Chapitre 1
Sarah aimait la montagne, particulièrement ses pentes abruptes et enneigées appelées "pistes noires". La jeune fille se pencha pour essayer d'apercevoir le bas de la descente. Avec un sourire, elle rabattit son masque sur son visage puis s'élança. La jeune skieuse enchaîna les virages serrés afin de passer par-dessus les tas de neige formés sur la piste. Son sourire s'élargit alors qu'elle accélérait. Le vent dans le visage, la contraction de ses muscles, la vitesse, les sensations qui affluaient dans son corps, le bruit des spatules glissant sur la neige... Un sentiment de bien-être se répandit en Sarah alors qu'elle se rapprochait du bas de la pente.
La jeune fille s'arrêta pour contempler le mur qu'elle venait de dévaler. Cette piste était une de ses préférées et elle l'empruntait pour la troisième fois de la matinée. A chaque passage, ses sensations s'amélioraient. Plutôt fière de cette dernière descente, Sarah s'éloigna sur une piste bleue afin de retourner au télésiège. Elle dirigea ses yeux bruns sur le paysage enneigé qui s'offrait à elle et inspira une grande goulée d'air frais. La montagne était son terrain de jeu, sa maison, son alliée, son réconfort.
Seulement deux personnes attendaient devant le télésiège. Sarah dérapa au niveau de la barrière tandis que le duo de skieurs s'envolait vers le sommet. À deux semaines des vacances de Noël, les touristes n'avaient pas encore envahi la station. Sarah pouvait donc profiter sans supporter les interminables queues des remontées mécaniques et les pistes noires de monde. Les débutants qui tombaient juste devant elle ou les lambins qui faisaient de larges virages dans des passages étroits énervaient Sarah au plus haut point.
Seule au milieu des quatre fauteuils, la jeune fille savourait le calme de la montagne. Elle sortit son téléphone avec précaution pour regarder l'heure. Onze heures approchait. Sous les chiffres de l'horloge, une notification s'affichait, indiquant qu'elle avait reçu un message de Louane, sa meilleure amie. La jeune fille lui proposait de se retrouver vers quatorze heures afin de skier ensemble. Sarah rédigea une réponse avant de remettre son téléphone dans la poche de sa combinaison. Elle releva la tête et constata que l'arrivée du télésiège était encore loin.
Quand Sarah aperçut enfin le poste de secours en haut de la montée, elle releva la barre de sécurité alors que le télésiège -débrayable- ralentissait. Quelques secondes plus tard, la demoiselle s'éloignait de la machine après un petit signe au pisteur. Sarah godilla sur le bord de la piste bleue et dépassa trois enfants qui suivaient leur père. Bientôt, elle aperçut l'arche en bois, symbole de l'entrée du ski cross. Deux jeunes hommes étaient stationnés devant les banderoles oranges qui conseillaient aux skieurs de faire attention. Sarah s'arrêta à côté d'eux et les regarda s'élancer l'un à la suite de l'autre. Ils étaient plutôt rapides. La jeune fille attendit que le deuxième passe le premier virage avant de démarrer à son tour. Elle partit en schuss sur la première descente afin de prendre de la vitesse et sauta sur la première bosse. Après une réception parfaite, elle profita de la descente de la butte et s'éleva de quelques centimètres supplémentaires sur la deuxième. Sarah adorait sentir son corps qui s'envolait lors des sauts. Un afflux d'adrénaline remonta le long de son ventre et ses lèvres s'étirèrent en un sourire au rythme de ses décollages toujours plus hauts. Ses réceptions en revanche manquaient parfois de perfection. Sarah se réajusta après avoir atterrit trop en arrière et entama une courbe à droite en position schuss. Elle sauta une autre bosse. Instinctivement, sa respiration se coupa quand son corps se détacha du sol. Une large expiration accompagna son retour sur la neige, talonné d'un tournant à gauche. Il ne restait plus que trois monticules. La jeune skieuse fit des jolis sauts bien réceptionnés sur les deux premiers. Sa vitesse augmenta en conséquence et elle put décoller de vingt bons centimètres sur le dernier relief, les bâtons levés vers le ciel. Sarah s'arrêta dans un dérapage magistral au pied d'un poteau. Elle inspira et l'air frais passant à l'intérieur de sa gorge évacua l'adrénaline qui chauffait son sang.
Depuis qu'elle chaussait des skis, la jeune fille éprouvait un plaisir inégalé à négocier les bosses les plus volumineuses. Ce n'était pas très impressionnant à voir mais c'était tellement amusant ! Bien sûr, Sarah savait aussi exécuter quelques figures de freestyle mais elle préférait défier le chrono sur les slaloms.
La jeune fille consulta de nouveau son téléphone et estima qu'elle pouvait remonter une fois avant de rentrer chez elle.
