Chapitre 4
La tension.
L'inquiétude mêlée de concentration.
L'attente où tout le corps est tendu vers un seul objectif.
L'assassin ne répondit pas.
- Surtout, ne fais pas le moindre bruit, chuchota-t-il, aux aguets.
Opale se figea aussitôt, ses pupilles s'élargissant d'un coup. L'homme ne le vit pas, et s'avança au centre de la clairière. Il tourna autour d'une sorte de stèle, dont la pierre offrait des reflets violacés. Des phrases s'étalaient sur la roche, dans une langue inconnue.
- Une tombe ?
- Non.
Héra se retourna vers l'elfe. Elle avait parlé d'une voix atone, ses pupilles prenant une teinte violette. Opale avança lentement, entièrement subjuguée par les lettres.
- Nous devons rentrer au camp, rappela l'assassin.
Il n'aimait pas cet endroit. Cette clairière irréelle, cette lueur, l'expression de l'elfe, tout. Il sentait que la magie se rassemblait à cet endroit, mais il ne parvenait pas à comprendre pourquoi.
- Dépêche-toi ! grogna Héra.
Il tourna le dos à cette stèle, quittant ce lieu inconnu. Il reprit sa marche, esquivant les branches basses, les racines et les troncs. Son pas trouva vite un écho, et il comprit que l'elfe l'avait suivi.
- Qu'est-ce que tu attendais ? râla-t-il.
- C'est étrange ...
L'assassin jeta un regard à Opale, et ce qu'il vit lui fit froid dans le dos. Les pupilles de celle-ci brillaient d'un violet malsain, et son expression semblait figée. Une spirale sombre gagnait en opacité à chaque seconde, comme si de l'encre s'enfonçait dans le bras de l'elfe.
C'est en voyant cette marque qu'Héra comprit.
Il se jeta sur elle, qui l'esquiva sans la moindre peine. L'assassin se retourna, bondissant sur Opale qui s'était ramassée, comme prête à bondir. Il n'avait peut-être plus accès à son pouvoir, mais il savait se battre. C'est ce qu'il fit, enchainant les coups et les parades.
Son adversaire encaissait sans broncher, sans répliquer. Son regard se voilait de seconde en seconde, et Héra se demanda s'il parviendrait à la réveiller à temps.
- Je sais que tu n'es qu'une elfe, mais essaie au moins de lutter !
Il lui asséna un coup de poing en pleine mâchoire, et la femme tomba à terre. L'assassin s'apprêtait à poursuivre, mais quelque chose l'en dissuada. La marque était en train de disparaître.
Héra s'accroupit à côté d'Opale, qui tenait son nez en sang. Elle le regarda, les yeux hurlant de souffrance, et l'homme se surpris à se délecter du spectacle. Il se reprit, et se releva, lui tournant le dos.
L'elfe marcha quelques pas puis s'agenouilla près de la rivière. Elle nettoya le sang. L'assassin regardait cette frêle créature, sur laquelle un Rêveur avait pourtant jeté son dévolu. Pourquoi ? Pourquoi était-elle si différente ?
- Je ne sais pas si on te la déjà dit, mais ça fait mal, gémit la nouvelle en se relevant.
Héra poussa un soupir méprisant, puis tourna les talons et reprit son expédition. Opale le rejoignit en courant.
- Oh, explique-toi ! s'exclama-t-elle, estomaquée.
- Ce serait un plaisir, rétorqua Héra, mais j'ai d'autres choses à faire. Rejoindre le camp, par exemple.
Opale resta coite, ne s'attendant sûrement pas à une telle réaction. Elle demeura immobile quelques secondes, puis se mit à poursuivre Héra en grommelant, furieuse.
Les heures passèrent, silencieuses et identiques. La nature semblait ne pas avoir de fin, et la rivière paraissait éternelle. Le bruit de l'eau était étourdissant, et l'obscurité croissante, particulièrement inquiétante. Mais peu à peu, la végétation s'éclaircit, la lumière revint, et les deux Autres sortirent du bois.
