Chapitre 1
« Tombée du ciel ».
Ce furent les premiers mots qu'elle entendit, le premier contact avec les sonorités rêches et dissonantes de leur Terre.
« Tombée du ciel ».
Ces mots rebondissaient en elle, alors que le souffle lui manquait. Elle tentait de se raccrocher à quelque chose, mais en était incapable. Sa force la fuyait, et elle se laissait couler dans une sombre mélasse.
« Tombée du ciel ».
Une dernière fois elle chercha à aspirer une goulée d'air : ses poumons se remplirent de ce liquide pâteux, sans qu'elle ne puisse les en empêcher.
« Tombée du ciel ».
Soudain, elle sentit la pression sur sa poitrine s'alléger, jusqu'à disparaître. Un courant d'air glacial et revigorant traversa chaque goutte de son sang, chassant la matière étouffante. Elle se sentit remonter brusquement à la surface, emplie d'une force froide et invisible.
La première inspiration fut douloureuse et bruyante. Le souffle court, elle ouvrit des grands yeux aux pupilles dilatées ; la lumière fut si éblouissante qu'elle manqua de se rendre aveugle.
Elle respira peu à peu plus longuement, profondément, les mains sur son coeur douloureux, qui avait bien failli cesser de battre. Soudain, l'air frais qui l'avait portée s'évanouit, et sa faiblesse lui revint violemment. Elle se recroquevilla légèrement, et reprit ses esprits.
- Intéressant ...
Elle sursauta brutalement, et se tourna sur le côté. Dans le même temps, elle se rendit compte qu'elle n'était non pas dans un marécage, mais dans une pièce entièrement constituée de lianes sinueuses. Il n'y avait rien à l'intérieur, à part elle, le rectangle rêche sur lequel elle se trouvait, et ...
- Très intéressant.
La femme fut parcourue d'un tremblement nerveux en découvrant le second occupant de la pièce.
Il était assez grand, et musclé. Il portait de hautes bottes d'un rouge sombre, un pantalon ample, et une veste ouverte et sans manches, qui laissait son torse nu. Celui-ci était régulièrement parcourut d'une onde claire, prenant source au niveau de coeur, et traversant tout son corps. Suivant cette vague, le regard de la femme monta le long d'un cou musculeux, s'enroula autour d'une mâchoire carrée, glissa sur de longues oreilles horizontales, survola des cheveux ras d'un bleu extrêmement clair ... Avant d'être percuté par deux billes obscures, d'un noir d'encre.
Le tremblement la reprit de plus bel ; quant à lui, il s'avança lentement, un sourire en coin sur les lèvres. À chaque pas que l'elfe faisait, elle reculait imperceptiblement ; et alors qu'il n'était qu'à quelques centimètres d'elle, il se pencha et ramassa une curieuse pierre transparente.
On aurait dit une large plaque de verre, dont un côté était bombé, et l'autre marqué par deux mains calleuses. Il recula, l'attention uniquement captivée par la plaque. L'homme posa sa main sur l'une des empreintes, et celle-ci s'y fondit parfaitement. Finalement, il lâcha brutalement l'objet, qui se brisa au sol.
- Je me demande si tu réussiras à le refaire, murmura-t-il, mauvais, en s'approchant à nouveau de l'être apeuré.
La femme sauta de l'autre côté du lit, mais ses jambes flanchèrent, l'obligeant à s'adosser au mur. Sa respiration tremblait autant que ses dents, s'entrechoquant dans un orchestre effréné.
Il sourit intérieurement, son mépris pour les elfes se régalant de la frayeur visible dans ses yeux bleus. Cette fille mesurait-elle seulement le danger ? Tel un prédateur jouant avec sa proie, il tourna autour du lit, se retrouvant face à l'elfe. Celle-ci leva les mains devant elle, dans une piètre tentative de garder à distance cet homme.
- Re ... Recule !
L'homme interrompit brutalement son mouvement, et baissa lentement le regard vers son torse. Une pointe affutée faisait perler une goutte de sang sur son ventre plat. Il remonta le long de cette lame, embrasant son ennemie du regard : elle semblait pétrifiée, et pourtant, une lueur déterminée brillait dans ses yeux. Son bras droit était tendu dans la direction de l'homme, et de sa paume ouverte jaïssait cette pointe affutée. Elle darda ses pupilles de neige dans le regard de la menace.
- Recule !
Voyant qu'il n'obéissait pas, elle fit un ample mouvement du bras, traçant une ligne de feu sur le torse nu. L'homme fut forcé d'obtempérer, sa haine montant en lui à une vitesse prodigieuse. Il se fit violence pour ne pas exécuter cette sale espionne, et tourna les talons, verrouillant la porte derrière lui.
