5
Une semaine s'écoula, riches en événements et en découvertes ; après tout, c'était la rentrée en troisième année, la rencontre avec les nouveaux membres du club de volley, de nouveaux cours, de nouveaux professeurs, et déjà du travail. En parallèle, Kuroo se devait aussi d'appeler Tsukishima chaque soir, et ils se racontaient comment se passaient leurs rentrées respectives pendant de longues heures au téléphone. Au fond, Tetsuro avait l'espoir que ce rapprochement pourrait convaincre Tsukki de revenir le voir assez vite –et un peu plus longtemps, même s'il le savait fort occupé.
La reprise des activités sportives relançait aussi toutes les vieilles rivalités, et Kuroo dut répondre à des tas de messages d'autres joueurs avides de compétition –Lev, qu'il retrouverait dans les tournois cette année, Yaku toujours prêt à le narguer, Daishou qui n'attendait que le moment de le battre... Et Bokuto, qui surpassa de loin les autres en envoyant des files entières de messages en majuscules pour hurler que Kageyama était dans son équipe, oui, Kageyama, meilleur passeur lycéen, le passeur titulaire de l'équipe jeune nationale je vous prie, et que cette année, les Nationales seraient à eux pour sûr. Il n'avait pas manqué de faire à Kuroo le compte-rendu des premiers entraînements, qui se passaient apparemment à merveille, et le central ne pouvait qu'imaginer de quelle motivation débordante il devait faire preuve.
Bokuto et ses coéquipiers avaient pris l'habitude d'organiser des soirées dans un gros bar de la ville, le vendredi ou le samedi soir. C'était avant tout destiné à créer des liens entre les différents membres de l'équipe, mais bientôt chacun avait ramené ses amis, et c'était rapidement devenu le repère des volleyeurs universitaires ; Oikawa et Kuroo y allaient régulièrement, conviés par Bokuto. L'attraction principale de la soirée était Bokuto lui-même, par ailleurs, qui dépensait ses bourses en alcool et en faisait profiter tout le monde.
Ils furent donc naturellement invités en ce premier vendredi soir. Kuroo avait proposé à Tsukishima de venir, mais il avait ses propres soirées d'intégration et ne pouvait pas se libérer, ce qui l'avait un peu déçu ; mais l'enthousiasme de revoir tous les anciens joueurs de seconde, qu'il avait connus en terminale, suffisait à l'exciter. Quand il vit Oikawa sortir de la salle de bain en chemise blanche, les cheveux savamment ébouriffés et le sourire éclatant, il ne put que se dire que lui aussi devait avoir hâte de retrouver d'anciens cadets... et un en particulier, qui serait forcément présent ce soir.
De son côté, Kuroo ne s'était pas spécialement apprêté pour la soirée. T-shirt plutôt moulant, d'un rouge sang –sa couleur préférée depuis Nekoma-, jean noir un peu délavé ; il passa sa main dans ses cheveux hérissés en guise de peigne, les trouva très bien alors même qu'ils tombaient sur son œil, et il n'en fallut pas plus avant qu'ils sortent.
A peine eurent-ils poussé la porte du bar que l'énorme rire de Bokuto leur parvenait. Ils le repérèrent tout de suite, en train d'asséner de grandes claques dans le dos de Kageyama en riant –probablement le jeune passeur avait-il dit quelque chose qui l'avait amusé ; de toute façon, Bokuto n'allait sûrement pas lâcher son nouveau coéquipier de la soirée. Il repéra tout de même Kuroo et Oikawa lorsque la porte se referma, et les héla de loin :
-Eh ! Kuroo, Oikawa ! Par ici !
Ils firent leur chemin à travers le bar bondé, entre les gens en petits groupes serrés, une bière à la main, en train de discuter dans une atmosphère enfumée. Bokuto et Kageyama étaient assis au comptoir, et ils finirent par les rejoindre.
-Vous avez vu ! s'écria Bokuto en accrochant son bras autour des épaules de Kageyama. C'est mon nouveau passeur ! Il me fait des passes !
-C'est pas mal pour un passeur, soupira Kuroo.
-Oui, mais ce sont des passes exceptionnelles ! Oikawa, tu connais Kageyama ?
