𝕏𝕏𝕀𝕀𝕀. 𝔻𝕖𝕦𝕚𝕝
03 novembre 2005
Shibuya
Je resserre mon pull un peu plus sur moi. Les derniers jours ont été particulièrement douloureux. J'ai eu le droit à un certificat médical de la part des médecins pour mon entorse du genou pour justifier le repos que je prends.
Mais il n'y en a aucun pour moi. Je suis incapable de dormir, les mêmes scènes me hantent en boucle. Ce sont toujours les mêmes qui troublent mon sommeil. C'est douloureux et désolant. Je suis incapable de ressentir autre chose. C'est vide. Tout ce qui peut m'affecter passe au travers, me disant que rien n'est grave finalement.
Les ligaments de mon genou droit ont pris un sacré coup, mon entorse est modérée, j'ai le droit de continuer de m'appuyer dessus et de marcher, mais avec des béquilles si je dois forcer un peu plus. C'est pour ça que je réussissais encore à marcher. Mais quelques médicaments, rien de spécial, des anti-inflammatoires et des anti-douleurs, ces derniers ont été abandonnés dans un placard au-dessus du frigo parce que j'en n'avais pas particulièrement mal, ils seront peut-être utiles si mon père fait une migraine.
Je retourne la poche de glace sur mon genou, attendant que le temps passe.
Je fais rouler la bille de mon premier collier sous mes doigts, préoccupée. Je peine à arrêter de pleurer, mais là, j'ai un moment de répit. J'ai dû pleurer mon stock de larme, je n'ai plus assez d'eau dans mon corps pour continuer. Ça me faisait du bien, au moins je ressentais quelque chose quand ça arrivait. De sentir mon coeur raisonner durement dans ma poitrine. De sentir mes poumons se soulever. D'avoir cette douleur.
La fenêtre de mon bureau renvoie mon reflet, préférant me montrer ça que la pluie extérieure. Un reflet pathétique. Mes yeux sont ternes et vides, dépourvus de tout signe de réactivité. Un hématome est bien présent sur ma pommette et entoure une partie de mon sourcil. J'ai échappé de peu à un oeil au beurre noir.
Elle continue de rouler entre eux sur la fine chaîne argentée, attirant toute mon attention sur les reflets irisés de la pierre. Je ne fais que de me torturer l'esprit par rapport à ça. Qu'est-ce que j'allais lui offrir ? C'est son anniversaire aujourd'hui et j'avais à peine pensé à préparer un truc.
On en avait parlé quand il est venu l'autre jour, il ne voulait rien, surtout avec ce qu'il avait prévu. Il savait déjà qu'il allait passer à l'acte ou c'était pour la prison ? Mais je voulais lui rendre les surprises qu'il m'a faites, peu importe où il se trouvait.
J'attrape de mon autre main les quelques photos qu'on a de nous. A chaque fois, il est en train de râler parce qu'il n'aimait pas être pris par surprise. Je m'arrête sur le tirage d'un photomaton, c'était le jour de la rentrée après les vacances d'été et on est allé au cinéma directement après les cours. Il a mangé tous mes pop-corn et je ne me souviens plus de ce qu'on a été voir, mais on a reconnu que ce n'était pas du grand cinéma, mais je l'ai poussé directement en sortant de la séance dans la cabine avant de balancer des pièces pour le faire.
Sur la première, on commence à se chamailler parce qu'il n'a pas envie de les faire, ainsi que sur la seconde, je suis en train de donner un coup de coude pour continuer de le narguer. Je souris narquoisement, prouvant que j'adorais le provoquer. Il n'y avait qu'avec lui que je faisais ça, pincer les côtes et lui donner de légers coups de coude à cet endroit, généralement pour le faire taire.
Il m'a fait évoluer, autrement qu'avec Kazutora. C'était notre mauvaise influence, mais j'ai gagné en confiance grâce à lui, parce qu'en voyant mon frère changer, je changeais aussi, je commençais à affronter les problèmes que j'avais, en fait je m'affirmais, je disais ce que je pensais et je me sentais mieux, surtout parce que je ne supportais plus d'être en retrait. En particulier pour leur dire qu'ils allaient un peu trop loin, j'étais devenue une parfaite enquiquineuse moralisatrice.
Je me souviens de ce qu'il m'a dit pendant que la troisième était prise. Il commençait à me regarder de haut en rigolant. Jusqu'à ce qu'il m'avoue adorer mon grain de beauté. Les grains de beauté sont uniques, mais ça venait troubler notre ressemblance avec Kazutora, pourtant ce n'était pas compliqué, le mien est à peine plus haut que ma bouche sur le bas de ma joue et le sien sur le haut de la joue. Mais ça m'a vraiment touché qu'il me complimente dessus.
Sur la quatrième, je l'embrasse sur la joue pour le remercier de ce compliment et à l'instant d'après j'ai remis des pièces dans la machine pour faire un second tirage et il l'a pris en sortant sans me laisser les regarder.
Je les glisse dans le cadre sur mon bureau avant de retrouver les autres photos.
Il y en a une qui me réchauffe légèrement, j'ai retrouvé un polaroïd en faisant un peu de ménage dans l'appartement. C'est Kazutora qui l'a prise le jour de notre anniversaire. Je n'ai rien de grâcieux dessus parce que je suis en train de manger du gâteau et que j'ai plein de crème dans le coin des lèvres tellement j'étais pressée de le goûter. Il est là sur la chaise à côté de moi en train de rigoler à cause de la situation, son regard est porté sur moi, j'arrive pas à décrire l'expression qu'il a.
Je passe en revu celles que j'ai reçue de l'anniversaire de Mikey, Emma s'était occupée d'en prendre quelques-unes pendant la soirée et depuis que je les aie je n'ai pas pris de les regarder. Il y a quelques photos de groupe où j'apparais en retrait, d'autres où je discute avec eux. Sur celle où je ne discute pas, je souris tristement. Je me sentais mal pour Kazutora, et je culpabilisais d'être là-bas.
Il y en a quelques-unes où je ne suis pas présente ou seulement en arrière-plan. Mais l'une des dernières me touche particulièrement, je ne me souviens de rien parce que je suis en train de dormir. Mais je dors sur l'épaule de Keisuke pendant que Mikey et lui sont en train de discuter. J'essuie les larmes qui reprennent, je me sens tellement nulle.
Je la range avec les autres et je m'attarde sur la dernière, c'est la même avec quelques minutes d'écart, je la retourne pour voir la date et l'heure où elle a été prise. Il y a une note laissée par Emma sur un post-it " Et vous dites qu'il n'y a rien ?". Il y avait un truc, maintenant il n'y a plus rien, c'est mort. Sur celle-là, il me regarde affectueuse avec un léger sourire en coin, il a eu le temps de passer un bras autour de mes épaules, la photo a été prise au parfait moment, ils ont dû parler d'un truc en rapport avec moi ce qui expliquerait pourquoi il me regarde.
Il m'aimait sincèrement.
— Joyeux anniversaire Keisuke, murmurais-je en passant cette photo à l'intérieur du cadre.
Les deux se superposent plutôt bien, les cadres petites bloquées entre le verre et le bois du cadre. Je me mouche lourdement, balançant un nouveau mouchoir dans ma poubelle. Je me redresse, commençant à me sentir mal, je range ma poche de glace dans le congélateur en essayant mes larmes d'un revers de la manche.
Ses funérailles n'ont pas encore eu lieu.
Rien ne m'a l'air réel.
Au fond, j'aurais pû faire quelque chose. Les choses auraient dû se passer différemment. Il y avait toujours d'autres possibilités que d'en arriver là. J'aurais dû être plus attentive et présente auprès de Kazutora, mais j'ai à peine essayé, je me suis laissée abattre au premier obstacle. En mettant les choses au clair plus tôt, il ne se serait peut-être pas senti aussi trahi. Je lis les dossiers qui traînent dans la cuisine en mettant des croquettes au chat.
Ma mère a forcé mon père à prendre un avocat pour lui, pour essayer que le procureur n'alourdisse pas ses torts. Ils ont trouvé un semblant de terrain d'entente dès que j'ai balancé toutes les merdes qu'ils nous faisaient endurer, s'ils voulaient pas que je témoigne en faveur de la folie pour lui à cause de ce qu'il se passait à la maison, même si je suis incapable de lui pardonner, je ne crois pas qu'un jour je vais y arriver. J'en pouvais plus de les entendre me sermonner et j'ai craqué.
Kazutora n'est plus là. Je suis de nouveau seule, vraiment seule. Donc j'ai pris l'initiative de prendre le chat avec moi. Quand les choses se seront calmées, il restera chez ma mère et j'y passerai tous les jours pour m'en occuper.
La dernière fois que je me suis sentie aussi seule, Kazutora partait pour la première fois en maison de redressement. De ce que j'ai compris, c'est qu'il va avoir une peine d'au moins dix ans. Ils ont parlé de la possibilité de me changer de collège comme la dernière fois, mais j'ai refusé, je finirais l'année comme une marginale, mais je n'aurais pas le courage de recommencer, j'attendrais le lycée. Cette fois-ci je ne me retrouvais pas avec Baji en cours.
J'éponge les larmes qui coulent sur ma joue. Qu'est-ce que je vais pouvoir faire, je n'avais pas prévu de me retrouver aussi seule. Je suis amère et désagréable, les remarques sont acerbes, surtout pour mes parents.
Je n'ai croisé personne d'autre que Chifuyu le soir même pour venir présenter nos condoléances à Mme Baji.
Je ne souhaite à personne de me croiser. J'ai sérieusement envoyé se faire foutre un démarcheur téléphonique qui voulait me vendre un nouveau système d'alimentation pour la télévision, et ma mère en a pris plusieurs particulièrement brutes. Mais elle ne dit rien, et ne fait rien. Ils ne feront rien, je les connais.
Je regarde sans but l'intérieur de mes placards en jouant la boucle d'oreille de Kazutora qui teinte légèrement entre mes doigts. Je n'ai envie de rien.
De rien du tout.
04 novembre 2005
Maison funéraire, Shibuya
C'est pesant, extrêmement pesant, je ne fais que m'entendre pleurer, rien de plus. Je ne me sens pas à ma place ici, je n'arrive pas à prendre part aux rites post-mortem où j'ai été convié par la famille. Il n'en avait pas beaucoup, seulement quelques cousins et oncles éloignés mais les plus jeunes sont seulement invités pour la veillée qui se déroulera après. Chifuyu aurait pu venir, mais il trouvait que ce n'était pas sa place, et je le comprends. Je me tiens près de sa mère et de sa grand-mère que je viens de rencontrer, elle a été adorable avec moi malgré son chagrin, elle voudrait faire ma connaissance.
Les derniers jours ont tous été aussi dur pour elles. Vraiment quand j'ai compris l'horreur qu'on leur faisait vivre à cause de la baston et du procès que Kazutora qui va arriver, même s'il plaide coupable.
Chacun des rites post-mortem et lors de la veillée ont pour but de guider le défunt pour se réincarner et en y procédant on le console parce qu'il est peu enclin à partir. C'est ce que notre père nous avait expliqué quand nous sommes allés aux funérailles de notre grand-père, nous avions six ans. Normalement, il est censé y avoir un ordre à respecter, mais cette affaire n'a fait que les retarder. Est-ce que c'est valable pour Baji qui s'est suicidé ? Il était prêt à partir. Est-ce que ces rites ne feraient pas que le bloquer ou au contraire l'encourager ?
Je m'avance timidement lorsque le sōryo me le demande, je me pince la lèvre inférieure, refusant de craquer un peu plus. Je dois rester forte, au moins pour les quelques secondes à venir. Les larmes continuent de descendre sur mes joues. Mais je poursuis le rituel, trempant mes doigts dans "l'eau du dernier moment". Mon coeur se serre douloureusement en descendant mes yeux sur Keisuke, il est déjà habillé pour la cérémonie d'un kimono noir qui est croisé vers la droite, ses cheveux noirs tombent sur sa poitrine. Je pleure en silence en respirant doucement.
— Bon anniversaire avec du retard, Keisuke, murmurais-je.
Je presse la pulpe de mes doigts sur ses lèvres, les humidifiant pour respecter le rite, ce qui devrait lui permettre de se réincarner. J'espère que dans sa prochaine vie il profitera plus longtemps de sa Kisoku. Je t'aime.
C'est au tour de sa mère de le faire. Cela ne fait que me briser plus brutalement le cœur, sa douleur est inimaginable, personne ne devrait enterrer son fils aussi jeune. Maintenant elle est seule, vraiment seule avec un vide incapable à combler. Est-ce qu'elle sera capable d'un jour s'en remettre ? Parce que la perte de son fils doit être intensément atroce, sûrement pire que celle que je ressens.
Mais les douleurs ne sont pas comparables. Je ne veux pas la comparer avec la sienne. Ni avec celle d'aucun autre.
J'essuie mes larmes en relevant légèrement le menton. J'essaye de tenir bon, de lui rendre dignement hommage. Je n'y crois toujours pas. C'est la dernière fois que je le vois. Après il n'y en aura plus.
Le plus dur, c'est que c'est contradictoire, on dit que les défunts ont l'air paisibles lorsqu'on les voit une dernière fois. Mais pour Baji, c'est faux. Il n'a pas l'air aussi serein que dans les bras de Chifuyu, qu'il était en train d'évoquer nos souvenirs et ceux du Toman. En fait, il reste fidèle à lui-même, c'est la tête qu'il faisait quand il ne disait rien ou qu'il pensait. En réalité, le contraire aurait été inquiétant.
Le sōryo soulève ses mains pour y déposer un chapelet où chacune des perles représente les karma. Il est prêt pour la veillée. Mes mains tremblent, je suis violemment reprise par des larmes douloureuses, avec un mal de côtes, même si elles n'ont rien de grave.
— Excusez-moi, bégayais-je.
Je baisse la tête, sortant d'un pas rapide de cet endroit. Je ne veux pas leur imposer mes pleurs, pas maintenant. Pas ceux-là.
L'air me tape brusquement pendant que je m'arrête, je soupire lourdement en appuyant mes épaules contre un mur dans une ruelle reculée.
Je n'ai pu rien faire, rien du tout. J'ai à peine essayé de le raisonner la veille, j'aurais dû en faire plus. Et avec Kazutora aussi. J'ai merdé, comme toujours. Maintenant je n'ai plus aucun des deux. Je ne peux plus être avec Kazutora, pas en sachant ce qu'il a fait. Je me sens incapable de lui pardonner.
J'essuie mes larmes avec un mouchoir, le tâchant de noir et d'un peu de fond de teint en appuyant pour ne pas me tout niquer. Je n'ai pas sorti le maquillage waterproof pour rien.Vraiment pas. Je m'accroupis, ne prêtant pas attention à mon genoux qui hurle de douleur.
Je pensais que je pouvais la supporter, mais non c'est trop dur. Comment je peux continuer s'il y a rien. Je n'ai plus de raison qui me pousse à faire plus. C'est trop dur. J'en suis incapable. Pas après tout ce qu'il y a eu.
Je repousse mes cheveux d'un côté de ma nuque avant de replacer les mèches qui tombent sur mon visage. Je noue mes doigts entre eux avant de poser mon front contre. Mes larmes mouillant mes poignets joints. Pourquoi il a dû partir si tôt ? Pourquoi il a choisi de nous abandonner alors qu'il y avait d'autres solutions ? Pourquoi je n'ai pas su anticiper au moins un truc ? Pourquoi ?
Je passe une main dans mon cou, sentant les sueurs froides qui me parcourent.
— Kisoku ? m'appelle-t-on.
Je reprends doucement ma respiration, redressant légèrement ma nuque. Chifuyu. Lui aussi est fatigué, le teint livide et terne, les yeux cernés et les pupilles dilatées et rougies par les larmes. Je ne relève rien.
Il s'accroupit à côté de moi, ne disant rien. Il regarde ses pieds pensif, cherchant les mots justes. Mais il n'y en a aucun, il n'y a pas de mot réconfortant. On a l'impression que le monde entier continue de tourner, mais que nous on s'est arrêté et qu'on le subit tous plus ou moins de manière différente.
— Pourquoi c'est aussi dur ? demande-t-il.
— Parce qu'on a perdu l'une des personnes les plus importantes de nos vies, murmurais-je.
— Tu arrives à penser à autre chose ? continue-t-il distant.
— Non, il n'y a que ça, même quand je dors, soupirais-je en essuyant mes larmes. Ça ne me quitte pas.
— Ça s'est bien passé ?
— Oui, murmurais-je. C'était particulier. Je ne réalise pas, avouais-je. Il est vraiment parti ? fis-je en redressant légèrement la tête. J'ai l'impression qu'il va revenir et qu'il va m'appeler mouffette pour m'ennuyer et qu'on va se chamailler.
— Je sais, je voudrais bien que ça arrive, mais on ne le reverra plus.
Je me redresse brutalement avant que mon ligament ne se rompe réellement. Je ne réponds rien, je refuse d'y croire. C'est tellement dur. J'ai mal partout. Je masse légèrement mon genou sous le bandage qui le maintient en place. J'ai encore merdé sur ce coup-là.
Je resserre ma veste un peu plus contre moi en sentant que je refroidis. Je le juge rapidement d'en haut avec les quelques centimètres que j'ai gagné grâce à mes chaussures. Il est tout aussi perdu et désolé que moi, il pleure avec plus de retenue que moi, mais il est aussi blessé que moi.
— T'es en talon ? remarque-t-il.
— Je hoche distraitement la tête. Je respecte le code vestimentaire. C'est tout, pas la peine d'être choqué.
C'est seulement un talon épais de six centimètres pour être bien habillé, rien de spécial. J'ai une robe noire classique avec une veste similaire. Il n'y a rien de spécial là-dedans. C'est comme lui qui a directement mis une chemise et une cravate, c'est le bon sens.
— On y va ? fis-je distante.
Il hoche la tête avant de me suivre. Je retourne à l'intérieur suivit de lui. Je dépose le bouquet de fleur qui était posé sur ma chaise aux côtés de sa famille avant d'allumer les encens et une bougie. Chifuyu me suis, me surveillant par dessus mon épaule. Il s'avance vers le cercueil, l'air inquiet, il se pince les lèvres et serrant les poing pour se retenir de craquer. J'ai apporté du lys blanc.
Il attrape ma main, la serrant en voyant que pour moi aussi ça recommence.
— Pourquoi c'est si dur ? bégaye-il.
— Je ne sais pas, murmurais-je.
— Au revoir Baji, fait-il en serrant des dents.
Il resserre ma main, cherchant à me soutenir. Je m'avance à mon tour, c'est vraiment la dernière fois.
— Au revoir Keisuke, murmurais-je en retenant mes larmes.
Il m'entraîne jusqu'au rang où j'ai déposé mes affaires, prenant la place à mes côtés. La cérémonie est en train de commencer, le sōryo prend place attendant l'heure pour commencer la cérémonie. C'est silencieux, très silencieux, seule les respirations saccadées par les pleurs parviennent à se frayer une place dans ce calme.
Il commence à lire un sutra, je suis trop préoccupée à pleurer en silence que pour l'écouter. Chifuyu serre toujours ma main pour me soutenir, pour nous soutenir tous les deux. Il se soucis d'assurer un maximum pour nous deux. Il sort de sa poche l'enveloppe et l'encens et me presse doucement de faire de même quand c'est notre tour, les déposant.
Le sōryo continue de lire le sutra, la cérémonie commence à toucher à sa fin. J'attrape une faible poignée de poudre d'encens, la positionnant à bonne hauteur avant de refermer mes doigts autour et commence à prier, priant longuement pour son âme avant de laisser retomber l'encens dans le brûleur.
Les autres invités le font, tour à tour, quelques membres du Toman sont venus. Il passe rapidement, eux aussi se battant silencieusement contre leurs larmes. Je croise le regard de quelques-uns qui me regardent péniblement. Ils sont tous désolés.
Sa mère termine sa prière ne retenant plus ses larmes. Cela ne fait que me crever le coeur atrocement. Le sōryo termine le sutra en fermant le cercueil.
Je laisse éclater mes sanglots contre Chifuyu qui m'offre son épaule. C'est vraiment terminé. Vraiment. Il ne sera plus jamais là. Baji n'est plus là, il ne le sera plus jamais. On ne le verra plus jamais. On ne l'entendra plus jamais. On n'aura plus rien de sa part.
J'aurais voulu tellement plus de sa part. Vivre encore plein de choses à ses côtés. Peu importe ce qu'il pouvait arriver. C'était l'un de mes meilleurs amis.
C'est la fin. C'est fini. C'est douloureux. Trop douloureux.
Je me redresse doucement en essayant de tenir sur mon genou mais j'ai forcé sur lui en restant appuyé dessus trop longtemps.
— Ça va aller, on y va, murmure-t-il.
— Ok, hochais-je la tête.
On s'arrête devant Mme Baji et nous inclinons pour présenter tout notre respect et nos condoléances.
— Encore une fois Mme Baji, on vous présente toutes nos condoléances, soupirons-nous l'un après l'autre.
Elle ne répond rien, mais hoche la tête pour nous remercier en se pinçant les lèvres. Je retiens un maximum mes larmes en me redressant, je hoche doucement la tête, rendant son geste.
— Si on peut faire quelque chose pour vous, murmure Chifuyu. On serait ravi de le faire.
— Venez un soir à la maison pour manger, demande-t-elle difficilement.
— Ce serait avec plaisir, affirmais-je en pinçant légèrement les lèvres.
On ne se fait pas prier et partons rapidement pour laisser place à d'autres personnes qui souhaitent présenter leurs condoléances.
17 novembre 2005
Juvénile, Shibuya
— Merci de m'accompagner Draken, murmurais-je. C'est sympa de ta part de me l'avoir demandé, soupirais-je. Je ne me sentais pas d'y aller seule, avouais-je.
C'est seulement maintenant qu'on peut venir lui rendre visite. J'ai longuement hésité à venir, parce que je ne me sens pas capable de lui faire face. Parce que je n'accepte pas ce qu'il a fait, que j'entends en rêve qu'il me déteste que je l'ai trahi et qu'il aurait dû me faire la même chose. Et ça me terrifie et me bloque beaucoup trop.
Comme toujours, c'est lui qui fait le premier pas pour me sortir d'une mauvaise passe. Ce n'est pas une passe, c'est juste douloureux et épuisant. Je ne sais pas pourquoi ça arrive à chaque fois, mais là je ne crois pas qu'il trouvera un truc pour m'aider.
Quand Kazutora y est allé pour le meurtre de Shin'Ichiro, j'ai vraiment passé les trois quarts de l'année à déprimer et m'isoler, même si j'étais au collège avec Baji, ça ne m'aidait vraiment pas. Et je crois qu'à un moment il m'ont proposé de rejoindre le Toman, puis je suis venue à imposer mes conditions, faire de l'espionnage et avoir une division avec des personnes qui m'intéressent. Je sais que ces deux-là ont un rôle à jouer dedans.
Mais j'ai une promesse à tenir, je ne peux pas revenir sur elle, vraiment pas. Je lui ai promis de ne pas l'abandonner et d'être là pour lui. J'ai seulement besoin de temps pour faire taire cette douleur.
— Je comptais le faire, de toute manière, t'en fais pas, affirme-t-il. Ça va ton genou ?
— Je hausse les épaules. Je me repose mais j'ai fini avec les béquilles, je dois juste faire attention, soupirais-je. J'ai des bandages et des exercices à faire, mais ça ira.
— Tant mieux alors. Il y a Takemichi qui voulait le voir, je lui ai dit de te demander.
— Pourquoi ? C'est déjà un miracle que tu viennes, alors lui.
— Je sais pas. T'as qu'à lui demander, rétorque-t-il.
— Non, ça ira, s'il veut discuter avec lui qu'il le fasse, affirmais-je.
Je salue Takemichi en inclinant la tête en passant à côté de lui. Je remplis le formulaire qui confirme que je suis venue et laisse les deux autres me suivre. Je n'ai rien de spécial à lui dire, mais au moins il saura que je suis présente, que je ne le laisse pas seul là-bas.
Je m'installe sur l'un des sièges, fixant plutôt la jointure entre la vitre et la table. Je ne me sens pas capable de l'affronter, de trouver un truc à dire. Un garde le fait entrer de l'autre côté de la pièce.
— Merci d'être venu, déclare-t-il doucement. On m'a dit que j'allais en prendre pour dix ans, ce n'est presque pas assez. J'ai trop fuis, je dois affronter la réalité, souffle-t-il.
Je redresse légèrement la tête en remarquant qu'il fuit nos regards. Il est pris de remords.
— C'est ce que Baji et Kisoku voulaient, continue-t-il. Cette fois, je veux vraiment repartir à zéro, affirme-t-il péniblement.
Je me serre les doigts sous la table. Je le crois. Je crois en sa rédemption. Il a déjà reconnu ses torts. Je hoche doucement la tête pour l'encourager.
— T'as pas intérêt à crever, déclare Draken, tranchant.
— Hein ? Pourquoi tu ne...
— Je sais ce que tu as en tête, t'as pas intérêt à te suicider pour régler ta dette, coupe-t-il. Je ne te le pardonnerais jamais. Kisoku ne le pourra jamais, elle aussi, pense aux conséquences.
Je ravale ma salive et serre les dents avant de lâcher mes mâchoires.
— Qu'est-ce que tu crois qu'il m'arrivera si tu le fais, remarquais-je. Je serais anéantie, pire que ça. Alors si je dois un jour te rendre cette boucle d'oreille, ce ne sera pas à ton cadavre, crachais-je en la faisant tinter d'une pichenette. Mais Kazutora, s'il-te-plait, je n'arriverais pas à m'en remettre si tu le fais maintenant, perdre Baji est déjà assez douloureux, alors mon frère... murmurais-je.
— Mais qu'est-ce que je peux faire d'autre ? s'apitoie-t-il.
— Ecoute, j'ai un message de Mikey, affirme-t-il. A partir de maintenant, quoi qu'il arrive tu seras toujours un membre du Toman. Que c'est fini, qu'il te pardonne.
J'essuie rapidement les larmes qui m'assaillent. Il est capable de lui pardonner, mais moi, je ne peux pas, c'est trop difficile. Je sais que donner son pardon, c'est surtout pour aider la personne à se libérer de sa culpabilité et lui permettre d'avancer. Pour moi, ce n'est pas à cause d'une question de fierté que je ne peux pas lui accorder. Je voudrais tellement, le lui donner, parce qu'il le mériterait avec ce qu'il a reconnu. Mais les mots s'étranglent dans ma gorge et ne sortent pas.
Ses yeux sont remplis de larmes, ému qu'il lui ait accordé son pardon. Mais aussi soulagé qu'il l'accepte toujours au sein des siens.
Il y a encore une part de mon conscient qui n'est pas en accord avec mon inconscient. Tant que les deux ne le seront pas, je ne pourrais probablement pas lui accorder. Mais j'y crois.
— Je voudrais en être capable Kazutora, mais pas aujourd'hui. Je crois qu'il me faut encore du temps, mais un jour, je pourrais. Tout ça prend-le comme ton départ à zéro, pour faire les choses bien, ok ? demandais-je.
Il hoche doucement la tête, laissant ses larmes s'échapper.
— Merci, sincèrement. Je ferais bien les choses, Kisoku, déclare-t-il.
— Je compte sur toi, affirmais-je.
Je hoche la tête en me pinçant les lèvres.
— La visite est finie, déclare le gardien en venant chercher Kazutora.
— Au revoir, affirme-t-il en partant.
J'essuie les quelques larmes qui menacent de s'échapper. C'est bon, j'ai fait beaucoup plus que je ne le pensais. Je croyais que j'allais simplement baisser la tête et lui tenir compagnie, mais je ne pouvais pas tolérer cette idée. Je crois que je ne survivrais pas si Kazutora décidait de mettre fin à ses jours.
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