p.11 › pas de cadeaux pour les vampires.
« C'est mon anniversaire aujourd'hui. »
Il est sept heures douze du matin. J'ai entraînement dans exactement huit minutes. Assis sur la chaudière, Roshe vient de m'annoncer qu'il a désormais dix-sept ans.
« Merde je savais pas, je suis pas allé sur facebook ce matin... »
Le soleil est d'un brun orangé. Comme un nuage d'épices il tapisse, le lac, les vagues, elles retournent et mélangent ces camaïeux de feu.
« J'y ai pas mis ma vraie date de naissance.
— Et bien... Bon anniversaire. Je te souhaite de devenir extraordinaire. » dis-je en lui arrachant un sourire.
En ce jour d'anniversaire, ses yeux brillent. Ses dires, son allure, ses gestes : je les observe en me demandant si je suis le seul à en profiter. La façon dont il flirte avec l'individualité me laisse à penser qu'il ne côtoie personne d'autre en dehors de moi, et je me délecte de cette idée-là.
C'est égoïste. Mais l'envie d'être le seul à ouïr de ses confidences m'est impossible à refouler. Je ne suis jamais allé claironner un "Eh, tu connaîtrais Roshe Dunkel ?" dans les couloirs du lycée. Je ne veux pas que les gens sachent à qui je me confie, le soir, derrière le gymnase. Cela ne fait qu'un mois qu'on se connaît, mais cette nouvelle amitié me grise. Je peux lui parler sans retenue des comportements d'enfants bourgeois qui m'exècrent, des faux-culs qui n'en ont qu'après ma popularité et des mœurs étroites de la région, à lui qui ne semble pas vivre sur la même planète que nous. C'est vrai qu'il est un peu étrange : du style à débattre tout seul sur des aspects de la vie qu'il ne me viendrait même pas à l'esprit d'aborder, par exemple.
« Tu as prévu quelque chose ?
— Pas que je sache.
Ses yeux se baladent le long du bois.
— Dix-sept ans..., je murmure d'un ton vague. Enfin : tu restes un gosse à qui il faut encore tout apprendre.
— Ah parce qu'un ado de dix-huit ans qui a les cheveux roses est responsable, tu penses ? il s'enflamme, vexé.
— Non mais c'est quoi cette discrimination capillaire ? Tu t'es vu avec ton t-shirt Snoopy ?
Je réprime un éclat de rire face à son air ahuri. Les lèvres entrouvertes, il me dévisage comme si je venais d'affirmer qu'Albert Einstein était un patineur artistique. Roshe fait partie de ces personnes qui ne saisissent pas toujours l'ironie... et c'est plutôt amusant.
— Laisse mes t-shirts Snoopy en dehors de tout ça. Moi je ne dessine pas des bites dans mon agenda.
— Comment as-tu...
— Tu es prévisible, souffle-t-il alors qu'il s'accroupi. Et maintenant, si tu le veux bien, j'ai des vœux à adresser.
Il saute sur ses pieds, debout sur la chaudière. Il extirpe un bout de papier de sa poche, noirci de l'écriture lâche et désordonnée que je lui avais déjà remarquée. À s'y méprendre, on pourrait associer sa graphie avec celle d'un enfant de huit ans, ce qui est à la fois mignon et bizarre. Il se râcle la gorge.
— Ce n'est pas plutôt aux gens de te souhaiter ce genre de trucs ? dis-je en clignant des yeux à cause de la claireté.
— Si. Mais personne ne me le fait jamais.
Son regard s'abaisse une dernière fois. Je l'entends déglutir, ses doigts se crispent. Moi, jamais je n'ai vu quelqu'un agir comme tel.
