Chapitre Treize.
Chapitre Treize.
JE LA FIXAIS INSTAMMENT, et pendant quelques temps nous étions ainsi, en train de nous regarder dans les yeux sans parler. Personnellement, j'étais un peu choqué du fait qu'elle me parle de sa famille. Cela me paraissait si intime et surtout inattendu. Dans ma tête, j'en étais jusqu'à me demander si cet aveux était réel ou si, une énième fois, ce qui me semblait plus probable, elle se foutait de moi.
Elle reprit finalement la parole.
- Je veux dire que si tu ne m'avais pas fait pensé à mon frère, je t'aurai sûrement abonné à ton sort. En gros, certes, l'homme fait des choses principalement pour lui, mais je pense que c'est la raison pour laquelle il les fait qui défini la bonté de son cœur. Il y en a qui agissent pour la gloire ou la reconnaissance humaine, et il y en a d'autre qui agissent par sentiment de fraternité ou juste parce qu'ils tiennent à la personne pour qui ils agissent.
Après une courte pause, elle reprit.
- Mais ça ne veut pas dire que j'ai maintenant de la sympathie pour toi.
- Donc, repris-je, tu as un frère.
- Oui. Enfin, j'avais un frère. Il est mort d'une overdose à l'héroïne, avait-elle dit les yeux baissés. Mais bon, s'était-elle exclamé en relevant les yeux vers moi et en croisant les bras, ce n'est un secret pour personne. Et encore moins pour le roi puisque j'imagine que c'est écrit en grand dans les archives là où lui aussi fait partie des « ennemis du royaume », dit-elle en encadrant ses trois derniers mots de guillemets imaginaires avec ses doigts.
- Il s'appelait comment ton frère ?, dis-je simplement.
- Gidbangd'al.
- Gigandal ?
- Gid-bang-d'al.
- Giranballe.
- Gidbangd'al, punaise ! Gidbangd'al.
- Et ben..., soufflai-je. Au moins on ne reprochera pas à tes parents de manquer d'originalité. Et pour toi, ils ont choisi quoi comme nom ? Jadeuballe ? Crevladal ? Troudchval ?
- Haha, morte de rire...
- C'est pas de ma faute si ton frère a un prénom imprononçable.
- Nilam, dit-elle de manière neutre, coupant presque ma phrase.
- Ni l'esprit, répondis-je aussi calmement qu'elle ne l'était.
- Même pas la peine que je réponde, rétorqua-t-elle en levant les yeux au ciel.
- Avoue qu'elle était bonne, dis-je en la pointant du doigt tout en souriant.
- Non.
- Mais si, grognai-je. Rabat-joie, vas. Mais c'est ce que je pensais : un prénom aussi atypique que celui de ton frère.
- Pas tant que ça. En tamoul il veut dire « bleu », comme le nom d'une couleur.
A l'entente de sa réponse, un sourire en coin se dessina sur mon visage : c'était drôle comme nom pour une sans-couleur. Toutefois, j'imaginais que c'était le reflet d'un certain espoir qu'avait le peuple que tout redevienne comme avant...
- Bref. Si tu as terminé de boire, tu peux t'en aller, avait-elle reprit après un silence qui s'était installé et qui était vite devenu gênant.
- Ouais, avais-je répondu en déposant mon gobelet sur le sol et en retirant le fin tissu qui me couvrait les jambes. Je pense que je vais y aller. Mais, en vrai, commençai-je en posant mes pieds nus à terre, et ça peut paraître bizarre, mais le nom de ton frère me dit quelque chose. Comme si je l'avais connu.
- Ouais, c'est ça...
Je me levai enfin et pris le temps de m'étirer pendant qu'elle me regardait, les bras toujours croisés.
- C'est bon, t'as fini ?
- Ohlala, aucun sens de l'hospitalité..., soufflai-je en me rassayant pour remettre mes chaussures qu'elle avait visiblement retiré.
- Ouais, c'est ça. En attendant, c'est moi qui t'ai prêté mon lit toute la nuit et me suis démené pour te trouver les bonnes plantes pour te traiter.
- Quoi, tu parles de ta boisson dégueulasse, avais-je dis dans un rallement dû à l'effort pour enfiler ma chaussure, et de ton espèce de lit en pierre, là ? Franchement, même dans le coma j'aurais mieux fait que ça.
- Sincèrement, vas te faire mettre !, pesta-t-elle soudainement. J'ai jamais vu un garçon aussi misérable que toi, et qui me donne autant envie de l'éclater contre un mur ! Dire que, sans moi, tes petites boniches t'auraient déjà retrouvé mort et baignant dans une mare de bave et d'opium !
Soudain, comme électrifié, je m'arrêta net et senti mon cœur commencer à battre fort dans ma poitrine ; les yeux écarquillés et les membres raidis, je m'étais rendu compte que j'avais trop de responsabilités à assumer pour rester allongé à ne rien faire. Je me mis à chercher du regard comme un fou un élément qui me permettrait de savoir quelle heure il était, mais il n'y avait rien. C'est lorsque j'ouvris la porte du cabanon pour regarder vers le ciel que je vis que le soleil était déjà penché vers l'ouest : il devait être entre une et trois heure de l'après-midi.
Putain.
