Sarah émergea de son sommeil en grognant. Elle tâtonna sur la table de chevet pour couper le son insupportable de son réveil puis tourna le dos à l'engin en refermant les yeux.

-Juste quelques secondes, le temps de me réveiller. se dit Sarah. La jeune fille se sentait comme retenue par son matelas si confortable. Peu à peu, elle perçut que le sommeil la remportait.

-Il faut pas que je me rendormes. tenta sa raison. Allez, j'ouvre les yeux pour commencer.

Malgré ses encouragements mentaux, Sarah eut toutes les peines du monde à ouvrir les paupières. De longues minutes furent ensuite nécessaires à la jeune fille pour s'asseoir sur son lit, les yeux à demi ouverts, l'esprit hagard et la tête incapable de tenir droite. Sarah s'étira et réussit à se lever après un énorme effort de volonté. Elle attrapa sa brosse, posé sur sa commode et se laissa à nouveau tomber sur son lit, le temps de démêler sa chevelure. Les accrocs de la brosse contre son crâne la massaient. Son cerveau commençait doucement à émerger, ses muscles acceptaient peu à peu d'être sollicités. En baillant, la jeune fille se traîna jusqu'au rez-de-chaussée pour prendre son petit-déjeuner. Elle exécutait les mouvements machinalement : le bol, le lait, le micro-ondes, les toasts. En cette heure matinale, sa capacité réflexive ne devait pas être mobilisée plus que nécessaire.

C'est en observant son dressing, en quête de ce qu'elle comptait mettre, que Sarah retrouva tout son pouvoir de raisonnement. La jeune fille faisait face à la tâche la moins automatique de sa préparation du matin. Après délibération interne, l'adolescente finit par choisir un jean blanc et un pull bordeaux. Elle repassa un coup de peigne dans ses cheveux puis s'attela à son maquillage.

***

Les pieds de Sarah, chaussés de ses Adidas, se posèrent sur le sol goudronné à la descente du car. En quelques pas, la jeune fille rejoignit l'intérieur du lycée, accompagnée de Louane, sa meilleure amie, qui habitait près de chez elle et prenait le même véhicule. Les deux filles embrassèrent la foule du regard et repérèrent leur bande d'amis, qu'elles s'empressèrent de rejoindre. Sarah salua tout le monde avant de prendre connaissance du sujet de conversation.

-On parle de Chloé, indiqua Ambre, une adolescente à la longue chevelure blonde, en lançant une œillade qui se voulait exaspérée à son amie.

-Qu'est-ce qu'elle a fait encore ? s'enquit Sarah, avide de critiquer cette fille qu'elle détestait.

-Elle s'est précipité sur Mathéo en sortant du bus. J'ai même pas pu lui dire bonjour.

-Qu'est-ce qu'ils se racontent ? demanda Sarah d'un air las, une main entremêlée dans ses cheveux.

Elle était habituée aux coups d'éclats de Chloé. Depuis quelques semaines, la jeune fille cherchait à attirer l'attention de Mathéo. Mais Sarah plaçait une grande confiance en son meilleur ami. Elle savait que rien de ce que pourrait inventer Chloé n'entacherait leur complicité. Cependant, Chloé semblait passer à autre chose depuis le collège. Son attirance pour Mathéo paraissait véritable, sans rapport avec la rancune tenace qu'elle entretenait envers Sarah.

-Aucune idée, elle a commencé à lui dire qu'elle avait croisé son père, ou je sais pas quoi, répondit Ambre dans un soupir.

-Je vous ai pas raconté l'autre jour, en intercours, commença Sarah, prête à s'adonner à une de ses activités préférées au lycée : critiquer Chloé. Elle avait des bonbons. Elle a partagé avec personne, même pas ses potes. Par contre, Mathéo... Elle s'est pratiquement jetée sur lui pour lui en offrir.

Sarah échangea un regard entendu avec ses amies. Son mouvement de tête indiquait bien son opinion sur cette petite anecdote.

-Ah bah c'est sûr, elle lui refuse rien, confirma Louane, les yeux dirigés vers Chloé et Mathéo, toujours en pleine discussion.

-Elle refuse rien aux garçons en général... lâcha Ambre suivie de la sonnerie quelques secondes plus tard. La cloche effaça les sourires railleurs des filles.

Sarah et Louane se dirigèrent vers un bâtiment opposé à celui de leurs amies. La légère odeur de renfermé du sous-sol s'insinua dans leurs narines alors qu'elles rejoignaient un groupe d'élèves stationné devant une salle de langue. Sarah sursauta en sentant deux mains lui pincer les côtes. Mathéo venait d'apparaître à ses côtés. Thomas l'accompagnait. Il salua les filles beaucoup moins familièrement. Après tout, le garçon ne les connaissait que depuis leur entrée au lycée, trois mois plus tôt. Pourtant, ce n'était pas par timidité qu'il gardait les yeux fixés dans le vague, irrésistiblement attirés par le bas, comme s'il cherchait à apercevoir sa bouche. D'ailleurs, celle-ci paraissait rétrécie, elle formait une grimace qui ne cessait de se mouvoir. Mais ces signes, Sarah ne les remarquait pas, pas plus que ses sourcils froncés ou les pliures qui constellaient son front, témoignant de la crispation de son visage. Aussi la jeune fille fut-elle surprise lorsque Louane adressa un "Ca va ?" légèrement soucieux à Thomas. Le garçon hésita puis finit par relever la tête et fixa son regard dans celui de Sarah en déclarant :

-J'ai quelque problèmes avec mes parents.

