Chapitre 3
La stupeur.
La terreur qui saisit le coeur en un instant.
L'impression d'être soudain vulnérable et minuscule face à des forces éternelles.
Bel se figea, alors que le hurlement montait dans les aigus. Opale s'était tue, les pupilles dilatées, regardant vers la cime lointaine des arbres. Les oiseaux s'envolèrent bruyamment, et l'adolescente se ressaisit.
- C'est l'alarme ! hurla-t-elle pour couvrir le son strident.
- Quelle alarme ?!
Bel ne répondit pas, et empoigna fermement le poignet d'Opale. La surprise était passée, elle devait se ressaisir. Elle courut le plus vite possible, talonnée par la nouvelle. L'angoisse montait en elle comme une vague : ce n'était pas la première fois qu'elle était seule lors d'une alerte, mais aujourd'hui, elle était responsable d'une autre vie que la sienne.
L'adolescente s'arrêta finalement devant un immense tronc, et chercha l'inscription. Elle trouva le sigle rouge, gravé dans l'écorce, et souffla de soulagement. Si elle s'était trompée ...
Elle secoua la tête. Ne pas réfléchir. Ne pas douter. Elle n'en avait pas le temps.
La main de Bel se détacha de son poignet et vint appuyer contre le dessin. Aussitôt, l'écorce de l'arbre se fissura. L'adolescente recula, scrutant avec angoisse l'ouverture du portail.
Les morceaux de bois tombèrent un à un au sol, et découvrirent un point sombre. Il grossissait de seconde en seconde, dévorant le tronc, attirant à lui les morceaux d'écorce chutés au sol. Finalement, une lueur apparut au coeur du tourbillon, et Bel se jeta à l'intérieur. Dans son saut, elle se rappela brutalement du plus important : mais son corps était déjà aspiré par le portail.
Bel disparut, laissant derrière elle Opale, désemparée, terrifiée et vulnérable.
*
L'adolescente roula au sol, et se releva d'un bond.
- Opale ! cria-t-elle en se retournant brusquement.
Mais c'était trop tard. Elle était passée de l'autre côté, et la nouvelle ne pouvait pas rouvrir le portail. Une boule se forma dans la gorge de Bel, et sa bêtise manqua de lui voler des larmes.
Elle releva la tête, connaissant déjà son emplacement. Une rumeur montait au fur et à mesure que les Autres apparaissaient dans l'interminable grotte. Bel regarda l'immense voute, haute de plusieurs dizaines de mètres ; les lueurs qui naissaient de nulle part et qui nimbaient l'espace dans une lumière dorée ; les centaines d'Autres qui apparaissaient çà et là ; les tentes dans lesquels s'engouffraient le Peuple, parfaitement formé pour ce genre de situation.
La gorge de Bel se noua à nouveau. Opale était condamnée. L'alarme ne se déclenchait que pour une chose : l'arrivée des elfes dans le territoire. Alors, le peuple descendait à plusieurs centaines de mètres sous terre, pour que les capteurs ennemis ne puissent les détecter.
Ils vont la trouver et la tuer.
L'adolescente regarda ce membre translucide, le cadeau de cette femme qu'elle ne connaissait que depuis quelques minutes. Sans le savoir, Opale avait changé sa vie ; et Bel l'avait abandonnée.
- Bel !!!
La concernée se retourna brutalement, un fol espoir naissant en elle. Peut-être la nouvelle avait-elle compris qu'il suffisait d'activer son pouvoir pour ouvrir le portail ? Peut-être qu'un Autre l'avait amenée avec lui ? Peut-être que sa magie si particulière lui permettait de se téléporter ?
Le coeur battant d'espoir, Bel se retourna. Le beau visage de Diane, rongé par l'angoisse, lui apparut. Sa soeur adoptive lui attrapa les épaules, fébrile.
- Mais enfin, où étais-tu ? Pourquoi être partie ainsi ? Je me suis fait un sang d'encre !
Bel ne répondit pas, trop occupée à réprimer les sanglots qui lui nouaient la gorge. Qu'allait-elle pouvoir dire ? Dagrielle lui avait ordonné de faire visiter le camp à la nouvelle ; au lieu de ça, elle l'avait abandonnée à la surface, sans défense face aux elfes. Elle se sentait si ... pathétique !
- Bel ... pourquoi tu pleures ?