Je n'eus même pas le temps de prendre une décision que j'entendis un cri au loin qui disait m'avoir trouvé. C'était un des gardes. Puis, je vis Fitz sortir du château et, quand ses yeux croisèrent les miens, il secoua doucement la tête de droite à gauche tout en ayant les poings posés sur ses hanches. Je m'avançai alors vers lui et, arrivé à sa hauteur, il commença à parler.
- C'est pas vrai, 0001 ! Ça t'amuse de jouer à cache-cache ? Hein ?
- Je...
- Et puis qu'est-ce que c'est que ce que je viens de voir ? Tu sors de chez cette fille ? 0001, il y a tellement de prostituée dans ce monde et tu n'as vu que celle-ci pour t'amuser ?
- Non, on a -
- Te rends-tu comptes que tu as une réunion très importante qui aurait due commencer il y a déjà quinze minutes ? Et cette tâche, dit-il en s'approchant de moi pour pincer mon t-shirt au niveau de la tâche causée par la poudre d'opium. Ne me dis pas que c'est... Oh mon Dieu, s'interrompit-il soudainement en me reniflant, mais tu sens terriblement mauvais !, s'exclama t-il en reculant et froissant son visage. Un mélange de sueur et de poussière.
- Fitz, écoute, calme toi s'il te plaît et fais moi confiance. Je vais monter prendre une douche froide rapidement et tout régler, finis-je par dire en le contournant pour me diriger vers le hall.
Fitz disait quelque chose derrière moi pour m'arrêter, mais je ne l'écoutais absolument pas. Toutefois, je finis par m'arrêter, non parce que Fitz me demandait d'attendre, mais à cause des voix qui provenaient du hall derrière les doubles portes entrouvertes du château.
- C'est incroyable.
- Ne m'en parlez pas. Au temps de 0001 sixième, jamais on ne nous aurait fait attendre ainsi.
- Oh vous savez, c'est normal.
- Que voulez-vous dire ?
- Je veux dire que nous ne devrions rien attendre de ce pseudo-roi. Il n'a rien d'un souverain, en plus d'être un drogué.
- Comment ?? Que dites-vous ??
- Je dis qu'il a des addictions. Enfin, de ce que j'ai entendu.
- Ce que Mr. Edmond dit est vrai. J'en suis persuadé. Nous n'avons besoin que de le regarder pour constater que, sous la cape et la couronne, il a l'allure des pires drogués de bas étages qui errent dans nos rues les plus mal famés.
- Messieurs, ne soyez pas aussi mauvaise langue. Ce roi-ci sera toujours mieux que 0001 premier, vous savez, le décérébré. Il ne savait ni lire, ni écrire, et à peine parler. Du moins, quand il ne bavait pas partout.
- Oh vous savez, entre 0001 premier et l'actuel, c'est du pareil au même. Il ne manque plus que la bave.
A ce moment, j'entendis le son de plusieurs rires étouffés.
- 0001..., dit Fitz en étant derrière moi. Je voulais te prévenir qu'ils étaient encore dans le hall. Tu devrais peut-être passer par une des portes à l'arrière pour éviter qu'ils ne te voient.
- Non, c'est bon.
Je remplissai alors mes poumons d'air et, après les avoir pousser, passai le pas des grandes portes. Je m'arrêtai un moment et regardai tous ces hommes, qui venaient de reprendre une contenance après leur petite séance de moquerie, un à un dans les yeux.
- Oui, c'est encore moi, 0001 septième, le décérébré, addicte à l'opium, incapable de gérer un royaume seul, n'ayant aucune allure, et encore moins l'étoffe d'un roi. Oui, je suis là et, malheureusement pour vous, vous devrez faire avec. Je ne suis pas le plus fort ou le plus intelligent de ma lignée, mais au moins je suis moi, et, contrairement à vous, je n'ai pas peur de vous regarder dans les yeux et de vous dire du plus profond de mes entrailles royales, d'aller vous faire foutre.
Du moins, c'est ce que j'aurai dit si je ne considérais pas les accords qui devaient être faits au travers de cette réunion et qui étaient bénéfiques à tous les habitants du royaume, plus important que ma fierté.
Alors, après les avoir simplement regardé un à un, je m'avançai au milieu d'eux m'assurant de ne jamais baisser la tête, ne serait-ce que pendant une seconde. Et évidemment, fidèles à leur hypocrisie, ils accompagnèrent ma marche par un « bonjour, Mon roi » sur lequel je crachais intérieurement.
Arrivé à ma chambre, je me lavai et me préparai pour cette réunion qui ne s'était d'ailleurs résumée qu'à une discussion platonique, au tamponnage de milliers de papiers, et à l'au revoir habituel qui m'obligeait à les raccompagner jusqu'aux portes.
Je remontais enfin dans ma chambre vers dix-huit heure, dégrafais ma cape et posais ma couronne, retirai doucement mes chaussures et me laissai tomber sur le lit. A la force d'une seule pensé que je m'obligeais à avoir pour me donner le courage de persévérer, je retenais les larmes que je sentais monter : J moins neuf cent quarante-six.
____________________
« Au milieu des tourments la douleur est immense,
pour qui vit seul et qui souffre en silence. »
Publilius Syrus
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro