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Les sourcils froncés, Changbin fit défiler avec agilité les cartes dans ses mains et garda son regard braqué dans celui de Seungmin qui étrangement semblait plutôt détendu. Presque ennuyé. Instinctivement, nous avions tous approché nos chaises de la table où ils jouaient pour mieux y voir et avions formé un cercle intime autour d'eux : Chan, Jisung et Minho d'un côté, les deux filles, Jeongin et moi de l'autre. Hyunjin restait à l'arrière, en retrait, tandis que Woojin qui avait trouvé une position confortable avait préféré ne pas bouger, de peur de raviver la douleur de la balle logée dans sa cuisse.

Changbin fit glisser le deuxième Glock jusqu'à Seungmin qui l'attrapa à deux mains et le manipula un instant.

- Ça pèse lourd ce truc...

- Et encore il n'est pas chargé. Je préfère que le barillet reste vide tant que nous jouons.

Changbin retira ensuite quatre cartes du paquet mélangé et les donna à Seungmin, face cachée puis en prit quatre autres qu'il aligna devant lui.

- De toutes façons, ce sera vite réglé. Je compte jusqu'à trois, et à trois nous retournons la première carte. Un...

Seungmin s'empara du coin de la carte.

- Deux...

Tout comme Changbin, il glissa son pouce sous la surface lisse du papier.

- Trois...

Ensemble, ils exposèrent leur jeu en claquant ce qui définirait leur destin sur le bureau en bois. Changbin avait tiré un roi de trèfle quant à Seungmin nous ne savions toujours pas car ses doigts posé à plat sur sa carte nous empêchaient de voir le sigle. Curieux, je me penchai en avant pour être le premier à le découvrir et clignai plusieurs fois des yeux lorsque sa main dévoila un as de carreau. Ses doigts s'attardèrent quelques secondes et finalement il les enleva totalement, permettant ainsi à tous, de voir ce qu'il avait tiré. Je crus apercevoir une drôle lueur passer dans le regard de Changbin mais avant même que je ne puisse l'analyser, elle avait disparue. Même en sachant qu'il venait de perdre, Changbin n'était pas déstabilisé bien au contraire, son sourire ne se renforçait que davantage. Il prit même le temps de s'étirer avant d'ouvrir la boîte en carton où il gardait ses munitions et s'amusa à les sortir une à une puis à les ranger. Il était totalement inconscient de ce qui allait peut-être lui arriver et ne semblait pas le moins du monde secoué par cette défaite. Rien ne pouvait l'ébranler, pas même l'odeur de la mort. Seungmin ne laissa pas non plus l'ombre d'un sourire trahir son soulagement et conserva son mutisme réfléchi.

Il avait remporté cette manche et ainsi nous offrait une chance de nous débarrasser de Changbin pourtant, aucun de nous ne le félicita. Aucun de nous n'autorisa ses épaules à s'affaisser, son rythme cardiaque effréné à redevenir stable, aucun de nous ne se relâcha. Et surtout pas Seungmin. La tension était si lourde qu'elle paralysait la salle entière. Le vrai jeu commençait maintenant Seungmin devait choisir le nombre de balles qui définirait ses chances de survie. S'il décidait d'un nombre trop bas, Changbin survivrait probablement mais s'il choisissait quatre et que la chance n'était pas de son côté, il augmentait le risque d'y passer. Cette décision était sans doute la plus importante qu'il n'ait jamais eu à prendre de toute sa vie. Elle définissait non seulement son avenir mais également le nôtre. S'il se plantait, il faudrait repartir de zéro et qui sait ce que Changbin avait prévu d'autres.

- Combien? demanda Changbin d'une voix fiévreuse en s'humectant les lèvres.

Les sourcils froncés, Seungmin ne disait rien et n'avait pas besoin de parler pour nous faire comprendre qu'il hésitait.

- Seungmin... Mets en une ou deux, c'est la chose la plus raisonnable à faire, conseilla prudemment Jeongin.

- Et puis quoi encore? Avec si peu de balles, Changbin va s'en sortir indemne! Non il faut directe monter à quatre, le contra Wendy.

- Pour qu'il se retrouve au tour d'après avec cinq balles? Non merci! s'égosilla Chan en croisant les bras.

- Je pense que c'est à lui de prendre la décision, c'est sa vie qui est en jeu, vous n'avez pas à dire votre mot.

- Irène a raison, concédai-je.

- Sa vie? Et la nôtre alors hein?! Tu crois que notre vie dépend pas de ce choix?! C'est peut-être lui qui joue mais en attendant on est tous concernés, la rembarra Wendy. Parce que là on papote mais en attendant l'autre taré est déjà en train de se projeter les futurs défis qu'on va devoir réaliser une fois que Seungmin sera crevé par terre, à patauger dans son sang!

- Wendy! souffla Jisung en lui lançant un regard noir.

- Hé, ho, le taré, il t'emmerde hein, dit Changbin en levant les yeux au ciel.

- Elle a peut-être pas tort, intervint Woojin.

- C'est même certain! Regardez-le faut être complètement malade pour se toucher sur un jeu aussi immonde!

Nos regards quittèrent le visage dégoûté de Minho et se reportèrent sur celui de Changbin dont la main s'activait dans son pantalon.

- Bon, la décision est prise on en met quatre et puis basta!

- Je pense que Seungmin a le droit à la parole, c'est lui qui joue quand même, s'énerva Irène.

- Bon Seungmin, t'en penses quoi? lui demandai-je en plongeant mon regard incertain dans ses iris noisettes.

- Je... je vais en mettre trois. On verra tout de suite si la chance est avec moi ou pas.

- Trois seulement? Petit joueur... se marra Changbin en extirpant sa main de son caleçon.

- Quel porc... soupira Wendy après avoir récolté un clin d'œil de la part de celui qu'elle avait traité comme tel.

- Je te laisse l'honneur de charger mon joujou.

Seungmin s'empara du Glock et retira trois balles de la boîte en carton qu'il plaça dans le barillet à intervalle de un, puis referma l'arme et la tendit à Changbin qui la saisit, un peu trop désireux de s'en servir. Impatient, il détailla le pistolet chargé, lécha vigoureusement sa longueur jusqu'à planter sa langue humide dans le canon puis s'arrêta et nous observa.

- Z'êtes prêts?

Son regard ténébreux s'arrêta sur moi alors qu'il plaçait le canon dans sa bouche. De sa main libre, il fit tourner le barillet et l'arrêta vivement avant de presser la détente d'un coup sec. Alertés, nous plissâmes tous les yeux, trop peureux pour voir son corps se déchiqueter sous le coup fulgurent mais tout de même anxieux de savoir si nous avions réussi. Le bruit nous en dirait bien assez, pourtant une part de moi voulait à tout prix voir sa tête se séparer en une multitude de morceaux de chaire et son sang dégouliner autant que la salive qui enduisait son Glock. Peut-être que moi aussi j'étais un sadique mais l'idée de faire face à un cadavre ne me rebutait absolument pas, bien au contraire, elle m'intriguait.

Je ne savais pas si j'aurais dû être heureux ou malheureux en entendant le "clic" significatif de l'échec mais une chose était sûre, j'étais déçu. Une immense déception s'était emparée de moi. Je n'arrivais pas à savoir si cette contrariété était due au fait qu'il soit encore en vie ou si le goût amer qui imprégnait mon palais venait bien de mon désappointement à ne pas voir son corps sans vie, giser sur la chaise. Une goutte de sueur dévala sa tempe et traversa son nez tandis qu'il retirait l'arme brillante de salive et la déposait sur la table.

- Oups, on dirait que je suis encore en vie, sourit-il avant de partir dans un grand éclat de rire qui lui fit renverser la tête à l'arrière.

Alors que sa pomme d'adam bougeait au rythme de ses éclats d'extase pure, Chan perdit son sang froid et abandonna sa chaise d'un bond pour se précipiter vers la table. Un cri animalier quitta sa gorge alors qu'il s'appropriait le pistolet de Seungmin, prêt à vider le chargeur sur Changbin mais à peine eut-il touché le métal froid, que l'arme de Changbin se retrouva pointée sur lui. En un éclair, Changbin avait repris son état normal et s'était emparé habilement de son Glock encore humide.

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- Chan ne fait pas ça! hurla Minho debout, sur le point de rejoindre l'affrontement. Son cri fut oublié dans le bruit du raclement de la chaise de Changbin sur le sol, c'était déjà trop tard. Le masque amusé de Changbin s'était effrité, ne laissant place plus qu'à un regard vide et à un visage atroce. Il ne jouait plus, cette partie ne l'amusait plus. Son corps plié par son fou rire était à présent rigide, raide comme la justice. Son poing gauche enserrant son pouce, son érection toujours visible à travers son jean mal boutonné, il s'était relevé et affrontait sans broncher la mâchoire contractée de Chan. Impassible, il tendit le bras et pressa la détente avec grand calme. Le silence qui régnait dans la pièce était insupportable. Heureusement, il fut bientôt brisé par le poids du corps de Chan qui s'écroula lourdement sur le sol. Les yeux toujours ouverts, il ne bougeait plus. Irène se mit à hurler, Jisung se précipita vers lui, Minho empêcha Wendy de s'approcher de Changbin et moi je restai là, assis, le dos tourné à ce désastre. Je fus bientôt le dernier à conserver ma sérénité, tout le monde ayant quitté son siège pour se rendre auprès du cadavre de celui qui avait gravé mon nom dans sa chaire. Changbin me fixa de longues secondes puis franchit la distance qui nous séparait et caressa ma joue. Seulement du bout des doigts, il l'effleura.