L'adolescente essuya rageusement ses larmes, et se dégagea de la prise de Diane. Elle lui tourna le dos, et murmura :
- J'avais une mission, Diane. Je devais lui faire découvrir notre ville. Mais l'alarme a retentit, j'étais paniquée ... Elle est restée là-haut ...
*
L'hybride posa sa main végétale sur l'épaule de sa sur adoptive. Elle comprenait la tristesse de Bel : celle-ci ne souhaitait qu'une chose, briller aux yeux de Dagrielle. Mais l'adolescente se sentait incapable, et chaque erreur la plongeait dans un profond désespoir.
Au fond d'elle, Diane ne partageait pas cette tristesse : elle savait que c'était une envoyée des elfes, et qu'elle n'était certainement pas de leur camp. Même si l'hybride avait commencé à accepter cette elfe, la savoir en danger ne lui importait guère. Ce n'était bien sûr pas le cas de Bel, qui croyait accueillir une nouvelle ...
La pensée traversa l'esprit de Diane, et elle fit face à l'adolescente, soudain fébrile.
- Tu lui as dit quoi, à cette fille ?
- Opale.
- Oui, oui. Tu lui as dit quoi sur le camp ?!
Sa dernière phrase avait des accents de terreur, mais Diane ne pouvait pas retenir son angoisse.
- Comment on obtenait des matières premières, et notre règle d'Or.
- Tu ne lui as rien dit au sujet du fonctionnement du camp ?
- Non, mais pour ...
- Est-ce qu'elle t'a vu ouvrir le portail ?
- Oui, bien sûr ! Mais je ne pense pas qu'elle parviendra à le refaire, sinon, elle serait là ...
Diane lâcha Bel, et poussa un soupir vibrant de peur. Jamais, au grand jamais, elle n'aurait dû cacher la vérité à sa soeur adoptive. Désormais, cette espionne avait les clefs de leur cachette. Elle n'avait plus qu'à être détectée par les elfes, et cette grotte serait mise à feu et à sang.
L'hybride regarda tout autour delle, perdue. Plus rien n'existait, à part ces vies. Toutes ces vies, à sauver ! Mais comment faire ? Les minutes étaient comptées, elle n'avait aucun moyen de prévenir Dagrielle, et même si elle le faisait, ils ne pourraient pas évacuer, puisque les elfes les attendraient à la sortie.
Son regard ébène tomba sur une ribambelle d'enfants, qui jouaient dans ce refuge devenu familier ; elle aperçut un vieil homme aidant un mutilé de guerre. Ses yeux se posèrent sur une femme enceinte, puis sur un homme courbé, s'appuyant sur sa canne.
Le peuple des Autres n'était plus composé de combattants. La guerre avait fait main basse sur la jeunesse, ne laissant que des traumatisés, des orphelins et des veufs. Si les elfes les débusquaient, ce serait la fin.
Un vertige prit Diane, et elle dû s'appuyer contre un pilier de tente pour ne pas tomber. Leur équilibre, détruit ? Leur nouvelle vie, brisée ? Leur peuple, anéanti ? À cause d'une erreur de Bel ?
C'était impossible, elle allait forcément se réveiller.
- Eh, Diane, ça ... ça va ?
La trentenaire regarda lentement Bel, la vision de l'enfant se superposait avec celle d'un cadavre aux cheveux bruns et aux yeux d'ambre.
Ce n'était pas la faute de l'adolescente.
C'était la sienne.
Elle aurait dû tuer cette espionne quand elle en avait l'occasion.
Désormais, une épée de Damoclès pesait sur ce peuple insouciant, et Diane était la seule à en avoir conscience.
- Je dois aller la chercher.
La solution venait de s'imposer d'elle-même, traversant les lèvres de l'hybride avant même qu'elle n'en comprenne le sens.
Les yeux d'ambre de Bel s'écarquillèrent de terreur, et elle attrapa le bras de sa soeur.
- Ça va pas ?! s'exclama-t-elle.
- Bel ...
L'adolescente ne pouvait pas réaliser le danger que représentait Opale, sans doute croyait-elle à un acte de bravoure de la part de la trentenaire. Mais celle-ci ne cherchait pas la reconnaissance, simplement la survie : peut-être parviendrait-elle à la ramener sous terre à temps, avant qu'Opale ne dévoile leur position ?
