Lucie regardait le paysage défiler sous ses yeux, l'esprit tourné vers des eaux moins troubles. La tête appuyée contre la vitre de la voiture, de la musique en fond pour passer le temps, elle attendait patiemment qu'ils soient arrivés à destination. Il ne leur restait plus beaucoup de trajet avant d'arriver à leur maison de vacances.

À vrai dire, elle n'était pas ravie de partir en vacances, tout simplement parce que ça n'en était pas vraiment. Comme toutes les années, Lucie et ses parents allaient dans leur maison de vacances près de Nice parce que ceux-ci travaillaient pendant deux mois dans la branche méridionale de leur entreprise. Elle passait donc une grande partie de ses vacances à les croiser en coup de vent et essayer de passer le temps comme elle pouvait.

Cette année-là n'était pas différente des autres, mis à part qu'elle avait encore moins envie d'y aller. Elle aurait préféré s'incruster chez Camille ou Alexia, mais elle n'avait pas eu le choix. Comment allait-elle pouvoir supporter de passer des soirées avec eux, si peu nombreuses qu'elles vont être, alors qu'ils ne se sont même pas débrouillés pour venir la voir au gala de fin d'année ?

Lucie supportait de n'être soit qu'un fantôme pour eux, soit une copie conforme d'eux. Elle voulait être elle-même, faire ce qu'elle voulait, quand elle voulait et sans devoir rendre de compte à personne. Mais elle ne pouvait pas, malgré toute sa volonté elle ne pouvait pas.

Et ceci faisait donc qu'elle avait le moral au plus bas.

Ces vacances d'été n'allaient être qu'une répétition encore plus mauvaises de ses vacances précédentes. Aussi loin qu'elle se souvienne, elle avait toujours passé les vacances d'été dans leur maison secondaire près  de Nice.

Pendant les premières années, sa mère avait bien été obligée de rester avec elle pour la surveiller, et comme en ce qui concerne tout le reste, dès qu'elle a commencé à grandir elle a dû se débrouiller par elle-même et elle s'est retrouvée seule.

Elle connaissait l'endroit comme sa poche. Elle savait les endroits qu'il fallait visiter, les activités qu'il fallait absolument faire et celles qu'il fallait éviter. Il y avait des endroits qu'elle aimait et d'autres qu'elle méprisait. Des endroits où elle avait le droit d'aller et d'autres où ses parents lui interdisaient d'y mettre les pieds.

Elle aimait cet endroit, elle y avait passé tellement de temps qu'elle avait appris à l'apprécier à sa juste valeur, mettant de coté la rancoeur qu'elle avait contre ses parents. Seulement, à force d'y passer trop de temps, elle commençait à s'en lasser.

Elle aurait voulu voyager, découvrir le monde, les différentes cultures de chaque pays. C'était ironique parce que beaucoup de personnes ne voyagent pas parce qu'ils n'en n'ont pas les moyens, mais ce n'était pas son cas. Elle avait largement de quoi voyager dans des centaines de pays, mais ses parents étaient tout simplement beaucoup trop obnubilés par leur travail pour en profiter. Même lorsqu'ils se rendaient dans d'autres pays ce n'était pas pour faire du tourisme, mais pour travailler.

Et jamais ils ne l'emmenaient.

Lucie était donc condamnée à subir ses vacances d'été et ce jusqu'à ce qu'elle soit indépendante financièrement. Autrement dit, ce n'était pas prêt d'arriver.

Quelques minutes plus tard et après avoir imaginer tout un tas de scénarios bien plus agréables que la vie réelle, la voiture s'immobilisa devant une grande bâtisse au bord même de la plage.

En réalité, la maison était plutôt modeste, mais son emplacement faisait tout son prestige. Les murs de la façade étaient d'un blanc immaculé, signe que ses parents l'avait fait rénover avant le début de l'été. Le jardin attenant était tout aussi propre avec sa piscine et sa cuisine extérieure, non pas que celle-ci soit beaucoup utilisée. La mer était visible en arrière plan, le bruit calme des vagues ayant un effet relaxant sur cette dernière.

Descendant rapidement de la voiture en prenant ses affaires dans le coffre, ses parents discutaient travail, comme à leur habitude. Elle ne demanda donc pas son reste et entra dans la maison d'un pas précipité, ses valises cahotant derrière elle.

Elle entra sans même y repenser à deux fois et put se faire la même constatation qu'à l'extérieur. Il ne s'agissait pas d'une odeur de peinture non, mais chacune des pièces sentaient le neuf et le propre. De plus, la décoration était différente de l'année précédente, tous les murs ayant changé de couleur pour plus de sobriété et les meubles plus de design.

