7# Bulles de champagne
Bellis perennis ; pâquerette : affection, joie d'aimer
Isaac
Elle porte une robe longue offrant une vue divine sur son dos nu. Ses longs cheveux sont savamment noués dans un chignon. Ses yeux ont été soulignés d'un léger trait de maquillage. Dans cette galerie d'art, elle ne semble pas trop savoir où se mettre. Pourtant, je vois les regards posés sur elle. Alors, je la talonne de près, montrant qu'elle est venue accompagnée.
Après la journée de la veille, je me devais de lui proposer de la revoir. Au moment du pique-nique, elle a paru troublée, comme si elle ne savait plus trop où elle en était. Je n'ai pas vraiment chercher à enquêter sur tout cela. Par contre, au moment où elle s'est rattrapée à moi, à deux pas de cette falaise, j'ai senti un frisson me parcourir de pied en cap. D'abord, parce que j'ai craint qu'elle tombe. Ensuite, parce que j'ai senti ses mains sur moi et que je n'ai pas su comment réagir.
Je sais que Dahlia me plaît, c'est indéniable. Sa douceur se marie sa candeur. Sa beauté simple ajoutée à ce sourire timide. Je n'apprécie pas vraiment les grandes personnalités, je disparais derrière eux. Cette fleuriste me charme sans le vouloir.
Un grand buffet est dressé au milieu de la salle, mêlant verrines et champagne. Je rends poliment les signes de tête que l'on m'adresse. Je viens souvent aux expositions de Sam et je finis par croiser les mêmes clients.
— Attends, m'arrête-t-elle, se stoppant net dans le couloir. Ça, c'est de l'art ?
Son index me désigne une toile au goût suspect. Des traînées de peintures différentes y ont été jetées aléatoirement, donnant un résultat... particulier.
Elle s'avance jusqu'à la petite pancarte, sous le tableau. Puis revient vers moi, les yeux écarquillés.
— 1 500 euros, me souffle-t-elle à l'oreille. Même si tu me payes, je ne mets pas ça dans mon salon.
Malgré moi, j'éclate de rire devant son air ébahi. Soudainement, elle porte la main à sa bouche :
— Ne me dis pas qu'il s'agit d'une œuvre de ton cousin, me supplie-t-elle, désolée.
— Si, m'amusé-je.
— Oh non, pardon, pardon ! C'est très... conceptuel, tente-t-elle de se rattraper, mimant de ses mains, l'air gênée.
Alors, je me rapproche d'elle, soulève la mèche de cheveux de son oreille et lui murmure :
— Je déteste ce qu'il fait, c'est hideux. Je ne lui ai jamais dit.
Ses épaules se secouent d'un rire qu'elle tente de camoufler misérablement.
— Il m'a offert des tableaux. Je ne les sors que lorsqu'il vient.
Dans ce lieu très emprunté, son éclat de rire ne passe pas inaperçu. Mal à l'aise, elle se tourne à nouveau vers l'œuvre « conceptuelle », d'un air intéressé. Moi qui pensais qu'elle tenterait de se calmer face à tous ses regards, je remarque qu'elle rit toujours, observant les autres pans de mur.
— Je suis vraiment désolée, mais il s'agit du plus moche de l'expo, me confesse-t-elle.
Et je ne peux pas m'empêcher de la rejoindre dans son fou rire. Comme deux gosses, nous voilà obligés de sortir de la galerie, puisque nous faisions tache dans les coupes de champagne. A cet instant, Sam arrive, tout sourire. Discrètement, je donne un coup de coude à mon invitée, qui se remet rapidement de cet incident.
— Sam, mon cousin. Dahlia, ma... collègue, présenté-je.
Mon cousin m'offre un coup d'œil entendu, face à mon hésitation. Enfonçant Les poings dans mes poches, je ne cherche pas à démentir quoi que ce soit.
— Enchantée, murmure Dahlia, après un serrage de mains en bonne et due forme. Vos œuvres sont vraiment magnifiques.
Malgré moi, je lève les yeux au ciel et pince les lèvres, essayant de ne pas rire.
— Oh, merci beaucoup ! Ravi que mon travail vous plaise, sourit-il. N'hésitez pas, il y a des petits fours et tout ce qu'il faut à l'intérieur. Isaac, on se voit tout à l'heure.
J'acquiesce dans sa direction, tandis qu'il retourne dans la galerie. Une fois la porte fermée, je me lance dans une imitation pathétique :
— « Vos œuvres sont vraiment magnifiques » et blablabla...
— Tu es insupportable, soupire-t-elle, sans parvenir à camoufler ce petit rire.
— Viens, choisissons ta nouvelle décoration de chambre ! m'exclamé-je, passant mon bras sous le sien.
Et c'est de cette manière que nous pénétrons à nouveau dans le vernissage. Devant chaque œuvre, la fleuriste y va de son petit commentaire, assassin mais discret. Je crois que les coupes de champagne n'y sont pas pour rien. Découvrant cette nouvelle facette de sa personnalité, je m'en abreuve gaiement. Content qu'elle accepte peu à peu de se libérer en ma présence, je la suis dans ses critiques, m'esclaffant silencieusement.
Dahlia
Isaac s'est un peu éloigné avec Sam. Son cousin, un grand rouquin, a tout du stéréotype de l'artiste. Les cheveux en pétard, des vêtements hauts en couleur et des taches de peinture sur ses chaussures. Un lien fort semble lier les deux hommes. Je ne saurais le décrire : une sorte de fraternité, liée à un respect mutuel.
Ils ont l'air d'être dans une discussion sérieuse, ce qui tranche sérieusement avec notre après-midi de rires à tout va. Isaac a les bras croisés, les traits tirés et les sourcils froncés. Il écoute attentivement les dires de son interlocuteur avec intérêt. De là où je me trouve, je ne perçois aucune bribe de conversation.
Je ne comprends pas ce qui a changé. Il y a quelques jours encore, je me fichais de savoir le moindre détail de sa vie. Et, aujourd'hui, me voilà à rencontrer son cousin, même s'il s'agit de relations uniquement professionnelles. Surtout, une curiosité naît peu à peu dans mon esprit : de quoi parlent-ils ? Pourquoi Isaac paraît aussi contrarié ? Dire que je me fichais de comprendre pourquoi il n'était pas venu au restaurant, ce soir-là. A présent, je me questionne...
De mon côté, je fais mine de m'intéresser à cette sculpture d'un goût douteux. Je ne suis pas certaine de ce qu'elle est censée représenter. Nous en avons longuement débattu avec le paysagiste. Lui, opte pour une métaphore d'une forme phallique. Quant à moi, j'y aperçois uniquement une masse uniforme, comme un gros caillou. Nous n'aurons jamais le fin mot de tout ça.
La galerie se vide peu à peu. Chacun repart avec une œuvre. Si bien que, rapidement, les murs se retrouvent nus et blancs. Les gérants de l'endroit retirent les étiquettes explicatives et bientôt, il ne reste que des crochets vides. Le tableau de Sam a été un des premiers emballés. Preuve en est que mes goûts artistiques ne sont pas si développés.
C'est étrange. Dès mon arrivée, je me suis sentie bien, aux côtés d'Isaac, malgré l'ambiance guindée. A présent seule, je n'ai plus la tête à rire, j'essaye de passer inaperçue. Était-ce dû à mon collègue ou à l'alcool à bulle dans mon sang ? Troublée, je rejoins l'extérieur, ne me sentant plus à ma place ici. Sur le parking, les gens rangent précautionneusement leurs achats dans leur voiture. Où vont-ils les accrocher ? Dans le salon, face au canapé ? Au-dessus de la tête de lit ?
Un peu perdue, je déambule dans le petit hall vitré, jusqu'à m'asseoir sur un banc.
« — Parce que tu crois qu'un homme voudra de toi un jour ? Tu n'en as pas eu assez avec l'autre ?
— Mémé, s'il te plaît, arrête.
Après un soupir excédé, elle tourne les talons. »
Mon cœur se serre brutalement et j'en perds toute ma bonne humeur de la journée. Et si elle avait raison, au fond ?
— Ah te voilà ! s'exclame une voix masculine à ma gauche.
Sursautant, je retrouve Isaac, tout sourire, un sac en papier sous le bras.
— On y va ? s'enquiert-il. Il n'y a plus personne à l'intérieur.
J'acquiesce, le suivant en slalomant entre les quelques voitures restantes. Alors que nous rentrons dans l'habitacle de son véhicule, il pose le mystérieux paquet sur mes genoux.
— C'est pour toi, un cadeau de Sam, m'apprend-il en démarrant.
Surprise, je mets quelques secondes avant de réagir. Puis, je soulève doucement le papier cartonné, découvrant ainsi une petite toile carrée, sur laquelle est peint un paysage coloré.
— Il fait d'autres choses que du lancer de peinture sur toile, m'explique Isaac, un brin de fierté dans la voix.
— Mais, pourquoi me l'a-t-il offert ? balbutié-je, gênée. Je n'ai même pas pu le remercier.
— Je l'ai fait pour toi, ça lui fait plaisir, m'assure-t-il.
J'observe plus en détail le tableau. Et, celui-là me plaît vraiment beaucoup. Il représente un champ de pâquerettes qui semble en mouvement avec le vent. Le ciel bleu, légèrement nuageux éclaire le tout.
— S'il savait où j'habite, il ne m'aurait jamais donné ça, murmuré-je, plus pour moi que pour le conducteur.
— Pourquoi ? s'étonne-t-il.
— Je ne saurais pas trop où le mettre pour qu'il soit en valeur.
— Dans les toilettes. Tu auras les plus beaux de tout le village !
Je m'esclaffe, refermant le papier sur la toile pour ne pas l'abimer.
— Non, vraiment, pourquoi tu disais ça sur ton logement ? me questionne-t-il, l'air plus sérieux.
— Je... J'ai mis toutes mes économies dans la rénovation de la boutique. Et encore, je n'ai pas pu finir. La maison est un peu passée à la trappe, j'avoue du bout des lèvres.
— Et tu t'y sens bien ?
— Je ne vivrais ailleurs pour rien au monde.
— Alors, cette toile est très bien tombée, assure-t-il en souriant simplement.
La voiture s'arrête à un feu rouge. Isaac pivote vers moi et m'observe quelques secondes. Mal à l'aise, je gigote sur mon siège, sous son regard amusé.
— Amis ou collègues ? interroge-t-il en redémarrant.
— Pourquoi tu me demandes ça ? balbutié-je, surprise.
— Pour savoir, rétorque-t-il sérieusement.
Il est vrai que des collègues ne font pas de randonnées, ne se rendent pas à un vernissage, ne prévoient pas de se voir en dehors du travail. Cela ressemble plutôt à une relation d'amitié. Je m'étais déjà fait la réflexion, sans chercher plus loin. Isaac me fait du bien. Il est drôle, prévenant, intéressant. Si nos rencontres devaient se résumer à de simples projets arborés, je m'en retrouverais déçue. J'apprécie passer du temps en sa compagnie, en apprendre plus sur lui, en dehors des fleurs. Moi qui me suis enfermée dans ces pétales en tous genres depuis des années, voilà que j'en sors la tête et découvre quelqu'un avec qui le courant passe très bien. Je l'avoue, maintenant, j'ai peur de perdre ce lien. Parce que, depuis plusieurs semaines maintenant, il rythme un peu mes journées. Je sais que je peux vivre sans ça, j'ai bien réussi pendant longtemps. Seulement, ce paysagiste apaise mes maux, sans le savoir. Il ne porte pas de jugement sur mes comportements parfois étranges. Il ne cherche pas à creuser trop là où il ne faut pas. Et tout paraît tellement simple. Je n'ai pas envie de me prendre la tête. Pourtant, ce dimanche a été le meilleur depuis un bon moment pour moi. Nous étions comme deux adolescents à une exposition d'art que l'école nous a imposé et nous avons rendu ça ludique à notre façon.
Mon regard se pose sur cette toile emballée. Je pourrais l'accrocher dans la boutique, elle y aurait sa place. Mais, je crois que le souvenir de cette journée m'appartient, à moi et moi seule. Donc, je l'afficherai dans mon salon, pour m'en rappeler quand j'en aurais besoin.
A mes côtés, Isaac attend patiemment sa réponse, d'un air tranquille. Remontant ses lunettes rondes sur son nez, il enclenche les essuie-glaces pour contrer la pluie naissante. Au fond, j'aimerais que nous continuions ces activités amicales et ces projets qui me sortent de ma zone de confort.
— Amis, réponds-je, sûre de moi.
Alors, un grand sourire étire ses lèvres, tandis qu'il acquiesce, visiblement d'accord avec moi.
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Bonsoir !
Mes excuses, je n'ai pas pu poster la semaine dernière. Avec une semaine de travail à 60h, je n'en ai pas trouvé le temps...
Dans ce chapitre, nos deux loustics passent encore un cap, en formalisant leur amitié ! Et Sam creuse sa place petit à petit ... J'espère qu'il vous aura plu :)
Bonne soirée,
Fantine ~
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