p.38 › le frou-frou suspect.
Cela fait un mois que l'on ne s'est pas parlé. Je ne sais pas s'il m'a oublié, mais ce qui est sûr, c'est qu'il ne m'a pas pardonné.
Après être rentré j'ai retiré mon sweat. Je l'ai jeté dans un coin, désormais enterré sous un promontoire de vêtements sales. Du sang tâchait son col. Depuis, je ne l'ai plus jamais ressorti de ce tas.
J'ai plongé sous une douche brûlante et ai imaginé ce que faisait Roshe à cet instant-là. Était-il dans son lit ? Au club ? À Falcon Valley ? L'imaginer s'amuser quelque part sans penser à moi me tordait l'esprit.
Pas plus tard que le lendemain de notre dispute, je suis allé m'entretenir avec Cesar. Il le fallait bien. Chopé à la sortie des vestiaires, il a eut l'air effrayé et serein à la fois, comme s'il s'attendait à ce qui allait se passer.
« Tu es au courant ?
Il a paru étonné que je ne lui gueule pas dessus. Il a baissé les yeux. Ses pompes cognaient contre le bloc d'aération sur lequel nous nous sommes assis.
— Pour toi et Roshe ? Ouais.
J'ai rougit. Non pas parce que j'avais honte de notre relation, mais parce que j'avais honte de moi-même. Honte de ne toujours pas assumer cette situation.
— Tu sais, a-t-il continué, je l'ai su dès le jour où vous vous êtes rencontrés. Au QG concierge, je me souviens...
À l'évocation de notre rencontre, j'ai sourit, nostalgique.
— Il est tombé amoureux de toi avant même que tu ne lui adresses la parole. Et il est sacrément têtu, comme tu peux le constater, a-t-il plaisanté.
J'avoue lui avoir cédé un sourire. Oui, Roshe doit être sacrément têtu pour avoir attendu si longtemps.
— Depuis quand vous vous connaissez ? »
Il m'a répondu l'avoir rencontré au collège. Étant tous les deux originaires du quartier de Preton (à l'opposé d'Hershel), ils faisaient partie du même établissement et de la même équipe de basket. Tenue par le père de Roshe, Cesar y avait été recruté après maints changements d'équipe et s'y était intégré sans difficultés. Les autres étaient sympathiques, rigolards. Un peu lourds sur les bords, mais d'une loyauté sincère.
Enfin, tous sauf un : ce gars, là, le défenseur qui n'ouvrait jamais la bouche si ce n'était pour engueuler les autres. Le reste de l'équipe avait appris à vivre avec cette teigne ambulante, jamais contente, et au combien emmerdante. Ils n'y faisaient plus attention. Mais ce qu'ils ne savaient pas c'était qu'il s'obligeait à effectuer 500 shoots tous les soirs et qu'il pouvait passer des heures durant à mater les rediffusions de matchs qui passaient à la télé. Ce gars était un véritable prodige. Il visait la NBA, et ça, il n'y avait que Cesar qui le savait. Roshua Dunkel, fils d'entraîneur et futur joueur de haut-niveau.
Comme il était le seul à comprendre pourquoi il s'énervait lorsqu'untel merdait, Cesar et lui se sont vite liés d'amitié. Puis du stade de potes ils sont devenus meilleurs amis, et de meilleurs amis ils sont passés à véritables alter-egos. Et puis il n'y avait pas que les ambitions de Roshe que Cesar était le seul à connaître : il savait son allergie aux sapins, il savait qu'il n'avait pas de mère, et puis il savait qu'il était gay. Tout les deux étaient proches, très proches. Sauf que Roshe n'avait pas exactement la même définition de « proche » que Cesar...
« Mais pourquoi n'est-il plus basketteur s'il visait autant la NBA ? Et pourquoi a-t-il déménagé au Liban ?
— Ça c'est une longue histoire, a-t-il soupiré. Mais si tu veux connaître le fondement de tout ça, je peux te le raconter.
J'ai hoché la tête.
— Lorsque j'ai appris qu'il m'aimait, j'ai perdu l'équilibre. J'étais hétéro, comme 99,9 % de la population de Blurdale. Mais je ne voulais d'aucun malaise entre nous, d'aucune peine de sa part car, oui, nous nous entendions trop bien pour que ce secret vienne tout gâcher entre nous. Alors j'ai fais la chose la plus conne qui me soit venue à l'esprit : j'ai tout balancé à l'équipe. Je voulais juste un peu d'aide, mais comme tout le monde est absolument coincé dans cette région, tu imagines bien ce que cette bande de gamins a dû penser... Déjà qu'ils étaient jaloux de son talent, je venais de leur foutre entre les mains la meilleure arme possible pour abattre Roshe.
