Chapitre 17
L'urgence.
Le sang qui bat aux tempes.
La peur qui noue le ventre.
Les trois femmes couraient à en perdre haleine, leurs pas résonnant dans les boyaux de roche. Pour l'instant, elles n'avaient pas croisé un seul Autre. Bel connaissait parfaitement le chemin qui les mènerait vers la surface, et c'est grâce à l'adolescente que le trio parvint à l'ouverture.
Elles ralentirent la cadence, puis marchèrent silencieusement, se plaquant contre le mur glacé. À seulement quelques brasses, deux Autres gardaient l'entrée, armés de lance. Il n'y avait qu'une seule ouverture, et chacune pouvait presque sentir l'odeur de terre du refuge, si différente de l'atmosphère froide et épurée des grottes.
Plusieurs boyaux de terre se rejoignaient à ce point précis, et c'était eux que les deux gardiens surveillaient. Bel détacha les mains de son corps, et les dirigea dans les profondeurs des souterrains, afin de prendre les Autres par surprise. Alors que ses membres s'apprêtaient à jaillir à la lumière, d'un autre tunnel, elle se stoppa.
- LES PRISONNIERES SE SONT ÉCHAPPÉES !!!
La voix se changea en échos, amplifiée par le réseau de tunnels. Les gardiens sursautèrent, soudain alertes. La femme se tourna vers son acolyte :
- Je vais prévenir Laso, on doit les empêcher de sortir ! Prend garde.
L'Autre hocha la tête, et saisit sa lance à deux mains, la pointant vers les tunnels obscurs qui débouchaient face à lui. Un tintement attira son attention, et il se tourna vers le boyau de gauche.
- N'essayez même pas de sortir ! prévint-il.
L'homme raffermit sa prise sur son arme, sourcils froncés. Concentré sur le tunnel, il perçut trop tard le sifflement d'air dans son dos.
Le poing de Bel frappa sa tempe avec violence, l'assommant sur le coup. L'homme chuta au sol, et les membres rejoignirent leur propriétaire. Celle-ci observa un instant Ohinir, une expression douloureuse sur le visage. Savait-il seulement que la jeune Autre du campement, souriante, avenante, venait de l'attaquer ? Qu'elle était en train de les trahir de l'intérieur ? Se sentirait-il déçu, non, poignardé dans le dos ?
Bel se mordit les lèvres, les souvenirs heureux de sa vie d'Autre se bousculant dans sa tête, les nombreuses voix de ses amis se mêlant dans une mélodie chaotique, ses sentiments contradictoires s'entrechoquant devant ses yeux. Elle ne pourrait plus faire marche arrière, si elle sortait de ce souterrain. Si elle suivait les deux elfes, pire, si elle leur montrait la voie, pourrait-elle un jour se pardonner d'avoir trahit chacun de ses frères et chacune de ses surs ?
- Bel ? murmura Opale. Est-ce que tu es sûre de toi ?
Non, elle n'en était pas sûre. En fait, elle s'interrogeait sur sa décision, sur son coup de tête. Elle faisait le choix de sa vie, entre ceux qui l'avait accueillie à bras ouverts, mais lui dissimulant l'horreur de leurs actes, et celle qui ne lui avait jamais menti, celle qui avait fait éclater la bulle d'innocence dans laquelle elle baignait depuis tant d'années, celle qui lui avait ouvert les yeux.
L'adolescente les écarquilla, et observa Opale. Tremblante, apeurée, éplorée.
Le spectre qu'elle avait découvert se superposa avec la jeune femme douce et compréhensive que Bel connaissait si bien. Les images d'Héra, monstrueux, mauvais ; l'horreur des elfes - de ses ennemies ? -, torturées par ces Autres souriant et hypocrites ; tout ce qu'elle avait découvert ces dernières heures ...
Son monde s'était effondré.
Elle en était la dernière ruine.
Et le seul moyen qu'elle avait de se relever était face à elle.
Bel serra les dents, parcourut d'un frisson de rage et de détermination, celui-là même qui l'avait poussée à franchir le pas des souterrains et à poignarder Héra.
- J'en suis certaine, répondit-elle.
*
- Opale, réajuste ton voile, il découvre ton visage.
L'elfe acquiesça, et replaça sur ses cheveux le drap bleu du deuil. Bel le lui avait donné, en lui apprenant que, chez les Autres, les veufs et les veuves pouvaient se couvrir d'un tissu pour pleurer sans être vus. Ainsi, Caiyo et elle, portant des habits Autre, passaient pour de simples unies éplorées par le deuil.
