Chapitre 21 - « Ça va aller. »
Assise sur une chaise de la table de la cuisine, Lucie regardait dans le vide, ses pensées allant dans tous les sens. Une tartine à la confiture et un verre de jus de fruit étaient posés devant elle, mais elle n'y avait pas encore touché, malgré les longues minutes pendant lesquelles elle avait été installée là, sans bouger.
Elle n'avait pas fermé l'oeil de la nuit, son cerveau refusant radicalement de se mettre en veille pour la laisser se reposer. Son esprit restait vif, ignorant la fatigue qui essayait pourtant de l'embrumer, et ses nerfs démarraient au quart de tour.
Elle sursautait dès qu'elle entendait du bruit ou avait l'impression d'être observée, se sentant personnellement offensée par l'air qui venait s'engouffrer par la baie vitrée ouverte pour s'insinuer au plus profond de son être. Il ne faisait pas froid, mais elle ne pouvait s'empêcher de frissonner.
Un marteau piqueur avait décidé d'élire domicile derrière ses yeux, formant ainsi un concert de percussion s'étendant de la pince de son nez jusqu'à l'arrière de son crâne. Ses paupières étaient lourdes, ses yeux secs et pourtant, elle n'avait pas réussi à dormir.
Elle avait passé plusieurs heures à se tourner et se retourner dans son lit, essayant de trouver la bonne position qui allait enfin gagner son sommeil avant d'abandonner et d'aller s'assoir près de la fenêtre. Elle avait espéré que le mouvement répétitif des vagues suffirait à la bercer, mais celles-ci avaient eu l'effet inverse et l'avaient gardée éveillé.
Lucie s'était bien imaginée que ses problèmes avaient été emportés par le courant, lui vidant la tête et lui permettant d'entrer dans un état second qu'elle accueillerait à bras ouverts, mais rien n'y faisait. Ses problèmes restaient les mêmes, leurs racines fortement enroulées autour de son coeur.
Elle n'était plus que l'ombre d'elle-même, étant tout juste capable de se déplacer dans la maison sans renverser un vase ou une statue, sa voix était aux abonnés absent et s'était réfugiée derrière ses cordes vocales, refusant de sortir même sous la menace.
Elle ne savait plus quoi faire pour y remédier, mais n'était également pas sûre de vouloir le faire. Elle était perdante dans tous les cas, pourquoi voudrait-elle agir ?
Lucie soupira et ferma les yeux, les images de la veille au soir lui revenant à l'esprit. La situation ne pouvait pas être pire. Elle savait que ses parents allaient la réprimander pour ne pas être rentrée et ne pas avoir donné de nouvelle, mais elle ne les pensaient pas capables d'aller aussi loin.
Elle ne pensait pas qu'ils puissent fouiller dans son téléphone, elle ne pensait pas qu'ils découvrent l'existence de Lucas et elle ne pensait pas que son père puisse menacer ce dernier aussi ouvertement. Néanmoins, voici où ils en étaient.
Plus elle y pensait et plus Lucie sentait son estomac se contracter. Elle savait ce qu'il lui restait à faire, mais rien que l'imaginer la rendait malade. Elle ne voulait pas le faire, tout son être repoussait cette idée, transformant ce refus en mal être physique. Mais sa raison savait qu'il s'agissait de la chose à faire.
Elle était en conflit avec elle-même, sa raison et son coeur s'attaquaient mutuellement, mais aucun d'eux n'arrivait à prendre le dessus sur l'autre, la renforçant un peu plus dans son impasse. Elle était coincée et personne ne pouvait l'aider à prendre la bonne décision.
Le silence qui planait dans la maison ne faisait que rajouter à l'ambiance pesante qui s'était installée, malgré l'absence de ses parents. Lucie ne les avait pas vus depuis qu'elle était allée s'enfermer dans sa chambre. Elle ne voulait pas croiser son père et l'injustice qu'il trainait avec lui ou encore sa mère et sa tentative inutile pour la défendre.
Lucie ne savait même pas quoi en penser. Pendant toute la durée de leur interaction, elle l'avait suppliée du regard de dire quelque chose, d'arrêter son père dans ses demandes parce que ce qu'elle faisait n'était pas aussi dramatique qu'il le laissait entendre. Mais rien n'y faisait, elle n'avait même pas osé croiser ses yeux, ni même s'adresser directement à elle.
Elle était restée silencieuse, assistant à ce débâcle sans intervenir. Et pourtant, elle lui était tout de même venue en aide lorsqu'elle pensait que Lucie ne l'entendait pas.
