1# Pour les fleurs
Elle
Furtivement, je jette un coup d'œil au client. Trempé par la pluie, il ne semble pas s'en faire pour autant. Les mains dans les poches de son jean, ses pupilles m'observent bizarrement. Un regard comme je n'en ai jamais vu auparavant. Il reflète tant une confiance en lui qu'une fragilité évidente.
Mal à l'aise, je me détourne vers le comptoir, le saluant poliment. L'homme ne prononce toujours aucun mot. A la place, il retire ses lunettes, qu'il essuie sur son T-shirt. Puis, il commence à déambuler dans ma boutique minimaliste, les mains liées dans son dos.
Perturbée, je joue machinalement avec l'ourlet de ma blouse. Lui faudra-t-il quelque chose pour sa moitié ? Pour sa grand-mère ? Pour son ex à qui il a brisé le cœur ? Mon cerveau réfléchit déjà à ce que je pourrais produire pour lui. Jusqu'à ce que sa voix résonne dans la pièce :
— Jolie composition.
Son pouce désigne ce que j'ai produit quelques minutes plus tôt. Flattée, je le remercie d'un murmure. Ses pas l'ont mené à son point de départ. Pourtant, il recommence le tour du petit commerce. A plusieurs reprises.
— Je peux vous aider ? m'entends-je demander, au bout d'un moment.
Aucune réponse. Habituellement, les clients entrent, me commandent quelque chose, puis repartent. Son comportement s'avère étrange. Il semble fasciné, presque ému. Un minuscule rictus étire ses lèvres, pudique.
Sept.
Il s'agit de son septième tour. Mon échoppe contient un grand plan de travail en acier dans le fond, quelques étagères remplies de couleurs. Et voilà. D'immenses fenêtres que je n'ai pas pu me résoudre à changer ouvrent le magasin sur la rue. D'habitude, le soleil baigne la pièce. Aujourd'hui, le gris céleste empreigne le lieu.
Cet inconnu contourne tout cela depuis dix bonnes minutes. Quant à moi, je reste derrière ma caisse, comme une idiote. Je ne suis pas du genre à suivre la clientèle en leur demandant toutes les cinq minutes s'ils ont besoin d'aide. Probablement que mes techniques de vente m'amènent à ce faible chiffre d'affaire. Seulement, je ne sais pas ce que cet étranger souhaite, et je peux difficilement le deviner. Alors, je patiente poliment, n'osant pas le déranger dans sa contemplation réservée.
Et, je l'observe. Du bout de ses doigts, il ose à peine toucher ce qui l'entoure. Il marche sur la pointe des pieds, comme s'il avait peur de casser quelque chose. De mon côté, son comportement me touche. Le plus souvent, les gens font attention. Mais jamais à ce point. L'homme ne semble même pas se rendre compte de ma présence. J'aurais pu me sentir outrée par son impolitesse. Seulement, sa compagnie s'avère apaisante.
Au bout du compte, je retourne à mon travail, le laissant vagabonder dans les deux maigres rayons. Derrière moi, je sens ses yeux qui me suivent intensément. Du moins, ils observent le moindre de mes faits et gestes. Intimidée, je manque de me couper mais fais mine de rien.
— Vous pourriez en faire un pour moi ? demande-t-il soudainement.
Surprise, je virevolte dans sa direction. Les mains croisées dans le dos, ses iris sont remplis d'un espoir non feint.
— Bien sûr, pour quelle occasion en avez-vous besoin ?
Ses sourcils se froncent subitement, comme s'il ne savait pas. En pleine réflexion, il finit par me répondre :
— Pour ma grand-mère.
Acquiesçant, je m'attelle à ma tâche. Commençant déjà à attraper ce qu'il me faut, j'essaye d'en savoir un peu plus sur cette vieille dame. L'inconnu semble surpris par ma démarche, que je m'empresse d'expliquer maladroitement :
— J'ai besoin de connaître un minimum la personne concernée, pour que le tout lui plaise assurément.
Le client acquiesce doucement et se détend peu à peu. Ainsi, il me dépeint le portrait de quelqu'un de calme, doux et adorant cuisiner des madeleines. Même si je décèle des fausses notes évidentes, je ne relève pas. Au fur et à mesure qu'il me dé livre son discours, je réunis toutes les couleurs, virevoltant entre mes quelques étals. Au dernier moment, j'ajoute de magnifiques iris bleus, qui réhaussent le tout.
— Cela conviendra ? m'enquiers-je, lui montrant le résultat.
— Parfait, assure-t-il, hochant la tête.
Enthousiaste, j'emballe précautionneusement le tout, avant d'encaisser le jeune client.
— N'hésitez pas à repasser à la boutique pour me dire si ça lui a plu !
Alors, il pose ses prunelles si perturbantes sur les miennes. Il donne l'impression de ne pas oser regarder les gens dans les yeux. Si bien que je ne sais plus s'il m'observe moi, ou bien son reflet dans le miroir abimé derrière mon dos.
— Comment avez-vous deviné, pour les iris ? s'étonne-t-il.
— L'intuition, avoué-je timidement.
L'étranger hume l'odeur de ces pétales bleus et son visage semble soudainement apaisé.
— Le plus important reste qu'il me plaise à moi, assure-t-il posément.
Après m'avoir saluée, il quitte la boutique. Le bruit du carillon résonne plus longtemps que d'habitude.
Lui
Renfrogné j'arrive dans la maison familiale. Je n'aime pas trop les effusions de sentiments. Surtout, il y a des gens que je souhaiterais éviter plus que tout.
Mon regard se pose sur le bouquet joliment orchestré par la fleuriste. En réalité, je souhaitais simplement un cadeau pour la fête des grand-mères, histoire qu'on ne me fasse pas de reproches. Déjà, l'effort de me rendre ici a été monumental. Mais ça, peu s'en soucie.
Les fleurs font taches dans le salon de mes grands-parents. Du moins, ce sont les retours qui atteignent mes oreilles. Même si Mémé a fait mine d'être ravie, elle les a de suite mis dans la cuisine, à l'abri des regards. J'aurais mieux fait de le garder pour moi. Ce bouquet me plaît pour d'innombrables raisons. J'aurais dû aller à la superette du quartier lui acheter trois fleurs à moitié fanées.
— Il a toujours fallu que tu te démarques des autres, s'amuse faussement ma tante.
Cette même tante qui m'a dit d'éviter cette charmant fleuriste. Ne cherchant même pas à riposter, j'hausse simplement les épaules, restant silencieux. Les relations familiales se sont toujours révélées très complexes. Surtout quand tout le monde sait, mais que personne ne parle.
Au loin, j'aperçois ma mère que je salue d'un hochement de tête avant de tracer mon chemin. J'aurais dû attendre encore une heure ou deux avant de mettre les pieds ici. Tant pis, j'aurais au moins fait acte de présence. Chaque fête familiale est évitée par mes soins. Ainsi, je n'ai pas fêté Noël depuis trois ans. Quant à mon anniversaire, tout le monde l'oublie sans le vouloir. Ou en le sachant pertinemment.
Peu importe, j'agis comme il me semble juste de le faire. Un jour, ça explosera. Plus personne ne pourra faire semblant. Finalement, je me fraie un chemin jusqu'à Sam, mon cousin. Le seul ici qui m'ait jamais cru. Au fond, je suis venu aujourd'hui uniquement pour le voir. Il le comprend instantanément.
J'aurais au moins fait le déplacement pour lui.
Et pour les fleurs.
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Bonsoir tout le monde !
Voici le premier chapitre, un peu court, mais comme d'habitude, ils se rallongent au fur et à mesure, promis. Vous avez déjà quelques éléments ! J'espère qu'il vous aura plu ?
Petite note d'autrice :
Pour certains, nous nous suivons depuis plusieurs années, et nous avons un peu grandi ensemble... Alors, je me dois d'être honnête :
Je vous avoue que j'ai eu beaucoup de mal à reprendre l'écriture parce que j'avais l'impression de tourner en rond, d'écrire les mêmes choses. Alors, oui, il risque d'y avoir des similitudes avec d'anciens romans. Malheureusement, je peux difficilement faire autrement, mais le fond de l'histoire sera complètement différent pour le coup ! J'espère que vous ne m'en tiendrez pas rigueur, ça m'a bloquée pendant longtemps. J'ai toujours eu à cœur d'écrire sur des sujets peu traités. Finalement, j'en ai tellement traités que je n'avais plus trop d'inspiration... Les thèmes de ce roman sont bien clairs dans ma tête et le schéma se trace peu à peu. Je crois que je me mets trop la pression, par peur de vous décevoir.
D'un côté plus personnel, j'ai vécu des trucs pas cools qui font que j'ai du mal à croire en les gens, à l'amour, aux sentiments. Alors que c'est l'essence même de mes romans, donc je dois jongler avec ça aussi, mais j'en ai besoin. J'avais besoin d'être transparente sur tout ça avec vous, et je compte bien aller jusqu'au bout de cette écriture :)
Tout ça pour dire : j'espère de tout cœur que le résultat vous plaira, n'hésitez pas à me dire si quelque chose vous dérange dans ma manière de monter cette histoire !
Bonne soirée à vous,
Fantine ~
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