Chapitre 28
Le hall de l'aéroport de Berlin se trouvait envahi par les Stackjans. Sarah trainait sa valise derrière elle en observant les panneaux d'informations. Elle finit par apercevoir son vol et tenta de lire l'horaire. Concentré sur l'affichage elle ne regardait plus devant elle. La jeune fille s'arrêta juste à temps pour ne pas percuter Jules.
-C'est le moment de se dire au revoir. annonça Benoit. Je suis désolé pour les heures passées dans la cave. En tant que chef d'équipe, j'en porte la responsabilité. Je crois que j'avais un peu trop pris les choses à la légère.
-Une mission d'une telle ampleur c'était nouveau pour nous tous. intervint Christophe. Et il y a eu des erreurs à tous les niveaux. Nous allons beaucoup retravailler afin de tirer les leçons de ce qui n'a pas marché.
-Je crois qu'il va vraiment falloir que j'y aille. glissa Kyllian. Une annonce indiquait la fin imminente de l'enregistrement des bagages pour Brisbane.
L'australien salua ses coéquipiers et termina par Charlie qu'il serra dans ses bras.
-Bon courage ! lui lança la jeune fille avec une tape sur l'épaule. Tiens-moi souvent au courant.
Kyllian promit puis s'éloigna à grands pas. Sarah ne voyait pas en quoi il avait besoin de courage mais après tout, elle n'avait pas eu beaucoup l'occasion de parler avec lui. Il se montrait si différent des garçons joyeux et détendus qu'elle fréquentait habituellement...
-Nous allons aussi devoir partir. dit Christophe en se tournant vers Sarah. Notre vol approche.
La veille, la jeune fille avait tenu une longue conversation avec le coordinateur à propos de son père. Sarah avait conté à Christophe les révélations qu'elle avait dû faire à son paternel pour partir à Berlin, et sa promesse de lui en dire plus à son retour. L'organisation n'étant pas soumise à une stricte loi du secret, Christophe avait décidé d'accompagner la jeune fille afin de l'aider à dévoiler la vérité à Pierre.
-Moi, je dois encore attendre plusieurs heures. se plaignit Evan.
-C'est toi qui as insisté pour venir à l'aéroport en même temps que nous. fit remarquer Charlie.
Sarah sourit et se tourna vers son ex-coéquipière.
-Bon retour en Angleterre. J'ai été très contente de te rencontrer, on s'envoie des messages régulièrement, hein ? dit-elle en la serrant dans ses bras.
Charlie promit chaleureusement.
-Et merci, grâce à toi, j'ai beaucoup amélioré mon anglais ! Je ne pouvais pas rêver mieux.
-Ah, ah, de rien ! J'avoue que je commence moi-même à me débrouiller en français. Il faut dire qu'apprendre les langues en lisant dans les pensées d'une amie est bien plus intéressant que d'écouter un prof parler.
Tous rirent. Sarah salua ensuite Benoît et Jules. Elle se sentait un lien particulier avec le garçon car lui aussi avait été révélé trop tôt et lui aussi avait fait d'énormes progrès depuis. C'est Evan que Sarah serra dans ses bras en dernier.
-Merci, merci pour tout. dit-elle simplement en référence à ce mois qu'elle venait de passer en compagnie du garçon.
De sa première impression dans le café à cet aéroport, tout lui revenait. Les combats dans le parc, les heures à s'entrainer, les messages télépathiques, les réussites et les échecs, les doutes, son anniversaire, le voyage à Berlin, les encouragements et la mission, de la salle de réunion à la forêt en feu en passant par la cave. En un mois, cet inconnu était devenu un ami et elle avait passé plus de temps avec lui qu'avec ses parents.
-Ne pleures pas, ne pleures pas, ne pleures pas. Ca sert à rien de pleurer, tu vas juste avoir l'air conne.
Une unique larme coula sur sa joue. Sarah serra les lèvres et tenta d'avaler sa salive pour dégager sa gorge nouée. Evan se détacha de la jeune fille et la regarda dans les yeux. Une deuxième larme se fraya un chemin sur le visage de Sarah. Tendrement, Evan essuya les gouttes d'eau salée.
-Merci à toi. Tu m'as montré que tout n'était pas aussi parfait et modulable dans le monde que je le voudrais.
Il sembla hésiter puis libéra son amie.
-Préviens moi quand tu es arrivée. lança la jeune fille en s'éloignant avec Christophe.
***
Sarah serrait très fort la poignée de sa valise pour se donner du courage. De l'autre côté de la porte, elle entendit la clé tourner dans la serrure, puis la tête de son père apparut.
-Sarah, ma princesse ! s'exclama Pierre en serrant sa fille dans ses bras.
-Bonjour papa.
-Vous devez être Christophe. salua Pierre, désormais tourné vers le coordinateur.
Sarah avait prévenu qu'elle serait accompagnée à son retour. Ils rentrèrent tous les trois dans la maison et s'installèrent au creux des canapés.