- Marchez avec plus d'assurance, ordonna Bel. Cette attitude est trop méfiante, vous devez paraître à l'aise.
L'adolescente jeta un coup d'oeil dans son dos, surprenant le Bras de Rota et un escadron d'Autres se jeter dans les souterrains, persuadés que les prisonnières y étaient piégées - comment auraient-elles put échapper au labyrinthe rocheux des cellules ?
- Mais que vois-je ?!
Bel se tourna brutalement vers la droite, reconnaissant à cette voix Mirai, la cinquantenaire douée à la poterie. Aidée par une amie, la vieille Apte labourait la terre.
- Tu vas bien, ma grande ? demanda-t-elle.
- Continuez à marcher, je vous rejoins, souffla la concernée aux deux elfes.
- Qu'est-ce que tu as dit, ma grande ? J'ai l'oreille fêlée, tu le sais bien.
Bel s'avança sur la terre meuble, un sourire faux sur les lèvres. Mirai savait-elle, pour les elfes séquestrées ici ? Lui avait-elle caché la vérité durant tout ce temps, ou bien n'en avait-elle aucune conscience ?
- Pourquoi ça irait mal ? fit Bel, plus fort.
La cinquantenaire éclata de rire.
- Tant mieux alors ! Et ...
- Mirai, nous avons à faire. Tu parleras à Bel plus tard, rappela la seconde paysanne.
- Très bien, très bien ! Bon, et bien, à bientôt ma grande !
- Adieu, Mirai ... chuchota ladolescente.
- Qu'est-ce que tu as dit ?
- J'ai dit : à bientôt Mirai !
Puis Bel tourna les talons, nerveuse. Elle renifla, les yeux embués de larmes. L'adolescente ne pouvait pas empêcher son coeur de se serrer en pensant à tous ces visages, qu'elle ne reverrait jamais.
Bel rejoignit les deux Autres, qui longeaient le mur, contournant l'espace principal, où elles pourraient être découvertes. Chacune émanait de nervosité, entourées d'ennemis potentiels. Le trio progressa longuement, se rapprochant de leur porte de sortie.
Diane avait la fâcheuse tendance à expliquer plusieurs choses confidentielles à sa soeur adoptive, attisant ainsi la curiosité de l'adolescente. Lorsque les feux avaient été éteins par les elfes, condamnant le peuple à l'enfermement souterrain, l'hybride avait voulut rassurer Bel en lui parlant du dernier portail, s'ouvrant sur la Terre des Anciens. Elle lui avait indiqué la pente du mur qui l'ouvrait, persuadée que ça ne lui servirait jamais : il fallait un degrés magique extrêmement puissant pour l'ouvrir, et Bel ne l'avait pas.
Soudain, les trois fugitives se figèrent, pétrifiées par une voix profonde, assourdissante, qui résonna dans le Refuge avec force :
- Des elfes se sont introduites dans le camp. Elles sont deux, et certainement camouflées. Abandonnez immédiatement toutes vos activité et retournez à vos tentes.
Au lieu d'une émeute terrifiée qu'attendait Opale, les Autres posèrent leurs outils, et tous se dirigèrent vers le centre de la grotte. Si elles poursuivaient leur route, elles seraient immédiatement repérées, et se fondre dans la foule les mèneraient au même point.
- B-bel ... souffla Caiyo, la voix rendue aigue par sa terreur. Que fait-on ?
- C'est simple. Vous voyez, la terminaison de ce chemin, à une centaine de brasses ?
- Oui ...
- À mon signal, on y court.
- Quoi ?! Mais ...
- On n'a aucune autre alternative. Maintenant !
Les deux mains de Bel poussèrent Caiyo et Opale, leur donnant une vitesse supplémentaire. L'adolescente courut à leur suite, terrifiée. Derrières elles, des cris retentirent : elles étaient déjà repérées.
Le sang de Bel se fit lave, sa gorge asséchée, l'air brûlant. Elle n'osa même pas jeter un coup d'oeil derrière elle, trop terrifiée par ce qu'elle y verrait. L'adolescente darda l'ambre de son regard vers la roche, leur seul échappatoire.
Finalement, le trio rejoignit la surface noire. Bel chercha à reprendre sa respiration, essoufflée. Elle tenta un regard de l'autre côté, et observa le village. Une vingtaine d'Autres les encerclaient, armés, leurs pouvoirs enclenchés.
- Et maintenant ? cria Caiyo.
- J'en sais rien ! Opale, utilise ton pouvoir, ça devrait fonctionner !
- Impossible ...
Elle montra ses paumes, meurtries de brûlures.
- Force-toi ! hurla Bel, l'effroi se propageant dans son corps aussi vite que l'adrénaline.
L'elfe se concentra, et la brume se mit à danser autour de ses doigts. Une goutte de sueur roula le long se son front, s'écrasant à ses pieds, à quelques pas des larmes de Caiyo.
- Vous allez me faire tuer ! sanglota l'elfe aux cheveux de neige.
Les paumes d'Opale rougir davantage, quand, soudain, un vrombissement métallique en sortit. Une voix robotique prononça des mots incompréhensibles, provenant des mains de la nouvelle.
Caiyo écarquilla les yeux, et saisit la main entre ses doigts.
- Ildi ! Témiras, ildi !
Un signal sonore retentit, et Opale sursauta. L'air se densifia autour d'elle, et, alors que les Autres, menés par Laso, n'étaient plus qu'à une dizaine de brasses, d'immenses cristaux translucides jaillirent du sol, s'élevant jusqu'à la voute, protégeant le trio.
- Comment tu as fait ça ? souffla Bel, subjuguée.
- Je n'en sais rien ! Caiyo, qu'est-ce que tu as fait ?
La concernée la regarda, l'espoir vibrant dans ses yeux, encore brillants de larmes. Elle n'avait pas l'air de comprendre non plus, et secoua la tête.
- Ouvre ce fichu portail !
Opale se retourna vers l'immense mur. Même si elle avait gagné du temps, elle n'était pas plus avancée face à l'énigme que lui opposait cette palissade.
- Et comment on ouvre un portail magique ? demanda-t-elle.
Alors qu'Opale questionnait Caiyo, la réponse s'illumina dans son esprit. Elle ouvrit la paume, dévoilant un nuage blanc, se précisant peu à peu. Sans le vouloir, elle murmura pour elle-même la solution du mystère de ce mur.
- C'est une porte ...
La brume s'effaça, dévoilant une clef cisaillée.
- ... Et c'est avec une clef que l'on déverrouille une serrure.
Opale tendit la main, et posa la pointe de l'objet contre la surface. Au lieu de la heurter, la clef fut absorbée jusqu'à lanneau dans la roche. Étrangement sereine, l'elfe aux cheveux sombre tourna la poignée.
Un claquement furieux résonna, et la surface de la pierre fut parcourue d'une onde, comme si elle se changeait en eau. La roche renvoya au trio quelques Autres, étant parvenus à surmonter les cristaux titanesques.
Opale tendit la main, traversant le miroir comme si il n'existait pas. Il n'en fallut pas plus à Bel pour se plonger dans le portail.
Caiyo resta en retrait, oscillant entre les ennemis s'approchant dangereusement, et la magie, seule échappatoire qui pourtant la répugnait.
- Caiyo, intima Opale.
- Je ne peux pas ... c'est contre nature ... chuchota-t-elle, horrifiée.
Opale leva précipitamment le bras, soulevant un léger mur pour bloquer une nouvelle fois les adversaires. Elle regarda l'elfe, paniquée, qui secouait la tête avec résignation, les yeux grands ouverts perdus dans le vague.
L'ancienne Autre n'eut pas le choix. Elle saisit sa coéquipière et la projeta dans le portail, la mettant en sécurité. Opale se plaça dos au mur, et observa les Autres, frappant le fin bouclier de leurs lances. Les fissurent se multipliaient, pourtant, la femme était incapable de bouger, paralysée.
Elle ne connaissait que trop bien ces expressions de rage, cette colère, cette bestialité menaçant de submerger la conscience. Elle avait déjà vu cette hargne, des années plus tôt ...
Que Dota te bannisse !
Une autre vie.
Soit tuée loin de moi, sale Solian !
Un autre nom.
Rejoins mon fils, rejoins-le de l'autre côté, et n'en revient jamais !
La main de Bel traversa le mur, attrapant son poignet. Brutalement, l'adolescente l'entraina dans le portail, sauvant Opale des Autres.
Le saphir de ses prunelles balaya une dernière fois la voute du Refuge, flouté par sa fatigue. Mais cela ne l'empêcha pas de percevoir l'argent d'une lame.
Ni la haine du rubis,
Ni le tranchant de l'arme.
Fiction © Manda
Univers et personnages de Sphérianne © Manda
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Hey !
Z'allez bien ?
Perso, le copier coller est encore dead, je vais le signaler aux Ambassdeurs, même si je ne pense pas qu'ils réussissent à y changer quoi que ce soit ^^
Qu'avez-vous pensé de ce petit chap ?
Oubliez pas de voter et de commenter, ça illumine mes journées *.*
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