Oikawa prit un instant un air blasé, plutôt similaire à celui de Kageyama par ailleurs, qui semblait avoir hâte que Bokuto le lâche ; mais aussitôt son expression s'illumina dans cette façade d'enjouement que Kuroo connaissait bien :
-Quoi, Tobio-chan ? Mais c'est mon cher, mon adorable, mon précieux petit cadet ! Tu ne savais pas ça ?
-J'avoue que la ressemblance est frappante, gloussa Kuroo.
La mâchoire de Bokuto se décrocha, puis il se mit aussitôt à bondit d'enthousiasme, ses cheveux dressés sur sa tête et le sourire immense :
-Non, sérieux ! Trop bien !
Il se pencha ensuite vers Kageyama et lui pinça la joue –le passeur fit la grimace, mais se laissa faire, visiblement déjà habitué à se faire considérer comme un animal de compagnie par son attaquant phare :
-Tobio-chan ! Tobio-chan, dis-donc !
Kuroo sourit d'un air de connivence au regard de détresse que Kageyama lui adressa, et appela le barman pour se faire servir. Il venait juste de prendre sa première gorgée de bière quand une voix susurrante se fit entendre :
-Sssalut, Kuroo. Comment va, depuis le temps ?
Il se retourna pour tomber face à Daishou, son rival attitré. Toujours les mêmes yeux de serpent, les mêmes cheveux lisses, le même bout de langue au coin des lèvres ; et à son bras, une jolie jeune femme qui sourit chaleureusement à Kuroo. Le central n'était pas des plus volontaires pour discuter avec lui –ça se finissait systématiquement en fight- mais Daishou semblait inoffensif avec sa copine à ses côtés, et Kuroo ne se priva pas de commencer les embrouilles :
-Mika-chan, toujours aussi ravissante !
Daishou plissa le nez, et rentra un peu la tête dans les épaules, comme un serpent prend du recul pour attaquer :
-Pourquoi tu n'irais pas voir tes coéquipiers, hein ? Je les ai vus, dans le coin là-bas.
Kuroo suivit son regard pour voir ses anciens joueurs assis à une table ; Yaku, Lev et sa sœur, Yamamoto... Il regretta un instant de ne pas avoir emmené Kenma, même s'il aurait sûrement refusé de venir pour mieux se consacrer à ses jeux vidéo. Il attrapa donc Oikawa par le bras pour le tirer vers ses amis, et celui-ci le suivit de bon gré, visiblement peu désireux de contempler Kageyama se faire chouchouter par Bokuto.
Le bar était vaste et divisé en plusieurs espaces. D'abord le comptoir, puis toutes les tables et chaises pour se poser entre amis ; et une piste de danse, avec des projecteurs multicolores et une petite estrade pour faire jouer des groupes. Il n'y en avait pas ce soir-là, mais la musique filtrait à travers les enceintes, et un début d'ambiance commençait à se créer alors que les bières défilaient. Quelques joueurs, les plus éméchés, se dandinaient sur la piste, rendus audacieux par l'effet de groupe, et le volume de la musique augmenta alors qu'ils étaient rejoints par de plus en plus de monde. Kuroo et Oikawa étaient toujours à la table de Nekoma, désormais seuls –les autres étant partis danser- et Akaashi, qui se joignait régulièrement à eux. L'ex-passeur de Fukurodani était de bonne humeur ce soir-là, suivant Bokuto des yeux, facilement repérable grâce à sa voix de stentor ; soit en train de traîner Kageyama derrière lui, soit l'appelant désespérément lorsque le passeur essayait de lui échapper. Oikawa laissait échapper de petits rires à tous ses commentaires :
-Le roi se fait véritablement vénérer... ou asservir, je ne sais pas trop.
-Oh, il ne tardera pas à comprendre comment fonctionne Bokuto, le rassura Akaashi.
Au même moment, comme s'il les avait entendus, Bokuto poussa un cri perçant :
-Kageyamaaaaa !
-Le digne successeur du « Akaaaashi », sourit Kuroo.
Le concerné lui adressa un léger clin d'œil, peu soucieux d'être remplacé, et il se retourna pour voir Bokuto qui cherchait apparemment quelqu'un –on devinait aisément qui. Puis Kuroo l'entendit pouffer de rire, et dirigea comme lui son regard vers la piste : Kageyama était en train de slalomer entre les danseurs, jetant des regards inquiets vers son capitaine en se demandant s'il lui avait échappé. Oikawa l'aperçut aussi, et repoussa aussitôt sa chaise : Kuroo comprit que c'était l'ouverture qu'il attendait depuis le début de la soirée.
-Je dois aller aider un cadet en détresse, dit-il avec un sourire joueur.
Il se hâta se rejoindre la piste de danse, non sans adresser à Kuroo un dernier clin d'œil. Celui-ci lui répliqua avec son sourire le plus emblématique, et ne le quitta pas des yeux alors qu'il s'avançait vers Tobio, qui lui tournait le dos ; Oikawa posa sa main sur son épaule, Kageyama sursauta (croyant probablement que Bokuto l'avait retrouvé), et Kuroo vit Oikawa articuler quelques mots ; probablement quelque chose comme « Tu te caches, Tobio-chan ? ». Puis il le prit par la main et le tira vers le centre de la piste, où les autres danseurs les dissimulaient, noyés dans une fumée traversée d'éclats de lumière.
Kuroo sourit pour lui-même en se disant que son colocataire aurait probablement gain de cause ce soir. Peut-être pas jusqu'au bout, mais il pouvait déjà bien entamer les choses, et Kuroo savait qu'il n'hésiterait pas s'il avait une occasion. Akaashi lui lança un drôle de regard –sûrement comprenait-il déjà en grande partie ce qui se passait, il avait toujours eu une très bonne intuition ; mais avant même qu'il ouvre la bouche, Bokuto se laissa tomber sur la chaise désertée par Oikawa. Il était en sueur même sans avoir dansé, à force de bouger partout et de crier, et ses cheveux s'aplatissaient un peu :
-Vous n'avez pas vu Kageyama ?
-Non, désolé, répondit Akaashi.
Il avait menti sans ciller, mais son regard se posa sur Kuroo une fraction de seconde. Puis, le passeur détourna facilement l'attention de Bokuto en lui demandant comment s'étaient passées ses vacances, et le champion se lança dans une longue tirade. Ils finirent par reprendre une conversation à trois, essentiellement tournée vers les espérances pour la saison sportive, et Kuroo décida de les laisser à deux pour aller faire un tour sur la piste de danse, et peut-être retrouver la trace de son colocataire.
Il erra donc entre les corps en mouvement, aperçut Lev se balancer sur place sans savoir quoi faire, et Yamamoto essayer de traîner un Yaku à moitié ivre dans une battle. Les ex-capitaines d'Ubugawa et Shinzen étaient là aussi, en train de se chercher des noises dans un coin, et Daishou dansait avec Mika, sobrement, comme si toutes les musiques étaient propices à un slow. Kuroo lui-même se laissa emporter par l'atmosphère et esquissa quelques pas pour se fondre dans la masse, puis, enfin, il repéra Oikawa et Kageyama.
Ils étaient en train de danser, face à face et très près l'un de l'autre ; sans se toucher, cependant, mais Kuroo ne doutait pas qu'ils en seraient bientôt là. Ils avaient tous les deux bu, cela se voyait à leurs gestes plus libres, moins conscients de leur entourage, concentrés l'un sur l'autre. Tetsuro resta à quelques pas d'eux pour les observer, ressentant le même sentiment qu'à la piscine –mais cette fois, il pouvait les voir. Oikawa était aussi désirable que d'habitude, ses cheveux en mèches rebelles, ses joues colorées par l'alcool et la danse, et sa chemise blanche lui collait au torse en laissant aisément deviner la peau dessous ; ses mouvement étaient sûrs, sensuels, plein de promesses, et auraient fait succomber n'importe qui –et Kuroo dirigea son attention sur Kageyama avant de se laisser troubler par son colocataire.