Cette dernière n'avait pas compris la moitié de ses sous-entendus. Elle avait beau ne jamais avoir vu d'effusion d'amour entre ses parents, elle n'avait pas non plus assisté à de gros désaccords entre eux. Elle ne comprenait donc pas pourquoi sa mère semblait tout reprocher à son père, comme si elle avait été coincée dans cette relation depuis le début. Et ce bruit à la fin de leur conversation.
Est-ce qu'elle ne comprenait pas ou ne voulait-elle pas comprendre ?
Lucie était en internat depuis de nombreuses années maintenant, elle ne vivait avec eux que deux mois dans l'année et ne faisait pas partie de leur quotidien, elle ne les connaissait plus réellement. Elle était étrangère à leur vie et leur routine.
Et si ce que sa mère avait dit était vrai, et si ce qu'elle avait peur de penser s'avérait juste, n'était-il pas normal qu'elle passe à côté de ces indices ? Qu'elle ne s'en soit pas rendue compte plus tôt alors qu'elle avait été sensibilisée aux signes ? Qu'elle n'aurait pas pu agir et que ce n'était donc pas sa faute ?
Elle ne vivait plus avec eux, elle ne les côtoyait que très rarement, ce n'était pas sa faute.
Lucie se pressa les mains sur les yeux, essayant de repousser les images qui se formaient dans son esprit. Elle ne voulait pas y penser, elle ne voulait pas y croire. Mais ça pourrait expliquer tellement. Le fait que sa mère s'était éloignée d'elle dès qu'elle avait pu se prendre en charge seule, le fait qu'elle avait insisté pour qu'elle intègre le lycée Victor Hugo le plus tôt possible
Le fait que son comportement ait changé lorsqu'elle s'était rendue compte que sa fille avait grandi et qu'elle pouvait potentiellement se retrouver dans la même situation qu'elle. Comme si elle essayait de la protéger, mais ne savait pas comment faire.
Non, Lucie se faisait des idées. Elle essayait d'interpréter des signes qui n'étaient pas présents et le manque de sommeil la faisait partir beaucoup trop loin. Peut-être que ses parents ne vivaient pas l'amour fou, peut-être que leur relation n'était plus ce qu'elle avait été avant sa naissance, mais sa mère aurait pu partir, aurait pu divorcer si elle l'avait vraiment voulu.
Elle se répéta ces mots, encore et encore, tentant de les graver dans ses pensées pour remplacer celles qu'elle voulait oublier. Le bourdonnement qui se répercutait dans sa tête s'intensifia, effaçant ainsi le monde qui l'entourait. Elle n'avait plus conscience de la pièce dans laquelle elle se trouvait, du bruit des vagues qui se faisait entendre au loin, ni même de l'odeur qui se dégageait de son petit-déjeuné qu'elle n'avait pas eu la foi de toucher. Elle n'était plus présente dans son propre corps.
Pourtant, la réalité la rattrapa brusquement lorsque la sonnette retentit et qu'elle sursauta, son coeur ratant plusieurs battements. Pendant quelques secondes, elle eut peur que ses parents aient décidé de rentrer plus tôt, mais comprit rapidement que ça ne pouvait pas être eux. Ils n'auraient pas sonné et seraient rentrer directement.
Lucie se tata à aller ouvrir. Elle ne voulait voir personne, elle ne voulait pas avoir à expliquer pourquoi des cernes s'étaient dessinées sous ses yeux ou pourquoi son teint était blafard et malade. Elle voulait se retrouver seule et endurer ses pensées même si elle savait que celles-ci allaient avoir raison de sa santé mentale.
Elle voulait s'isoler et ne pas avoir à affronter la réalité.
La jeune fille ne savait pas combien de temps elle resta comme ceci, à débattre intérieurement de ce qu'elle devait faire, mais son visiteur devait commencer à s'impatienter puisque la sonnerie se fit entendre une nouvelle fois.
Alors que la solitude commençait à prendre le pas sur sa politesse, Lucie se fit violence pour se lever et se diriger vers la porte d'entrée. Elle était bien décidée à congédier quiconque se trouvait derrière pour retourner à sa torture personnelle.
Cependant, elle déchanta rapidement lorsque qu'une tête brune apparut dans l'encadrement, des yeux bleus l'observant avec espoir. Toute sa volonté vola en éclat alors que les battements de son coeur accéléraient et que sa respiration se coinçait dans l'étau brûlant que formait sa gorge. La guerre qui faisait rage au fond d'elle reprit de plus belle, écrasant tout sur son passage.
« Qu'est-ce que tu fais ici ? » Lui demanda-t-elle, surprise par le son de sa propre voix.
Elle ne savait pas comment avait fait pour prononcer ces quelques mots, sa voix était rauque et enrouée et lui avait pris tout le peu d'énergie qu'il lui restait. Ce fut un miracle si elle put se déplacer pour le laisser entrer.
