Chapitre 10
Malgré l'émotion du moment, la réalité rattrape bien vite Liz, accompagnée des souvenirs de ce qu'elle a vu. Voyant son sourire disparaître, Mats soupire, passe la main dans ses cheveux et il ferme les yeux, se concentrant. Les deux fauteuils du salon apparaissent devant eux et il fait signe à la jolie brune de s'asseoir. Celle-ci s'installe dans le siège confortable et sent son corps s'enfoncer.
— Ce que tu as vu est une guerre qui a opposé les Hommes et les Spectres il y a des milliers d'années de cela. A l'origine, ces deux peuples vivaient ensemble dans une parfaite harmonie : les Spectres aidaient les Hommes à l'aide leurs dons et en échange, les humains leur transmettait leur savoir. Ils habitaient dans les mêmes villes, et étaient mêlés sans distinction de race, de fortune ou de religion. Mais un jour, tout a basculé. La rancune des Hommes envers les miens étaient immenses : ils étaient puissants, importants et avaient des dons impressionnants. La guerre a éclaté, déchirant les deux camps et faisant des centaines de milliers de victimes. Les humains se servaient de techniques apprises par les Spectres et ne reculaient devant rien pour gagner.
En entendant son ami parler, il semble presque à Liz qu'elle vit la scène : elle revoit les images des paysages dévastés, des cadavres par milliers... Sans pouvoir s'en empêcher, elle frissonne.
— Le fragment de mémoire que tu as vu appartenait à Ava Branshorn, une jeune infirmière de l'époque. Comme tu as pu le remarquer, elle soutenait les Spectres et était déterminée à arrêter la guerre. Elle connaissait le danger encouru par son peuple et a petit à petit gravi les échelons, passant d'une soigneuse sur le terrain à une des cheffes les plus haut placées du gouvernement de l'époque, composé de généraux de guerre. Elle était intelligente, rusée, stratège et ne reculait devant rien qui lui permette de s'élever dans la société.
Mats se tait quelques instants pour reprendre son souffle. Liz, elle, est captivée par tout ce qu'elle apprend : l'idée même d'un passé commun entre les deux peuples la dépasse, elle est totalement incapable d'imaginer une chose pareille. Son ami reprend, la tirant de ses pensées :
— Elle a alors proposé au gouvernement de l'époque de disparaître. Son idée était simple : simuler une mort subite de tout son peuple, ainsi les Hommes croiraient avoir gagné et le temps passerait, allant jusqu'à les faire oublier les Spectres. À l'époque, ils étaient déchirés par la guerre et ont accueilli cette idée comme la seule solution, allant jusqu'à détruire toutes les preuves de leur existence et la mettre en place quelques semaines après. Pire encore, ils ont modifié les gênes ADN de tous les Spectres afin de les rendre invisibles aux yeux des humains. Tu t'es sûrement demandé comment ils cohabitaient sans se voir, et bien il se trouve que jusqu'à cette guerre, ce n'était pas le cas. Et même si de nombreux scientifiques se sont penchés sur la question, aucun n'a trouvé comment elle avait fait, le processeur leur étant inconnu. Ainsi, à peine quatorze ans après le fragment que tu as vu, la guerre était finie.
— Quatorze ans ? C'est...
Liz ne trouve pas de mot approprié pour achever sa phrase : effrayant, incroyable, impressionnant... Le silence s'étire après sa remarque, rompu par un soupir de Mats :
— Oui, c'est vraiment rapide, acquiesce-t-il. Après cela, les mois, les années puis les siècles sont passés et, comme prévu, bientôt mon peuple n'était plus qu'une légende connue par les plus vieux. Ava était louée comme la sauveuse par la majorité des Spectres, tous délivrés par la fin de la guerre. Elle en a profité pour s'auto-proclamer « Reine des Spectres », a fait appel à des dirigeants populaires pour la seconder et a mis en place des lois solides. Depuis cet instant, plusieurs milliers d'années se sont écoulées dans la paix, notre peuple ayant rompu tout lien avec les Hommes. Désormais, faire appel à eux d'une quelconque manière est punie sévèrement, et c'est pour cela que ton existence a tant chamboulé le Gouvernement.
— Et Ava ? Elle est morte depuis ?
Sans qu'elle sache pourquoi, c'est ce point qui retient l'attention de l'adolescente. Elle a l'impression de manque quelque chose, de passer à côté d'un détail important. Mais elle a beau se creuser le cerveau, Liz n'arrive pas à savoir quoi.
— Oui, quelques centaines d'années après le début de son règne, ce qui est assez jeune.
— Quelques centaines d'années ? Assez jeune ? s'étouffe la jeune fille à moitié.
Elle manque de tomber tant elle est surprise et sans son cœur s'arrêter quelques instants. Son cerveau repasse en boucle ce qu'elle vient d'entendre, incapable d'assimiler ces nouvelles informations.
— Ah, j'oubliais à quel point les humains meurent tôt... C'est à cause de la faiblesse de leur influence qui est en fait quasi inexistante puisqu'elle ne leur permet de déplacer les objets qu'avec un contact. Les Spectres, eux, ont une quantité d'influence bien plus grande, et il est rare qu'ils meurent avant d'avoir atteint huit cents ans. Arrivés à leur majorité, ils ne vieillissent plus et gardent la même apparence jusqu'à leur mort.
Huit cents ans. Huit cents ans. Huit cents ans.
Soudain, Liz a envie d'éclater de rire, réaction absurde dans la situation où elle se trouve. Elle trouve juste ça tellement... bizarre. Huit cents ans ! Elle a tant de mal à réfléchir qu'elle manque d'oublier un point pourtant important.
— Mais moi, combien de temps vivrais-je ? Je ne suis ni humaine ni Spectre...
Le silence qui s'étire après sa remarque la frustre au plus haut point. Pourquoi est-elle différente ? Pourquoi n'est-elle pas juste humaine ou juste spectre ? Évidemment, il fallait qu'elle soit une exception. Lassée de toutes ces interrogations, elle s'imagine ranger toutes ces questions dans un tiroir de son cerveau ornée de l'inscription « pour plus tard ».
— Bon, ce n'est pas grave, soupire-t-elle. Revenons à Ava.
Mats semble soulagé en l'entendant et il sourit, pour s'excuser de ne pas savoir, avant de continuer d'une voix plus assurée :
— A la mort d'Ava, ses descendants ont pris le relai. Ils se sont succédé les uns après les autres sans jamais que le peuple ne proteste. Actuellement, c'est Isaac Branshorn qui est au pouvoir. Peu s'en rendent compte, mais le Gouvernement tente de plus en plus de nous contrôler.
— C'est-à-dire ? Les Spectres ont un super-pouvoir qui leur permet de se manipuler ?
Même si son ton dégouline de sarcasme, Liz ne serait pas étonnée d'entendre son ami répondre par l'affirmative. Après tout, elle n'est pas au bout de ses surprises, comme ce qu'elle vient d'apprendre le prouve.
— Non, c'est bien plus complexe que cela. Lorsque Ava est arrivée au pouvoir, elle avait un peuple quasiment à la rue, toutes leurs villes ayant été détruites dans le but de disparaître. Il n'a pas été difficile pour elle d'effacer toutes les preuves de ce qui s'est passé avant la Grande Guerre. Presque rien n'a pu être sauvé, et ce que nous savons demeure incertain. À vrai dire, la plus ancienne trace que nous avons est ce fragment de mémoire qu'elle a distribué dans tout le royaume comme « base d'un nouveau monde » . Dans ce dernier, elle apparaît à son avantage comme la libératrice, tout en montrant les horreurs de la guerre.
— À son avantage... Question de point de vue, grogne l'adolescente. Je ne suis pas sûre que les Hommes apprécieraient ce fragment, où elle les insulte et projette de les manipuler.
— C'est vrai, mais du point de vue de mon peuple, ils étaient très dangereux et prêts à tout pour parvenir à leur fin. Des idées conçues sur ce fragment, qui ne montrait pourtant que ce qu'Ava voulait bien. En effaçant toutes les traces du passé, son but premier était de faire oublier aux Spectres qu'il existe d'autres régimes politiques qu'une monarchie absolue et d'autres façons de vivre. Et ça a marché : en plusieurs milliers d'années de règne de ses successeurs, jamais le Gouvernement n'a été remis en cause...
— Mais dans ce cas, nous devons leur montrer qu'Ava mentait et que les humains ne sont pas tous méchants et cruels. Nous devons leur révéler tout ce que le Gouvernement leur a caché et toutes les fois où ils ont été manipulés... Ainsi, ils comprendront.
— Si seulement c'était aussi simple, soupire Mats. Il faudrait un temps infini pour les convaincre de la vérité, tu sais. Mais je te promets de trouver une solution pour que la vérité éclate. Que cela prenne dix jours, dix mois ou dix ans, cette dictature cessera.
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