— Cher Roshe, cela fait déjà dix-sept ans que tu oses te pointer chaque matin sur mes terres. Tu bâilles, tu râles, tu ne sers à rien à part t'isoler. Tu as sept paires de chaussettes : tu laves celles du lundi et du mardi le mercredi, celle du même jour et du jeudi le vendredi et celles qui te restent le dimanche. Mais ce week-end, tu as fait quelque chose qui risque de chambouler ce train-train quotidien : tu en a acheté une huitième. Est-ce que tu sais comment tu vas faire ? Non. Mais tu t'en fiches car aujourd'hui, tu as dix-sept ans. Il faut que tu changes. Dix-sept est un chiffre pourri, mais il te correspond bien. Et c'est bien pour ça que tu dois t'acheter un nombre pair de chaussettes.
Il prend une inspiration. S'enchaînent alors une succession de noms qui me sont totalement inconnus. Un Numa, une Monica, une Billie "H", un papa. Pas de mère.
Je ne me sens pas dans le coup.
Soudain, l'énergumène éclate de rire. Il a dû lire quelque chose de vraiment hilarant vu la façon dont il secoue les épaules. Mais lorsqu'il balance sur son autre pied, sa semelle glisse et râcle le métal trop lisse de la chaudière. Déstabilisé, sa deuxième jambe part en avant et ses hanches heurtent violemment le rebord du bloc.
Sans réflechir, je plonge en avant et le rattrape par les côtes, agrippant son t-shirt. Mon cœur palpite, le sien aussi. Un éclair traverse ses iris : vu la façon dont il est parti, son coude allait sûrement se fracasser contre le bitume.
« Ça va...?
Les jambes en suspens, je le ramène tant bien que mal sur le plateau. Lui se hisse grâce à ses avant-bras. Il fronce du nez comme si rien ne s'était passé.
— Attends, il manque encore quelques phrases.
Il essaye de se relever. Je retire maladroitement ma paume de sa taille : mes doigts sont poisseux.
— Roshe..., je murmure tandis qu'il se redresse.
— Et enfin, ce cher Kyrel.
— Roshe, je répète un peu plus fermement.
— Roshe ne te connait pas vraiment. À vrai dire, tu en sais plus sur lui que ce qu'il avait imaginé. Mais finalement, ça lui plaît. C'est bizarre à dire ainsi, mais il sait que tu l'apprécies. Sauf qu'à l'heure où je te parle, Roshe veut en savoir plus, sur toi. Alors, fait-lui plaisir : c'est son anniversaire. Signé : le monde. »
Je m'apprêtais à hausser le ton lorsqu'il prononce mon nom. Rien que pour six phrases, je suis éberlué qu'il ai pensé à moi. Ses mots me touchent, et ils s'avèrent être vrais. Mais je ne peux pas l'admettre. Je ne veux pas engendrer des suspicions de son côté. Je ne suis pas homo ou un truc dans le genre, et lui non plus. Nous sommes amis. Il utilise juste des mots crus.
Il se rassoit.
« Tu écris souvent en tant que l'humanité ? je lui lance avec un rictus amusé.
— Ça m'arrive. Et c'est fort plaisant.
Alors comme ça, monsieur veut en savoir plus sur moi ? Inconsciemment, sa réplique me réchauffe le cœur. Peu sont les gens à s'intéresser à moi, du moins de cette façon. En général, les filles me font les yeux doux pour profiter de mes talents cachés, et les autres pour se vanter de connaître quelques trucs sur le mec du lycée. Personne ne cherche à savoir ce qui se cache derrière mes chronos et mes cheveux originaux.
— Roshe, tu saignes.
Il fallait bien le dire. Je tends ma paume vers lui : mes doigts sont rouges. Rouges du sang qui s'écoule de sa hanche gauche.
Mais lui n'a pas l'air plus étonné que ça. Il relève les pans de son t-shirt et contemple l'éraflure. Aussi large qu'une pomme, elle s'efface en direction de son caleçon. Il laisse retomber le vêtement.
— Ce n'est rien.
Et doucement il se penche vers moi. Mes doigts, il les effleure, de ses lèvres, aspire le sang qui venait à rester. De la langue il humecte ses lippes et se redresse.
— Et voilà : effacé. »
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