Il n'avait jamais vu danser Tobio –peut-être une fois en camp d'été, avant le barbecue de fin de séjour, mais c'était loin de pouvoir être appelé une danse. A vrai dire, il n'avait jamais espéré que le passeur puisse se débrouiller sur une piste –il avait l'air trop asocial, ça ne devait pas être son truc du tout ; trop maladroit, trop coincé, trop timide à défaut, plutôt le genre grognon à rester dans un coin et regarder les autres s'amuser. Mais le Kageyama qu'il avait sous les yeux avait désormais dix-huit ans, confiance en lui, de l'alcool dans les veines, et Kuroo resta un moment sans voix devant le rythme qui parcourait son corps, en osmose avec la musique, et les ondulations de ses hanches –où le sourire de prédateur sur le visage d'Oikawa puisait certainement son origine.
Kuroo détourna les yeux –là aussi, il risquait de laisser son regard s'attacher un peu trop au corps de Tobio. C'était sa première soirée depuis qu'il était avec Kei, et il avait eu l'habitude d'en profiter pour séduire, lui aussi ; voler quelques baisers à l'occasion d'un collé-serré langoureux, payer des verres à une proie éventuelle –et même s'il finissait relativement peu par poursuivre les choses chez elle ou dans sa chambre, c'était tout de même un bon moyen de s'amuser.
Il s'éloigna des deux passeurs, peu désireux de rompre leur moment, et se fit repérer par la sœur de Lev, Alisa, qui tendit ses mains vers lui pour l'entraîner ; il dansa un moment avec elle, mais finit par avoir soif et l'abandonna au profit du comptoir. Décidant qu'il avait besoin de quelque chose de plus fort qu'une bière, il demanda un shot de vodka, et venait à peine de finir sa phrase qu'une voix enjouée se fit entendre à côté de lui :
-La même chose !
Il se retourna pour voir un jeune homme blond, aux grands yeux sombres, qui lui adressa un sourire amusé :
-Salut, Kuroo.
-Ah, Miya numéro un, sourit Kuroo en retour. Où est le deuxième ?
-Quelque part là-bas, répondit Atsumu avec un geste vague vers la piste.
Tetsuro connaissait ce joueur depuis le lycée, des Nationales lors de son année de terminale ; tous les deux s'étaient fait battre par Karasuno. Ils étaient ensuite tombés l'un contre l'autre au tournoi universitaire de juin, avec une victoire de l'équipe d'Oikawa et Kuroo ; mais comme leurs facs étaient assez proches, c'était aussi l'équipe de prédilection pour les matchs d'entraînement. Les deux joueurs avaient donc souvent eu l'occasion de discuter, le plus souvent de volley et en particulier sur Karasuno, les Nationales et l'équipe jeune. Kuroo n'avait rien contre Miya Atsumu ; mais parfois, il se sentait un peu mal à l'aise devant ce sourire narquois et ces yeux pétillants.
Ils trinquèrent avant de boire, et Kuroo sentit avec délice le liquide lui brûler la gorge.
-A la nouvelle saison, lança Miya en faisant claquer son verre sur le comptoir. Pour le même objectif depuis le collège, et tous les ans qui ont suivi –les Nationales, y aller, et puis les gagner... Mon équipe est plutôt bonne, cette année. J'ai confiance.
-La mienne aussi, murmura Kuroo. Mais celle de Bokuto a aussi toutes ses chances.
-Oui, j'ai vu ça, marmonna Atsumu. Tobio et lui vont faire un duo plutôt étrange, mais... s'ils se trouvent...
Il haussa les épaules, puis alluma son téléphone. Kuroo l'imita, se décida à envoyer quelques messages à Kei pour savoir comment se passait sa soirée, sans vraiment espérer de réponse ; ce fut avec plaisir qu'il vit qu'il était connecté, et ils discutèrent un moment par message. Tsukishima aussi avait dû boire, vu les fautes qu'il faisait, très inhabituelles –mais était encore assez lucide pour se moquer de Yamaguchi, lequel, d'après ses dires, ne tenait pas du tout l'alcool.
