Très cher poisson,

Serais-ce malpoli de te demander comment tu vas, lorsque que je t'ai jeté sans une once d'hésitation dans les toilettes ?

En tout cas, je te le demande tout même, même si cela te blessera sûrement : Comment vas-tu ?

Vois tu, je trouve cela très étrange qu'en cette journée où je suis encore alitée, je trouve le temps et j'ai l'idée saugrenue de t'écrire.
Ce n'est pas comme si nous avions partagé des aventures incroyables, ou que nous avions des souvenirs inoubliables qui repassent en boucle dans mon esprit.

Non.
En fait c'est encore plus étrange parce que la seule interaction que nous n'ayons jamais eu fut moi qui te donnais ces pastilles pour poissons très louches. Je suis sûre qu'elles ont eu un rôle principal dans ta mort.

Et en fait, ce qui est encore plus étrange, c'est que je t'écris alors que tu es un poisson que je n'ai connu qu'une seule nuit.

Te souviens tu ?

Je t'avais emmené dans mon chez-moi dans un verre. Je me disais que tu devais être bien serré, dans ce petit verre que la vendeuse m'avait tendu. Elle avait dit que tu n'étais pas mort. Moi j'avais des doutes, parce que tu ne bougeais pas. Et alors, j'avais secoué le verre et tu t'étais mis à nager vigoureusement, en cercle.
Ça m'avait rendu un peu triste, je dois te l'avouer.

Et avec mon père, on était vite sortie de la boutique qui sentait l'oeuf pourri et l'eau salée. On était allé chez moi et ma mère était très fâchée. Elle avait dit qu'elle ne voulait pas de toi et que, de toute façon, elle allait pas s'occuper de toi.

Ça m'avait fait un petit mal au cœur. Mais bon. Je comprenais. On était allé chercher des yaourts et on revenait avec un poisson étouffant dans un verre.

En plus c'était stupide. J'avais pas d'aquarium. Alors je t'avais mis dans un bac, rempli d'eau, pas trop froide ni trop chaude, et puis c'était ça, ta maison provisoire. Un peu comme une tente.

C'est drôle et triste à la fois d'y repenser. Ça me rend toute bizarre. J'ai l'impression que je vais me mettre à pleurer. Alors que je t'écris une lettre sympathique à la base.

Je t'avais donné un peu à manger et j'avais fait vibrer l'eau pour te voir nager. J'étais toute contente. J'avais enfin un animal de compagnie. Un ami à qui parler.

C'est juste un poisson, on aurait pu me dire. Mais pour moi t'étais plus que ça. T'étais mon vrai ami, mon ami poisson.

C'est vrai que tu parlais pas mais c'était pas une barrière, n'est-ce-pas ?

Et j'étais allé me coucher, avec joie. Le lendemain je m'étais réveillée toute excitée. Je voulais te voir, et puis toi t'étais déjà plus là.

Je crois que c'était la première fois que je voyais la mort d'aussi près. Quoi que. Non. En fait c'était pas la première fois, mais, faisons comme si.

C'était la première fois que j'expériencais là mort d'un ami en tout cas ! Voilà !

J'étais en débardeur avec mon pantalon à moitié mis, et mon sourire s'était fané en te découvrant, ventre à l'air. Tu flottais. Sans bouger. Je t'avais touché, rapidement, pour voir si t'étais encore vivant. Et en fait, ben le truc, c'était que t'étais bien mort.

Une boule s'était formé dans ma gorge, et j'ai commencé à avoir du mal à respirer. C'était bizarre.

J'ai pleuré quand ma mère m'a demandé pourquoi je faisais tête. Elle m'a fait un gros câlin et on t'a jeté dans les toilettes.
Au début de cette lettre j'ai dit que je l'avais fait sans hésitation mais je te jure que c'est faux. J'avais super peur que d'un coup, alors que la tornade de la chasse d'eau était en train de se former, tu te mettes à nager.

Tu ne l'as pas fait, cependant.

Au fait, si tu te rappelles pas, je t'avais appelé Pita. Pas comme le pain, comme le gars dans Hunger Games. Je savais pas l'écrire.

Bon ben voilà quoi. Je voulais juste, je sais pas, t'écrire une lettre.

C'est un peu débile. Je m'en rend compte à la fin. Mais c'est pas grave non ? C'est l'intention qui compte.

Bon. À plus tard, peut-être.

Ton amie d'il y a longtemps et que t'as sûrement oublié.

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Cette fois-ci c'est pas vraiment un souvenir mais plus une lettre sur un souvenir.
Oui, je viens d'écrire avec sérieux une lettre à un poisson. Mais bon ! Il faut de tout dans ce monde.

Je voulais vraiment la mettre ici, parceque je fais ce que je veux après tout et que ça reste un souvenir, n'est-ce-pas ?

Comme d'habitude, merci d'avoir lu, ça me fait super plaisir !

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