Chapitre Quatre.
- Le mauve. La couleur du mystère, du secret, du trouble et des questionnements sans fin.
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Chapitre Quatre.
CETTE JOURNÉE avait été bien plus longue que la précédente. Bien plus épuisante également.
Je m'étais préparé, quasiment entièrement habillé de la même façon qu'hier, et avais pris mon habituelle poignée de céréales, avec du lait cette fois, pour avaler les vitamines que Vaïma me donnait de force. Elle me trouvait pâle et maigrissant. Elle n'avait certainement pas tout à fait tord. À cause de cette réflexion je m'étais longuement regardé dans la glace ce matin là, et le spectacle n'était pas si mal en fait : juste une peau un peu pâle, aux teintes à peine moribonde, des cheveux en permanence en bataille et cassants mais pas moins sublimes, et de magnifiques yeux verts olive accompagnés au-dessous de demi-cercles légèrement bleutés.
Bon, en réalité je ressemblais à un mort vivant.
La seule chose qui me sauvait de la laideur complète, selon moi, était les nombreuses heures d'entraînements sportifs que j'avais suivi durant trois années, avant de les sécher puis de les annuler complètement ; je m'étais taillé un peu de muscles qui me donnaient un physique attirant.
Aujourd'hui, j'avais donné audience à tout un groupe de villageois. Oui, il y avait toujours des personnes qui vennaient me demander une audience malgré le fait que je faisais enfermer une moitié et que je faisais mourir la quasi-totalité de l'autre. Donc, ces villageois étaient venus solliciter mon aide parce qu'ils ne pouvaient s'empêcher de se battre pour quelques mètres de terre. C'était harassant, en plus d'être impossible à gérer. Fitz m'avait aidé à contenir ces gens et, au bout de deux heures, nous avions enfin compris que ce n'était pas les mètres carrés de terre qui posaient le plus problème mais c'était le conflit qu'avaient leur arrières grands-pères qui était la base de tout. Fallait-il encore le régler...
Je supportais tous les jours de moins en moins ce monde, ces gens. Le fait que je ne pouvais pas lire en eux, le fait que je ne pouvais pas les comprendre. Ni eux ni la situation de ce monde, et cela m'exaspèrait et me frustrait au plus haut point. Et puis le pathétique de cette situation réveillait en moi une colère sourde : un homme désigné roi, sans réelle préparation au préalable, de qui l'on exigeait une solution pour sauver un monde qu'il ne comprenait pas, un monde auquel il avait l'impression de ne même pas appartenir. Un homme condamné à porter un monde sur ses épaules jusqu'à ce que son souffle s'envole, sans que personne ne se dise qu'il n'en a peut-être pas d'assez larges. Qu'il étouffe... Mais, ce qui me tuais le plus à l'intérieur, je crois, était le sentiment d'impuissance, de faiblesse. Le sentiment d'avoir la Terre entière entre mes mains sans comprendre ni savoir que en faire. Et, surtout, le sentiment d'impuissance face à cette situation de laquelle il m'était impossible de sortir. Comme abandonné à mon sort.
Alors, aujourd'hui, ma journée avait été trop longue.
A treize heure trente je retournais enfin dans ma chambre, faisant la sourde oreille face aux appels de Fitz dans le couloir. Les tremblements que j'avais durant toute la fin de l'audience s'étaient accrus : j'étais en manque.
Vaïma était déjà là, dans ma chambre, à m'attendre, assise sur le fameux canapé beige à gauche du lit. Tant mieux. Voyant mon pas pressé et la hâte avec laquelle je me déshabillai, elle préféra ne rien dire et se contenter de préparer la seringue avant même que je ne vienne m'asseoir face à elle.
Quand elle me la planta dans l'une des petites veines bleues de l'intérieur de mon bras droit et laissa couler le liquide à l'intérieur de moi, je me sentis libre. Je sentis comme une trou noir se créer en-dessous de ma tête, s'agrandir rapidement et m'avaler, me laissant planer dans le vide. Je me sentis léger aussi ; la pierre qui s'était depuis longtemps accrochée à mon cœur se désagrégeait une nouvelle fois, lentement, pour seulement quelques heures. Quelques heures de plaisir intense et parfait.
~ ~
- 0001 ? Mon roi. 0001 !
J'entendais une voix m'appeler, d'abord au loin, mais ensuite de très près, et même de trop près. Cette voix criait dans mes oreilles.
- 0001 !
Puis c'est mon corps que je sentis remuer par une force extérieure.
J'émergeais lentement, les effets de la drogue ayant été additionnés au sommeil. Par la suite, j'ouvris les yeux.
- Ah, tu es enfin réveillé, dit Fitz satisfait, arrêtant de me secouer dans tous les sens et se postant debout près de moi.
Je me redressai péniblement. J'avais les yeux embués, la bouche pateuse et avais très chaud. Je passai une main sur mon visage et me levai pour rejoindre la salle de bain en titubant, peinant à remettre mes esprits en place, sans prendre la peine de demander des explications à Fitz. Il n'eut d'ailleurs pas besoin de cette attention pour prendre la parole.
- 0001, je suis désolé de te perturber durant tes heures de liberté, mais je devais t'annoncer que le château s'est fait attaquer.
Je tombai des nues. Et je tombai aussi littéralement par terre. Je ne saurais décrire mon étonnement : je ne pouvais absolument pas en croire mes oreilles. Comment est-ce que ça avait pu arriver ? Comment ?
- Mon roi !, fit-il en se précipitant vers moi pour m'aider à me relever. Est-ce que ça va ?
Je refusai immédiatement son aide en retirant vivement sa main qu'il avait posé sur mon bras gauche.
- Qui, Fitz. Qui a osé faire ça ?, demandai-je en me redressant sur mes mains pour me mettre en position assise, les genoux relevés et me servant d'accoudoir, et les jambes légèrement écartés.
Voyant que je n'avais pas l'intention de me lever, il s'assit lui aussi sur le sol en face de moi, en position de tailleur.
- Un groupe de rebelles venant des contrées du Nord il semblerait.
Je ramenai une main sur mon visage et frottai mes yeux à l'aide de deux de mes doigts.
- Pourquoi maintenant ? Pourquoi...
- Ça va aller.
- Ça va aller tu dis ?, haussai-je le ton en le regardant dans les yeux. Fitz, le cœur du royaume s'est fait attaqué et je n'ai même pas été là pour le défendre ! Et si ces rebelles avaient réussi leur coup ! Et si le pouvoir était tombé entre les mains de malfaiteurs !
- Ne t'inquiète pas, j'étais là, répondit-il posément d'une voix rassurante. C'est aussi à ça que je sers, tu sais ? A te seconder en cas de crise.
Je ne répondis rien. Je me sentais horriblement coupable : j'avais abandonné mon propre royaume, délaissé mes responsabilités, mis tout un monde en danger. Certes, je me plaignais souvent de ma situation, mais je ne souhaitais pas pour autant être le roi qui aurait servi un royaume entier sur un plateau d'argent à un vulgaire groupe de rebelles.
Pour la première fois depuis que j'avais été couronné, j'avais senti que je tenais à ce royaume et que je voulais son bien.
- Je me suis donc occupé de mettre les domestiques et Vaïma en sûreté et de donner les ordres nécessaires aux soldats et aux quelques militaires qui demeurent à proximité du château, avait-il repris.
- Merci Fitz.
- Toutefois, reprit-il, il m'a été impossible d'établir les ordonnances relatives à la protection renforcée du château ou encore de lancer des gardes à la poursuite de ces rebelles parce que il ne m'en a pas été donné le pouvoir. Je veux dire, s'empressa-t-il de se justifier face à mon regard interrogateur, pour établir des ordonnances et donner des ordres qui concernent l'extérieur du château, il faut soit être le roi, soit se faire consacrer de ce pouvoir, par le roi.
En me relevant pénible tout en rassemblant tous mes efforts pour rester droit, dans un souffle je dis simplement :
- Okey. Je te consacre premier ministre. Dis « amen » et on va dire que ce sera bon.
- Non, mon roi, dit-il en se levant à son tour puis ricanant et se mettant de nouveau devant moi, cela n'est pas aussi simple. Il faut soit faire une annonce publique soit, comme j'imagine que tu préfères rester dans l'ombre et éviter tous contacts avec les autres, tu pourrais simplement me donner la bague de la justice. Tu sais, cette bague que tu n'aimes pas porter et que tu délaisses dans les armoiries royales.
Je lui fis un signe nonchalant de la main droite lui signifiant de faire comme bon lui semblait tandis que l'autre était prise à me masser la tempe gauche pour tenter de calmer les maux de têtes infernaux que j'avais, sûrement dus à une chute de tension probable causée par la nouvelle de Fitz. Je m'engouffrai ensuite dans ma salle de bain, retirai mon jean noir, seul vêtement que je portais, et pris une douche froide, chassant du mieux que je pouvais le sentiment d'impuissance additionné cette fois-ci à celui de la culpabilité, qui me terrassaient et m'attiraient irrémédiablement vers le sol.
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