Diane se dégagea, et s'avança à grands pas entre les tentes de toiles. Elle s'arrêta face à un immense feu bleu, dégageant une fumée verdâtre. L'un des neuf portails.
- Non ! Diane, je t'en prie, n'y va pas ! s'exclama Bel, terrorisée.
L'adolescente avait déjà perdu Opale. Elle ne pouvait pas perdre sa seule famille !
- Diane n'ira nulle part.
Les deux femmes se retournèrent face au nouveau venu, surprises.
- C'est moi qui tuerait cette elfe.
Héra s'approcha du feu, et poussa sans ménagement Diane.
- Attendez ! Héra, de quelle elfe tu parles ?
Bel regardait successivement sa soeur, le regard baissé, et Héra, un sourire mauvais sur les lèvres.
- Si ça ne concernait pas ma future proie, je te dirais de ne pas t'en soucier ; mais il semblerait que tu aies des choses à apprendre sur l'identité de cette femme ...
- Héra, non !
L'hybride s'interposa entre l'adolescente et l'assassin, le regard à la fois sévère et terrifié.
- Tais-toi, intima-t-elle.
L'homme éclata de rire, un rire froid et calculé, dénué de joie. Il pencha la tête pour croiser le regard de Bel.
- La nouvelle est une esp ...
La gifle résonna sur les parois de la grotte, alertant les Autres alentours.
- La ferme ! éructa Diane. Bel, va à la tente. C'est un ordre.
- Ne me donne pas ...
- C'est trop demandé que quelqu'un m'écoute ?! Vous tous, retournez aux places qui vous ont été attribuées ! Héra, nous allons nous expliquer.
Le sourire de l'Assassin grandit, et il tendit la main vers les flammes.
- Désolée ma chère, j'ai rendez-vous ...
Des exclamations de stupeur résonnèrent dans la grotte, mais l'homme avait déjà disparu.
*
Le campement était désert.
Les divers objets avaient été laissé çà et là, abandonné par les Autres pressés de rejoindre le refuge souterrain.
Il n'y avait pas le moindre bruit, le silence en était étourdissant.
Soudain, un craquement retentit entre les maisons de bois. Il s'intensifia, suivit de plusieurs sons similaires.
- Saleté ...
La source du bruit tira de toutes ses forces pour échapper de l'écorce, déclenchant une nouvelle série de sons. Les derniers morceaux de bois chutèrent au sol, et il parvint à s'extraire de l'arbre passeur.
Héra passa une main dans ses courts cheveux bleutés, avant d'essuyer la poussière qui le recouvrait. Il n'avait pas maintenu son pouvoir suffisamment longtemps, et avait failli rester bloqué dans le portail.
L'Autre s'étira, savourant ce silence de mort. C'était ce pour quoi il était fait : le calme, et la solitude. Ce camp était peut-être son garde-manger, mais c'était aussi une cellule qui gardait sa véritable nature prisonnière. Parfois, il espérait que les elfes les dénicheraient, et termineraient leur oeuvre de destruction. Si cela arrivait, il pourrait s'enfuir sans soucis, et enfin vivre sans lois ni réprimandes. Un sourire froid s'étira sur ses lèvres en imaginant les centaines de morts, sans considération pour leur camp.
Brutalement, un bruit mat le tira de ses agréables réflexions, et il se rappela de sa situation. Si les elfes les trouvaient, il serait le premier à mourir, dans ces conditions.
Ses yeux se fermèrent, durant d'interminables secondes. Il rouvrit les paupières, ses iris devenues grises, le regard ancré sur sa cible. Elle était pour l'instant invisible, mais il savait où elle se trouvait.
L'assassin glissa en silence entre les bosquets, tel un spectre. Chaque fibre de son corps étaient attirées vers une seule chose : l'elfe.
Au fur et à mesure qu'il se rapprochait, un bruit se fit entendre, d'abord ténu, puis régulier et hypnotisant. Ce battement s'ajouta bientôt au vacarme furieux de la première rivière du camp, et, emporté par la litanie, Héra n'eut aucune hésitation à percer le feuillage et à faire face à son ennemie.
Elle était de dos, vulnérable. Le bruit de ses poings en sang, frappant l'écorce d'un arbre portail, se noyait dans le hurlement du fleuve, à quelques mètres. Soudain, l'elfe se retourna, braquant ses pupilles blanches dans les yeux noirs d'Héra.
