II
Plus je me réveille sans les messages de Raphaëlle et plus ma frustration s'engrosse. Jusqu'à la semaine précédente, elle m'en envoyait toutes les heures. Pour me dire je t'aime ou pour me répéter à quel point je lui manquais en permanence. En entendant une seconde fois la sonnerie de mon téléphone, je me dis peut-être que ce n'était qu'une illusion. Je reste un moment ainsi avant de balayer ma chambre du regard. Celle-ci est hantée par des tableaux pleins de couleur qui, au moment où je lève les yeux vers eux, ne deviennent que des aplats de gris, de noir et de blancs.
J'ai d'ailleurs appris, au cours de cette semaine écoulée, que le drapeau officiel de l'hétérosexualité se compose de six bandes. Noir, blanc, noir, blanc... Comme une monotonie inextricable, comme les affaires d'un condamné. Malgré moi, penser ainsi me rapproche davantage des homophobes. Mon point de vue n'est pas le même, mais tout aussi détestable. Au fond de moi, comme une personne cishet à l'esprit étriquée, j'ai peur de ne pas m'y retrouver, de me considérer comme « malade ». Et quand je cherche sur le net, Instagram, Facebook, YouTube, certaines phrases me marquent plus que d'autres.
Si tu désires un homme, tu es forcément hétéro.
La bisexualité n'est qu'une phase.
Tu es soit hétéro, soit homo, pas les deux.
Tous ces commentaires, ces publications m'encouragent à penser que je ne peux pas espérer garder le peu de banalité que je possède. Raphaëlle est bisexuelle. Elle me l'a dit, même si ça ne s'est passé qu'une fois. Depuis, je ne sais pas comment elle ressent les choses, si elle préfère au bout du compte se définir comme homosexuelle ou s'en foutre. Je ne sais pas et c'est ce qui m'effraie. Je n'ai pas de référence, d'appui émotionnel. Pour seul soutien, une peluche Pikachu au bord de mon lit.
Seule.
Assise à ma table de cuisine, à sortir mon petit-déjeuner et à douter. J'hésite, oui, à envoyer à mon tour un message sur le numéro de Giovanni, un détail qui n'a pas échappé à Raphaëlle. Je l'ai obtenu ce mardi en même temps qu'elle, après avoir passé tous mes cours avec lui, tandis qu'elle, elle s'éloignait davantage. Il est plus pratique pour nous en groupe d'avoir contact, alors j'ai pris ça comme excuse. En déverrouillant mon téléphone, je me rabats finalement sur de la musique. Du piano, plus précisément, un moyen tout aussi artistique que la peinture d'apaiser mon âme.
Je me rassasie entourée de guirlandes lumineuses et dans l'ambiance tamisée de mon appartement. Début novembre. Les fêtes approchent et il faut encore que je dise à mes parents que Raphaëlle et moi, c'est terminé. Je ne suis peut-être pas encore prête pour affronter la vérité, mais il faudra bien que ça arrive. En travers de tous les questionnements qui me traversent, je décide après coup, une clémentine entre les mains, de contacter notre trinôme.
Alexane : Nous avons rendez-vous à neuf heures à l'atelier, on se retrouve devant le jardin de l'ENSBA1 une demi-heure avant ? 7:25.
Giovanni : Pas de problème. Je ramène de quoi grignoter. 7:26.
En moins d'une heure, je termine mes affaires, prends ma douche, colle mon sticker sur mon nez face au miroir de ma salle de bain et range mon sac avant de partir. J'éteins toutes les loupiottes, ferme ma porte avant de m'enfoncer dans la nuit froide. Le ciel couvert s'éclaircit durant ma courte marche puisque je n'ai pas besoin des transports pour rejoindre mon école. Les Parisiens se réveillent au compte-goutte. Les pigeons et quelques voitures écument déjà les routes, les rues entre roucoulements et coups de klaxons. Mon premier réflexe est de balayer l'endroit du regard. Je m'avance à travers le campus et gagne la place la plus connue. J'y trouve une grande fontaine, des statues romaines réparties sur la petite centaine de mètres qui me séparent d'un autre bâtiment. Autour du chemin recouvert de pavés, je trouve bien Giovanni, un sac à dos posé entre ses deux pieds et le visage plongé dans son téléphone.
— Plus qu'à attendre Raphaëlle.
Ses deux yeux gris merle se lèvent vers moi.
J'ai l'âme qui danse.
— Elle ne vient pas.
Là, mes tympans se brisent.
Son regard devient triste.
— Comment ça, elle ne vient pas ?
— On va dire que je me retrouve au milieu de votre conflit et qu'elle en profite.
J'ai besoin que tu me détestes pour aller mieux.
Il s'éclaircit la gorge, gêné de voir passer d'autres étudiants autour de nous.
— Elle m'a envoyé un message en disant qu'elle avait plus important à faire. D'après ce que vous m'avez raconté, j'ai l'impression que vous avez beaucoup de choses à régler. Vous avez vécu une longue histoire, ce ne serait pas si mal de se voir ou de se téléphoner et d'en discuter. C'est aussi pour ce genre de dysfonctionnement que ça ne fonctionne pas.
— Toi, l'expert en expériences qui me donne des conseils sur une relation ? le taquiné-je.
J'aimerais être une de ces expériences.
Juste pour calmer mes interrogations, soulager les pulsions qui commencent à me posséder et surtout assouvir ce désir de connaître ma vérité. Un rire doux s'échappe de la gorge de Giovanni.
— Ce sont toujours les plus cassés qui réparent les autres.
Un léger sourire fleurit sur ses lèvres.
— On va aller bosser, trouver un moyen de contrer l'absence de Raphaëlle, m'annonce-t-il en se dressant sur ses jambes. Je te suis.
J'aime cette phrase.
Alors je m'exécute, traverse le campus et gagne notre salle réservée où gise encore le portrait de la veille. Cette pièce n'est pas utilisée comme salle de classe, un avantage de taille puisqu'il sert d'entrepôt, d'endroit de loisir et de détente. J'ouvre et le vide m'accueille, celui de la présence de Raphaëlle. Depuis le collège, pas un jour n'est passé sans que l'on se voie. Les week-ends, les vacances scolaires, mêmes les fêtes. Nos parents se rencontraient peut-être trop au point de devenir de bons amis. Je me demande toujours à quel moment l'information de cette rupture abrupte va fuiter et atterrir dans leurs oreilles. Il suffit d'imaginer la déception dans les yeux des miens pour me faire renoncer d'en parler. Je retire ma veste à carreaux avant de faire volte-face vers Giovanni qui de son sac sort une boîte de Kinder Maxi.
— De quoi grignoter, constaté-je.
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