Héra eut l'impression fugace de changer de monde, puis il n'y porta plus attention et avança à grands pas sur la Frontière.
- Quel est cet endroit ?
L'assassin sourit intérieurement : il était certain qu'Opale poserait des questions, elle était si prévisible.
- Tu te rappelles de ce que j'ai dit, au sujet des Terres anciens et de l'Est ?
Il n'attendit pas de réponse, et poursuivit en désignant la bande de terre.
- Il y a un entre-deux, où la nature n'a pas repoussée. C'est cela.
L'assassin laissa son regard planer sur la Frontière. Les rochers jaunes s'étalaient à l'horizon, sans limites. Le Soleil couchant était caché par la cime des arbres, pourtant, les cailloux semblaient briller d'or.
Il secoua la tête, et franchit la centaine de brasses qui constituaient cet entre-deux. L'homme s'arrêta face aux arbres roux, regardant la végétation obscure de l'Est. Il tendit la main, la déposant sur une barrière indétectable ; il la sentait, sans la voir ou la toucher.
Opale avança à côté de lui, le regarda un instant. Elle ne comprenait rien à l'importance que chaque Autre devait porter à la Barrière, à ce mur invisible qui empêchait les Anciennes de tous les tuer. Son regard bleu ne voyait que les arbres, à seulement quelques brasses, et la promesse d'un toit.
- Allons-y, soupira l'assassin face à l'aveuglement de l'elfe.
Ils franchirent la Barrière, et furent tous deux désarçonnés par le hurlement suraigu. L'alarme sonnait plus fort que jamais, comme si plusieurs entrées successives avaient lieu.
Héra fronça les sourcils : de toute évidence, il y avait un problème. Les Autres n'avaient aucun intérêt à sortir de l'enceinte, ce qui voulait dire que ...
- Les elfes ont trouvé le camp !
Il lança un regard incendier à la femme. C'était de sa faute ! Si elle n'avait pas hurlé, jamais le drone ne les aurait repérés, et jamais le camp n'aurait été découvert !
Héra se força à retenir les pulsions meurtrières qui voilaient ses yeux de rouge, et avança prudemment entre les arbres. Opale le suivit, mais ses pas n'étaient pas habitués à la forêt : elle faisait du bruit, que ce soit en marchant sur une branche ou l'une des nombreuses feuilles mortes qu'engendrait le Temps Roux.
C'est en dépassant la première maison qu'ils entendirent les rouages, d'abord menus, puis de plus en plus forts, à mesure qu'ils se rapprochait du coeur du camp. Des bruits métalliques, des déflagrations, des cliquetis, des vrombissements ... Rien qui n'avait sa place ici.
Au moins, la masse qui m'accompagne ne nous fera pas repérer.
Les yeux d'Héra s'arrondirent de surprise, alors qu'il découvrait enfin la source de ces sons.
La place principale était remplie d'elfes. Certains, au sol, portaient simplement une armure et un canon de lydium ; leurs corps tous entiers étaient ceints dans une peau de métal argentée, sans la moindre aspérité. Les visages en étaient également couverts, faisant des elfes des statues anonymes et vivantes. Quelques êtres atterrissaient au sol, d'autres inspectaient les lieux, armés jusqu'aux dents. Un horrible craquement résonna soudain, et une épouvante incontrôlable anima l'assassin en voyant l'arbre portail le plus important du village s'effondrer.
Ils utilisent les empreintes de pas ...
Fermant les yeux, Héra découvrit avec hargne que seuls deux passages étaient encore debout. Ils devaient s'y rendre au plus vite, avant d'être repérés !
L'homme recula précipitamment, et un elfe se tourna dans leur direction. Un écran de lumière bleue dansait devant son visage, représentant ce qu'il voyait : une végétation épaisse, et deux formes rouges et mouvantes !
Le soldat courut vers eux, les mettant en joue dans le même temps. Dans la tête de l'assassin, c'était la tempête. Il allait mourir ainsi, son pouvoir inutilisable, à cause d'une elfe ?