Lucas pénétra donc dans la maison, le doute se transcrivant dans sa façon de se mouvoir. Lucie était bien incapable de savoir si ce dernier venait du contexte ou de l'image qu'elle renvoyait, mais elle ne put que se concentrer là-dessus sous peine de se perdre complètement.
« Tu ne réponds pas à mes messages, alors j'ai attendu que tes parents partent pour venir te voir. » Répondit-il à voix basse, comme par peur de perturber l'atmosphère sombre qui régnait dans la pièce.
Sans le regarder dans les yeux, Lucie ne s'en sentait pas capable, elle retourna à sa place sans pour autant s'assoir sur la chaise. Elle n'était plus en mesure de réfléchir, le brouhaha de ses pensées avait écrasé ses capacités cognitives.
« Euh, » elle secoua la tête, essayant de se remémorer de quels messages il parlait, « je ne sais pas où est mon portable. »
« Tu veux que je t'aide à le chercher ? »
Sa demande était louable, mais elle avait bien compris qu'il cherchait juste à faire la conversation pour venir au sujet qui l'intéressait, le sujet que Lucie voulait absolument éviter. Elle ne voulait pas y être confronté, pas maintenant.
Encore une fois, elle refusa. « Ça ne sert à rien, je pense que c'est mes parents qui l'ont. »
Alors même qu'elle ne voulait pas en parler, elle savait qu'elle ne pouvait pas y échapper. Elle ne pouvait se cacher éternellement de l'ultimatum que lui avait posé son père, elle savait qu'il allait revenir à la charge tôt ou tard. Il fallait qu'elle l'affronte malgré sa réluctance évidente.
Lucas chercha à accrocher son regard, mais elle se détourna, faisant mine de ranger ce qu'il trainait sur la table. « Ça s'est si mal passé que ça ? »
Elle haussa les épaules, sa respiration se faisant tremblante. « La pire version que tu peux imaginer. »
Lucie ferma les yeux, s'immobilisant dans ses mouvements. Il fallait qu'elle trouve le courage de le faire car, même si ce n'était pas ce qu'elle voulait, c'était dans son intérêt à lui. Elle ne pouvait pas être égoïste et ruiner son avenir juste pour son bonheur personnel. Non, il fallait qu'elle pense à lui avant tout.
Elle sentait sa présence derrière elle, omniprésente, rassurante et déchirante. Fut un temps, elle ne pouvait même pas la supporter sans avoir envie l'évincer de la pièce, mais il avait insisté et elle avait appris à le connaitre et à l'accepter. Aujourd'hui, elle ne savait pas si elle devait en être reconnaissante ou si elle devait le regretter.
Peut-être que ç'aurait été plus simple si elle l'avait éconduit et si elle avait passé ses vacances de Noël seule, si elle avait continué à le détester sans jamais découvrir quelle merveilleuse personne il était. Elle n'aurait pas eu besoin de leur briser le coeur à tous les deux.
« Lucas, je- »
Lucie se retourna brusquement vers lui, décidée à arracher le pansement le plus rapidement possible, mais ses paroles se coincèrent en travers de sa gorge lorsqu'elle croisa son regard. Son t-shirt bleu clair venait rappeler la couleur de ses iris alors que celles-ci l'observaient avec un mélange d'inquiétude, d'espoir et de stress.
Le manque de sommeil se lisait sur les traits fatigués de son visage et sur l'angle douteux qu'avait pris certaines mèches de ses cheveux bruns. La tension irradiait sa posture et la crispation de sa mâchoire alors qu'il attendait patiemment qu'elle termine sa phrase.
Lucie ne pouvait pas faire ça.
Malgré toute la volonté dont elle pouvait faire preuve, elle ne pouvait pas le quitter, pas alors qu'il se tenait comme ceci devant elle et qu'elle n'en avait absolument pas envie. Il était la meilleure chose qui lui soit arrivée cette année-là, elle n'était pas capable de le repousser. Elle ne supporterait pas qu'il lui reproche sa décision et de voir toute l'animosité animer ses yeux bleus habituellement si joyeux et optimistes.
Elle ne pouvait pas.
L'inquiétude prit le pas sur le reste de ses émotions alors qu'il avançait d'un pas et tendait la main, tout de même sur la retenue. « Tu es sûre que ça va ? »
Lucie acquiesça rapidement, les larmes coulant déjà sur ses joues, n'ayant pu les retenir plus longtemps. « Ça va aller. »
Mais elle savait très bien que ce n'était pas le cas.
Laissant tomber ses dernières défenses, la jeune fille alla se réfugier dans ses bras pour ignorer le poids qui s'était formé dans le creux de son estomac et qui voulait l'entrainer dans les tréfonds de l'abysse qui ne faisait que s'élargir sous ses pieds. Elle ne voyait ni le fond, ni la sortie, étant enveloppée dans un épais voile noir qui ne laissait transparaitre aucune lumière.
L'étreinte de Lucas n'arrivait pas à l'atteindre, tout comme les mots qu'il murmurait à son oreille et dont elle ne comprenait pas le sens. Sa présence était lointaine malgré la proximité physique qui les rapprochait et elle pouvait déjà sentir son aura réconfortante disparaitre.
Lucie l'avait perdu. Il n'en était peut-être pas encore conscient, mais elle en était persuadée. Ce n'était qu'une question de temps avant que les conséquences se fassent ressentir.
Les minutes passèrent sans que Lucie ne veuille rompre leur étreinte, se perdant un peu plus dans la chaleur qui se dégageait de son corps et qui voulait l'envelopper malgré la barrière de froid qui s'était formée autour d'elle. Malgré la contradiction que formaient ses émotions et ses pensées, la nature apaisante et patiente du garçon avait peu à peu effet sur la panique qui s'était installée en elle, ayant un effet presque soporifique.
Les battements de son coeur étaient réguliers, se répercutant contre le bas de son visage telle une musique dans les caissons d'une enceinte. Son souffle tiède glissait le long de son cou jusqu'à la base de son épaule, s'échouant contre de col de son t-shirt. Sa respiration se calma progressivement, se calant à la sienne et faisant baisser le taux d'adrénaline qui parcourait ses veines.
Peu à peu, les pensées de Lucie s'éclaircirent pour laisser leur place à la fatigue qui s'écrasa sur elle comme une masse sur un caillou. Elle n'avait pas fermé l'oeil depuis bien trop longtemps et les effets se faisaient enfin ressentir.
Se forçant à se décrocher de Lucas malgré la contestation de tous les muscles de son corps, elle tourna la tête vers l'horloge qui était accrochée au mur. Ce fut à cet instant qu'elle réalisa où ils se trouvaient, son regard étant automatiquement attiré par la porte.
« Tu ne devrais pas rester, » marmonna-t-elle en s'approchant de la fenêtre de la cuisine, « si mes parents arrivent et te voient, je suis morte. »
À sa grande surprise, Lucas haussa les épaules, un sourire en coin se dessinant sur ses lèvres, mais n'atteignant cependant pas ses yeux. « Ne t'en fais pas, la caméra du garage me préviendra lorsqu'ils rentreront. » Lucie fronça les sourcils sans comprendre, ne faisant que redoubler sa fierté. « Ne m'en veux pas, mais j'ai utilisé ton wifi pour être prévenu dès qu'une voiture entre sur la propriété. Comme ça, j'ai juste le temps de sortir par le jardin et de partir en courant dans la direction opposée. »
Il avait beau le dire sur le ton de l'humour, Lucie voyait bien qu'il s'agissait désormais d'un sujet délicat à aborder. Elle aurait aimé qu'il n'ait pas besoin de s'enfuir dès que ses parents entraient en ligne de mir, elle aurait aimé qu'il puisse rester chez elle sans avoir à s'inquiéter, comme elle l'avait fait si souvent chez lui cet été.
Mais si avant cette perspective était improbable, elle était désormais impossible.
« Lucie, » sa voix la tira de la pente glissante sur laquelle elle s'engageait, « tu me dirais s'il y avait quelque chose de grave, n'est-ce pas ? »
La jeune fille le regarda sans rien dire. Les doutes transparaissaient toujours dans ses yeux, même s'il essayait de les dissimuler derrière sa confiance habituelle. Lucie était consciente qu'il n'avait jamais été confiant lorsqu'il en venait à leur relation, il se remettait toujours en question par peur de mal faire. Tout comme elle, il ne voulait revenir à la relation qu'ils entretenaient avant d'apprendre à se connaître.
Alors il faisait attention au moindre détail, observait ses réactions et son comportement pour s'assurer qu'il n'était jamais en porte-à-faux à son égard et qu'elle n'était jamais réellement déçue de son comportement ou énervé contre lui. Il faisait tout pour elle sans pour autant réprimer sa façon d'être.
Et Lucie l'aimait pour ça.
Il était donc évident qu'il allait remarqué qu'elle ne vivait pas pleinement l'instant présent, qu'elle était sur la retenue et que quelque chose n'allait pas. Il n'était pas stupide, bien au contraire.
Elle aurait dû lui en parler avant qu'il ne comprenne de lui-même, mais Lucie ne pouvait s'y résoudre.
Elle hocha donc la tête, essayant de lui adresser un sourire au mépris de son coeur qui s'effritait bout par petit bout et qui menaçait d'exploser à chaque seconde. « Dans la mesure du possible. »
9 chapitres.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro