(Partie 3)
— Parce que je n'arriverai jamais à rien avec Mathilda ?
— Pas avec ta méthode d'adolescent attardé. Lui faire les yeux doux en évitant au maximum toute ambiguïté pour bien lui faire comprendre que tu es son meilleur ami, tout en espérant que par le plus grand des hasards elle tombe follement amoureuse de toi. Tu es familier du concept de *friend zone* ?
— Tu plaisantes ? dit Olsen en ricanant. Je l'ai pratiquement inventée, la *friend zone*. Je peux être le gars le plus sympa du monde, mais non, toutes les femmes préféreront un connard dans ton genre.
— Oui, parce que toutes les femmes sont stupides, n'est-ce pas ?
Olsen fut pris de court et leva les yeux vers Steve, qui souriait encore mais d'une manière soudain beaucoup moins artificielle. Il semblait presque – c'était difficile de l'admettre – sincère.
— Mais non mais, ce n'est pas ce que je... bafouilla Olsen.
— Mais si, dit Steve, c'est exactement ce que tu dis. Tu penses qu'une femme préférera toujours un abruti sans cœur à un mec sympa. Question considération pour la gent féminine, ça se pose là. Tu sais, tu peux peut-être me considérer comme un macho, un mec qui n'a qu'un respect limité pour les femmes et qui enchaîne les conquêtes. Je ne vais pas te contredire, il y a sans doute du vrai là-dedans. Mince, c'est même complètement vrai, et c'est encore une fois de ta faute, au passage. Mais bon sang, les types comme toi sont cent fois pires. Toujours à geindre d'être célibataire sans jamais rien tenter pour y remédier. À considérer qu'une femme devrait automatiquement te tomber dans les bras pour te récompenser d'être un brave type.
— C'est facile pour toi ! protesta Olsen. Toi tu as...
— Moi ? Mais qu'est-ce qu'on en a carrer de moi ? Je n'existe même pas ! Arrête de chercher des défauts aux autres et commence à te remettre en question ! La petite Mathilda, elle est prête à te tomber dans les bras. Mais non, toi tu ne vas juste *rien* faire, attendre qu'un autre mec tente sa chance et te morfondre quand ça arrivera. Oh, et le type en question ne sera pas un salaud hein, probablement un type aussi gentil que toi mais avec juste un petit quelque chose de plus, un petit peu plus de... Je ne sais pas moi, de charme, déjà ? Mais ça, charmer, ça te dépasse, hein. C'est pour les gros beaufs.
— C'est pas ça, dit Olsen. Chacun sa méthode, okay ? Toi tu fais dans la drague lourde et éhontée. Super. Je suis censé faire ça ?
— Mais on s'en fout ! Si tu faisais quelque chose, n'importe quoi, ce serait déjà un progrès ! Ma méthode est lourde ? Et toi, ta méthode, c'est quoi ? Jouer au bon copain secrètement amoureux ? Et attendre patiemment que ça évolue par l'opération du Saint Esprit pendant deux ans ? Pour finir par lui faire une déclaration enflammée et désespérée qui t'amènera inexorablement vers le râteau du siècle ? Bah écoute, ne change rien. Ça t'a vachement bien réussi, jusqu'à maintenant, tu fais bien de persister. Mais quand tu auras grillé toutes tes chances à force de jouer au bon copain et qu'elle te sera passée sous le nez, ça ne sera pas à cause d'une putain de *friend zone*. Ce sera juste parce que tu te seras imaginé que l'ordre naturel te l'amènerait sur un plateau. Tu trouves que c'est facile pour moi ? Et pas pour toi ? Et alors, connard, qui t'a dit que ce serait facile ?
Olsen resta cloué là, abasourdi. Il se serait attendu à se faire détruire par Steve en cas d'affrontement physique. Jamais il n'aurait imaginé que se faire énoncer ses quatre vérités ainsi le mettrait au tapis aussi radicalement.
Steve ne souriait plus et affichait juste un regard dur, impitoyable. Le silence régna dans la pièce pendant plusieurs secondes, qui ressemblaient à des heures. Olsen déglutit avec difficulté et articula un timide :
— Tu penses vraiment qu'elle est prête à me tomber dans les bras ?
Steve leva un sourcil.
— C'est vraiment tout ce que tu as retenu de ce que je viens de te dire ? Parce que ça n'était pas ça, la partie importante. Et si tu as besoin que je répète, je peux essayer de gueuler plus fort.
— Ça va, ça va, dit Olsen précipitamment pour éviter un nouveau monologue. Y'a peut-être du vrai dans ce que tu dis...
— Quelle lucidité.
— Il n'empêche que ça ne résout pas grand chose. Je suis foutu. Ton truc là, ton charme, bah je ne sais pas. Je ne sais pas faire. Je ne suis pas un charmeur moi, c'est tout. J'imagine que je suis un raté ?
— Mais non, dit Steve sur un ton moins sévère. Tu peux arrêter les lamentations. T'es juste un brave type un peu trop timide. Et un peu trop persuadé d'avoir tout compris au monde et d'avoir toujours raison. Si si, je t'assure, tu es même pire que moi à ce jeu-là. Mais rien de dramatique. D'ailleurs si tu n'avais aucun charme, tu crois que Mathilda perdrait son temps à se faire enguirlander par sa supérieure en parlant avec toi tous les matins ?
Olsen soupira en baissant la tête. Certaines vérités sont dures à entendre. Et il commençait seulement à accepter le fait que les paroles de Steve pouvaient contenir une part de vérité.
— Allez, dit Steve en lui tapotant l'épaule. Je suis désolé de t'avoir crié dessus. Mais comme je t'ai dit : je t'aime bien et je suis ici pour t'aider. Et ça commence par remettre en question ta vision des choses. Je sais que ce n'est pas très agréable. Je te ferais bien un petit café pour te remettre de ça, mais je vais avoir du mal. Pas d'existence physique, difficile d'interagir avec ta cafetière, tout ça...
Olsen eut un faible rire et jeta un regard à Steve. S'il s'était attendu à ce que ce grand couillon de personnage puisse faire preuve de réflexion... Mais il se rendit soudainement compte que Steve n'étant qu'une création de son esprit, c'était en fait sa propre réflexion qu'il venait d'expérimenter à travers cet « ami » imaginaire.
« Super, voilà que j'me fais engueuler par mon propre subconscient... » pensa-t-il en se demandant s'il fallait en rire, en pleurer ou consulter un psy au plus vite.
Il suivit les conseils de son subconscient déguisé en *playboy* et se leva pour remplir sa tasse. Il en profita pour allumer une cigarette et se brûla à nouveau la langue avec le café. Il cligna des yeux pour voir à nouveau Steve ne réapparaître qu'après quelques dixièmes de seconde supplémentaires... Ce qui était à peu près aussi déroutant que la situation dans son ensemble.
— Bon, dit enfin Olsen d'une voix assurée. Je fais quoi, du coup ?
— « Je fais quoi » ? Non mais tu m'as pris pour qui ? Un coach en séduction ? T'es majeur et vacciné, non ? Qu'est-ce que tu veux faire, *toi* ?
— J'en sais rien moi, marmonna Olsen. La voir, déjà ?
— Aaah, bah quand même ! s'écria Steve. C'est si dur que ça ? Sans blague, vous discutez tous les matins comme des vieux amis de toujours et vous n'avez *jamais* passé un moment ensemble en dehors du boulot. C'est quand même prodigieux !
— Elle est peut-être occupée, hein ! Et si elle a mieux à faire ?
— Et si ma tante en avait ? On l'appellerait mon oncle. Occupée, ta nana ? Haha, mais vous êtes tellement les mêmes, tous les deux, je vois ça d'ici. Je suis sûr qu'elle passe des journées aussi mornes que les tiennes, le cul posé sur son canapé à regarder des séries débiles sur son ordinateur. Quand je pense au nombre d'heures que vous avez passées à vous ennuyer chacun de votre côté... Alors que c'est tellement plus sympa de s'ennuyer à deux !
— Oh ça va... Je lui envoie un SMS, on verra bien.
— Je te préviens, si tu mets plus d'une minute à le taper ou si tu me demandes des conseils pour l'écrire, je te mets un pain.
Olsen tapota rapidement sur son téléphone portable posa le téléphone sur la table d'un geste sec, comme par défi.
— Voilà ! C'est fait. C'est bon, assez rapide pour monsieur ?
— Pas mal, dit Steve. J'espère au moins que tu l'as jouée *casual* ?
— Je lui ai juste demandé si ça lui dirait d'aller se boire un café dans une heure. Et t'as le droit de parler français, tocard.
— Aah, si tu recommences à me voler dans les plumes, c'est que tu vas mieux. Je suis rassuré. Bon. T'as une heure pour te rendre présentable. Le jean cradingue avec la tache de café, c'était peut-être à la mode pendant la période *grunge*, mais là ça me semble contre-indiqué. Tu devrais prendre une douche aussi.
— Ta g...
Mais Olsen se souvint qu'il s'était endormi sans même prendre le temps de se laver et ne termina pas sa phrase.
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