11. You may kiss the bride
Debout devant l'autel, face à Chris et Drew, j'attends les vœux de Tara. Elle redoutait ce moment. L'espace de quelques secondes, sa respiration se saccade, mais ses yeux trouvent ceux de Chris, et soudain, toute trace de panique semble s'envoler. Rien d'autre que ce qu'elle a à dire ne semble exister.
— J'ai toujours su que tu étais celui qu'il me fallait. Celui qui, sans en avoir l'air, a réparé petit à petit chaque blessure à l'intérieur, jour après jour. Avec une détermination sans faille. Avant de te connaître, je pensais savoir ce qu'était l'amour. Ce sentiment si puissant qui semble tout dévaster sur son passage, je pensais que c'était ça, et que ça suffisait. Je croyais que pour le vivre, je devais accepter. Supporter. Qu'il contenait une part inévitable de douleur et de souffrance que je devais encaisser. Grâce à toi, j'ai compris mon erreur. L'amour, celui que tu me donnes chaque jour dans tous les petits gestes du quotidien, n'a rien à voir avec tout ça. L'amour, ton amour, c'est ta patience. Ta foi en moi. Ta volonté de m'apaiser, de me rendre heureuse, de me prouver que je peux – que je dois – me sentir bien. En écrivant ces vœux, je me suis demandé comment te rendre ce que tu m'as donné. Ce que tu me donnes. Je n'ai pas trouvé de réponse exacte. Ce que je sais, c'est que je ferai tout pour y arriver. Je veux comprendre ton besoin dévorant de protection, ta façon insupportable de te brosser les dents et ta manie de faire d'interminables listes. Je veux que chaque matin quand tu te réveilles, tu te demandes avec joie ce que nous réserve la journée. Je veux effacer tes doutes, apaiser tes craintes. Soutenir tes projets, rire de tes blagues nulles. Je veux te regarder avancer. Je veux t'aider dans tes changements, être avec toi dans nos évolutions, t'accompagner dans tes peines et me donner à nous de toutes mes forces. Je n'avais pas de réponse en écrivant ces vœux, mais j'avais une certitude : nous aurons du bonheur. Pas de ces bonheurs en surface qui ne mènent à rien, pas de ces joies tonitruantes mais éphémères. Un bonheur simple. Comme toi, comme moi, comme ce que nous avons toujours été. Ce jour n'est pas un commencement. Ce jour est une évidente aventure. Demain, et tous les autres jours qui suivront, nous aurons du bonheur. Ensemble. Nous affronterons. Ensemble. Nous nous disputerons pour des bêtises, ensemble. Nous nous aimerons. Ensemble.
Tara pleure, Chris pleure, tout le monde pleure. Elle est si belle, cette mariée qui croit si fort à son amour. J'essuie discrètement une larme du coin de l'œil et jette un coup d'œil en direction d'Ayden, debout à côté de Chuck. Son visage reste impénétrable, mais quand nos yeux se croisent, il me semble y lire un certain soulagement. Le connaissant, il est au bord de l'implosion. Son mépris pour les mariages est tel que je me demande encore par quel miracle il s'est laissé convaincre d'assister à celui-ci.
C'est étrange, de le voir dans ces vêtements. Il semble mal à l'aise, un peu raide, et pourtant, on dirait qu'ils ont été taillés pour lui. Il est beau, là-dedans. Vraiment beau.
— Par les pouvoirs qui me sont conférés par l'état de New York, je vous déclare mari et femme. Vous pouvez embrasser la mariée.
Je rallume mon téléphone pour mitrailler les mariés. Je ne les ai jamais vus aussi heureux. Quand elle relâche enfin son mari, Tara m'adresse un sourire radieux que je ne manque pas non plus de capturer. Ces sourires là sont rares, si rares.
— Merci, Mel. Merci pour tout, chuchote-t-elle en me serrant dans ses bras.
Ma gorge se serre.
— Tu vois ? Il n'y avait aucune raison de s'inquiéter. Tu l'as fait. C'était magnifique.
À quelques mètres de là, ma mère et ma grand-mère s'approchent d'un pas pressé. Le maquillage de ma mère est totalement fichu. Quant à ma grand-mère, elle enlace Chris et Tara avec force.
— Bonne chance, mes enfants. Vous en aurez besoin, poursuit-elle, enjouée.
Chris éclate d'un rire ému :
— Est-ce que c'est vraiment le moment de nous dire ça ?
— Crois en mon expérience, jeune homme. Le mariage est un combat de tous les instants. Il demande une constante vigilance. Pour l'autre et pour soi. J'ai vécu quarante longues années avec ton grand-père. Quand nous nous sommes mariés, nous étions persuadés que cet espèce de folie qu'est l'amour resterait telle qu'elle était jusqu'à la fin des temps. Et puis, les années ont passé... mais nous avons été heureux. Je te souhaite autant de bonheur que j'en ai eu. Autant de bonheur. Tu le mérites.
— Maman, ce n'est pas le moment, rétorque Chris gentiment. Tara ne comprend rien à ce que tu dis.
— Tu as raison. Tu verras sûrement tout ça par toi-même. Dans mes bras, ma chérie, ordonne-t-elle à Tara.
Cette dernière se laisse faire sans discuter. Elle semble avoir perdu la notion du temps, voire même de l'espace. Je ne suis pourtant pas la première concernée, mais moi aussi, j'éprouve cette sensation de flottement. Ces heures si douces, si particulières me paraissent presque surréalistes.
— Ça va, ma chérie ? questionne ma mère avec douceur.
— Ça va. C'était intense.
— Toutes ces émotions me rappellent beaucoup de souvenirs. C'était très beau.
Je ne sais pas quoi répondre. Tous les mariages ne terminent pas comme ceux de ma grand-mère. Et beaucoup de personnes en font les frais.
— Est-ce que tu regrettes ?
— D'avoir épousé ton père ? Jamais de la vie.
— Même après tout ce qui s'est passé ?
— Je l'aimais, Mel. J'étais sûre de moi. Sûre de mes sentiments et des siens. Je nous croyais indestructibles.
— Il a détruit notre famille. Une partie de notre vie.
— C'est ce qui se passe quand on fait des choix. Aurais-tu préféré qu'il soit malheureux toute sa vie ?
L'émotion fait ressortir bien des choses. Je n'en reviens pas d'avoir cette conversation maintenant. Je ne me suis jamais posé la question en ces termes : mon père était mon père. Mais la question de ma mère me fait soudain réaliser une chose à laquelle je n'ai jamais pensé : avant d'être mon père, c'était un homme. Un être humain comme moi, avec ses émotions et ses sentiments.
— Non. Je ne crois pas.
— Je n'ai pas de regrets. J'ai souffert parce que j'ai vécu son départ comme un immense sentiment d'échec. Parce que malgré les difficultés de notre relation, je l'aimais encore plus fort que tout. Ce n'était plus son cas, et c'était mieux ainsi.
Tu parles. On n'abandonne pas sa famille. On se marie pour le meilleur et pour le pire. Pour le pire. À partir de là, tout peut se régler, tout.
— Peut-être.
— Ne ressassons pas. Ce qui est fait est fait. J'ai vu qu'Ayden était arrivé ? Comment va-t-il ?
— Je ne sais pas trop. Il n'aime pas les mariages.
— J'espère que le temps que vous passerez ensemble vous fera du bien. Laisse moi une minute, chérie. Je vais féliciter mon frère.
Après les congratulations de rigueur, l'ami photographe de Tara qui nous avait immortalisés sur la High Line ouvre les grandes verrières qui donnent sur un petit parc très ombragé. De l'intérieur, j'observe mon oncle et sa femme prendre la pose, avant de les rejoindre pour une photo avec Drew. Quand on me libère enfin, je constate qu'Ayden s'est rapproché de nous. Appuyé contre le chambranle de la porte, il me fixe avec attention, un sourire en coin aux lèvres. En quelques enjambées, je me retrouve près de lui.
— Qu'est-ce qui se passe ?
— Rien.
— Pourquoi tu me regardes comme ça ?
— Il faut bien que je m'occupe, me taquine-t-il.
— C'était si terrible que ça ?
— Franchement ? Insupportable.
— Tu ne crois pas que tu exagères un peu ?
Ayden sourit sans répondre et baisse les yeux. L'instant d'après, Dan et Cassie nous rejoignent.
— C'était beau, soupire mon amie blonde, qui porte un tailleur pantalon noir et d'interminables talons. Pour l'occasion, elle a coiffé ses cheveux en centaines de minuscules tresses relevées en un chignon très travaillé. Tout ça a dû prendre des heures, mais le résultat est incroyable. Comme d'habitude en ce qui la concerne.
— Fais gaffe, rétorque Ayden. Tu pourrais y prendre goût.
Dan pince les lèvres, soudain mal à l'aise dans son costume anthracite. Le rire cristallin de Cassie résonne dans le soudain silence.
— Méfie toi que ce ne soit pas bientôt ton tour.
— Plutôt crever.
Je connais bien Ayden. Je sais qu'il a une sainte horreur du mariage, ce n'est pas la première fois que nous avons une discussion à ce sujet. Pourtant, une bulle éclate dans ma poitrine. Cassie me jette un regard d'excuses, et la panique dans son expression m'arrache presque un sourire. Pour une fois que ce n'est pas moi qui ait l'impression de faire une gaffe...
Pour la rassurer, je transforme mon malaise en un sourire éclatant. Je n'ai pas besoin de me marier. J'aime Ayden comme il est, peu importe qu'il souhaite ou non signer un bout de papier. C'est joli, toutes ces émotions, cette belle journée de rassemblement, cette réunion de nos familles et nos amis... et tout cet amour, aussi. Tout cet amour qui déborde me fait du bien. Mais tout le monde ne voit pas les choses de la même façon. Peut-être qu'Ayden n'a pas envie de partager un bout de notre histoire avec le reste de la planète. Peut-être qu'il souhaite simplement nous protéger. Se protéger, lui.
— Meeeel ! Je t'ai cherchée partout !
À quelques mètres de moi, Ivy me fonce dessus. Je me penche pour lui ouvrir mes bras, et en quelques secondes à peine, sa petite tête se retrouve nichée dans mon cou. Ayden lève les yeux au ciel.
— T'es belle, t'es belle, t'es trop belle, martèle la petite fille contre moi. Est-ce que tu vas danser avec moi ce soir ?
— Bien sûr, ma puce. Toute la nuit, si tu veux.
— Toute la nuit ? Trop bieeeen !
— Tu voudras danser avec moi aussi ? demande gentiment Cassie.
— Je ne sais pas. Je ne te connais pas. Je veux danser avec Mel.
Mon amie sourit mystérieusement. Elle se rapproche d'Ivy et lui murmure à l'oreille :
— Je peux t'apprendre des chorégraphies, si tu veux.
La petite fille semble réfléchir, puis soupire doctement :
— D'accord.
Attendrie par son impressionnante loyauté, je la repose par terre.
— File, ma puce. On t'attend pour la photo.
Erin, Chuck et les amis des mariés prennent la pose autour du couple. Chuck attrape Ivy au vol pour la percher dans ses bras.
— Waou, souffle Cassie. Le Grand Iceberg est en train de fondre.
— Comme neige au soleil, je m'esclaffe.
— Ça lui va plutôt bien, soupire Dan. Qu'est-ce que tu en penses, Ayden ?
— Rien du tout, petit con. Ça va durer longtemps, ce bordel ?
— Mel, il faut vraiment que tu donnes des cours de patience à ce mec.
— J'essaie, figure-toi. Mais honnêtement, ce n'est pas mon meilleur élève.
— Photo de groupe ! s'écrie soudain Tara pour que tout le monde l'entende.
— Ah. Je crois que c'est ton moment, Ayden, se moque Dan.
Les invités se rassemblent autour des mariés pour un dernier souvenir. Planté à côté de moi, Ayden serre ma main si fort que j'en ai presque mal. Qu'est-ce qui lui arrive ? Il fait des centaines de photos avec des centaines de personnes. Est-ce qu'il a peur de quelque chose ? Est-ce que des souvenirs dont il ne m'aurait jamais parlé remontent à la surface ? Est-ce que mon intuition me trompe, pour une fois ? Je n'ai pas vraiment le temps de me poser la question. Après la photo, Tara se plante devant nous tous :
— C'est l'heure d'aller faire la fête. Mais avant... le bouquet !
J'ai toujours détesté cette tradition, et je prie très fort pour éviter la magnifique masse de fleurs blanches qui orne les mains de Tara. Je n'ose même pas imaginer la tête d'Ayden si elle finissait entre mes bras. Ce serait tellement drôle.
Je n'ai qu'une seule hâte : écrire le prochain chapitre. Il est dans ma tête depuis tellement de mois... J'espère que celui là vous a fait du bien.
Plein d'amour.
<3.
Insta : @hazelcartergrace / @viensonrespire
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