Ils finirent par se souhaiter bonne nuit, et Kuroo reprit conscience du bar et de l'atmosphère qui l'entourait. Miya était parti depuis un moment, et il remarqua avec surprise que le lieu s'était quelque peu désempli –mais il avait été plongé dans ses messages, sirotant cocktail sur cocktail, et n'avait pas vraiment remarqué que l'heure tournait. Il chercha des yeux sa table : Yaku y était de retour avec Alisa et Lev, discutant paisiblement, mais pas de trace de Bokuto ni Akaashi, ni, d'ailleurs, d'Oikawa et Kageyama. Les danseurs formaient encore une foule compacte, ils devaient toujours y être, songea Kuroo ; mais il fut aussitôt détrompé par l'apparition soudaine de Bokuto à côté de lui :
-Hey hey, Kuroo, lança-t-il comme à son habitude, mais le central décela un manque d'entrain étonnant.
-Oya, répondit-il donc, curieux. Qu'est-ce qui se passe ?
Bokuto plongea le nez dans son verre, puis geignit :
-Je voulais présenter Kageyama à Kiryuu (il désigna une table un peu plus loin, où le champion était tranquillement assis), mais ça ne va pas être possible ce soir.
Il afficha une expression enfantine peinée, ses cheveux d'habitude hérissés retombant misérablement.
-Pourquoi, tu ne l'as toujours pas retrouvé ? ricana Kuroo.
-Si, soupira Bokuto en faisant la moue. Mais je n'ose pas le déranger...
Il désigna la piste de danse d'un signe de tête, et Kuroo se retourna sur son tabouret, plissant les yeux pour apercevoir quelque chose dans la foule mouvante. Juste des silhouettes, brièvement illuminées, il n'arriverait pas à retrouver le passeur là-dedans... Puis il comprit. Ce n'était pas la piste de danse qu'il devait regarder, mais un des murs qui l'encadraient, contre lequel Oikawa et Kageyama s'embrassaient langoureusement.
-Ah, dit-il simplement.
Il était temps, songea-t-il sans décoller ses yeux du couple. Oikawa avait probablement plaqué Tobio contre le mur avant de lui fourrer sa langue au fin fond des amygdales. Ils avaient tous les deux l'air de prendre du bon temps, et quelques curieux leur lançaient des regards amusés en passant ; Kuroo ne savait pas depuis quand cela durait, mais en tout cas, c'était bien parti pour continuer encore un bout de temps.
La soirée commençait à s'essouffler, néanmoins, et les joueurs rentraient peu à peu chez eux. Kuroo s'occupait sur son téléphone en attendant qu'Oikawa daigne le rejoindre, ce qu'il fit un bon quart d'heure plus tard, se hissant sur le tabouret à côté de Kuroo en passant ostensiblement sa langue sur ses lèvres.
-Alors ? demandant Kuroo en lui adressant un sourire complice.
-Pas mal, répondit Oikawa avec un regard embrasé. Pas mal du tout.
Il prit le verre de Kuroo, encore à moitié rempli, et le vida d'une traite ; puis, passant sa main dans ses cheveux pour rétablir un semblant de coiffure (Kuroo ne doutait pas que les doigts de Tobio s'y soient glissés pendant le baiser), il demanda :
-Tu veux rentrer ?
-A deux seulement ?
Il n'avait honnêtement aucune idée de la réponse. Vu comme les choses étaient engagées, autant ramener Kageyama à l'appartement, qu'Oikawa et lui puissent terminer leur soirée ; mais d'un autre côté, prendre à trois le métro, eux prêts à se sauter dessus et Kuroo à côté, risquait d'être hautement embarrassant.
-Oui, la conclusion sera pour une autre fois, sourit Oikawa avec un clin d'œil.
Kuroo hocha la tête, soulagé. Il avait envie de poser des questions, mais ne savait pas comment s'y prendre sans être indiscret. Il reprit donc simplement les mêmes mots que quelques semaines plus tôt :
-Alors, vous êtes ensemble ?
-Non, on ne peut pas vraiment dire ça, répondit Oikawa en récupérant sa veste.
-Mais...
-Embrasser ne veut pas dire officialiser, Kuroo-chan, chantonna son colocataire en lui décochant un sourire rayonnant.
-Tout le monde vous a vus.
-Grand bien leur fasse. Tu viens ?