L'impulsion de lydium claqua dans l'air, et le temps parut se figer. La balle sortit du canon de l'arme au ralenti, suivit d'un nuage de fumée. Elle traversa l'air, prête à abattre sa cible ...
Une onde de choc brutale propulsa Héra sur le côté, quelques instants avant que la balle ne l'atteigne. Celle-ci alla se perdre dans la végétation, alors que l'assassin se relavait. Une sorte de flou le séparait des elfes, et il comprit bien vite qui en était l'origine.
Opale saisit sa main, qui paraissait brûlée, puis croisa le regard ébène de l'Autre. La terreur la plus pure y brillait, aussi forte que lors de son premier réveil.
- Bouge ! hurla Héra en bondissant vers les arbres.
Il slaloma entre les troncs, sauta au-dessus des bosquets, sans s'arrêter de courir. Plusieurs sons de pas résonnaient derrière lui, ponctués d'impulsion de lydium. À chaque détonation, une onde de choc semblait parcourir l'air, et Opale poussait un cri de douleur.
Enfin, il déboucha face à l'arbre portail. C'était le dernier, il le savait.
Héra activa son pouvoir, ouvrant aussitôt le tourbillon. Opale l'imita, et bientôt, le froid de la nuit et l'odeur de la forêt disparurent.
Ils laissèrent place à un silence de mort, et une atmosphère étouffante.
Le refuge.
L'immense voute souterraine était silencieuse, les Autres devaient être cloitrés dans leurs tentes respectives. Même si les capteurs elfiques ne pouvaient pas traverser une aussi importante couche de terre, Dagrielle pensait qu'il ne fallait pas sous-estimer les elfes et leur technologie, toujours plus performante.
L'assassin s'assit contre la terre, respirant avec difficultés. Cette course effrénée l'avait épuisé, et utiliser son pouvoir lu avait dévoré ses dernières forces.
Quant à Opale, elle tremblait de peur, en tenant son poignet brûlé. Ses yeux regardaient tout autour d'elle, sans doute par peur du danger.
- Nous sommes en sécurité ici.
La femme se tourna vers lui, quelque peu rassurée. Elle faisait peine à voir, sa lèvre supérieure fendue, couverte de sang séché. Sa robe, pourtant de conception elfique, était sale et déchirée. Tout son corps tremblait, encore sous le choc de cette poursuite.
- C'est la guerre, murmura Héra. À quoi t'attendais-tu ? C'est de ta faute, ce qui nous est arrivé.
La femme baissa la tête, sans doute avait-elle déjà compris son erreur gravissime. Mais cela importait peu à Héra. Il avait besoin de se défouler, et cette elfe ferait parfaitement l'affaire.
- Oui, c'est ta faute. Tu es délibérément restée là-haut, tu as alerté le drone, j'ai épuisé mon pouvoir pour te sauver, tu as été incapable de résister à l'assaut d'un Rêveur, et maintenant, nous sommes tous condamnés à vivre sous terre. Ils ont détruit les arbres portails, le seul moyen de sortir d'ici. J'espère que tu es fière de toi.
Opale le regarda un instant, mais aucune tristesse ne dansait dans ses yeux.
- Bien sûr que non.
- Et tu crois que c'est en restant là que tu vas te faire pardonner ? Le feu est toujours allumé, sans doute sont-ils en train de couper l'arbre. Tu devrais avoir le temps de rejoindre tes amis.
- Personne n'ira nulle part.
Les deux Autres se retournèrent vers la source de la voix, surpris.
Lethos, l'homme de main de Dagrielle.
Il les regarda un à un, ses yeux menthe semblant lire en eux comme dans un livre ouvert. Cela énerva immédiatement Héra, et il se releva, par fierté. Tout son corps le suppliait de s'effondrer quelque part, n'importe où, mais il ne pouvait pas accorder cette victoire à ce fanatique.
- Nous attendions vôtre retour, Dagrielle souhaite vous parler.
- Je te laisse ma remplaçante, j'ai autre chose à faire que perdre mon temps, cracha Héra en tournant les talons.