Il a toussé puis a repris :
— Un soir, à la sortie des vestiaires, ils l'ont chopé en caleçon et l'ont foutu dehors. Ils l'ont rattrapé, attaché les poignets avec un vieux maillot de basket et l'ont foutu dans le lac qui longeait le gymnase. C'était horrible : ils le traitaient de pédé et lui renfonçaient la tête dès qu'il reprenait sa respiration. Moi j'étais là, pétrifié, caché derrière la porte d'entrée. J'étais trop terrorisé pour oser quoi que ce soit.
Il a déglutit. Un frisson a parcouru mon échine.
— L'un des gars filmait avec son téléphone. La vidéo a tourné dans tout le bahut : on se serait cru dans un de ces mauvais spots de prévention contre le cyber-harcèlement. Sauf que c'était bien réel, et jamais je ne m'étais senti aussi mal de toute ma vie. C'était à cause de moi, tout ça. Roshe refusait de parler à qui que ce soit. Même à son père ! Et je crois que même en dépit de toutes les moqueries qu'il a dû essuyer, la chose qui l'a le plus anéanti dans toute cette histoire a été le fait que moi, je l'ai trahi.
Cesar a reprit son souffle, comme si tout cela n'était que douleur à se remémorer.
— Ce qu'il s'est passé après, ce pourquoi il a vraiment quitté l'Ohio... ce n'est pas à moi de te l'apprendre. Tout ce que je peux te dire c'est que j'ai changé de sport pour la natation, et que chaque mouvement, chaque respiration que je prends, c'est pour lui que je le fais. »
Notre entrevue s'est arrêtée là. Je l'ai remercié, étreint pour lui dire au revoir, avant qu'il ne me susurre :
« J'attends toujours son pardon. Et malheureusement pour toi, je crains qu'il ne réussisse à te pardonner de sitôt. »
∀
Je suis avachi sur mon lit. Je n'ai même pas pris le temps de mettre un pyjama et mes parents s'engueulent en bas.
Au départ ce n'était qu'une simple histoire à propos de mes notes. Puis après le dîner ça a dérivé sur le travail, les thunes, l'ambiance pourrie qui règne sur la maison depuis un bon bout de temps. Ma mère accuse mon père de ne pas travailler autant que ce qu'il prétend. Jil et moi avons donc préféré nous éclipser à l'étage, elle matant une série dans sa chambre et moi fixant mon téléphone dans l'attente d'un texto.
Depuis que j'ai appris l'affaire, j'ai envoyé une trentaine de messages à Roshe et passé plus de dix coups de fil, sans réponse. Et même après vingt-huit jours sans aucun signe de vie, je continue d'espérer.
« Bonjour, vous êtes bien sur la messagerie du... »
Je raccroche. Merde. Je balance avec véhémence mon portable contre un oreiller. Je préférais qu'il me traite de tous les noms plutôt que d'endurer son ignorance. Et puis avec Ana qui ne cesse de vouloir « discuter »...
Cette fille m'invoque de la pitié tout autant qu'elle m'insupporte. Peut-être est-ce parce que je suis à cran à cause de Roshe, mais je n'arrive pas à lui parler sans la prendre pour une gamine impatiente. "Écoute Ana, j'ai beaucoup trop de trucs à gérer qui m'empêchent d'envisager une relation stable avec quelqu'un. C'est pas contre toi, c'est juste moi : j'ai pas l'esprit à ça."
Soudain, mon téléphone vibre. Coincé entre la couette et le matelas, je me jette dessus et décroche aussi vite que mes doigts me le permettent.
« Allô ?
— Salut, c'est Billie H.
Je fronce les sourcils. Pourtant, le numéro de Roshe s'affiche bien en haut de l'écran.
— Euh ouais, salut, je bafouille avec précipitation. Est-ce que Roshe est avec toi ?
— Ouais.
Elle est froide. Je peux sentir sa respiration grimper le long du combiné et geler le micro.
— Tu peux me le passer s'il te plaît ?
Bruit de fond. Un draps frotté contre un autre, des chuchotements.
— Merde, marmonne-t-elle en me coinçant contre son épaule. Et pour ta gouverne : non. Tu n'as pas respecté notre accord.
— Notre accord ?
— Et c'est qu'il est con en plus..., peste la jeune femme. À la soirée de Falcon. Ce qu'on s'est dit. Maintenant t'as raté ta chance : retourne avec ta pute.
— T'as pas plus cliché comme réponse ? je rétorque d'un ton amer.
— Laisse-nous tranquilles, ok ?
— Attends, quoi ? Qu'est-ce que vous foutez ? je m'empresse de la questionner.
Elle réfléchit quelques secondes.
— On explore les contrées du sexe anal.
— HEIN ? »
Mais elle a raccroché.
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