*
- Petite garce, siffla-t-il en portant la main à la lacération.
D'un pas rapide, il sortit du bâtiment de branches, se dirigeant rapidement vers la salle de Commandement. Cette sale elfe ne tenait vraisemblablement pas à la vie ! Les rares Autres s'écartaient sur le passage de l'homme, danger mortel oblige. Héra était habituellement dangereux et mauvais, alors lorsqu'il voyait rouge, le laisser en paix relevait de l'instinct de survie !
Il avança rapidement entre les bosquets, marchant dans des flaques d'eau sale. Et dire que ces otiares d'elfes se gorgeaient de miel sur une terre idyllique ! Lui, Héra El Sanje, était contraint à trainer dans la boue à cause d'une chef incapable et d'un ennemi supérieur en nombre !
Chaque élément prouvant la pauvreté du peuple des Autres faisait monter sa rage d'un cran, et ce fut furieux qu'il claqua la porte de la hutte principale. Un hoquet de surprise s'échappa de Diane, qui lui lança un regard courroucé. Pour toute réponse, il donna un nouveau coup de pied dans la porte.
- Dégagez, souffla-t-il d'une voix rauque et enragée. Je dois parler en tête à tête à Dagrielle.
Le silence se fit dans la pièce, trois paires d'yeux braquant Héra. Celui-ci en profita pour déduire quelle « Réunion de Crise » il avait interrompue : à en voir les torches, les Autres debout, la carte sur la table centrale et la dague de Laso plantée dans le bois, l'homme comprit que c'était sans doute un plan d'offensive.
« Qui se soldera d'une défaite, comme les quarante derniers » pensa Héra.
- Non mais ça ne va pas ?! s'exclama finalement Diane.
Le regard sombre de l'Assassin se tourna vers la fille qui venait de parler. Comme tous les Autres, son physique était similaire aux elfes : le corps interminable, les oreilles immenses et horizontales, les cheveux colorés, les muscles noueux. Si elle n'avait eu que des cheveux ébène et ondulés, des yeux en amande noirs et une peau diaphane, Diane aurait été totalement semblable à leurs ennemis ; mais ce qui faisait d'elle une Autre, c'étaient ses mains et ses pieds, qui se faisaient branches au niveau des articulations. Ses doigts longs et fins étaient couverts d'écorce, s'achevant avec une feuille verte.
- Ça ira mieux quand tu auras disparu de mon champ de vision. Tous comme vos plans d'attaque inutiles.
- Je ne te permets pas de parler ainsi de notre combat ! cria Laso en arrachant sa dague de la table.
Il avança vers Héra, menaçant, ses trois yeux vermeils lançant des éclairs. Le bras de Rota tendit la lame en direction de l'assassin, glacial.
- Tes désirs personnels vont devoir attendre, cracha Laso avant de reculer d'un coup.
Héra haussa les épaules, un petit sourire suffisant sur les lèvres.
- C'est vrai que cette saleté d'espionne peut patienter, elle a de quoi s'occuper, avec le campement à détruire.
Laso pâlit d'un coup, et balbutia des mots incompréhensibles, avant de sortir en trombes.
- Vous voyez, il a compris, lui. Allons, allons, Diane, tu ne voudrais pas que Bel soit blessée, si ?
- Tu es une ordure, cracha l'Autre avant de suivre Laso.
- Tant mieux !
Puis il se retourna vers les deux dernières personnes présentes : Dagrielle et Lethos. Ce dernier n'avait pas dit un mot, restant dans l'ombre, ses longs cheveux jais couvrant son visage.
- Lethos, va-t'en.
- En quel honneur ?
Les ondes blanches qui traversaient le corps de l'Assassin s'accélérèrent, alors qu'il s'avança vers Lethos, le visage contracté par la colère.
- Je dois lui parler. Seul à seule.
Le visage fin de Lethos se releva, ses yeux vert d'eau calmes regardèrent l'homme peinant à contrôler sa colère.
- Très bien. Mais présente tes excuses. Tu as violé le sanctuaire de Dagrielle.
Un soupir résonna, la concernée intervint pour la première fois.
- Une bonne fois pour toutes, je ne suis pas une déesse, Lethos !
- Sanje t'as élue ... Tu seras toujours mon idole.
Puis il tourna le dos à Héra et quitta la pièce dans un silence religieux.
L'Assassin souffla bruyamment, et se tourna finalement vers la chef des Autres, la flamme de ce qui restait de leur peuple. Il fallait bien dire qu'ainsi, ce fanatique de Lethos avait presque raison : Dagrielle paraissait comme une déesse, baignée dans la lueur du feu.
Ses pupilles verticales étaient entourées d'iris dorées, la lumière rougeâtre faisait étinceler les écailles transparentes qui cerclaient son visage droit. De flamboyantes mèches rousses coulaient sur ses épaules écailleuses, qui reflétaient les flammes des torches. Le métal de son armure brillait de mille feux, comme si un soleil divin l'éclairait de ses rayons.
- Héra, tu n'es pas un roi. De plus ...
- Stop, pause Dagrielle ! Je devais vraiment te parler, et bien au sujet de l'elfe. Elle est réveillée.
- Tu veux dire que tu as échoué ?
Le calme factice de la Flamme s'effrita, révélant dans ses yeux une colère à peine contenue.
- Tu devais assurer son inconscience, jusqu'à ce que l'on décide de son sort. Es-tu un incapable, toi que l'on surnomme "Assassin" ?
Héra serra les dents, mais face à l'incarnation même de Sanje, il finit par baisser les yeux.
- Non, et tu ...
- Vouvoie-moi.
- Et vous le savez. Si j'ai échoué, c'est car elle en a décidé autrement.
- La vraie question, est : comment ?
- Elle a manifesté une magie.
Dagrielle ferma les yeux, respirant profondément. Seuls ses sourcils froncés témoignaient de sa réflexion intense. Après un silence pesant, elle rouvrit ses paupières, de nouveau maitresse d'elle-même.
- Très bien. Alors faisons ce que nous avions décidé.
- Ce que vous aviez décidé ; c'est hors de question.
Dagrielle ne répondit pas. Elle encra seulement son regard d'ambre dans l'ébène furieux de son interlocuteur.
- Je le refuse. Maîtrise absolue. Et puis, il s'agit d'une espionne ! Exécutons-la.
- Si elle a bel et bien un pouvoir, elle est sous la protection de Sanje : c'est une Autre, soit intouchable.
- Une Autre ? Qui serait apparue, par magie justement ? Envoyée du ciel, peut-être ?
- Des membres de notre peuple sont restés prisonniers chez les elfes, lors de la dernière rébellion.
- Alors pourquoi ne la reconnaissez-vous pas ?
Dagrielle marqua un nouveau silence, mais cette fois, elle n'avait pas de réponse.
- C'en est assez.
Héra tourna les talons, et saisit une dague suspendue au mur. La Flamme fit un pas vers lui, ses écailles s'illuminant.
- Si la moindre atteinte lui est portée, je t'en tiendrai responsable, Assassin.
- Peu m'importe. Je ne te laisserai pas nous détruire.
- Est-ce bien Héra El Sanje, fils d'Enas, qui me dit cela ?
Le concerné se figea, alors que les ondes qui le traversaient accéléraient drastiquement.
- Tu mets en péril la vie de notre peuple, Dagrielle.
- Quel peuple ? Nous ne sommes plus que deux milliers. Deux milles individus contre des centaines de millions ! Les prochains combats pourraient signer notre mort à tous, tu le sais.
- Oui.
- Nous ne sommes plus une civilisation, mais un bataillon en déroute qui tente de survivre.
- Je suis au courant.
- C'est un coup de poker, Héra. Elle pourrait être notre dernière chance, la goutte d'eau qui ferait pencher la balance.
- Elle signera notre mort.
- Cesse de prendre cette fille pour prétexte. Obéis, Héra, et accomplit ton devoir. Cette elfe sera ...
- Je me moque de ce que tu feras d'elle ! rugit-il en se retournant, lame pointée vers la chef des Autres. Tu me forces la main ! Je ne mettrai pas ma magie à ton service, je l'ai fait trop souvent !
- Alors va-t'en.
L'assassin se figea, tremblant. Il lâcha la dague, puis se prit la tête entre les mains.
- Tu n'as pas le droit, gémit-il.
- J'ai tous les droits : tu m'as prêté allégeance, devant Sanje lui-même.
Héra s'immobilisa. Il avait pris sa décision, et même si elle lui coûtait, son serment était au-dessus de sa volonté. L'homme se redressa et embrassa Dagrielle du regard.
Plus jamais il ne se montrerait faible.
- Qu'il en soit ainsi.
*
Quelque part dans une chambre de bois, une elfe observe l'extérieur, sa mémoire se gorgeant d'informations. Ses prunelles bleues reflètent les branchages roux, comme si ses iris s'enflammaient d'émerveillement - ou de terreur ?
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Fiction © Manda
Univers et personnages de Sphérianne © Manda
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Hey !
Petit message post-chap, juste pour vous remercier d'avoir lu cette toute première partie de Sphérianne. Faites-moi signe si ça vous plaît, et dîtes moi ce que je dois corriger et ce que vous n'aimez pas afin que je m'améliore !
Voilou, à la prochaine !
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