Sarah resta d'abord immobile, les sourcils froncés. Pourquoi Thomas s'adressait-il à elle alors que la question venait de Louane ? Elle ouvrit la bouche mais ses yeux fuirent ceux du garçon. Après une trajectoire hésitante, elle finit par les poser sur sa meilleure amie, qui commençait à essayer d'en savoir plus. Sarah put refermer ses lèvres sans avoir eut à prononcer le moindre mot.

-Tu te fais des idées, dit la jeune fille en soupirant tandis que Thomas racontait les disputes incessantes de ses parents.

Le garçon regarda encore son amie, occupée à triturer une mèche de ses cheveux.

-Non, Sarah, je te dis que je l'ai vu s'acharner pour essayer d'enlever son alliance. Son alliance ! C'est quand même pas rien. Je... c'était horrible... je me suis enfui, j'crois qu'il m'a pas vu. Je l'ai pas dit à ma mère,...

L'adolescente souffla de nouveau. Son visage exprimait clairement son ras-le-bol. Une petite voix chuchota dans sa tête : "Ecoute le Sarah, ça a l'air important" mais elle l'ignora. Elle détestait entendre les gens raconter leurs soi-disant problèmes. Louane lui jeta un regard réprobateur qu'elle ne remarqua même pas. La jeune fille s'apprêtait à continuer d'interroger Thomas mais Sarah fut plus rapide :

-Elle est en retard la prof. Ca va bientôt faire quinze minutes non ?

Les yeux marrons de Sarah cherchèrent ceux de Mathéo. Cependant, celui-ci ne semblait pas prêt à changer de conversation : il gardait son visage dirigé vers Thomas, attendant la suite. Sarah soupira une dernière fois et se détourna de ses amis pour observer ses camarades, quand elle fut interpellée par un grincement. La porte qui menait à l'escalier s'ouvrit alors sur Mme Henry, la prof d'anglais.

-Je suis désolé pour mon retard, j'avais quelques petits trucs à régler en salle des profs.

Son regard passa sur Thomas puis Sarah avant de se fixer sur la serrure de la porte de la classe. Tout en déverrouillant celle-ci, elle ordonna :

-Vous vous installez rapidement et en silence. Sortez vos affaires, on va reprendre le cours de la semaine dernière. Ensuite, on ferra un jeu afin de mémoriser le vocabulaire.

Sarah sourit. Aucune autre prof ne possédait cette capacité à intéresser les élèves. Mme Henry savait vraiment s'y prendre pour faire rentrer la langue de Shakespeare dans le crâne des lycéens.

La jeune fille s'assit à côté de Mathéo, au fond de la classe, et sortit prestement son trieur. Elle l'ouvrit à l'onglet "Anglais" et reprit les feuilles du cours précédent. Son meilleur ami faisait de même à côté d'elle.

-Quelle écriture de merde, commenta Sarah avec un sourire, en observant les notes que Mathéo venait de poser à côté d'elle, par manque de place sur sa propre table.

-C'est de l'art, tu peux pas comprendre, répondit le jeune homme en reprenant ses feuilles des mains de son amie. Il fixait Sarah d'un air supérieur.

La jeune fille fit mine de s'étouffer alors que le papier lui glissait entre les doigts.

-T'es trop rationnel, poursuivit le garçon. Pour toi, les lettres doivent être bien entre les lignes. Moi, je ne suis pas enfermé dans ces barrières restrictives. Je casse les codes ! Non, la barre du "t" ne montera pas forcément jusqu'à la deuxième ligne ! Non, le "s" n'est pas obligé de rester enfermé entre les deux premières lignes !

Sarah pouffa. Mathéo affichait un air résolu mais ces protestations étaient décrédibilisées par le fait qu'ils les formulaient en chuchotant.

-C'est vrai, pauvre "s", plaisanta Sarah. Ca n'empêche que ton écriture est illisible.

-Il faut juste être un peu ouvert d'esprit, répliqua Mathéo d'un ton dédaigneux avant de sourire.

Il adorait plaisanter avec sa meilleure amie mais sur le moment, il aurait plutôt préféré parler de Thomas. Le problème de ses parents l'inquiétait et le touchait. Cependant, il savait que le sujet énerverait Sarah. Aussi, il continua de rire avec elle, même s'il mourrait d'envie de lui faire la morale pour lui apprendre qu'avoir un ami exigeait aussi d'écouter ses problèmes de temps en temps.

Le cours avait commencé et Sarah s'empressa de recopier les mots inscrits au tableau. Elle s'efforçait de suivre les commentaires en anglais de Mme Henry, par-dessus le grattement de son crayon sur la feuille.

-Tu me déconcentres ! souffla t'elle sur un air de reproche.

-C'est toi qui a commencé à critiquer mon écriture, répliqua Mathéo tout en copiant.

-Comment ne pas faire autrement ? répondit la jeune fille d'un air fataliste.

-T'écris peut-être mieux que moi mais tu dessines affreusement mal, renchérit son ami.

Sarah haussa les sourcils : cette remarque ne lui semblait pas justifiée. Elle fit part de sa perplexité à son voisin. Il se contenta d'un sourire sûr de lui en farfouillant dans les feuilles de son trieur. La jeune fille ne put s'empêcher de faire un commentaire sur "le bordel qui régnait dans son trieur trois fois plus épais qu'un dictionnaire".

-T'exagères, protesta Mathéo. Je te promets que bientôt je le range.

-T'as les cours depuis le début de l'année là-dedans. Je te signale qu'on est quand même en décembre et qu'un trieur c'est fait pour être vidé au fur et à mesure. Je suis peut-être pas hyper ordonnée, continua Sarah en considérant les feuilles d'anglais qui s'étalaient en désordre sur sa table (elle repéra même une feuille d'histoire), mais au moins je sais ça.

-Ca n'a pas que des désavantages puisque ça me permet de retrouver ça ! lança le garçon bordélique en brandissant une page recouverte de dessins.

Sarah l'examina de plus près. Au centre, le mot "BRITAIN" s'étalait en lettres capitales. Des dessins évoquant le sport, la cuisine et d'autres caractéristiques culturelles illustraient la carte mentale.

-Ca date de septembre, conclut Sarah, une mèche de ses cheveux châtains dans les mains. C'est donc la preuve de ce que je disais : il y a un trimestre entier qui s'entasse dans ton trieur. C'est complètement débile !

-Ce n'est pas ça le plus important, balaya Mathéo. Tu vois comme les dessins sont bien faits ?

-Le mien était aussi beau, répliqua la jeune fille.

-C'est faux, pensa t'elle en même temps. Cependant le garçon ne pouvait pas vérifier puisqu' ELLE, elle ne conservait pas les documents de la première séquence de l'année.

-Tu te rappelles pas que j'étais absent quand vous avez fait cette séance ? reprit Mathéo. Il affichait l'air d'un enquêteur prêt à déballer toutes ses preuves pour confondre le coupable. On pouvait même penser qu'il voulait ménager son effet. Cependant, ce suspense ne tenait personne en haleine puisque son amie lui répondit vaguement par la négative en essayant de garder une oreille sur le cours.

-Tu m'as photocopié tous les cours, continua Mathéo.

-C'est très gentil à moi, coupa Sarah avec un léger hochement de tête. La jeune fille triturait toujours une de ses mèches de cheveux. Elle grimaça en sentant les fourches sous ses doigts.

-J'ai tout gardé dans mon trieur, y compris la feuille avec ton dessin, même si je me suis senti obligé de la refaire tellement il était immonde, annonça Mathéo d'un ton triomphant en sortant la photocopie en question.

Sarah y jeta un coup d'œil. Des lignes partaient dans tous les sens pour essayer de relier tant bien que mal chaque catégorie au titre. La plupart des dessins s'avéraient méconnaissables. Même la raquette posait problème.

-C'est quoi ce truc ? s'esclaffa Mathéo. Il désignait une sorte de patate qui surmontait quatre traits verticaux. Un cheval ?

Sarah rit avec lui puis finit par avouer que oui, peut-être, elle ne dessinait pas très bien. Un bel euphémisme selon son ami.

-N'empêche, réfléchit Sarah après quelques secondes de silence, on s'en souvient encore de ces mots là. Je sais pas si c'est grâce aux dessins ou parce qu'on les a revus plusieurs fois depuis le début de l'année. Ce qui est sûr c'est que c'est grâce à la prof. Elle est vraiment bien.

Mathéo hocha la tête et ramena son attention sur le cours. Il aurait juré voir Mme Henry sourire. Pourtant, ce qu'elle disait ne justifiait pas cette manifestation de joie. Et, à moins d'oreilles surdéveloppées, elle ne pouvait pas non plus avoir entendu le compliment de Sarah...

***

Alors ? Qu'avez-vous pensé de chapitre ? Trouvez-vous que l'histoire commence trop doucement ? Il y a t'il des éléments qui vous intriguent ? Que pensez-vous de mes dialogues ? Personnellement, j'ai un peu de mal avec le premier dialogue sur Chloé, je le trouve peu naturel. Et vous ? J'hésite à l'enlever parce que dans la suite Chloé n'a pas l'importance que je voulais lui donner quand j'ai écris ce chapitre.

Bref, bonne semaine et merci de me lire !