Une pointe de dague se posa sur sa nuque, suivit d'un souffle menaçant.
- C'est un ordre direct de la Flamme.
- Et cela signifie que nous devons obéir comme des petits tullois bien dressés ?
L'assassin poussa un soupir méprisant et reprit sa marche. Lethos ne le poursuivit pas, sachant que le combat était perdu d'avance. Même mort, Héra refuserait de se soumettre à une quelconque autorité ou raison.
Lethos se tourna vers Opale, restée à côté du feu agonisant. Celle-ci le suivit sans aucune discussion, comprenant sans doute qu'elle n'avait pas le choix.
Ils traversèrent le dédale de tentes, nimbés par la lueur des torches. Finalement, Lethos s'arrêta devant une tente rouge, et s'agenouilla religieusement.
- Entre, murmura-t-il. Elle t'attend.
La nouvelle regarda l'Autre fanatique avec stupeur, puis franchit le seuil.
*
Le tissu de la tente se rabattit après le passage d'Opale, l'isolant du monde souterrain du Refuge. Elle s'arrêta sur le seuil, la toile rêche glissant dans le dos.
Les quelques brasses de terre n'avaient rien d'une tente de chef. Les seuls meubles étaient un lit de camps et une table, sans rien de plus. L'Autre avança timidement, et chercha du regard Dagrielle. Mais la Flamme n'était pas dans cet endroit.
La femme allait faire demi-tour pour prévenir Lethos, mais quelque chose retint son attention. Elle s'approcha de la table centrale, et posa les mains à plats sur le bois. Elle les releva immédiatement, grimaçante : ses brûlures l'élançaient encore. Opale détourna le regarde de ses paumes et fixa quelques secondes l'imposant ouvrage aux pages jaunies, couvert d'une écriture presque illisible, qui siégeait sur le bois. Une plume et un encrier prenaient place à quelques centimètres ; Dagrielle était probablement en train d'y écrire.
Elle fronça les sourcils, avant de lever sa main vers son front. Ses doigts glissèrent derrière son oreille gauche, et aussitôt, un voile bleu sembla couvrir les yeux d'Opale. Un sourire triomphant illumina son visage, et ses yeux brillèrent d'intérêt. Elle se pencha sur les lignes noires, déjà concentrée par sa lecture.
« Dix-huitième jour, troisième cycle lunaire, Temps Roux. »
Opale parcourut rapidement les tracés fins et précis, déchiffrant rapidement les récoltes et leur distribution parmi les Autres. Elle lut aussi les divers renseignements sur les Terres fertiles, avant que ses yeux ne fixent un point précis du texte.
« Morts et disparitions. »
« Prile est morte ce matin, son infection n'a pas pu être soignée à temps. Elle a rejoint Sanje. »
« Aliria n'a pas survécu à la fièvre. Elle a rejoint Sanje. »
« Ymo »
« Eryfe »
« Kere »
Les noms s'enchainèrent sous les yeux horrifiés d'Opale. Elle compta huit décès. Survenus le jour même !
La femme secoua la tête, refusant d'en savoir plus.
D'une main tremblante, elle ferma l'ouvrage, puis souleva la couverture. Comme elle le pensait, une note était inscrite sur la première page.
« Livre 7. Entrée du quatorzième centenaire. Que Sanje soit des nôtres et nous aide à achever ce livre. »
« Dagrielle, dernière Rêveuse, Flamme du Peuple, Mémoire des Autres »
Opale tourna les pages décrépies, comme si elle faisait un bond dans le temps. Après des minutes qui lui parurent infinies, elle s'arrêta à une date : septième jour, troisième cycle lunaire, Temps Roux de la deuxième année. Opale déglutit, et replongea dans l'histoire des Autres.
« Évènements remarquables »
« Au zénith de ce jour, l'alarme a résonné dans le camp. Le Peuple s'est mis à l'abri avec rapidité et efficacité. Après plusieurs heures d'attente, Lethos et Héra m'ont accompagnée en surface afin de sécuriser les lieux. Héra a vu une source magique, à plusieurs milliers de brasses d'ici. Nous sommes partis retrouver cet étrange signal. Après une heure de marche, nous avons débouché sur une immense clairière : au centre se tenait un obélisque de métal, immobile. Héra a confirmé que la source était à l'intérieur. Je me suis avancée, protégée par la magie de nôtre assassin (voir l'ouvrage Epsilon).
« L'étrange monument est resté immobile, et j'ai fini par poser ma paume sur sa surface. Dès cet instant, les trois murs se sont séparés, libérant plusieurs litres d'eau et la source du signal. J'ai vu à ses yeux entrouverts son appartenance à notre peuple. Le liquide qui la maintenait debout s'étant échappée, et elle s'est effondrée au sol. Je ne sais pas pourquoi, mais je l'ai rattrapée à temps.
« Il n'y a aucun doute possible : il s'agit d'une envoyée des elfes, ce qui est puni de mort. Néanmoins, cette femme est un membre de notre peuple. Le dilemme est difficile, et Héra la maintient dans un sommeil artificiel, le temps d'analyser la situation.
« Je sais que cette décision pourrait sonner notre Glas, mais je ne savais que faire. Je prie pour que Sanje ait guidé ma main. »
Opale s'arrêta, choquée. Cette femme, elle le savait, c'était elle-même. Elle revint au jour actuel, et posa ses yeux sur les évènements remarquables.
« Onze jours après l'arrivée de cette femme chez nous, heure pour heure, l'alarme a de nouveau sonné. Nous nous sommes mis à l'abri, mais deux Autres manquaient à l'appel : Héra et cette nouvelle, répondant au nom d'Opale. Les témoignages de Diane et de Bel m'ont appris que notre assassin était remonté pour la chercher ; quant à Opale, elle est restée en haut. Il était impensable de sacrifier un nouvel Autre : j'ai pris la décision d'attendre, que Sanje me pardonne d'avoir abandonné ses enfants. »
La femme passa quelques lignes, puis se replongea dans la lecture.
« Le Peuple s'est vite réadapté au Refuge. Néanmoins, l'arrêt imprévu du feu principal a déclenché une vague de terreur. La panique a gagné le peuple, et il a fallu instaurer une interdiction de sortir des tentes afin d'éviter l'émeute. L'un après l'autre, les portails ont été scellés. Il n'en reste qu'un. J'espère que »
La phrase s'arrêtait ainsi.
Nous sommes arrivés à ce moment-là.
Brusquement, Opale recula, la main sur son épaule devenue brûlante. Elle cligna des yeux plusieurs fois, et autour de ses pupilles apparurent deux cercles violets. Sous sa main, une arabesque rubis gagnait du terrain, s'étalant vers son dos. Mais l'elfe ne la voyait pas.
Opale ne comprenait pas ce qui lui arrivait, elle sentait que qu'une personne arrivait. Elle le pressentait dans chaque fibre de son corps, dans chaque frisson, dans chaque battement de coeur.
Quelqu'un sembla guider sa main, alors qu'elle replaçait chaque élément à sa place, avant de s'asseoir au sol et de faire mine d'y être depuis longtemps. Elle se mordit la lèvre, sa main plaquée sur son épaule écarlate. Jamais elle n'avait agi de manière si instinctive, à part lorsque ...
Le tissu rouge glissa sur le côté, dévoilant une silhouette haute et maigre. L'individu avança, puis laissa le drap retomber dans son dos. Opale cligna des yeux, intriguée. Devant elle se tenait Dagrielle, chef des Autres, et donc d'elle-même.
La Flamme fronça les sourcils, méfiante face à l'elfe assise au sol. Elle observa rapidement le manuscrit, ainsi que sa tente ; apparemment, la nouvelle n'avait touché à rien. Dagrielle s'avança vers un pan de tissus, et le tira. Elle saisit un assemblage de planches, puis relâcha le tissu. La Flamme se retourna face à Opale, qui s'était levée ; elle regardait avec un peu trop d'insistance la « cachette ».
La chef des Autres déplia les morceaux de bois, assemblant une chaise. Elle fit signe à Opale de s'asseoir, avant de se placer sur son lit militaire.
- J'aurais aimé te rencontrer dans d'autres circonstances, commença la Flamme. Je suis ...
- Dagrielle.
Celle-ci fronça davantage les sourcils. Une fois éveillée et en pleine possession de ses moyens, cette elfe semblait bien plus mystérieuse, et surtout menaçante. La Rêveuse réfléchit : il était encore temps de l'enfermer avec ceux de son espèce ... Puis elle chassa cette idée de de sa tête. Elle l'avait elle-même expliqué à Héra : cette femme était une Autre, peu importe son camp. La Flamme avait juré devant Sanje de ne jamais faire de mal à une semblable.
Dagrielle fit un sourire doux, elle avait la sensation de porter Liyol à la force de sa mâchoire.
- Exactement. Mais Sanje en a décidé autrement, apparemment. J'ai besoin que ... tu m'expliques ... ce qui ... s'est ... passé ?
Face à elle, Opale avait les yeux exorbités, et regardait fixement l'épaule de Dagrielle. Ses pupilles suivaient une sorte de trajectoire, et la Flamme ne comprit pas immédiatement. Elle était stupéfiée, face à l'insolence de cette elfe, et surtout, face à son air ahuri.
La lumière se fit dans l'esprit de la femme. Elle se rappela aussitôt de ce qui faisait d'elle une Rêveuse : sa marque, ou plutôt celle de son Dieu. C'était une arabesque constamment mouvante qui se déplaçait aléatoirement sur son corps, tel un tatouage vivant.
Puis elle se rappela de sa voix, et compris l'effroi d'Opale. Dagrielle soupira, elle savait à quel point l'écouter parler pouvait s'avérer perturbant : sa voix était celle de dizaines d'Autres, mêlée à celle de son corps actuel. Il s'agissait du fardeau des morts qu'elle avait laissé dans son sillage, le prix de sa vie éternelle.
- Ne te préoccupes pas de ça. Je ne fixe pas avec horreur tes yeux, si ?
Opale acquiesça, mais son regard demeurait sur son bras.
- Je n'ai pas de temps à perdre. Explique-toi, sans rien omettre. Pourquoi les elfes t'ont-ils envoyée ?
- Encore un interrogatoire ?
Cette phrase avait été prononcée avec méfiance... avec peur. Cette attitude déplut davantage à Dagrielle, et elle eut du mal à ne pas reprendre à l'ordre cette Autre.
- Répond simplement.
Un soupir triste s'échappa des lèvres d'Opale, puis elle détourna le regard. Ses yeux se perdirent dans le vague.
- C'est curieux, mais je crois qu'ils ont tenté de m'aider. Pourtant, j'ai encore une fois tout détruit, sans même le vouloir.
Dagrielle se figea sur son lit. Après des siècles d'existence, elle avait appris à extraire le sens de chaque formulation, à amener son attention sur les détails d'une simple phrase, à entendre entre les mots.
Encore.
Détruire.
Incontrôlable.
Cette impression pernicieuse, cette sensation inconnue, ce pressentiment dérangeant. Tout ce qu'elle éprouvait face à cette elfe, tout trouvait enfin un sens.
Cette femme était une menace sans même le savoir.
Cette elfe était une lame aiguisée qui ne cherchait qu'une cible.
Et Dagrielle savait exactement comment la diriger vers son ennemi.
Fiction © Manda
Univers et personnages de Sphérianne © Manda
___________________________________________
Hey !
Dernier chapitre avant les vacances, j'espère qu'il vous a plu :3
D'ailleurs, en parlant de ça ... Je pense poster une ou deux fois durant ces vacances. La raison est assez simple : Sphérianne participe à des concours, et j'ai à peine le nombre suffisant de chap pour participer ;) Donc j'espère qu'ils vous plairont aussi !
Oubliez pas de voter et de commenter, ça illumine mes journées *-*
Bonnes vacances, et à très bientôt !
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro