— Dringgggggggggg !

— Alors, les élèves, pour la prochaine fois, vous me ferez... commence une voix dotée d'un léger accent espagnol.

Aux sonorités mélodieuses, elle appartient à un homme d'âge mûr, avec quelques cheveux blancs qui s'échappent de sa queue-de-cheval. Vêtu d'une chemise rouge à carreaux et d'un pantalon beige, il tente sans succès de ramener le silence sur la classe chaotique. Avec un soupir interminable, il abandonne et efface le tableau. Les élèves se dépêchent de ranger leurs affaires, ayant hâte de quitter l'école et d'entamer le week-end.

Petit à petit, la salle se vide, et, en dernières, trois filles sortent en parlant joyeusement.

— Alors, Liz, je suis sûre que tu as adoré ce cours d'histoire, déclare d'un ton ironique une adolescente à la peau mate et aux cheveux attachés en un chignon décoiffé. Après tout, les châteaux du Moyen Âge, c'est tellement intéressant !

— Je n'ai jamais dit ça ! Et puis, tu sais très bien que je déteste les heures supplémentaires. Franchement, s'il était malade, tant pis pour lui, pas besoin de déplacer l'heure au vendredi soir, alors qu'on devrait déjà être chez nous, grogne une jolie brune au visage constellé de taches de rousseur.

— En plus, tu gardes Charlotte, ce soir, non ? Ma pauvre, tu vas passer une soirée horrible.

— Oh, tu sais Shemsy, c'est pas si nul que ça...

— Mais bien sûr, ricane la dénommée Shemsy, tout le monde sait qu'entre ta sœur et toi, c'est le grand amour.

— Eh, c'est pas ma faute ! Si elle n'était pas aussi rapporteuse, je suis sûre qu'on s'entendrait bien !

Soudain, la jeune blonde qui les écoute intervient d'une voix pressée :

— Les filles, si on ne veut pas avoir à prendre un billet pour sortir, on devrait accélérer !

À ces mots, les trois amies se mettent à courir dans les couloirs déserts, la métisse riant toujours.

Quelques minutes plus tard, épuisées, elles sortent de leur collège par une porte en bois massif. Il est tard, presque dix-huit heures et le soleil est en train de se coucher en ce début d'hiver. Heureusement, il ne pleut pas, même si les épais nuages qui trônent dans le ciel n'annoncent rien de bon. Désireuse de ne pas se faire surprendre par une averse, Liz embrasse ses amies rapidement avant de se diriger vers le passage piéton.

Son sac bleu marine pèse aussi lourd qu'un éléphant après cette – trop - longue journée de cours. À quelques mois du brevet, les professeurs les assomment de leçons et d'interrogations surprises. À vrai dire, elle ne se rappelle même pas la dernière fois qu'elle a passé une semaine sans contrôles. Cependant, on est vendredi et elle aura le week-end pour se reposer. Au programme : grasses matinées, films, balades... La belle vie !

La jeune collégienne rallume son téléphone, enfile ses écouteurs emmêlés et lance la musique, afin de se détendre un peu. Dans sa bulle, elle ne voit pas ce qui se passe et profite juste de l'instant présent. Elle fredonne l'air des chansons, oubliant qu'elle n'est pas seule dans la rue. Après quelques centaines de mètres, elle arrive au bord d'une grande avenue et se place sur le passage piéton, attendant le feu vert.

À cause des pluies récentes, la chaussée est humide et glissante et elle manque de tomber, se rattrapant in extremis à un poteau. Les véhicules qui passent dérapent, eux aussi, et l'éclaboussent parfois d'eau. Finalement, le bonhomme change de couleur et elle s'engage sur la route, chantonnant doucement. Alors qu'elle est au milieu de la traversée, un brusque mouvement à sa gauche attire son attention et elle voit une voiture noire foncer sur elle. À son bord, le conducteur ne parvient pas à freiner et semble horrifié.

Tétanisée, elle s'arrête net et lève les bras pour se protéger de l'impact. En l'espace d'une seconde, des flash de sa vie défilent devant ses yeux. Elle se revoit à table avec ses parents jouant à un jeu de société, au parc d'attraction en sortie scolaire avec sa classe, en train de lire Harry Potter dans sa chambre... Sans qu'elle puisse s'en empêcher, elle voit sa vie toute entière défiler et elle croit être sur le point de mourir.

Cependant, elle ne sent aucun choc et voit le véhicule piler brusquement à moins d'un mètre. Un soudain mal de tête la prend, lui donnant l'impression que quelqu'un à l'intérieur de son cerveau frappe tout ce qu'il trouve avec un marteau. Au bord de l'explosion, elle ferme les yeux.

Un étrange déclic se produit en elle, et Liz se sent soudainement légère, trop légère. Quand elle soulève à nouveau ses paupières, il lui semble voir à travers des lunettes de soleil aux verres couleur ciel. Sa vision est étrangement déformée, la silhouette du conducteur entourée d'un halo azur et ses mains, qu'elle a l'impression de voir à des kilomètres de distance, d'un bleu mêlé de rouge.

Mais ce qui l'effraie le plus, c'est la silhouette qu'elle aperçoit à quelques pas devant elle, celle d'un adolescent aux cheveux bruns en pagaille. Il a les yeux fermés et paraît très concentré, les sourcils froncés, la mâchoire contractée. Ses traits sont fins et bien dessinés. Il a un pantalon et une veste d'une matière noire qui ressemble étrangement à du cuir, mais plus foncée, et qui parait bien plus fine que la norme. Il se tient au milieu de la chaussée, ne semblant pas se rendre compte des risques qu'il encourt.

L'espace d'un instant, elle reste ainsi à le fixer, la respiration bloquée, quand il soulève ses paupières. Son regard croise celui de la collégienne, et il paraît surpris de voir qu'elle le regarde. Avant même qu'elle n'ait le temps d'esquisser un mouvement, il disparait et sa vision redevient comme avant.