S'il y avait une chose que Lucie ne pouvait reprocher à sa mère, c'était ses goûts en matière de décoration.

Peu intéressée par les changements qui avaient été faits, elle traversa le salon au pas de course avant de monter les escaliers le plus rapidement qu'elle pouvait et de s'enfermer dans sa chambre. Cette dernière aussi avait entièrement été refaite. Les murs anciennement bleus clairs et blancs étaient désormais d'un blanc cassé et d'un gris nuancé. Les meubles aussi avaient été changés pour coller d'avantage avec cette nouvelle ambiance. Plusieurs éléments de décorations venaient ajouter une ambiance cosy et chaleureuse à la pièce.

Lucie aimait bien, même si elle aurait préfère qu'on la consulte avant.

Pendant qu'elle vidait ses valises et rangeait ses vêtements dans son armoire, quelqu'un toc à la porte. Celle-ci s'ouvrit sur Catherine Collin après qu'on lui ait dit d'entrer. Contrairement à son habitude, ses cheveux lui tombait sur les épaules, révélant ainsi ses boucles châtains identiques à celles dont sa fille avait hérité. Sa tenue était élégante et soignée, quoique légèrement plus décontractée que celle qu'elle abordait d'habitude.

« Il faut qu'on y aille. » Dit-elle d'une voix étrangement moins sévère et froide. « Si tu sors, veille juste à bien fermer et à ne pas rentrer trop tard ce soir. »

Lucie attendit quelques secondes supplémentaires, s'attendant à recevoir le speech habituel comme quoi elle devait faire attention et ne pas faire de bêtises, mais rien ne vint. Au lieu de quoi, elle acquiesça avec confusion et la regarda sortir de la pièce et fermer la porte derrière elle.

Elle n'avait pas du tout compris d'où venait ce changement soudain de comportement, mais elle n'avait pas pour autant envie de le découvrir. Elle termina donc ce qu'elle était en train de faire avant cette interruption.

Une fois cette tâche finie, Lucie ne savait plus quoi faire. Elle aurait très bien pu aller faire un tour sur la plage ou alors tout simplement aller profiter du soleil, mais elle avait davantage envie de se poser et rester seule pour un temps.

Elle s'assit donc sur le rebord de sa fenêtre qui avait une vue imprenable sur la mer et ferma les yeux. Une légère brise marine soufflait, faisant flotter dans l'air une odeur de sel et de sable. Le bruit des vagues était constant, le tout ponctué occasionnellement par le cri des mouettes.

L'ambiance qui se trouvait en bord de mer était particulièrement relaxante. L'air sentait les vacances, ce qui était plutôt bienvenue après une année aussi mouvementée. Au lycée Victor Hugo, il était plutôt rare de trouver des endroits où le calme régnait, voilà pourquoi c'était ce qu'elle recherchait le plus quand elle venait ici.

Le calme et la sérénité.

Elle ne savait pas combien de temps elle était restée là à naviguer dans ses pensées, mais lorsqu'elle reprit le cour du temps, le soleil était déjà proche de la ligne d'horizon et le ciel s'était teinté d'un orange éclatant et doux.

Bien sûr, toutes les bonnes choses avaient une fin et son moment fut interrompu par le vibreur de son portable, la faisant sursauter par la même occasion. Sans surprise, l'émetteur était Lucas qui aimait bien lui envoyer des messages random dans la journée, la plupart du temps d'anecdotes inutiles.

Après un échange divertissant dans lequel il comparait leurs amis à différents animaux et qui se terminait par une plainte et un spam de sa part, Lucie rangea son portable, bien décidée à ignorer son copain, et entreprit de se changer.

Avant d'arriver, elle avait eu une conversation avec ses amies d'enfance qui venaient elles aussi ici en vacances la plupart des années. Elles lui avaient donc donnée rendez-vous à une certaine heure devant chez elle. Jetant un coup d'oeil par la fenêtre, elle put constater qu'elle était restée assise bien plus longtemps qu'elle ne l'avait tout d'abord pensé.

Accélérant le rythme, elle descendit rapidement les escaliers et sortit de la maison sans jeter un regard en arrière. Rejoignant les deux jeunes filles au pas de course, elle ne put s'empêcher de les prendre dans ses bras en arrivant devant elles.

« Si vous saviez comme je suis contente que vous soyez là cette année. »

« On te manque tant que ça ? » Lui demanda la plus jeune des deux, Maï Li, un grand sourire illuminant son visage.