En haut du télésiège, la skieuse décida de chronométrer sa descente mais elle se rappela qu'elle avait oublié sa montre. L'adolescente sortit donc son portable et régla le minuteur de l'application "Horloge" sur trois minutes. Elle s'avança au bord de la première piste, masque sur le visage, bâtons en main et téléphone déjà à moitié rentré dans sa veste. Sarah appuya sur le bouton qui démarra le compte à rebours et poussa son téléphone dans sa poche. Dans sa hâte, elle s'élança sur la piste bleue avant même de boucler la fermeture. La jeune fille dévala une bonne partie de la pente en schuss. Au croisement, la compétitrice choisit la piste rouge, plus rapide pour atteindre le bas de la station. Elle enchaîna les godilles pour accélérer. Un virage à gauche pour rejoindre la bleue, un petit coup d'œil aux panneaux, on évite les cinq skieurs au milieu. Concentrée dans sa descente, Sarah faillit manquer la bifurcation qui ramenait en bas de la station. Elle se rattrapa dans un dérapage in extremis qui lui fit perdre de la vitesse, oublia de respirer, puis repartit en schuss. Comme penchée au-dessus de la piste, la montagne grandiose surveillait ce duel de Sarah contre elle-même. Alors que la jeune fille esquivait les skieurs sur la descente finale, elle entendit son téléphone sonner. Avec un soupir, elle donna un dernier accès de vitesse et s'arrêta devant le panneau qui intimait aux glisseurs de ralentir en quatre langues. C'était grâce à ce panneau que Sarah avait appris son premier mot d'italien et son premier mot d'allemand. La jeune fille expulsa son portable de sa poche et appuya sur le bouton "stop" du compte à rebours. La sonnerie s'éteignit et l'écran se figea sur un "+ 11 "rouge. Sarah grimaça : même en retirant les deux secondes perdues au moment de sortir son téléphone, la skieuse avait mis plus de trois minutes pour atteindre le bas de la station.
Sarah ravala sa déception et traversa la piste à l'horizontale en se méfiant des skieurs qui arrivaient du haut. Elle s'engagea ensuite sur un petit chemin et rejoignit un immeuble de cinq étages. Sarah se déchaussa dans la neige boueuse au pied du bâtiment et rassembla ses spatules. Elle entreprit de les frotter avec ses gants afin de retirer la neige encore collée. Une agréable sensation de fraîcheur s'étendit au cœur de sa paume qui balayait la poudre blanche à l'aspect granuleux. Au milieu du local à ski, la jeune fille s'arrêta devant le casier 26 et posa ses lames en carbone contre les parois métalliques pour fouiller en ses poches. Sarah pesta contre sa recherche vaine avant de se rappeler que le précieux trousseau reposait dans son pantalon. Quand elle retira ses chaussures de ski, elle remua ses orteils, heureux d'être enfin libres, avant d'enfiler ses bottes fourrées. Sa main en caressa la moumoute noire toute douce lorsqu'elle noua ses lacets.
Après avoir passé la matinée à skier, Sarah se sentit légère sans le poids de ses skis alors qu'elle grimpait les escaliers. Toutefois, elle prit aussi conscience de la fatigue de ses muscles et de sa faim naissante. La jeune fille poussa la porte de l'appartement 26 et se débarrassa aussitôt de sa combinaison de ski qu'elle accrocha aux patères à côté de l'entrée. C'est qu'il commençait à faire chaud dans sa veste ! Elle avisa ensuite les lits superposés, sur lesquels elle avait laissé traîner ses vêtements le matin même.
Sarah aimait ce début d'hiver, d'une part, parce qu'elle se trouvait presque seule dans les descentes et les remontées mécaniques, mais aussi parce qu'elle pouvait utiliser à loisir l'appartement au pied des pistes mis en location par ses parents pendant la saison touristique. Pouvoir déposer ses affaires au logement avant de rentrer chez elle l'arrangeait. Ainsi, la jeune fille évitait de prendre le bus avec ses skis ou d'être dépendante de ses géniteurs.
Sarah monta dans la télécabine pour rejoindre le village en même temps qu'un jeune homme qui tenait un snowboard. La planche claqua contre la paroi en plastique. L'adolescente s'assit sur le banc opposé à celui du snowboarder.
-Bouh ! Elle était bonne aujourd'hui ! commenta le garçon en secouant sa tête après avoir enlevé son masque et son bonnet. Ses joues étaient rougies par l'effort conjugué au froid.
-Enfin, t'as peut-être pas testé, reprit le jeune homme en constatant que Sarah ne portait pas de tenue de glisse.
-Si, répondit la jeune fille, heureuse qu'il engage une conversation, j'ai passé une super matinée sur les skis mais j'ai laissé mes affaires à l'appart de mes parents.
-Ah c'est cool ça ! Moi je dois me taper cinq cent mètres à pied avec le snow sur le dos pour rentrer chez moi, dit le garçon en soupirant.
Sarah examina son compagnon, elle le trouvait plutôt beau bien qu'il contait vraisemblablement quelques années de plus qu'elle. L'adolescente atteignait presque ses seize ans alors que lui était clairement majeur, peut-être avait-il même la vingtaine.
-C'est sûr que c'est chiant, mais cinq cent mètres c'est pas la mort, moi j'habite à cinq kilomètres d'ici, déclara la jeune fille en délaçant ses après-skis.
-Mais tu ne rentres pas à pied avec tes skis sur le dos, rétorqua l'autre. Fais cinq cent mètres comme ça et tu verras.
Sarah retira ses bottes sous le regard étonné de son voisin et ouvrit son sac pour en sortir ses baskets avant de répliquer :
-C'est la distance entre l'arrêt de bus et chez moi. Et moi, en plus je porte des chaussures de ski.
L'adolescente omis volontairement de mentionner la sympathie du chauffeur de bus qui la déposait souvent à cinq mètres de sa maison.
-Faut faire du snow ma belle ! répliqua le jeune homme avec un sourire.
Il tapota sa planche d'un geste amical. La paroi vibra, couvrant le frottement des gants contre le snowboard.
-Peuh ! Le ski c'est bien mieux. En plus, on est pas obligés de se déchausser à chaque remontée, opposa Sarah, les doigts entremêlés dans ses lacets.
-Tu rentres en footing ? questionna le snowboarder, abandonnant le débat au grand dépit de la skieuse.
-Non, en vélo, contredit Sarah en rangeant ses après-skis dans son sac. Tu crois vraiment que je vais courir en baskets de ville ?!
La jeune fille désigna ses Nike en secouant la tête. Pour elle qui faisait de l'athlétisme, les chaussures de sport se révélaient indispensables à toute course.
-Moi, je crois que je pourrais courir en tong, répondit le garçon en riant. Un regard réprobateur lui répondit.
Cependant, ils n'eurent pas le temps de continuer leur conversation : la cabine atteignait sa destination.
-J'ai été ravi de faire ta connaissance mademoiselle, lança le jeune homme avant de sortir et de s'éloigner.
Sarah enfourcha son vélo en souriant. Ces pensées étaient dirigées vers ce snowboarder dont elle ne connaissait même pas le nom. C'était le charme des rencontres éphémères dans les télésièges ou les cabines. Parfois, Sarah découvrait des skieurs des villages voisins ou des touristes venus de toute la France. D'autres fois, elle écoutait simplement les conversations des amis ou des familles qui parlaient entre eux, et elle s'amusait de leurs récits.
***
-Je suis rentrée ! lança Sarah. Ses clés cliquetèrent sur le meuble de l'entrée.
La jeune fille pénétra dans la pièce de vie et trouva sa mère aux fourneaux. De là où elle se tenait, Sarah n'apercevait que sa silhouette plutôt fine et ses cheveux châtains, attachés en chignon, penchés au-dessus de la plaque à induction. L'odeur de la viande grillée l'entourait.
-La neige était bonne ? demanda Solène en se retournant, la poêle à la main.
Sarah répondit par l'affirmative et raconta brièvement sa matinée. Sans interrompre son discours, la jeune fille saisit le plat de purée, posé sur le plan de travail et plus chaud qu'elle ne le pensait, pour le mettre sur la table. Les deux femmes s'installèrent en vue du repas. Sarah avait l'habitude de manger seule avec sa mère depuis que son frère était parti faire ses études deux ans plus tôt. Quant à son père... Sarah préférait ne pas songer à son absence. La maison paraissait vide parfois, sans les deux hommes.
-Tu vas au club cet après-midi ?
La voix de sa mère tira Sarah de ses pensées. La jeune fille leva les yeux vers sa génitrice qui attendait une réponse en coupant son steak.
-Euh, oui, d'ailleurs Louane m'a proposé qu'on y aille ensemble. J'imagine que son père va nous emmener. répondit Sarah. Le message reçu dans la matinée se rappelait à sa mémoire.
-Il vient te chercher à quelle heure ? questionna Solène en hochant la tête comme pour donner à sa fille la permission de sortir.
-Louane m'a dit vers quatorze heures, mais comme ça commence qu'à quinze heures, on pourra skier toutes les deux ou se poser à l'appart.
Sarah savoura la chaleur de la purée dans sa bouche puis avala un morceau de viande.
-Si tu veux. Ce sera la dernière fois, par contre, car l'appart est loué la semaine prochaine. prévint sa mère.
-Déjà ? s'étonna Sarah. Tu vas avoir besoin d'aide pour le préparer, j'imagine ?