- Je sais que tu n'es pas comme les autres, me chuchota-t-il au creux de l'oreille tandis que son Glock caressait mon entre-jambe. Tu es plus intelligent... Tu n'as peur de rien... Tu es plus cruel. Sans doute plus cruel que moi.

- C'est f-faux, répliquai-je faiblement.

- Tu crois peut-être que je ne t'ai pas vu sourire lorsque j'ai tiré? Tu crois que je n'ai pas remarqué la manière dont tu dévorais les munitions des yeux? Tu crois que je n'ai pas décelé l'envie à laquelle tu résistes tant? L'envie irrépressible de me toucher? me demanda-t-il en agrippant mon poignet pour déposer ma main sur son membre dur.

Impuissant, je l'observai sourire avec délectation sans tenter de lutter, j'étais ankylosé, complètement paralysé. Incapable de bouger, je le laissai me manipuler et fermai les yeux en sentant les couches de vêtements disparaître jusqu'à ne rencontrer que de la peau. De la peau délicieusement humide. Tout le bruit de l'agitation extérieure, des effusions de pleurs, de cris hystériques et de menaces s'évanouit. Le souffle chaud de Changbin sur mon cou disparut. Désormais je n'entendais plus que le battement de mon propre cœur mêlé à celui de ce psychopathe qui voulait faire de moi ce que je n'étais pas: un monstre. Son sperme chaud recouvrit bientôt ma main et cette sensation répugnante me ramena à la réalité. Je la retirai d'un coup sec en l'essuyant prestement sur mon jean avant de me diriger d'une démarche engourdie vers le cadavre de Chan. Mon cœur refusait délibérément de reprendre son rythme normal et lorsque j'apercus le visage livide de Chan, il redoubla d'intensité. J'avais l'impression de mettre fait écrasé par une voiture et d'avoir été ramené à la vie, tout ça en même temps. C'était dingue.

Au centre de son tee-shirt blanc se trouvait une tâche rougeâtre qui s'étendait de plus en plus au fil des secondes jusqu'à prendre la forme d'une fleur. Les pétales atteignirent le centre de son ventre et alors tout le monde arrêta de pleurer. La tête basse, nous observâmes sa poitrine qui ne se soulevait plus, son regard figé sur le plafond et sa bouche entre-ouverte comme s'il voulait dire quelque chose. Changbin lui avait simplement coupé la parole. L'odeur métallique du sang imprégna nos narines et Wendy jugea qu'on avait suffisament profiter de cette vue. D'une main tremblante, elle ferma les paupières de Chan, abandonnant quelques larmes au passage sur son visage pâle puis se redressa et affronta chacun de nous.

Si j'avais dû prévoir ceux qui pleurerait sa mort, je n'aurais certainement pas pensé à Wendy qui était toujours prête à se battre avec lui mais ça avait été la première à réagir en voyant Changbin lever cette arme sur lui et c'était maintenant la dernière à rester auprès de son corps qui refroidissait doucement.

- Ce n'est pas parce que je suis grossière que je n'ai pas de cœur, murmura-t-elle comme si elle avait lu dans nos pensées.

Elle enleva son cache cœur qui ne cachait pas grand chose et l'étendit sur Chan, dévoilant son débardeur transparent et ses tatouages. Sur son épaule avait été tatouée une larme qui roulait jusqu'à son poignet et se perdait dans les pétales d'une rose épineuse. Ce dessin la représentait plutôt bien. Dure en apparence mais sensible au fond. Je l'observai un instant recouvrir Chan comme une mère borderait son enfant puis me détournai.

Nous regagnâmes nos places et Wendy resta encore quelques instants ses doigts enlacés à ceux de Chan et lorsqu'elle commença à s'épuiser, nous rejoignit et s'installa à sa place en ignorant Jisung qui lorgnait sur sa poitrine découverte.

- Tu n'es qu'une pourriture, chuchota-t-elle à l'attention de Changbin qui sourit pleinement.

- Je le suis tout autant que vous êtes. Je vous avais prévenu. Je dirige le jeu, je
contrôle les règles et je les modifie si ça me chante. Vous refusez de les appliquer? Vous en payez les conséquences.

Il n'eut pas besoin de préciser ce qui nous attendait, nous avions déjà la réponse.

- Reprenons, déclara-t-il après s'être éclairci la gorge pour gagner l'attention de Seungmin. Tu es prêt? Un... deux... trois!

Seungmin n'était pas prêt et nous le savions tous. Qui était prêt à confronter la mort? Personne. Personne de saint d'esprit du moins. La chance lui avait souri une fois mais avant même que l'on aperçoive son sigle, nous savions déjà qu'il avait perdu. Dans ce jeu, le hasard comptait certes, mais la folie plus que tout. Et dans ce domaine là, Changbin était un professionnel.

Comme prévu, Seungmin perdit. Et comme prévu, il récolta une balle supplémentaire, ce qui en faisait quatre. Effarés, certains refusèrent de regarder lorsqu'il plaça d'une main tétanisée le pistolet sur sa tempe. D'autres gardèrent les doigts croisés et prièrent un dieu en lequel ils n'avaient jamais cru. Moi je regardais. J'étais bien le seul, d'ailleurs, si on omettait Changbin. Toute mon attention était focalisée sur le mouvement imperceptible du doigt de Seungmin, sa vie ne tenait plus qu'à un fil, une détente, une chance. Et lorsqu'il appuya, je sus que c'était la fin avant même que le commencement de son agonie n'ait lieu. Le bruit terrifiant du coup de feu nous alerta tous. Et c'est totalement à court de souffle que nous observâmes son crâne exploser en centaines de morceaux de carcasse sanglante. Des bouts de son cerveaux volèrent comme des éclats de verre dans toute la salle. Son sang s'étala sur toute la surface disponible, les murs, le sol, les fenêtres. Si quelqu'un passait dehors il n'aurait plus aucun doute à deviner ce qu'il venait de se produire dans cette salle. Incrédule, j'observais le visage immobiles de mes camarades qui n'avaient pas bougé tant l'impact avait été effrayant.

Et puis le temps sembla s'arrêter. Le sourire victorieux de Changbin se figea. Les cartes tâchées d'hémoglobines cessèrent de chuter, le sang ne coula plus. Tout était anéanti. Je venais d'assister à notre défaite la plus totale et étrangement tout ce sang ne m'horrifia pas. La couleur de la mort qui se nourrissait des âmes de Chan et Seungmin ne me sembla pas menaçante, mais plutôt sympathique. Je commençais à apprécier ce jeu même si le goût saumâtre de la défaite me restait en travers de la gorge.

J'avais envie de recommencer une nouvelle partie simplement pour prouver que je valais mieux qu'un tas de chaire déchiquetée. J'étais plus que ça. Je ne pleurai pas la mort de Seungmin comme tous les autres. La peur ne me nouait plus la gorge. Au milieu de ce cauchemar désastreux je me sentais tout puissant, invincible. Rien de tout ça ne m'atteignait.

Irène se précipita vers la poubelle et l'atteignit juste à temps avant de vomir toutes ses tripes tandis qu'elle gémissait. Cette fois-ci, Minho l'accompagna et caressa affectueusement son dos en tenant ses cheveux trop longs pour leur éviter de tremper dans la bile et le sang qu'elle crachait entre deux quintes de toux.

Le corps de Seungmin n'avait pas bronché. Sa chemise était toujours boutonnée, son pantalon toujours retroussé, ses lacets parfaitement noués. Si on se contentait de n'observer que ses vêtements, on ne se doutait pas qu'à la place de sa tête se trouvait un trou béant d'où ressortaient ses organes encore chauds. Il avait presque l'air normal.

Personne n'accusa sa mort car elle était juste. Il avait joué, il avait perdu, il avait payé. Les règles de ce jeu sordide me paraissait maintenant bien plus sensées. Les faibles et les malchanceux n'avaient pas de place pour un monde comme le nôtre. Mais les ordures elles, si. En voyant Minho caresser le dos de celle qu'il prétendait aimer, un sourire fendit mon visage. Minho faisait parti des ordures. Comment prétendre aimer quelqu'un qu'on frappait à longueur de temps? Irène était aveugle. Aveuglée par ce prétendu amour, elle ne faisait rien pour sortir de cette enfer et s'enfoncait un peu plus à chaque regard, à chaque caresse, dans la toile qu'il avait tissé autour d'elle. Elle était sa proie et si les autres étaient trop obsédés par l'idée de s'en sortir pour remarquer les bleus qui maculaient ses cuisses et ses épaules moi je les avais vus. Je m'étais bien rendu compte du gonflement presque imperceptible mais pourtant bien présent de sa paupière gauche, du trou à l'arrière de son crâne, là où des cheveux avaient été arrachés et des griffures que ses hanches portaient.

Changbin n'était peut-être, au fond, pas le plus fou d'entre nous. Mais alors qui était-ce?

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