28. We'll be fine
Quelques minutes après le décollage, Ayden défait le plastique des écouteurs à usage unique disposés sur chaque siège et les insère dans l'écran devant lui.
— On regarde un film ?
J'ai beau me contorsionner, le contrejour m'empêche de distinguer les images que lui voit avec précision. Dépitée, j'appuie sur la touche démarrage du carré qui se trouve juste devant moi. Ces avions sont confortables, mais pas faits pour le partage.
— Comment ? Je ne vois pas ton écran. En plus il n'y a qu'une seule prise jack.
— Je suis pas aveugle, Mel. On lance le même film, en même temps. Toi sur ton écran et moi sur le mien. Tu suis ?
Ouvertement moqueur, Ayden me lance un regard satisfait auquel je répond par un sourire pincé.
— Jusque-là, ça va. Mais heureusement que tu es là pour m'aider à y voir clair, je raille avec une pointe d'amusement.
— À ton service. Tu veux regarder quoi ?
— Si tu me laissais le temps de faire un choix, d'abord ?
Indifférente au grognement qui suit, je fais défiler d'un doigt la liste impressionnante de films disponibles.
— Oh, il y a même Seven, je m'extasie.
— Déjà vu. Un tas de fois.
— Tu l'aimes bien ?
— Ouais.
— Tu m'étonnes, je souffle avec malice.
— Quoi ? se défend Ayden.
— Les sept péchés capitaux, c'est forcément un truc pour toi, non ?
Au moment où les mots sortent de ma bouche, je réalise l'énormité de ce que je viens de dire. Ayden fronce les sourcils, et l'espace d'une seconde, je prie l'univers entier pour qu'il ne pense ni à Brittany, ni à ce type qui voulait du mal à Cassie.
Quelle conne.
Heureusement et contre toute attente, une lueur de gaieté s'installe dans son regard.
— Ouais. Mais en ce qui me concerne, tout le monde le sait. Toi, par contre...
— Quoi, moi ? je m'offusque exagérément.
— Toi, tu caches bien ton jeu. Elle est là, la différence entre toi et moi.
J'éclate d'un rire léger avant d'esquisser une grimace de défaite. Ayden n'a pas tout à fait tort, je suis tout sauf une sainte.
— Donc, ce sera Seven ? je le questionne.
— Non, pas maintenant, marmonne Ayden en continuant de faire défiler les titres sur l'écran devant lui.
— Oh, il y a Forest Gump. Je ne l'ai pas vu depuis longtemps.
— Je connais pas.
— Quoi ? Comment ça se fait ? Comment tu peux ne jamais avoir vu ce film ?
— J'en sais rien. Il m'inspire pas grand-chose.
— Il faut absolument que tu le regardes. Ça ne va pas du tout. Ce film est génial.
— Ah ouais ? Explique-moi ça, me dit Ayden très sérieusement.
— Il est... indéfinissable. Émouvant, plein d'histoire, et même drôle, par moments. Tom Hanks est incroyable dedans.
— Désolé, mais je suis pas convaincu. Cherche encore, argumente .
J'ai vraiment envie de revoir ce film. Il colle parfaitement avec la manière dont j'ai envie de commencer mes vacances, alors je tente le tout pour le tout.
— La bande originale est géniale.
— C'est à dire ?
— Joan Baez. Bob Dylan. The Doors. Fleetwood Mac. Allez, dis oui. S'il te plaît.
Impassible, Ayden fait durer le suspense quelques secondes. Pendue à ses lèvres, j'attends la sentence qui ne va pas tarder. Si cet argument ne fonctionne pas, aucun autre n'aura sa chance.
— T'es convaincante, quand tu veux.
— Je sais.
En fait, je n'en ai aucune idée, mais j'ai vraiment envie de partager ce film avec Ayden. Un léger sourire aux lèvres, je sors du sachet en plastique les couvertures en polaire offertes par la compagnie aérienne, et en tend une à Ayden avant de mettre mes écouteurs.
— Prête ?
— Oui.
Un peu après la première course de Forest, la main d'Ayden frôle la mienne sous la couverture. Electrisée par ce simple contact, je l'empêche de retirer ses doigts en les croisant avec les miens. Il me jette un coup d'œil surpris, et les coin de ses lèvres se relèvent imperceptiblement.
Je pose à nouveau mon regard sur le film quand son pouce effleure doucement ma paume et balaie mon épiderme d'une violente décharge électrique. Des flashs du grain de sa peau, de son corps contre le mien me coupent soudain le souffle, et une chaleur presque insupportable m'envahit. Les yeux sur l'écran, je ne vois même plus les images défiler ; toute ma concentration a disparu comme par magie.
D'un regard, je l'implore de s'arrêter. Je ne sais pas si c'est la pressurisation de l'air qui me met dans cet état, mais j'ai vraiment du mal à respirer, et mon cœur tambourine violemment dans ma poitrine. Ayden retire un écouteur et attend que j'en fasse de même. Il écarte mes cheveux d'une main et se penche sur moi au point que ses lèvres effleurent presque mes oreilles.
— Un problème, Mélanie ? souffle-t-il d'une voix rauque.
— Tu devrais... arrêter ça, je rétorque sur le même ton.
— Arrêter quoi ?
— Tu me cherches.
Il joue. Évidemment qu'il joue. Je devrais avoir l'habitude, depuis le temps, mais pourtant, ça marche à chaque fois.
— Moi ? Jamais de la vie.
Est-ce qu'il est dans le même état ? Est-ce que, comme moi, il n'est pas capable de résister à ce désir impérieux qui m'envahit parfois dans les moments les plus improbables ? Est-ce que son souffle s'accélère à la moindre évocation de la puissance du désir qui nous lie ?
Son nez effleure ma pommette, et ses yeux clairs me submergent avec une violence inouïe.
— Est-ce que je dois te rappeler qu'on se trouve dans un avion ? je murmure, presque comme une supplique.
— Je crois que je m'en souviens. Toi, par contre...
Dans un réflexe primitif, mes cuisses se serrent l'une contre l'autre.
— Stop. Arrête ça tout de suite. On regarde un film.
Le regard d'Ayden se charge de gaieté, et il retient un rire en pinçant les lèvres. Notre relation a parfois été immature, mais nous n'avons jamais autant ressemblé à des enfants. À cet instant précis, je pense qu'à nous deux, on n'atteint pas huit ans.
— Comme tu voudras.
Ses doigts cessent leurs caresses, se soudent fermement aux miens, et il se reconcentre enfin sur le film. De temps en temps, je pose les yeux sur lui pour observer ses réactions, et constate avec joie qu'il semble l'apprécier.
Le reste du vol se passe dans le calme le plus complet, au point que je finis par fermer les yeux. Je me réveille de mon demi-sommeil dans un sursaut, et pour cause : la tête d'Ayden est posée sur mon épaule, et ses cheveux chatouillent mes joues. Apparemment, je n'étais pas la seule à avoir besoin de sommeil.
Quand l'avion amorce enfin sa descente sur Rome, je pose mon bras libre sur l'épaule d'Ayden pour le réveiller. Attendrie par ses yeux ensommeillés qui finissent par se poser sur moi, perturbée par ces longues heures de vol et la sensation d'irréalité qui m'étreint depuis qu'on est montés dans cet avion, je me laisse gagner par une intense émotion.
— On est arrivés.
— J'avais compris. Ça va ?
— Oui.
Pour éviter de lâcher totalement prise, je ne développe pas plus. Ayden m'observe avec insistance quelques secondes et hausse un sourcil, mais n'ajoute rien. Comme moi, il rassemble ses affaires, et nous nous débrouillons pour quitter l'avion parmi les premiers. Contrairement à ce que j'appréhendais, l'escale à Rome se passe sans la moindre anicroche, et nous embarquons pour Palerme avec la plus grande sérénité. Chaque fois que je peux, je sors mon téléphone pour prendre des photos. Je ne veux rien perdre de ce voyage, et je ne veux rien perdre d'Ayden non plus.
Sur notre deuxième et dernier vol, je me retrouve contre le hublot, et j'en suis ravie. Observer cette ville si envoûtante qu'est Rome de si haut dans le ciel est une occupation très agréable, même si elle ne dure pas longtemps. Avant de passer la barrière des nuages, j'aperçois le Colisée, et un flot inattendu de souvenirs remontent à la surface de ma mémoire.
— J'avais quatorze ans, la dernière fois que je suis venue ici.
— Et c'était bien ?
— Je crois. Oui. Cette ville est magnifique.
— Je n'ai jamais vu de photos de toi à cette période.
— Je n'ai pas beaucoup changé. Mes cheveux étaient plus courts. Et j'étais assez solitaire. C'était juste après que ma mère...
— Elle allait un peu mieux ? souffle Ayden doucement.
— Oui. J'étais inquiète de venir ici. De les laisser. Mais finalement, elle s'est était bien sortie. J'aurais préféré New York, mais ça ne faisait pas partie des projets du lycée, je souffle. mais cette ville est très belle. Pleine d'histoires, pleine de charme. Impressionnante. Une vieille dame très charmante.
— Rome ? Une vieille dame ?
— Oui. Un peu comme Londres, mais en plus sérieuse.
— Ton sens de la métaphore me tuera, un jour.
— J'espère bien que non, je glousse.
— Tu veux y retourner ? À Rome ?
— Je ne sais pas. Peut-être, un jour. Ce qui me fait bizarre, c'est de penser à la personne que j'étais à ce moment-là. J'étais si jeune... et si on m'avait parlé de ce que j'allais vivre, je ne l'aurai pas cru. C'est si...
— ...inattendu ?
— Oui. C'est exactement ça. Inattendu.
— Qu'est-ce que tu écoutais, à ce moment-là ?
— Wow... Je ne m'en souviens plus. Quatorze ans, 2010... je pense que j'étais en pleine phase Rihanna.
— En pleine « phase » Rihanna ?
— Oui. Elle me faisait du bien. Elle avait l'air si forte... ça m'aidait. Je me sentais plus solide, quand je l'écoutais. J'aimais pas mal de trucs français, aussi.
— Tu me feras écouter ?
— Si tu veux. Mais tu ne vas rien comprendre.
— Tu m'expliqueras.
— Vraiment ?
— Oui. Ça m'intéresse.
— Pourquoi ?
— Parce que je veux savoir. C'est ta vie. Ça compte.
Ayden et ses contradictions ne cesseront jamais de m'étonner.
— C'était bien la peine de me faire la leçon quand on était chez ta mère.
L'air rieur, il hausse les épaules avec désinvolture. Connaissant sa légendaire mauvaise foi, il ne me répondra pas.
— Et toi, 2010 ? je poursuis.
— Radiohead. Et Nirvana. Michael Jackson, un peu, aussi. Son décès, c'était un sale truc.
— Tu l'aimais bien ?
— Pas tant que ça. Mais c'est une putain de légende.
— C'est vrai, je soupire. Est-ce que tu te rends compte de la chance qu'on a de s'être rencontrés ?
Aucun rapport, mais c'est exactement ce que j'ai besoin de dire, là, maintenant. Ayden hausse un sourcil surpris, et son regard se charge de questions.
— Tu peux préciser ?
— En 2010, tu avais 16 ans et tu vivais à L.A. J'en avais 14 et j'habitais au fin fond de la France. À ton avis, quelles étaient les probabilités que nos routes se croisent à New York, au beau milieu de 8 millions d'habitants ?
— Ouais. Dit comme ça, ça fait pas beaucoup de chances. On ferait bien de s'en rappeler, c'est ça ?
— Ce n'est pas ce que je voulais dire. Mais oui, tu as raison. Je crois que parfois, on ferait mieux d'oublier ce qui nous éloigne et se concentrer sur ce qui nous rassemble.
— C'était quoi, ça, Mel ? Un cours de philo ?
— Moque toi tant que tu veux... Mais n'oublie pas que tu es coincé avec moi pour les huit prochains jours.
— J'espère bien, rétorque Ayden avec douceur.
Hi guys,
J'espère que vous avez passé une bonne semaine ? Et que vous êtes prêts à atterir en Sicile, aussi ?
Je vais essayer de rattraper mon retard et vous donner la suite assez rapidement...
Prenez bien soin de vous.
<3.
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