Petite, la jeune fille trouvait ça amusant de faire l'inventaire entre chaque locataire ou de disposer les couvertures sur les lits, mais en grandissant elle devait désormais se coltiner le ménage et cela lui plaisait moins. D'autant qu'elle se débrouillait parfois seule quand sa mère travaillait.
-Je pense que j'aurai fini mes bilans donc je ne t'abandonnerai pas. Qui sait, peut-être que tu seras même dispensée si ton père revient dans la semaine !
-Faut pas trop compter là-dessus. railla Sarah en haussant les sourcils. Tu as passé la matinée sur tes bilans ? demanda ensuite la jeune fille, le doigt pointé vers le tas de feuilles empilées sur la table du salon.
-Oui, mais je commence à en voir le bout. Il ne me reste plus que trois élèves. sourit sa mère.
Institutrice à l'école primaire de Morillon, Solène s'occupait de la classe de CE2 depuis de nombreuses années, à l'exception de l'année où sa fille étudiait dans cette même classe.
-C'est quand la fin du trimestre, déjà ? questionna Sarah, en référence à la date butoir où sa mère devait rendre ses fameux "bilans".
-Le 9 décembre, à la fin de la semaine. D'ailleurs, le lycée devrait bientôt envoyer ton bulletin. lança Solène avec un clin d'œil.
-Tu peux toujours attendre, le conseil de classe n'est pas passé. répliqua Sarah, une main dans ses cheveux châtains. Et puis, si le trimestre n'est pas fini, tu peux être sûre que les profs ne se priveront pas pour nous mettre encore des notes.
Ce discours fit sourire Solène.
-J'espère que tu fais pas ça avec tes élèves : mettre un tas d'évals à la fin pour combler les trous. reprit l'adolescente.
-Mes CE2 n'ont pas dix profs qui mettent leurs contrôles le même jour. fit remarquer sa mère. Je suis capable de répartir correctement histoire qu'ils aient du temps... Mais en général je les laisse tranquille la dernière semaine.
-Tu devrais partager cette méthode avec mon prof de physique. plaisanta Sarah. Une grimace déformait son visage à la pensée des évaluations qui l'attendaient.
Solène se leva de manière à débarrasser tandis que Sarah avalait un yaourt.
-Noël est dans trois semaines. reprit l'adulte. Tu devrais peut-être commencer à faire une liste de cadeaux à destination de ton parrain et de ta marraine. Ils ne peuvent pas deviner ce que tu veux, les pauvres.
-C'est surtout pour toi, oui ! rit la jeune fille. Tu crois que je t'ai pas vu essayer de me trouver un cadeau depuis deux semaines ?
Solène grimaça, aveu évident selon Sarah.
-T'as besoin de rien Sarah ? Un peu de déco ça te plairait pas dans ta chambre ? imita la jeune fille avec l'air innocent affiché par sa mère quand elle posait ces questions. Tu lis en ce moment ?
Néanmoins, Solène n'eut pas le temps de répondre car la sonnerie de la porte retentit.
-Il est même pas moins le quart. s'étonna la femme.
-Peut-être qu'elle voulait dire quatorze heures sur les pistes. proposa Sarah, déjà partie vers la porte.
Solène termina de débarrasser la table alors que la voix de Louane retentissait dans l'entrée :
-Bah alors, t'es pas encore prête ?
Deux bises claquèrent puis la voix de Sarah répliqua :
-J'ai laissé mes affaires à l'appart. Je pensais pas que t'arriverais si tôt.
-Je t'ai envoyé un message pour te dire qu'on partait. fit la voix de Louane en se rapprochant de la cuisine.
-On mangeait, j'ai pas regardé mon téléphone.
Solène aperçut le portable de sa fille posé sur le canapé. Son cadeau du Noël précédent. Un cadeau beaucoup moins difficile à dénicher que celui de cette année.
-Je t'avais dit de la prévenir que c'était 14h en haut et pas chez elle. fit une voix plus grave, celle du père de Louane.
Les trois personnes pénétrèrent dans la pièce alors que Sarah répondait.
-C'est pas grave, j'ai juste à prendre mon téléphone et un peu d'eau.
Louane et son père saluèrent Solène tandis que Sarah préparait son sac.
-Je suis prête ! lança la jeune fille quelques minutes plus tard en triturant une mèche de ses cheveux châtains.
-Amuse-toi bien mon ange ! fit sa mère quand Sarah referma la porte d'entrée derrière elle.
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Bonjour à tous !
Bienvenue sur Stackjan ! J'espère que ce chapitre vous a plu !
N'hésitez pas à me donner votre avis sur le réalisme de l'action, ce que vous inspire les personnages, vos idées sur le futur de l'histoire, le style d'écriture, etc etc Je suis toujours en recherche de bêta-lecteurs pour cette fiction alors commentez un max pour que je puisse l'améliorer.
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