Le central n'insista pas. Il pouvait comprendre qu'Oikawa ne veuille pas prendre de choix tout de suite ; Kageyama ne devait pas être facile à vivre tous les jours, surtout avec leurs antécédents. Mais les gens allaient parler –et peut-être Tobio allait-il aussi se faire des idées de son côté. La soirée s'arrêta tout de même là pour eux, et ils n'en reparlèrent plus.
Kuroo, pourtant, restait dubitatif. Dès le lendemain, en parlant par messages à un Tsukishima à la gueule de bois, il raconta ce qui s'était passé, et Kei sembla tout aussi perplexe :
« J'ai envie de dire qu'il est temps, et ils pourront démarrer une dynastie comme ça. Mais ce sont deux connards donc ça ne va pas durer »
Cela n'avançait pas vraiment Tetsuro, et il mit tout cela de côté la semaine suivante, concentré sur ses études. Il remarqua pourtant bien qu'Oikawa était plus souvent sur son téléphone que d'habitude –mais ça pouvait être pour n'importe quel motif... C'était du moins ce qu'il se disait avant de surprendre plusieurs notifications lorsque son colocataire laissait traîner son portable, qui venaient toutes de « Tobio-chan ».
Ce n'était donc pas qu'une soirée sans suite : il se sentit un peu victorieux à cette idée. En parallèle, lui commençait à se sentir seul sans Tsukishima ; ça ne faisait que deux semaines, mais le temps lui pesait. Ils avaient beau s'appeler tous les soirs et s'envoyer des messages à longueur de journée, ça ne compensait pas la chaleur d'une présence, et l'idée d'un petit voyage à Sendai commençait à faire son chemin dans son esprit. Et du même coup, ça laisserait l'appartement libre à Oikawa.
Il prit donc des billets pour Miyagi sur un coup de tête, le jeudi soir, et travailla tard pour se laisser du temps le week-end. Kei était aux anges de cette surprise, et Kuroo ne l'avait encore jamais vu si heureux –et cela l'émouvait, au fond, c'était une preuve sincère de leur affection l'un pour l'autre. Oikawa le laissa partir avec un petit sourire de connivence –Kuroo avait proposé de prendre un hôtel, mais Tsukishima lui avait simplement dit que son dortoir était assez grand pour deux... Ce qui prévoyait une bonne soirée en perspective. Si le central avait eu quelques doutes lors de leurs derniers moments ensemble, cette première nuit à deux qu'initiait Tsukishima le rassurait immensément.
Il arriva donc le vendredi soir et retrouva Tsukki sur le quai. Il était seul, et Kuroo sourit tranquillement à cette constatation –il avait eu un peu peur que Yamaguchi soit de la partie. Ils purent donc aller au restaurant et profiter de leur soirée paisiblement, et Kuroo ne se privait pas pour dire toutes sortes de choses pour faire rougir Tsukishima –pas encore très osées, mais il espérait qu'ils sautent le pas ce soir.
Ils arrivèrent finalement dans le dortoir de Kei, une pièce plutôt large et confortable pour un étudiant ; Kuroo reluqua aussitôt le lit double, mais Tsukishima ne semblait pas si hâtif d'entamer les choses sérieuses :
-Tu veux regarder un film ?
-Pourquoi pas, se contenta de répondre Kuroo avec son sourire habituel. Lequel ?
Peut-être espérait-il, au moins, quelque chose de romantique à défaut d'être érotique, un film qui lui donnerait l'occasion d'embrasser Tsukishima, de se faire de petits sourires complices...
-Jurassic Park.
Il y avait de l'émerveillement dans ses yeux, et Kuroo pouvait discerner le petit garçon fan de dinosaures derrière le jeune homme à l'apparence maîtrisée. Et, attendri, il ne put qu'accepter.
Tout le long du film, cependant, son téléphone ne cessa de vibrer, et il finit par le mettre en silencieux avant que Kei le lui reproche. Il dut donc patienter deux heures pour que le film s'achève, et lorsque Tsukishima alla aux toilettes après le générique, il put enfin ouvrir ses messages –une file de snaps de Bokuto. C'est vrai, c'était la soirée habituelle du vendredi pour eux à Tokyo; il les ouvrit et les fit défiler. Bokuto et Akaashi, classique du début de soirée ; puis quelques photos de la piste, et de nouveau des selfies, Bokuto au milieu avec ses coéquipiers –Kuroo identifia Kageyama sur la droite, qui ne regardait même pas l'objectif- puis, un peu plus tard et après quelques verres, visiblement, en train de grimacer entre les frères Miya. Un peu plus ivre, encore, à faire des signes de paix avec Komori, puis complètement déchiré, un bras autour du cou de Kageyama et l'autre posé sur les épaules d'Oikawa.
