. Il ne voulait pas s'énerver pour une question aussi innocente. « Je ne l'ai pas réveillée quand elle s'est endormie chez moi après la sortie en bateau. Elle était fatiguée et m'a dit elle-même qu'elle ne voulait pas rentrer, du coup je l'ai laissée dormir. Elle ne m'en voulait pas, c'est même elle qui est restée plus longtemps le lendemain, je ne l'ai pas forcée. Elle ne peut quand même pas m'en tenir responsable, si ? »
Car là était tout le problème. Lucas avait peur d'être à l'origine de ce débâcle, d'être responsable de quelque soit la décision que ses parents avaient pris et qui lui faisait tant de mal. Ce n'est pas ce qu'il avait voulu, il pensait simplement bien faire en la laissant dormir. Elle lui avait promis qu'elle allait trouver une solution et que ce n'était rien, mais il l'avait visiblement mise dans une situation délicate.
Ce n'était pas surprenant qu'elle ne veuille pas lui en parler, elle devait maintenant payer les pots cassés de son erreur, c'était sa faute. Stupide, stupide, stupide !
Cependant, Léo ne semblait pas de son avis. « Honnêtement Lucas, je pense que, peu importe ce que tu décidais, ses parents auraient trouvé quelque chose à lui reprocher. Je les connais depuis des années et ça a toujours été comme ça. »
Le brun tenta de se raccrocher à ses paroles, mais le doute planait toujours dans son esprit. Si elle était rentrée plus tôt, peut être qu'ils lui auraient simplement fait une réflexion et ils n'auraient pas essayé de la couper du monde. Parce que oui, il était persuadé que si elle ne sortait pas, c'était parce qu'ils lui l'avaient interdit.
« C'est peut être plus flagrant cette année, mais ils ont toujours contrôlé ses moindres faits et gestes, même si elle avait l'impression de pouvoir faire ce qu'elle voulait. » Léo haussa les épaules, un air consterné se dessinant sur les traits de son visage. « Je ne lui l'ai jamais dit parce que j'estimais que ce n'était pas juste de lui rajouter ce poids sur la conscience, mais je ne compte plus le nombre d'appels que j'ai reçu de son père au fil des années, me disant ce qu'on avait le droit de faire et ce qu'on n'avait même pas le droit de simplement s'approcher. »
Le dégoût qui s'entendait dans sa voix prit Lucas de court. Il savait pertinemment que Léo ne portait pas les parents de Lucie dans son coeur, il avait toujours été du côté de cette dernière et ne s'en était jamais caché, mais il restait discret sur ses pensées et ne les avait jamais véritablement critiqués à voix haute. Son changement était déroutant.
« J'ai bien essayé de contourner quelques règles, mais c'était comme s'il savait déjà à l'avance ce que je préparais. J'ai fini par abandonner, je ne voulais pas que ça retombe sur Lucie. » Il se tourna vers lui, fixant son regard dans le sien. « Tu n'es pas le problème ici. Attends qu'elle vienne à toi, il y a forcément une explication à son comportement. »
Lucas savait que c'était ce qu'il devait faire, il ne pouvait pas faire autrement de toute manière, mais le savoir ne rendait pas la situation plus agréable à supporter. Il ne pouvait pas être présent pour Lucie, il ne pouvait pas essayer de réparer ses torts et il ne pouvait pas l'arracher aux griffes de ses parents.
Tout ce qu'il pouvait faire était attendre, se poser des questions et prier pour que la situation ne dérape pas jusqu'au point de non retour.
« Tu crois que- »
Mais le garçon s'interrompit, s'immobilisant lorsque son regard passa par-dessus l'épaule de son ami. Son sang ne fit qu'un tour dans ses veines et il était pratiquement sûr que son coeur avait arrêté de battre pendant une demi-seconde. Il écarquilla les yeux, ressentant soudainement le besoin de se faire tout petit.
« Oh merde. »
Léo le regarda faire avec confusion, toutes ses questions se retranscrivant sur son expression. Il ouvrit la bouche pour lui demander ce qu'il se passait, mais une main se posant sur son épaule l'en empêcha. Lucas vit son comportement changé du tout au tout lorsqu'il comprit ce qui avait provoqué sa réaction.
« Monsieur Collin ! Comment allez-vous ? »
La panique s'entendait dans sa voix alors que l'homme lui souriait, adressant tout juste un signe de tête à Lucas. Habillé d'une chemise blanche et d'un pantalon de costume gris, ses chaussures étaient d'un noir brillant, renvoyant l'image soignée et stricte qu'il voulait se donner.
Ses cheveux grisonnant étaient parfaitement coiffés, se mariant parfaitement à son look d'homme d'affaire. Chaque centimètres de sa peau exultaient la puissance et l'arrogance et ses yeux cherchaient à intimider quiconque avait le malheur de croiser son regard.
Lucas l'avait seulement vu une fois lorsqu'il était venu au lycée, mais l'interaction avait tellement été rapide, il avait été si pressé de partir le plus loin possible, qu'il n'avait pas pris le temps de réellement le regarder.
Honnêtement, il ne voulait pas le voir. Ce n'était pas seulement parce qu'il était terrifié par cet homme de par les histoires qu'il avait entendues et par l'aura qu'il dégageait, mais également parce qu'il n'avait pas confiance en ce qu'il pouvait dire si le nom de Lucie quittait ses lèvres.
Il ne l'aimait pas, à vrai dire, il le méprisait. Tout ce qu'il représentait, que ce soit dans sa vie personnelle et dans sa vie professionnelle, le brun était incapable d'en saisir le sens. Il était l'incarnation de tous les maux de la société dans laquelle ils vivaient et il était impossible de le convaincre du contraire.
Il détestait la façon dont il considérait sa fille, la traitant comme si elle était dénuée de ses propres pensées et sentiments, l'utilisant comme moyen d'arriver à ses fins et ses objectifs, certainement pour réaliser ce qu'il n'avait pas pu faire lui-même.
Un père de famille ne devait pas se comporter de cette façon, ce n'était pas les valeurs qu'il devait représenter et partager. Il aurait dû être aimant, vouloir le meilleur pour elle tout en l'encourageant à prendre ses décisions et en l'aidant à se relever lorsqu'elle faisait des erreurs.
Sauf qu'il était tout l'inverse. Froid, distant et calculateur.
La colère de Lucas se réveillait peu à peu, cette fois-ci entièrement dirigée à l'encontre de l'homme qui leur faisait face. Il ne prêtait aucune attention à la discussion qu'avait Léo avec lui, bien trop occupé à imaginer des scénarios durant lesquelles un enfant venait malencontreusement lui foncer dans les jambes ou alors lui écrasait une glace au chocolat sur sa chemise si blanche et si bien repassée.
Son imagination pouvait aller plus loin, mais il essaya tout de même de se maitriser un minimum. Il se respectait bien trop pour abuser des bonnes choses.
Alors, même s'il s'agissait certainement d'une très mauvaise idée, Lucas ne faisait rien pour cacher son animosité et l'observait avec insistance. Il ne voulait même pas imaginer l'expression qui s'était dessinée sur son visage, ne clignant pas des yeux et exprimant tout son dégoût.
Si le père de Lucie l'avait remarqué, alors il ne le montrait pas.
Lucas n'avait pas la moindre idée de combien de temps il resta comme ceci, immobile à maudire celui qu'il assimilait à un bourreau. Il n'avait plus conscience de ce qui l'entourait et du monde qui s'agglutinait sur la petite place, sa vision périphérique s'étant complètement rétrécie pour se concentrer uniquement sur lui.
Les minutes défilèrent jusqu'à ce que leur conversation se termine et que l'homme s'éloigne, mais pas sans un dernier regard en sa direction. Celui-ci en disait long, révélant beaucoup, mais sans que Lucas en comprenne l'étendue.
Le silence qui suivit son départ accentua sa confusion, plusieurs questions lui venant à l'esprit sans qu'aucune d'elles ne trouve réponse. Il y avait quelque chose qui lui échappait et il n'arrivait pas à mettre le doigt dessus.
« Il te connaît ? »
Le brun se tourna vers Léo qui l'observait avec la même panique qui s'était emparée de lui lorsque le père de Lucie avait fait son apparition. Il ne pouvait pas lui en vouloir, il s'agissait d'une situation inconfortable pour tout le monde.
« Je l'ai vu une fois assez rapidement, » répondit-il, ne pouvant se débarrasser de l'étrange sensation qui faisait niche dans le creux de son estomac, « pas assez pour qu'il se souvienne de moi. »
« Alors pourquoi est-ce qu'il t'a regardé comme s'il voulait te crever les deux yeux et les donner à manger aux pigeons ? »
Le malaise de Lucas explosa dans tout son corps, lui retournant les entrailles comme de la vulgaire soupe et les passant au mixeur pour leur en donner la même consistance. Un goût amer se répandait dans sa bouche de la même manière que la vibration d'une corde de guitare émanait un son. Ç'aurait pu être agréable si elle ne sonnait pas aussi faux.
Oh il savait très bien qui il était.
8 chapitres.
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