𝔏e bruit de leurs pas précipités se mêlait à celui de leurs souffles saccadés, jeunes âmes en fuite de leurs principes. Ils s'arrêtèrent à côté d'une simple voiture rouge sombre et Momo se retourna vers Shoto, une étincelle de malice peinte dans ses orbes noires.

« Je crois bien qu'on va avoir un problème... J'ai enfermé mes clés dans ma voiture.

- Alors quoi ? rétorqua le jeune homme en se rapprochant un peu plus d'elle, mêlant leurs haleines alcoolisées, touchant du bout du doigt le péché.

- Alors on va devoir faire sans, murmura la brune avant de laisser leurs lèvres se rencontrer pour la première fois.

Le goût singulier des fraises et du tabac, le champagne apportant sa touche amère, les lèvres rouges et fraîches, Shoto avait rarement autant apprécié un baiser. Leurs corps se découvraient mutuellement, une sensuelle harmonie s'installant dans ce parking isolé illuminé d'un vaillant lampadaire dont la lueur jaunâtre vacillait. Seuls, ils étaient seuls, et c'était merveilleux. Ils ne se connaissaient pas, n'en avaient d'ailleurs pas l'intention. Ils voulaient oublier et tout recommencer, mais ce n'était pas aussi simple.

Alors la simplicité, ils la façonnaient dans le mouvement de leurs langues entre elles, dans l'union de leurs corps à défaut de leurs cœurs, dans leurs esprits embrouillés qui se jouaient de l'obscurité. Ils étaient beaux mais éphémères, amour d'une nuit destiné à s'éteindre aussi vite qu'il s'était allumé.

Les mains de Shoto trouvèrent place au creux des hanches de sa partenaire, alors que celle-ci enroulait ses bras autour de la nuque du bicolore. Ils rouvrirent les yeux en même temps et Momo se sentit engloutie par le regard unique des yeux vairons qui s'étaient plantés dans les siens, noircis par le désir. Elle rompit le baiser et passa sa main blanche sur la joue brûlée du jeune homme.

Il leur fallut un regard, un seul pour comprendre. Cette nuit, ils allaient s'abandonner, se dévoiler, se ruiner, car il faut détruire pour mieux reconstruire et que Shoto et Momo, ils avaient vécu, du haut de leurs vingt-et-un ans. Ils avaient vécu et vaincu, mais aussi été défaits. Shoto et Momo, ils avaient besoin de recommencer.

Rewind.

Aussitôt la porte de la chambre d'hôtel fermée, ils s'étaient réembrassés, avaient mêlés leurs odeurs envoûtantes dans une étreinte charnelle, ils s'étaient presque aimés. Âmes en peine, cœurs en détresse, mais vivants, tellement, trop vivants. Et alors que les mains tremblantes de Shoto défaisaient lentement la fermeture éclair qui fermait la robe de la belle noiraude, alors que celle-ci laissait ses lèvres se perdre sur la peau sucrée du bicolore, alors ils avaient oublié.

Oublier pour une nuit avant de replonger, Shoto et Momo, ils étaient destinés à se rencontrer et à s'apprivoiser. Pour une nuit seulement, Shoto oublierait ses parents et ses responsabilités dans l'odeur des fraises et de la cigarette. Pour une nuit, oui, mais toujours, quand il verrait ces fruits ou sentirait l'odeur du tabac, toujours il se rappellerait de cette inconnue qui l'avait charmé lors de cette belle soirée.

Ils ne s'aimaient pas, mais ils se désiraient du plus profond de leur être. Âmes sœurs et ennemies, amour charnel sans être superficiel, ils étaient une évidence qui n'aurait jamais dû naître.

Le soleil les trouva endormis, enlacés tels deux amants. Mais dans amants, il y a aime, et Momo, elle n'a jamais connu que la haine. Alors elle se lève, elle se rhabille et s'échappe, ombre rouge sur les murs gris de la ville qui s'éveille. Elle est là, mais on ne la voit pas. Elle est belle, mais on ne la regarde pas. Elle se faufile entre les travailleurs pressés et les fêtards défoncés, passe à côté d'un enfant qui mendie. Princesse en haillons, éternel chat noir et vilain petit canard, Momo Yaoyorozu, quand le jour se lève, elle n'est plus cette sensuelle pécheresse en tenue d'Ève.

Momo Yaoyorozu, elle s'échappe comme de la poudre d'or dans un sablier, comme un nuage dans une nuit d'été.

Il aurait dû le savoir, Shoto. Il aurait dû le comprendre, dans l'étincelle de ses yeux, dans la rougeur de ses lèvres, dans la chaleur de sa peau. Blanche-Neige n'est qu'un conte de fées, la réalité n'est que dystopie et le bonheur qu'une mirage dans un miroir mal poli. Mal poli ou malpoli, celui qui lui as fait croire à l'amour et au miracle, celui qui l'a leurré, celui qui l'a saoulé. Car Shoto, sans s'en rendre compte, il va poursuivre cette odeur sucrée sur ses draps, va scruter les yeux noirs des passantes, espérant y déceler une lueur prédatrice.

Il s'est rendu fou, Shoto, fou d'une illusion au goût de fruits rouges et de tabac, aux lèvres écarlates sur une peau blanche. Un nuage de fumée enchanteresse destiné à s'évaporer au lever du soleil. Il en est devenu chasseur de fantômes, attrapeur de rêves. Il a tout envoyé valser pour danser avec une ombre, s'échapper de sa cage comme un oisillon de son nid. Il s'est enfui, a reconstruit sa vie. Une vie dangereuse si je puis m'exprimer ainsi. Une vie au bord du gouffre, dans des quartiers au cœur desquels se trament complots et trahisons, une vie qui n'en est presque pas une à proprement parler.

Et, un matin, il trouva sur son plateau du petit-déjeuner une fraise à demi croquée et un paquet de cigarettes déjà fumées.