Ils se dévisagèrent quelques secondes, puis, conscient de risquer sa vie, l'assassin rompit le silence.
- Suis-moi.
- Hors de question !
Le corps de la femme s'était tendu, et ses mains blessées semblaient entourées d'une brume légère. Ses pupilles luisaient doucement, signe que son pouvoir était prêt à intervenir.
Héra ne se laissa pas impressionner par la tentative d'intimidation de cette misérable elfe. Il avança à grands pas jusqu'à ... comment l'avait appelée la gamine, déjà ?
- Opale, ne fais pas l'enfant. Sinon, je serais obligé de te forcer à me suivre.
- Qui t'a donné mon nom ?
Elle parlait fort, trop pour ne pas paraître suspecte.
- Tu veux les alerter ? Très bien, libre à toi, ma chère. Mais sache-le : nous sommes tous les deux en danger, enfin, si tu es bien de notre côté.
- Je suis une Autre ... C'est ce que m'a dit Bel.
Cette phrase décontenança un instant Héra. Non pas qu'il la prenait en pitié, mais la conviction qui brillait dans les yeux de cette vermine ... Elle faisait vraiment mine de croire à ses paroles, comme si une tortionnaire pouvait rejoindre le peuple dont elle était le bourreau !
L'assassin vit rouge ; il saisit rudement le bras d'Opale, déterminé à en finir au plus vite.
- Lâche-moi ! hurla-t-elle.
- Mais ferme-la !
Trop tard.
Le vrombissement qui les caractérisait retentit, audible malgré la rivière. Opale avait cessé de bouger, comprenant peut-être qu'il y avait un problème. Héra en aurait souri si la situation n'était pas si tendue : cette espionne était d'une bêtise indescriptible.
- Bouge pas ... intima l'assassin.
Mais le vrombissement s'accentua, prouvant qu'ils étaient déjà repérés. L'homme chercha à toute vitesse une issue, mais chacune aboutissait à leur capture. Il n'avait le temps de rien.
Le corps métallique perça soudain le feuillage, et soudain, il n'y eut plus de place pour le doute. Sans prévenir, l'assassin se jeta sur Opale, emportant le corps frêle avec son élan. Ils traversèrent les buissons, puis l'eau mordit la peau d'Héra.
Il ne renonça pas, saisissant Opale par la taille. Elle se débattit, alors que tous deux étaient emportés par le courant de la rivière : mais ses mouvements étaient irréguliers, elle s'épuisait et se vidait de son souffle sans parvenir à quoi que ce soit. L'homme posa sa main sur la bouche de l'elfe, l'empêchant de remplir ses poumons d'eau. Le corps cessa de s'agiter, et l'assassin put enfin y voir plus clair.
Ses iris noires s'illuminèrent, et un boyau de vide se créa autour de sa bouche, perçant la surface. Il était à plusieurs mètres sous l'eau, malgré tout, il respirait comme sur la terre ferme.
Héra raffermit sa prise sur le corps maigre d'Opale, avant que l'eau ne s'ouvre devant son nez et ses lèvres. Elle aspira avidement, mais ne se réveillait pas.
Cette fois, tu ne m'auras pas avec ton petit pouvoir ...
L'assassin se laissait porter par le courant, les deux corps esquivant comme par magie chaque rocher. À chaque coup du sort, le regard de l'homme se faisait clair.
*
Ce fut sa fatigue qui signa l'arrêt de leur périple.
Son pouvoir était épuisé, Héra en le savait : s'il continuait ainsi, il se fatiguerait physiquement.
Profitant d'une accalmie dans le courant du fleuve, l'assassin relâcha sa magie, supprimant les tunnels de vide qui leur avaient permis de respirer. Il lâcha l'elfe, qui sembla immédiatement se réveiller ; mais l'assassin se moquait de savoir si elle savait nager ou pas, il lui fallait de l'air.
Sa tête perça la surface brutalement. Il aspira l'air glacial à grandes goulées, battant furieusement des pieds pour ne pas couler, et surtout, ne pas se frigorifier.
Une main squelettique émergea soudain à quelques mètres de lui, et sembla chercher une prise. Comprenant qu'il s'agissait de l'elfe, Héra s'approcha rapidement, mais resta coi devant ce spectacle.
