31. Ayden
Après une douche incroyable qui dure bien trop longtemps pour être honnête, je serre Mel dans mes bras pendant de longues minutes. Incapable de me faire à l'idée qu'elle se trouve là, avec moi, dans cet hôtel presque désert, j'éprouve le besoin de la toucher en permanence. Sa main, son bras, son épaule, le creux de sa nuque, peu importe. Tant que ça lui appartient, ça me suffit.
Une serviette autour d'elle, elle s'échappe de mon étreinte pour observer l'ensemble de la suite à travers la porte de la luxueuse salle de bains, qui dispose d'une douche et d'une baignoire ronde sur laquelle je fantasme déjà.
— Tu as vu la taille de ce lit ? s'extasie-t-elle. Je ne savais même pas que c'était possible. On pourrait y faire dormir quatre personnes.
— Deux, ça ira, je rétorque, acerbe. Vu la place que tu prends quand tu dors, ça me fera un peu de répit.
— Quoi ? s'offusque Mel en riant. Tu oses me dire ça alors que tu passes ton temps à remuer dans tous les sens ? Je crois plutôt que c'est moi qui vais avoir du répit.
Elle marque un point. Mon sommeil est toujours agité, et même si je dors mieux quand elle est là, je ne saurai certainement jamais ce que veut dire une bonne nuit de sommeil.
— On se calme, Mélanie, je soupire alors qu'elle s'éloigne vers son sac à dos, resté dans l'entrée.
— Si je veux, Ayden, rétorque-t-elle en attrapant son portable.
— Qu'est-ce que tu fais ?
— J'envoie quelques messages. Au moins pour dire qu'on est bien arrivés.
Je traverse la suite à mon tour pour attraper des fringues propres, en appréciant la douceur de la moquette sous mes pieds nus.
— Moi qui pensais que ma présence te suffirait pour le restant de tes jours, je soupire avec exagération.
— Qui te dit que ce n'est pas le cas ?
Mel relève les yeux sur moi, et son regard rempli d'amour m'empêche une seconde de respirer. Comment c'est possible qu'elle arrive encore à faire ça au moment où je m'y attends le moins ?
— Je vais le mettre en mode avion, poursuit-elle. Je ne veux rien savoir de ce qui se passe dans le reste du monde. Le temps passera bien assez vite, je ne veux pas rater la moindre seconde avec toi.
Mon jogging dans les mains, je voudrais pouvoir lui dire un truc qui ressemble exactement à ce que j'ai dans le cœur à ce moment précis, mais c'est trop fort pour que je le laisse sortir.
— Ouais, je souffle. Moi non plus.
La main de Mel se relève, et elle dirige son objectif sur moi.
— Qu'est-ce que tu fais ?
— À ton avis ?
— Des photos pour les fans ?
— Oui, rigole-t-elle.
— Si tu veux des photos, au moins, fais ça bien, Mel. Donne moi ton portable.
Les sourcils froncés, elle me tend l'objet et resserre sa serviette autour d'elle. Je me poste dans son dos pour prendre une bonne dizaine de selfies de nous.
— Tu te sens mieux, maintenant ? je la taquine.
— Oui.
— Tu as faim ?
— Oui.
— Je vais commander des trucs.
Cette suite est tellement grande qu'il me faut deux bonnes minutes pour trouver la carte des plats et ce putain de téléphone. Vu notre solitude, on pourrait descendre dans la salle de restaurant, mais j'ai envie de tout, sauf de bouger de là. Cet endroit est devenu notre monde pour les sept prochains jours, et il m'apporte un sentiment de sécurité que je n'ai jamais connu, même avec elle. Ici, on a quitté l'univers pour y créer le nôtre, et plus rien ne compte en dehors de ça. Ni le temps qui continue de s'écouler, ni la vie qui poursuit son cours.
La carte en main, je parcours des yeux les différents plats auquel je ne comprends rien et compose le numéro de la réception. Après deux sonneries, je reconnais la voix de l'homme qui nous a accueilli un peu plus tôt. Ma commande passée, je me retourne et m'aperçois que Mel est couchée sur le ventre, dans le lit. Affublée d'un short en coton et d'un débardeur noir, elle a allumé la télé, et une expression presque enfantine envahit son visage alors qu'elle regarde vaguement un bout de film en italien. Concentrée sur les images, les sourcils légèrement froncés, elle pose les mains sous sa mâchoire et bougonne.
— Je n'y comprends rien.
Cette fois, c'est moi qui ne peux pas m'empêcher de récupérer mon portable pour la prendre en photo. Alertée par mes gestes dans son champ de vision, elle tourne la tête vers moi et esquisse un léger sourire.
— Alors pourquoi tu regardes ?
— Parce que c'est joli.
— C'est une réponse acceptable, je m'esclaffe.
Je finis par la rejoindre pour m'étendre à côté d'elle et pose un bras dans son dos. Le silence aidant, je lutte contre la fatigue qui me gagne progressivement. Heureusement, quinze minutes à peine plus tard, le room-service s'annonce à la porte, et le groom dépose dans l'entrée de la suite un chariot de plats sous cloche. Cette situation est passablement étrange. Je n'ai pas l'impression que c'est à moi que s'adresse tout ce luxe, qui ne fait qu'ajouter à cette sensation d'irréalité qui ne me quitte pas. Mel se lève pour remercier l'homme, lui donne un pourboire comme si on se trouvait dans un putain de film et observe avec de grands yeux les multiples récipients sous son nez. Quand nous nous retrouvons seuls à nouveau, elle se retourne vers moi et me pose la question qui fâche.
— C'est quoi, tout ça ?
Je reconnais que j'ai peut-être légèrement abusé.
— J'avais faim, je me justifie. J'ai supposé que toi aussi. On mange ? je demande pour couper court.
Mel approche le charriot d'une grande table en acajou, et je me lève pour soulever les cloches les unes après les autres. Il y a des spaghettis, des antipasti, et même des parts de pizza maison.
— Ça a l'air bon, dit Mel avec envie.
— Y'a intérêt.
J'installe deux assiettes récupérées sur l'étagère inférieure du charriot pour les remplir d'un peu de chaque spécialité, et dans les minutes qui suivent, je ne pense plus à rien d'autre qu'à dévorer mon plat.
— C'est bon ? me questionne Mel, taquine.
— Oui. Ça me rappelle ma grand-mère.
— Elle cuisinait souvent italien ?
— Je suppose. Je ne la voyais quasiment jamais.
— Ah ? Pourquoi ?
— Ma mère et elle avaient des relations plutôt tendues. À cause de mon père. Ma grand-mère l'acceptait pas, je crois. J'en sais rien.
— Elle vit en Californie, elle aussi ?
— Plus maintenant. Elle est dans le Colorado, avec mon grand-père. Ils avaient une maison à Thousand Oaks, pas loin de L.A. Ma mère y est née.
— Tu ne les vois plus du tout ?
— Non.
— Et tu n'en as pas envie ?
— Non.
— Pourquoi ?
— Ils n'étaient même pas présents pour l'enterrement. Qu'est-ce que tu veux que je leur dise ?
La douleur traverse le regard de Mel, et je ne comprends pas pourquoi. Pourquoi souffre-t-elle à ma place d'un truc dont je n'ai rien à foutre ?
— Rien. Rien du tout.
— Tu as encore faim ? j'élude.
— Tu veux ma mort, Ayden ?
— Il y a de la panna cotta.
— De la panna cotta ?
La petite moue d'envie qu'elle esquisse m'arrache un sourire, et je lui tends le récipient en verre sans même lui poser de questions. Mel soupire, mais ses yeux s'éclairent de gourmandise quand elle observe le coulis rouge sur le dessert.
— Comment tu savais ?
— J'en savais rien. J'ai tenté.
Après le café de Mel, je ne tiens plus debout. Je me lève pour m'affaler sur le lit, le corps en charpie. Elle me rejoint très vite, se cale dans le creux de mon épaule, et tout me semble enfin à sa place. Les yeux fermés, je profite du silence, de son corps contre le mien, et de sa respiration de plus en plus régulière sur laquelle je cale bien vite la mienne.
Il y a beaucoup de monde dans le bar de mon père. J'étouffe, il fait tellement chaud que je peux à peine respirer. La main de Mel dans la mienne me rassure, mais je n'arrive pas à la voir, elle. Je continue d'avancer dans la pénombre pour m'approcher de la scène. Pourquoi n'est-il pas là ? Il devrait être là. Il joue tous les soirs. Légèrement anxieux, je m'approche du bar pour commander un verre. J'attends, longtemps, et la sensation de chaleur dans mon corps se transforme en fournaise. J'avale de grandes grogées de whisky qu'un homme sans visage finit par poser devant moi et reprends mon périple vers la scène.
Il va arriver. Il faut qu'il arrive. Ce n'est pas normal. Sa guitare est là, sa bouteille aussi, il faut que je lui dise qu'il est bon, qu'il finira par percer. Il faut que je lui dise qu'il deviendra célèbre et qu'on pourra peut-être enfin faire des trucs cool, lui et moi. Il sera content, peut-être qu'en rentrant à la maison il gueulera pas. Peut-être qu'en rentrant il cognera pas. Les lumières s'allument enfin, et un intense soulagement s'empare de moi.
Mais au lieu de Dean, c'est Brittany qui rentre sur scène, la peau si blafarde que j'ai l'impression d'y voir au travers. Qu'est-ce qu'elle fout ici ? Pourquoi elle est là ? Qu'est-ce qu'elle...
— J'ai une surprise pour vous, chuchote-t-elle dans le micro.
Le silence se fait dans la salle, et tous les clients du bar disparaissent. Je me retrouve seul, et je n'entends plus rien d'autre que les battements assourdissants de mon cœur. Le visage tailladé d'un sourire énigmatique, Brittany lève une main vers le ciel, et un vacarme assourdissant fait saigner mes tympans. Un bruit grinçant de poulies envahit l'espace sans discontinuer, et subitement, la sensation de la main de Mel dans la mienne n'existe plus. La chaleur presque insupportable qui m'envahissait laisse place à un froid glacial, et soudain, le corps de Dean au bout d'une corde m'arrache un cri guttural. Je me précipite vers la sortie, mais tout est verrouillé, j'ai beau cogner dessus en hurlant, rien ne se produit. Je suis prisonnier, prisonnier de son cadavre, prisonnier de sa musique de mort.
— Ayden ! Ayden. Réveille-toi, s'il te plaît, souffle la voix de Mel quand j'ouvre brutalement les yeux.
Les traits tirés par l'angoisse, elle attrape mes doigts qui tremblent comme des feuilles. Qu'est-ce qui ne va pas chez moi ? Est-ce que toute cette merde ne me lâchera jamais ? Même une putain de semaine dans ma vie ?
— Est-ce que ça va ?
Incapable de prononcer un son, je hoche la tête sans conviction.
— Tu as hurlé. Ça m'a réveillée. Je ne savais pas quoi faire. Qu'est-ce qui s'est passé ?
— Rien. Un cauchemar. Juste un cauchemar.
— Tu veux en parler ?
— Non.
Je veux pas rendre cette merde plus réelle qu'elle ne l'est déjà. Je veux pas gâcher nos vacances. Tout ce que je veux, c'est profiter, respirer quelques jours, et montrer à Mel à quel point je l'aime.
— Tu en es sûr ? Ça te ferait peut-être du bien.
— J'ai dit non, Mel.
Si j'en parle, elle va paniquer. Elle va culpabiliser d'un truc pour lequel elle est tout, sauf responsable. Elle aura mal à ma place, se cassera la tête pour me trouver une solution et me changer les idées. Et ça, c'est hors de question. Elle en a assez bavé comme ça.
— Okay. Tu veux un verre d'eau ?
— Tout ce que je veux, c'est tes bras. Rien d'autre.
— Je suis là. Je suis là, et je ne vais nulle part.
Sa voix me calme, sa main qui court sur mon torse aussi, mais je ne parviens pas à réguler ma respiration. Hanté par le corps de mon père au bout de cette corde, par la peau blanchâtre de Brittany, je me demande si un jour j'arriverai à me sortir de cet enfer.
— Raconte moi un truc sur toi. Un truc que je ne sais pas.
Il se peut que la suite arrive vite...
Love you fort.
<3.
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