-Papa, comme je te l'ai dit au téléphone, Christophe est un des responsable et il est venu avec moi pour t'expliquer ce que je suis partie faire à Berlin.
-Je sais que votre fille vous a laissé sous-entendre certaines informations. commença le coordinateur. Mais elle n'est ni garde du corps, ni agent secret, ni toutes les autres choses que vous avez pu vous imaginer. Elle est Stackjan. Je comprends que ce mot ne vous dit rien mais je vais vous expliquer. Je dois d'abord vous prévenir que vous risquez d'avoir du mal à croire ce que vous allez entendre.
Pierre frotta ses mains contre son pantalon pour se donner une contenance. Cette entrée en matière avait de quoi l'effrayer.
-Votre fille, moi et environ deux cents individus dans le monde appartenons à cette catégorie de personnes. Nous sommes guidés dans nos actions par les Féoracs qui sont des êtres, disons, non-humains. expliqua Christophe en jetant un regard vers le ciel.
Pierre fronça les sourcils mais ne fit aucun commentaire.
-Certaines personnes font parfois des actions horribles sous une influence néfaste. Notre but est de retrouver ces humains et d'empêcher qu'ils causent du tort. Nous devons aussi les libérer de cette mauvaise influence. Je sais que ça paraît flou, mais je fournirais plus de détails tout à l'heure si vous le voulez.
Pierre hocha la tête. Il peinait à assimiler ce que lui disait cet homme qui paraissait pourtant très sérieux et sain d'esprit.
-Pour mener à bien ces missions, nous disposons de certaines capacités. Vous avez sans doute remarqué que votre fille avait deviné votre véritable métier malgré tous vos efforts pour le cacher.
Cette fois, Pierre ne put s'empêcher de réagir :
-Sarah, je t'avais dit de ne rien dire !
-Ne vous inquiétez pas, essayez plutôt de comprendre où je veux en venir. Vous n'avez fait aucune erreur et elle a deviné. Il n'y a aucune explication plausible à ceci. Nous disposons de capacités mentales très spéciales. Nous ne sommes pas des détecteurs de mensonges sur pattes mais nous pouvons lire dans les pensées. Ne vous affolez pas, je sais que c'est un peu brusque...
-C'est impossible, personne ne peut faire ça. nia Pierre, choqué. Il s'enfonça dans le canapé, comme pour disparaître.
-Et pourtant si, papa et je peux même t'envoyer des messages télépathiques.
-Qu'est-ce que...
-Tu n'entends pas des voix, c'est bien moi qui vient de te parler. déclara Sarah à voix haute.
Pierre cligna plusieurs fois des yeux. L'information semblait trop compliquée à analyser pour son cerveau.
-C'est une capacité de naissance qui ne se révèle que lorsqu'on est prêt à entendre la vérité. Or, pour votre fille cela s'est passé un peu différemment.
-Mes gardiens m'ont fait des tas de démonstrations. Ils lisaient dans mes pensées, connaissaient tous mes secrets et malgré cela j'ai passé des jours à les fuir et à nier la vérité. Mais j'ai fini par me rendre à l'évidence car il n'y avait pas d'autre solution. Je sais que c'est difficile à croire mais je te JURE, papa, que tout est vrai. Je peux t'envoyer d'autres messages ou lire dans ton esprit si tu as besoin de preuves mais j'aimerais éviter de t'effrayer.
-J'ai besoin de digérer. dit simplement Pierre en s'essuyant les mains sur son pantalon.
-Ca s'est mieux passé que je le craignais. songea Sarah en sortant de la maison, deux heures plus tard.
Elle enfourcha son vélo et se mit à pédaler en direction de la maison de sa meilleure amie. Une dizaine de minutes plus tard, elle se trouvait devant la porte.
-Salut ma belle ! fit une Louane enjouée à l'ouverture du battant. Alors cette compète ? Je n'ai pas trouvé les résultats sur internet. Je t'ai envoyé un message hier mais tu ne m'as pas répondu.
-J'ai fait tomber mon téléphone dans la neige, il est mort. mentit Sarah en pensant tristement à l'appareil qu'elle n'avait pu récupérer. Tes vacances se sont bien passées ?
-Oui, super. J'ai surtout skié en fait. Viens on monte.
***
Assise sur son lit, aux côtés de Sarah, cela faisait déjà vingt minutes que Louane racontait sa semaine, poussée par les questions de sa meilleure amie.
-Et au club, tout va bien ? Tu as parlé avec Antoine pour qu'il arrête de te lancer des piques sur ta dernière course ?
-Euh oui, mais je croyais que tu pensais que ça servait à rien de discuter et que ça lui passerait tout seul.
Sarah haussa les épaules.
-Tu as vu tes grands-parents pendant les vacances ? Comment ils vont ?
Louane fronça les sourcils. Sarah ne posait jamais de questions susceptibles de soulever un problème. Or, depuis que la grand-mère de Louane avait eu un cancer deux ans plus tôt, demander comment elle allait pouvait clairement conduire la conversation sur un terrain que Sarah préférait éviter à tout prix.
-Bien, bien. répondit Louane, troublée. Mamie est un peu fatiguée mais elle va bien. Enfin, je ne veux pas t'embêter avec ça.
-Non, non, ça va. Ecoute, je sais que les maladies, tout ça, j'aime pas trop en parler mais si toi ça te fait du bien, je peux faire un effort. Ou si tu as autre chose à me dire aussi.
-Ok, bah, merci. sourit Louane.
La jeune fille avait bien quelque chose à confier à sa meilleure amie mais elle hésitait à s'engouffrer à l'intérieur de la brèche que celle-ci lui offrait. Pourtant, l'occasion ne se représenterait peut-être pas alors Louane se lança :
-Ca tombe bien que tu me dises ça, parce que, ça n'a pas de rapport avec ma grand-mère, mais il y a un truc... C'est Mathéo.
Sarah fronça les sourcils. Louane n'était quand même pas en train de lui dire qu'elle tombait amoureuse de son meilleur ami ?
-Je crois que tu devrais l'écouter. On s'est vu pendant les vacances et il m'a dit... un truc. Apparemment, ça fait des semaines qu'il essaye de t'en parler et il n'est vraiment pas bien.
-Attends. Il n'est pas bien parce qu'il ne sait pas comment me dire qu'il veut sortir avec toi ? s'étonna Sarah en pétrissant un coussin.
-Quoi ?
Louane marqua un temps d'arrêt avant d'éclater de rire.
-Ah non, mais pas du tout ! Aucun rapport ! Mathéo et moi, sérieusement ? Non, non, c'est une nouvelle beaucoup moins cool. dit Louane, de nouveau sérieuse.
-Je me disais aussi que c'était bizarre. sourit Sarah. Si tu crois que c'est une bonne idée, je vais aller le voir. Tu peux me prêter ton portable s'il te plaît ?
Louane lui tendit son mobile et l'observa pianoter sur les touches de façon à envoyer un message à Mathéo.
-Bon, je file. lança Sarah en reposant le téléphone.
Les deux filles descendirent et se saluèrent devant la porte. Poussé par un élan à l'origine inconnue, Sarah eut soudain envie de dire à son amie à quel point elle comptait pour elle.
-Je t'aime ! lui glissa t'elle avant de remonter sur son vélo.
Il faut dire que dans cette cave, au fond d'une maison de criminels, à quelques kilomètres de Berlin, Sarah avait pris conscience que sa vie ne serait plus jamais comme avant. Qu'être Stackjan la transformerait et chamboulerait son quotidien. Et mine de rien, les risques qui pèseraient sur sa vie allaient être amenés à augmenter. Au milieu de tout ça, elle avait plus que jamais besoin de profiter de ses amis. Ils seraient ce qui ne changerait pas au cœur de son monde désormais bouleversé.
***
Monter vers le village en vélo était clairement moins agréable que descendre. Heureusement, les jambes de Sarah connaissaient la sensation même si la jeune fille n'était pas particulièrement contente d'avoir les cuisses en feu quand elle rejoignit enfin Mathéo. Elle vit tout de suite que l'habituel sourire de son meilleur ami ne rayonnait pas autant que d'habitude. Elle le salua et balaya ses questions sur sa fausse compétition de ski pour lui demander d'emblée :
-Louane m'a dit que tu avais quelque chose à me dire.
Mathéo hocha la tête en soupirant. Ils firent quelques pas avant qu'il ne commence à parler.
Sarah découvrit alors son quotidien de cris et de disputes qu'il essayait de partager depuis des semaines. Mathéo raconta les insinuations de sa mère, les cris étouffés le soir, puis les disputes de plus en plus violentes, de plus en plus fréquentes, de moins en moins cachées, les nuits de son père sur le canapé, les pleurs, les portes claquées, le week-end de sa mère hors de la maison. Il expliqua à Sarah comment il avait assisté, impuissant, à l'effondrement du couple que formait ses parents, à la disparition de l'amour qui unissait ses géniteurs. Quand le mot "divorce" apparut dans ses paroles, Sarah faillit s'étrangler. Elle connaissait bien Christophe et Sylvie, les parents de Mathéo, et ne pouvait les imaginer séparés.
Lorsque son meilleur ami eut finit de se confier, Sarah se trouva complètement désemparée. Comment réagir face à cela ? Elle pensa à Evan qui trouvait toujours les bons gestes et tenta d'imiter son ami en laissant d'abord passer un temps de silence.
-Je suis désolé de ne pas t'avoir écouté plus tôt. dit-elle, un bras passé autour des épaules de Mathéo.
Sarah guida son meilleur ami vers un bar destiné aux touristes qui sortaient des pistes.
-Deux gaufres au chocolat, s'il vous plaît. commanda la jeune fille.
Mathéo la regarda avec étonnement quand elle lui tendit une gaufre. Sarah exerça une légère pression sur son épaule en lui souriant tristement puis l'embrassa sur la joue. Sarah ne savait vraiment pas quoi dire, la seule chose qu'elle pouvait faire c'était être là.
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