La main sembla trouver appui à quelques centimètres de l'eau. Elle s'agrippa au vide, rejointe par sa jumelle, et, laborieusement, Opale s'arracha des bras glacés de la rivière. Elle s'assit sur cette chose invisible, claquant furieusement des dents, la peau bleuie par le froid.
L'assassin n'hésita pas une seule seconde, et s'approcha de la plaque. Il parvint lui aussi à sortir son corps de l'eau, et s'assit sur ce qui lui semblait un mirage. L'elfe le regardait fixement, sans aucune expression dans ses yeux d'un bleu violacé. Finalement, elle se leva en tremblant de froid, avant de marcher rapidement jusqu'à la berge. Chacun de ses pas martelaient une vitre invisible, comme un pont. L'Autre la suivit sans vraiment comprendre cette prouesse. Une fois au bord, Héra s'assit contre le tronc d'un arbre, soufflant bruyamment. Opale l'imita, et se plaça face à lui, les yeux dans le vague.
Le soleil du midi, en grande partie camouflé par les feuillages épais, parvint pourtant à réchauffer les deux corps gelés. Héra profita de ce repos pour regarder où il avait atterri, et jura face à sa découverte : les terres des ancêtres.
L'assassin comprit qu'il n'avait que quelques heures pour rejoindre la barrière ; en voulant échapper à une mort certaine, il s'était jeté dans un piège mortel.
L'homme se releva, et se mit en marche, remontant le cours d'eau. Il entendit des pas dans son dos, et comprit vite que l'elfe aussi était en état de marcher.
Cet endroit est terriblement dangereux ... Il pourrait lui arriver un « accident » ...
Héra tenta de chasser cette pensée de son esprit : Dagrielle avait été claire avec lui, s'il arrivait quelque chose à la nouvelle, il en serait pris pour responsable et bannit de leurs terres.
Avoue que tu n'as qu'une envie : lui faire subir le même sort qu'à ses semblables ...
L'assassin se stoppa, disputant le pour et le contre de cette idée. Après tout, la Flamme ne pourrait que voir en lui un acte de bravoure, lui qui avait tenté d'exécuter ce qu'elle lui avait indiqué malgré le danger ; et la mort de cette elfe empêcherait le sacrifice ordonné par la chef du Peuple.
Les terres des anciens sont si sauvages que même toi, tu pourrais y laisser la vie.
- Pourquoi t'arrêtes-tu ?
Héra regarda à nouveau Opale, effrayée, déstabilisée, méfiante. Une fois de plus, il était devant sa proie, lui, le prédateur. Mais aujourd'hui, il comptait bien mettre un terme à sa chasse.
Il appela à lui son pouvoir, prêt à ôter la vie à cette petite chose vulnérable. Mais au lieu du foudroyant fendu destiné au coeur d'Opale, il fit mollement retomber sa main le long du corps. Il jura, et se remit en marche.
Son pouvoir était épuisé, et quelques minutes de repos ne pourraient rien y changer. L'elfe marchait à côté de lui, les sourcils froncés. C'était vraiment une sensation horripilante, vouloir faire quelque chose et en être incapable ! La rivière avait emporté son poignard, et contrairement à Opale, il n'avait plus de ressources magiques. S'il l'attaquait, il serait perdant.
- Pourquoi tu as essayé de me noyer ? demanda-t-elle soudain.
Le rire glacial d'Héra résonna dans le silence de la forêt sombre.
- La véritable question, c'est pourquoi je ne t'ai pas laissée te noyer !
Opale fronça davantage les sourcils, mais ne répondit pas. Tant mieux, au moins, elle savait se taire quand il le fallait !
- Où sommes-nous ?
- Dans ton futur tombeau.
L'elfe marqua une pause, visiblement terrifiée.
- Et quel est-il ? murmura-t-elle.
Héra ria à nouveau, décidément, cette espionne ne se posait pas les bonnes questions.
- J'imagine qu'on t'a déjà parlé des terres des anciens ?
Silence.
- Ah non, les elfes appellent ça la Forêt morte. Alors ?
Opale secoua négativement la tête. Soit elle jouait très bien la comédie, soit les elfes avaient choisi la dernière des abruties pour infiltrer le campement.
- Bon, très bien, un petit cours d'histoire s'impose. Avant que je ne me lance dans un monologue insupportablement long et inutile, tu as d'autres choses à savoir ?
- Ce monde. Cette guerre. Tout.
L'assassin inspira longuement. Il était parti en voulant terroriser l'elfe, et il se retrouvait à devoir lui raconter l'histoire de ce monde. Heureusement qu'il avait du temps à passer !
- Bon, disons que Liyol a été créé par deux êtres, deux entités, si tu préfères. Imagine cela comme des Dieux, si ça te parle davantage. Chokwadi et Sanje. Ils ont modelé ce monde. En gros, Chokwadi a donné la terre, la mer, le vivant et la matière ; Sanje a offert les émotions, les croyances et l'espoir. Le concret et l'abstrait, la vie et l'imaginaire, la réalité et le rêve.
« Leur création s'est développée, les elfes grandissants technologiquement, s'imposant comme une espèce « évoluée ». Ils avaient des villes, une technologie, des lois ... Mais ils en avaient oublié les sentiments, à peine visibles chez eux. Ils ne croyaient pas à l'imagination, ils vivaient au jour le jour, sans songer à l'avenir, qui était tout tracé. Ça n'a pas tellement plu à Sanje.
« Il a rompu l'accord de la Vie, passé avec Chokwadi : une fois leur création achevée, ils se retireraient et n'impacteraient plus jamais sur les évènements. Sanje est donc venu sur Liyol, et y a créé ses propres êtres vivants, en leur offrant un don divin : la magie. La clef du rêve, cette chose qu'on ne pouvait alors qu'imaginer. Les Rêveurs étaient nombreux, des milliers : ils ont envahi les elfes, mêlant leur sang de Dieux à celui des mortels. Ils ont créé le Peuple des Autres, qui renversa peu à peu le règne polluant et dévastateur des elfes.
« Chokwadi est à son tour intervenu. Liyol est devenu un immense champ de bataille, et tous les Rêveurs ont été tués, sauf une. Elle est encore parmi nous aujourd'hui, et c'est elle qui représente notre Dieu dans ce bas monde. Elle est la mémoire de Liyol, elle est la fille de Sanje.
« Ils ne restaient donc que les Autres, nés dans la violence et le sang, et les elfes, premier peuple de ce monde. Un combat a décidé du destin de ces deux civilisations : celui des deux Dieux créateurs.
« Ils se sont entretués. Sanje a pris l'avantage, au bout de plusieurs mois d'un combat incessant : alors qu'il allait porter le coup final à son frère agonisant, Chokwadi a utilisé l'intégralité de son pouvoir pour emprisonner le père des Rêveurs. Le créateur des elfes y a laissé sa vie, mais pas Sanje. Il a été enfermé, nul ne sait où, sauf la dernière des Rêveuses.
« Évidemment, la guerre ne s'est pas arrêtée : il y a eu quelques courtes périodes de paix, mais jamais durables. C'est de l'une d'elle que sont nées les Terres de anciens. Ce continent est sauvage, il y rôde des créatures mortelles, des puits de magie et bien d'autres distractions. Lors de la plus longue période de paix, les elfes ont mis leur technologie à l'épreuve : l'Est entier du continent a été rasé, brûlé, puis rendu fertile et verdoyant. Les Autres y ont bâti des cités, des créations hors-normes, et ont imposés la barrière : un dôme magique indestructible, mais indétectable. Une alarme sonne à chaque entrée de n'importe qui. Néanmoins, il n'est franchissable que par les elfes et les Autres, les créatures que nous appelons Anciennes ne peuvent venir jusqu'à nous. Voilà, fin des explications. Des questions ? »
Un long silence suivit ces explications, et Héra espérait ne pas avoir à en dire plus. La légende voulait que Sanje ait été le fautif, et admettre que les elfes avaient un jour été innocents le répugnait.
- Oui. Qui est la dernière Rêveuse ?
Fiction © Manda
Univers et personnages de Sphérianne © Manda
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Hey !
Comment chawa chez vous ?
Chapitre un peu plus long, pour compenser avec le précédent. J'éspère que vous n'en avez pas assez du blabla x)
Si vous voulez des précisions sur ce qui a été dit, rendez-vous en commentaires !
Et sinon ? Qu'est-ce que vous en avez pensé ?
Héra qui sauve Opale ?
Son animosité et sa soif de sang ?
La dernière des Rêveuses ?
À très vite !
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