Kuroo s'arrêta sur l'image. Tous les trois avaient l'air de bien s'amuser, et le central espéra que Bokuto ne les ait pas dérangés pendant un de leurs moments privés –mais Oikawa ne semblait pas contrarié, donc il avait bon espoir. C'était le dernier pour l'instant –la soirée était loin d'être finie à Tokyo... et commençait tout juste à Sendai, songea-t-il avec un sourire réjoui lorsque Tsukishima revint dans la pièce. Il s'était changé pour se mettre en pyjama –de fait, un simple jogging gris ; il était torse nu, et Kuroo ne se priva pas de laisser ses yeux courir sur sa peau exposée.
Il l'attira contre lui, puis l'embrassa. D'abord de simples baisers volatiles sur ses lèvres, ses joues, son cou, puis de plus en plus ardents. Il enleva ses lunettes d'une main pour l'embrasser tout à loisir et les déposa délicatement sur la table de chevet, prenant lentement le contrôle de la situation que Tsukishima semblait vouloir lui laisser. Kuroo l'allongea sous lui, puis retira son propre t-shirt avant de se remettre à l'embrasser, mais trouva moins de répondant, et Kei le repoussa doucement d'une main :
-Je... Kuroo, c'est ma... Je n'ai jamais fait ça, lâcha-t-il du bout des lèvres.
Le central se recula, un peu surpris. Lui avait déjà expérimenté depuis longtemps, et ne se privait pas pour enchaîner les conquêtes si les occasions se présentaient ; garçon, fille, dessus, dessous, sentiments ou non, il avait voulu tout découvrir. Kei était plus jeune, c'était un fait... et ce n'était pas vraiment à Karasuno qu'il aurait pu découvrir les plaisirs charnels.
-Laisse-toi faire, lui susurra Kuroo.
Ce n'était pas, à la réflexion, la phrase la plus rassurante, et la suite en découla sûrement. Les baisers reprirent, Tsukishima faisait de son mieux pour le toucher, s'agripper à ses épaules, palper son torse, et Kuroo l'encourageait ; mais dès que sa main s'égara sur l'entrejambe de Kei, toujours couverte par le jogging, il se releva comme électrocuté et manqua d'asséner un coup de tête à Kuroo.
-Attends, haleta-t-il. Désolé... J'intellectualise trop ça, ça me...
Kuroo ne l'avait jamais vu si peu maître de lui-même, les joues rouges et dérobant son regard. Il n'avait vraiment pas l'air à l'aise... Avaient-ils été trop vite ? Il refoula sa frustration et serra Tsukishima sans ses bras, tendrement :
-On arrête là ?
La réponse tarda, mais confirma ses pensées :
-S'il te plaît.
-Pas de souci, répondit-il avec enjouement.
C'est normal, raisonna-t-il ; Tsukishima n'allait pas passer d'adolescent inexpérimenté à dieu du sexe en une première nuit. Il était du genre à trop penser, à se poser trop de questions, et ce n'était rien, ils iraient étape par étape. Ils passèrent la fin de soirée blottis l'un contre l'autre, et Kei sembla retrouver son aise en sachant que les choses n'iraient pas plus loin que quelques baisers.
Le lendemain, ils ne reparlèrent pas de la soirée, et si Tsukishima semblait un peu plus terne que d'habitude, il accepta toutes les marques d'affection que lui donnait Kuroo. Ils passèrent l'après-midi dehors et croisèrent quelques connaissances de Tsukki –un grand passeur au nom que Kuroo ne retint pas, un membre de ce que Kei appela le « mur de fer » et qui avait fait un camp avec lui, et Yachi, leur ancienne manageuse qui parut terrifiée par Tetsuro. Au lieu de rentrer, ils mangèrent de nouveau dehors, puis Kei insista pour aller au cinéma, et Kuroo eut l'impression qu'il cherchait à retarder le moment de rentrer.