Maï Li était une petite asiatique aux longs cheveux noirs et aux yeux tout aussi sombres, d'un an sa cadette. Elle était très calme, mais respirait aussi le bonheur. Ambitieuse et compétitive, elle n'hésitait jamais à relevé les défis qu'on lui lançait. Lucie aimait être en sa compagnie, l'avoir près de soi était aussi rafraichissant que du thé glacé.

« Non seulement vous me manquiez, mais je n'avais vraiment pas envie d'attendre deux mois seules que le temps passe. »

Manon grimaça. « Oh, des complications familiales n'est-ce pas ? »

Manon, elle, avait des origines espagnoles, ce qui expliquait peut-être pourquoi elle bronzait aussi facilement même si elle ne partageait pas les autres caractéristiques physiques propres à son pays. Contrairement au cliché qu'on pouvait avoir sur les espagnols, ses cheveux étaient bien plus clairs et moins longs. D'extérieur, elle pouvait paraitre hautaine, voire méchante, mais il suffisait de la connaitre suffisamment pour se rendre compte qu'elle n'était pas comme ça.

Lucie la regarda avec gravité. « Quelques complications familiales, mais beaucoup de changement dans ma vie. Ça tu peux le dire. »

S'ensuivit une longue conversation sur les différents événements qui lui étaient tombés dessus cette année pendant qu'elles marchaient le long de la plage. Il était très étrange de se rendre compte à quel point tout avait changé depuis l'été dernier. Lucie elle-même était différente, même si elle ne savait pas comment l'expliquer.

« Attend, tu es sérieuse ? » L'interrompit Maï Li qui avait l'impression d'avoir mal entendu. « Tu veux dire que tu t'es vraiment reçu un seau de peinture sur la tête alors que tu t'apprêtais à danser devant le lycée tout entier ? » Elle acquiesça. « Mais quel genre de personnes fait une chose pareille ? »

Si tu savais pensa-t-elle, se retenant maladroitement de rire. « J'en rigole maintenant, mais je peux t'assurer que ce n'était pas le cas sur le moment. »

« Tu m'étonnes, ça a dû être la fête quand tes parents sont venus te voir. »

Lucie haussa les sourcils avec un rire nerveux. S'il y avait bien quelque chose qu'elle voulait oublier, c'était ses parents lui disant que c'était de sa faute et qu'elle était la pire fille du monde. Vraiment, ce n'était pas un souvenir qu'elle chérissait.

« En parlant de fête ! » S'exclama soudainement Manon, un grand sourire sur les lèvres et mettant ainsi fin à leur discussion. « Il y en a une ce soir sur la plage et il est hors de question qu'on la loupe. »

« Je ne sais pas trop, » tempera-t-elle en soupirant, « je ne peux pas- »

Mais la jeune fille l'interrompit d'un geste de la main. « Ne t'en fais pas, tu ne rentreras pas tard. Mais c'est la première soirée des vacances, il faut bien en profiter un peu non ? »

Et elle accentua ses paroles en l'implorant du regard. Lucie avait de la volonté, mais comment dire non à quelqu'un quand la personne te regardait d'une telle façon ? Elle finit donc par craquer et hocha la tête, récoltant ainsi les cris victorieux de ses amies.

« En plus, » ajouta-t-elle avec un sourire en coin, « il y a plein de petits nouveaux cette année, de quoi s'amuser un peu. »

Levant les yeux au ciel avec exaspération mais qui perdait cependant toute crédibilité à cause de son sourire, Lucie se tourna vers Maï Li. « Et Tao, il est où ? »

Tao était le frère ainé de Maï Li. Contrairement à cette dernière, il se montrait d'une timidité à toute épreuve. Il était très difficile d'apprendre à le connaitre, mais lorsque c'était fait, il était la gentillesse incarnée.

« Il a décidé de partir à l'aventure. » Répondit-elle en sautillant sur place.

Lucie fronça les sourcils sans comprendre. « Il n'est pas là ? »

« Ah si si, il est juste à la fête. »

En entendant cette information, Lucie faillit s'étaler de tout son long en trébuchant sur ses propres pieds. « Pardon ? » Elle écarquilla les yeux. « Tao ? Tao ton frère ? À la fête ? »

« Ne me regarde pas pas comme ça, » répliqua la brune en haussant les épaules, « je n'en sais pas plus que toi. Du jour au lendemain, il a décidé de se mettre à vivre. »

Lucie n'en revenait pas ses oreilles. Si un jour on lui avait dit que Tao Zengh irait à une fête, elle aurait explosé de rire. Visiblement, elle n'était pas la seule à avoir vécu un certain nombre de changements.

Elles rattrapèrent le temps perdu durant le reste du trajet, passant d'anecdotes plus inutiles les unes que les autres à des conversations plus importantes et profondes. Pourtant, Lucie ne pouvait se résoudre à leur parler de Lucas. Elle aimait garder cette information pour elle et savait que si elle leur disait, elle allait se noyer sous leurs questions.

Arrivées à destination, elle ne put que constater que c'était une fête d'assez grande envergure aux vues du nombre de personnes qui se trouvaient un peu partout sur la plage. Évidemment, elle regroupait des jeunes de tout âge, l'alcool était donc bien présent. Mais il ne fallait pas s'imaginer des adolescents comateux échoués sur la plage, ils étaient en France et non aux États-Unis.

À peine avaient-elles posé un pied au milieu de la foule qu'elles se firent abordé par une tête bien connue.

« Et enfin arrivèrent les reines de la soirée ! »

Lucie croisa les bras sur sa poitrine. « Léo, tu accueilles vraiment tout le monde comme ça ? »

Léo était le plus âgé de leur groupe avec ses cheveux châtains et naturellement bien coiffés, se mariant parfaitement à ses yeux noisettes. Déjà majeur, il s'en servait à toutes les sauces pour se faire respecter, mais jamais avec sérieux. Pour lui, toutes les occasions étaient bonnes à s'amuser, sa devise étant que la vie était bien trop courte pour ne pas en profiter. Le bonheur se retranscrivait sur tous les traits de son visage.

« Seulement les meilleurs. » Lui répondit-il avec un clin d'oeil. « Regardez qui est-ce que j'ai trouvé au milieu de la foule. » Il attrapa Tao par les épaules et lui tapa dans le dos avec un grand sourire. « Vous y croyez vous ? »

« La vie est pleine de surprise n'est-ce pas ? » Répondit ce dernier, mais légèrement gêné.

Léo explosa de rire avant de se tourner une nouvelle fois vers les filles. « Vous voulez boire ? Evidemment que vous voulez ! Je vais vous chercher ça. » Il s'éloigna de quelques pas avant de se retourner et de s'adresser directement à Lucie. « Sans alcool ? »

« Tu me connais trop bien. » Souffla-t-elle en secouant la tête.

« C'est tes parents que je connais trop bien oui. » Répliqua-t-il avant de disparaitre à nouveau dans la foule.

Manon n'attendit pas une seconde de plus pour se planter devant eux, l'excitation remplissant ses yeux. « Il faut absolument que je vous montre quelqu'un. Vous allez voir, il est vraiment très beau. »

Elle les entraina vers la buvette alors que Lucie rigolait en levant les yeux au ciel. Elle était habituée à ce genre de comportement, Manon étant dix fois pire qu'Alexia lorsqu'elle n'était pas avec Max. Passer ses vacances avec elle se résumait surtout à aller sur la plage ou se promener dans la rue en reluquant tous les garçons qui avaient le malheur de croiser sa route.

C'était sa façon d'être. Contrairement à Alexia qui croyait au prince charmant, Manon aimait plaire. Cela ne voulait pas dire qu'elle n'avait aucune valeur, seulement qu'elle savait qu'elle était très belle et jouait la dessus. Elle ne s'était jamais engagée dans des relations sérieuses, mais elle était toujours honnête avec les garçons qu'elle rencontrait. Ils le savaient et l'acceptaient, étant eux-mêmes sur la même longueur d'onde.

Cel ne faisait pas d'elle une mauvaise personne.

Prenant Lucie par le bras, elle montra un endroit du doigt. « Regardez, il est là-bas. »

Leur position ne leur permettant pas de voir grand chose, Manon les entraina encore plus près, étant le garçon étant désormais à porté de voix. Celui-ci leur tournait le dos, il était donc difficile de vérifier si ce qu'elle disait était vrai. Seul ses cheveux bruns étaient visibles et sa taille plus ou moins grande.

Lucie s'immobilisa lorsque ses yeux se posèrent sur lui. C'était étrange. Quelque chose la dérangeait. Mais elle n'en était pas sûre. Était-ce possible ? Non, certainement que non. Et pourtant...

Elle cligna des yeux à plusieurs reprises pour s'assurer qu'elle n'avait pas rêvé, mais non. De plus, elle était capable de reconnaitre cette silhouette et ces cheveux en bataille entre mille.

« Lucas ? »