Ce pressentiment fut confirmé par la suite. Plus ils se rapprochaient du dortoir de Tsukishima, plus celui-ci semblait se renfermer sur lui-même ; Kuroo avait beau lancer des conversations, jouer avec sa main ou même l'embrasser sur la joue, il réagissait de moins en moins. Et finalement, une fois qu'ils furent tous les deux assis sur le lit, Tetsuro ne put se résoudre à prendre les devants, et demanda simplement :
-Tu veux réessayer, ce soir ?
Tsukishima lui adressa un long regard sans répondre, et Kuroo déduisit aisément la réponse qu'il n'osait pas articuler. Il réfréna un soupir ; si ça avait été quelqu'un d'autre, à qui il aurait été moins attaché, sûrement aurait-il préféré s'en aller. Mais c'était Tsukki, il l'aimait sincèrement, et il ne pouvait pas le forcer –c'était son premier, après tout, les choses viendraient petit à petit... Il ne devait pas être prêt, ça faisait encore peu de temps qu'ils étaient en couple.
Kuroo l'accepta donc, et Kei sembla se détendre instantanément –s'était-il mis à ce point la pression pour ce soir ? Ils s'enlacèrent simplement, et Tetsuro changea de stratégie, préférant mettre le dialogue en avant –avec Tsukishima, c'était le plus important, la communication, la théorisation des choses.
-Comment ça se fait que tu n'aies jamais eu de copain ? murmura Kuroo, ses lèvres contre les cheveux blonds de Tsukishima, ses doigts caressant mécaniquement son dos.
-J'étais trop occupé, répondit simplement Kei. Avec les études et le volley.
-Le volley, répéta Kuroo avec amusement. Ce n'était donc pas... juste un club ?
-Tais-toi.
Tsukishima ne paraissait pas vexé, mais lui donna un petit coup dans les côtes, ce qui fit simplement rire Kuroo ; il le serra plus fort.
-C'est grâce au volley qu'on s'est rencontrés, reprit-il doucement.
-Oui, mais tu es le seul qui ait retenu mon attention.
-C'est méchant pour Yamaguchi, non ? Je suis sûr que ce gars crève d'amour pour toi.
Tsukishima pouffa de rire :
-Plutôt pour Yachi. Mais ça ne s'est toujours pas concrétisé.
-Que c'est mignon, ricana Kuroo. Si purs et innocents, inconscients des choses de la vie.
-On n'a pas le temps pour ça, quand on va aux Nationales tous les ans, répliqua Tsukishima, et Tetsuro le sentait sourire dans son cou. Hinata n'a sûrement jamais fantasmé sur autre chose que les passes du roi. Et le roi, d'ailleurs... eh bien, il n'y a pas de place dans son cerveau unicellulaire pour autre chose que le volley-ball.
-Mais quel médisant ! s'exclama Kuroo en souriant largement. Tu sais que c'est faux, en plus !
Après tout, Kei aussi avait assisté aux échanges entre Oikawa et Kageyama, et n'avait pas pu passer à côté de tout ce qui se tramait entre eux ; il était trop observateur pour cela. Tsukishima se pressa un peu plus contre Kuroo, et répondit à voix basse, l'air amusé mais déjà somnolent :
-Oui, je le sais. Mais j'aime trop l'embêter avec ça pour le reconnaître.
Ils s'endormirent là-dessus. Kuroo devait reprendre le train le lendemain, assez tôt ; le temps de se réveiller, paresser un peu au lit avant de se lever et de se préparer. Il rassembla enfin ses affaires, et ils se dirigèrent lentement vers la gare.
-La prochaine fois, c'est moi qui viendrai, promit Tsukishima.
Il n'ajouta rien, mais quelque chose dans ses yeux donna à Kuroo l'impression qu'il promettait autre chose : de se rattraper pour la frustration qu'il lui avait infligée deux soirs de suite ? Peut-être, mais rien ne garantissait qu'il serait prêt la fois suivante. Kuroo n'ajouta rien, et se contenta de l'embrasser longuement avant de grimper à bord du train.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro