Le jeu du mouchard
Le soir arriva trop vite au goût de Javert.
Le policier s'était changé. Ce soir, il était devenu un mouchard, habillé en ouvrier. Il avait troqué son uniforme pour un costume civil, de qualité moyenne. Ses cheveux, trop longs, étaient tressés pour être cachés dans une casquette. Et il avait diminué la taille de ses favoris.
Ce soir, il était un mouchard et il allait en territoire ennemi. Javert ne s'embarrassa pas de son pistolet. A quoi bon ? Il ne pouvait pas tirer avec ses mains abîmées. Il prit juste un couteau pour le glisser dans sa botte. Et son sifflet qu'il découvrit posé tout bêtement sur son propre bureau au commissariat de Pontoise retrouva sa place au fond de la poche de son carrick.
Un trajet en fiacre et Javert se fit déposer devant le couvent. Ce soir, il allait devoir marcher plusieurs heures, il voulait économiser le plus de monnaie. Ses pieds n'allaient pas être une partie de plaisir.
Javert regretta de ne pas avoir pris le temps de manger un vrai repas chaud. Il se promit un friand à la saucisse et une pinte de bière dans le premier estaminet digne de ce nom. La fatigue, la faim, le froid ne faisaient pas bon ménage. Il devait conserver toutes ses facultés.
Un instant, Javert regretta Rivette. Le jeune inspecteur n'était pas le plus efficace des collègues mais il avait la déplorable habitude de forcer Javert à boire et à manger. A le rendre plus humain.
Mais même Rivette avait été une source d'ennuis aujourd'hui. Lorsque la silhouette reconnaissable de l'inspecteur avait été visible dans la Préfecture de Police, le jeune homme s'était jeté sur lui, les yeux brillants de colère :
" Alors comme cela on avait relâche ?, mordit violemment le policier.
- Je n'avais pas besoin de ta présence, se défendit maladroitement Javert.
- La preuve ! Gramont a raconté l'affaire avec grand plaisir ! On peut savoir pourquoi je n'étais pas convié ?
- J'ai préféré... Ha ! Peu importe ! J'ai fait une erreur...
- Et aujourd'hui ?, reprit plus paisiblement Rivette, conscient de la gêne de son aîné.
- Les équipes ont été changé sur ordre du chef de la Sûreté."
Rivette haussa les sourcils, stupéfait. Javert avait été plus lourdement sanctionné que ce qu'il pensait.
" Mais avec qui tu es accolé maintenant ?
- Un type de la Sûreté.
- Un fagot ? Merde ! Je suis désolé Javert.
- Je ne récolte que la monnaie de ma pièce. Et j'ai mal géré mes affaires hier.
- Oui, mais un homme comme toi... Travailler avec un gonze de la Sûreté..."
Rivette était jeune, il était gentil et attentionné. Javert ne supporta pas le regard rempli de compassion et de pitié que son collègue posa sur lui.
Il préféra briser là et demander une audience auprès de M. Chabouillet.
Cette fois, il ne s'attendait pas à de la compassion...mais à de la déception, voire de la colère.
Une journée difficile.
Voyons ce que la nuit allait apporter ?
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Perdu dans ses pensées, l'inspecteur ne remarqua pas que le fiacre était arrivé devant le couvent du Petit Picpus. Javert descendit et se retrouva devant la lourde porte du couvent. Il se sentait ridicule et stupide.
Comme si Valjean n'avait pas profité de cette journée de liberté pour s'évader encore une fois.
Se traitant de jobard, Javert frappa au linteau. On entrouvrit un guichet et un regard féroce apparut.
" C'est pour quoi ?
- Je dois parler à Fauchelevent, lâcha Javert, d'une voix rocailleuse.
- Et vous êtes ? "
Cela fit sourire le policier. Ils n'avaient pas discuté des détails de leur présentation.
" Je suis le rabouin. Appelez-le ! "
L'homme grommela que ce n'était pas très régulier mais il fit ce qu'on lui dit.
Javert attendait Valjean, sans trop y croire. Il patienta quelques minutes puis s'apprêta à partir, amer, lorsque la porte du couvent s'ouvrit.
Laissant passer une silhouette bien reconnaissable.
Jean Valjean était là.
Javert resta gelé, voyant s'approcher de lui l'ancien forçat. Mal à l'aise, Valjean retira sa casquette pour saluer le policier.
" Bonsoir insp...monsieur...
- Bonsoir Jean, " répondit clairement le mouchard.
Valjean fut surpris de s'entendre appeler par son prénom. Javert s'approcha et tendit la main pour la poser sur l'épaule du forçat, appuyant un peu sur le muscle. Les bandages apparurent, un bref instant visibles dans la lueur des lampadaires.
" Prêt pour un tour de ville ?
- Oui...monsieur ? "
Javert darda ses yeux clairs sur son compagnon et lâcha :
" Fraco."
Devant le regard surpris, Javert expliqua :
" Mon prénom."
Un prénom gitan ! Valjean comprit l'étrange appellation utilisée par Javert avec le portier du couvent. Le rabouin.
Valjean ne dit rien et acquiesça. La main disparut de l'épaule et Javert marcha quelques pas.
" En route, mon prince. Un tour de la Grande Vergne en ma compagnie. Cela ne se refuse pas."
Valjean s'inclina et suivit le mouvement.
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Ce ne fut pas le froid qui sortit Valjean de sa torpeur, mais la voix de Javert sortant de l'étranger qui l'attendait à la porte et l'énorme main qui vint se reposer sur son épaule en toute familiarité.
Javert s'était non seulement appuyé sur son épaule, mais il avait aussi exercé suffisamment de pression pour rendre inutile la tentative de se dérober que Valjean fit. Javert le devinait et anticipait ses réactions. Et cela causait à l'ancien forçat le sentiment oppressant de ne pas marcher sur de la glace, mais sur des sables mouvants.
Tous deux marchaient sur la neige, tendus et vigilants. Deux étrangers déguisés qui, en quelque sorte, se reconnaissaient et se craignaient.
Quelques heures plus tôt, Valjean avait fait ses adieux à l'homme froid et brutal qu'il connaissait depuis ce qui lui semblait être une éternité, et avait été bien déterminé à lui échapper.
Maintenant il se savait piégé par ce Fraco, mais il n'avait aucune idée de qui pouvait être l'homme qui se faisait appeler ainsi.
Fraco. Le prénom qu'une mère avait donné à son fils. Pas le nom qui avait été prononcé avec crainte dans le Bagne ; ni le nom dont Valjean s'était servi pour soumettre son inspecteur lorsqu'il lui confiait des travaux ingrats et attendait son obéissance aveugle.
Pas le nom qui l'avait hanté depuis l'affrontement à la maison Gorbeau.
Qui pouvait être ce Fraco ?
Il pensait connaître Javert. Pour Valjean, Javert ne pouvait être qu'un uniforme de plus, encore un cœur dur et une tête remplie d'intransigeance.
Il était aussi ce Fraco.
Un homme sans intérêt, un individu parmi tant d'autres qui consomment leur vie derrière un comptoir, ou sur un échafaudage. Quelqu'un capable d'être amical, voire plaisant. Un homme capable de poser une main sur son épaule sans lui causer de souffrance. Un type meurtri et aussi vulnérable que lui-même.
Est-ce que cet homme pouvait bien être Javert ? Et, dans ce cas, qu'attendait-il de lui ?
A Montreuil, Javert n'avait pas été capable de mentir pour sauver son emploi. Il avait préféré sacrifier son avenir plutôt que de ternir son intégrité.
Un simple déguisement faisait de lui un individu différent. Un homme qui avait perdu de la raideur dans ses paroles et sa tenue et qui avait tendance à gesticuler en parlant. Un type dont le sourire ne semblait pas être un condensé de sarcasme.
Mais comment était-ce possible ?
Oui, Valjean s'était aussi déguisé par le passé. Dans une certaine mesure, il le faisait toujours. Valjean n'avait jamais osé faire irruption dans la vie des gens qui l'entouraient, il s'était juste insinué. Il s'était limité à être l'homme que les autres voulaient s'imaginer, surtout à Montreuil. Cela ne lui avait pas réussi : Madeleine n'avait jamais été à la hauteur de l'homme que les autres avaient décidé qu'il était.
Mais Fraco semblait doté d'une vie bien à lui, très différente de celle de Javert.
C'était absurde.
Pourtant, en le voyant arpenter la nuit parisienne, l'ancien forçat comprit deux choses : que Javert et Fraco étaient aussi déterminés l'un que l'autre, et que ce qu'ils attendaient de Valjean était intolérable à ses yeux.
Ils voulaient le faire pointer du doigt son prochain pour le dénoncer.
Et lui, qui avait porté tant de noms, demeurait en fait le paysan ignare qui avait souffert dans sa chair les caprices de la justice humaine et qui l'avait reniée. Avec violence, au début. Avec patience et résignation depuis qu'un évêque avait acheté son âme.
Une erreur de sa part serait suffisante. Il suffirait que l'homme qui l'avait attaqué ressemble trop à un autre. Comme cela s'était passé avec Champmathieu.
Et dire que ce pauvre homme aurait pu être l'un des nombreux frères que la vie lui avait enlevés et emporté loin de Faverolles !
Comment forcer la main du destin et intervenir dans les desseins de Dieu ? Il l'avait déjà fait auparavant... Oui.
Valjean avait empêché certains malheureux de rencontrer leur créateur trop tôt. Mais durant ces exploits, Dieu avait guidé sa main, et c'était Son œuvre, et non pas celle de Valjean. Cependant, ce soir il se préparait à livrer ses frères à la justice. A la colère aveugle et faillible de l'homme. Aurait-il le cran de le faire ?
Valjean en doutait...
Comme fait exprès pour réfuter le chaos qui s'ancrait dans son esprit et dans sa poitrine, Paris était beau la nuit. Le froid était vif, la neige tombait et le sol boueux devenait de la gadoue. Mais le ciel nocturne était constellé d'étoiles, l'air était rempli des fumées des cheminées, le son portait loin, cristallin dans le silence.
Une belle nuit pour une patrouille.
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Les deux hommes marchaient en silence. Javert se dirigeait vers le quartier Saint-Michel, surpris malgré lui de voir Valjean à ses côtés. Il s'était tellement attendu à ce que le forçat prenne son envol.
Le forçat avait vieilli. Les rides s'étaient développées autour de ses yeux mais cela ne rendait que plus remarquable le bleu profond de ses yeux. Ce n'était pas que des rides dues au malheur, il y avait du rire dans les plis encerclant les yeux, il y avait de la douceur dans le regard.
Jean-le-Cric était devenu un vieillard, calme et apaisé.
Mais Javert n'était pas dupe.
Sa main se serra sur l'épaule et il ne lâcha pas le forçat dans les rues obscurcies de la ville.
Javert savait trouver un de ses mouchards au quartier Saint-Michel, un gonze du Nord. L'homme avait été sauvé de la Force par Javert, ce qui en avait fait un homme à son service.
Une nuit de marche.
Valjean était un compagnon reposant. Silencieux et calme. Javert appréciait la présence tranquille. Cela lui rappelait des patrouilles à Montreuil effectuées en compagnie du maire. Silencieuses et calmes, elles aussi.
Même si le chien essayait toujours de prendre le vent et surveillait le forçat déguisé en maire.
Valjean ne servait pas à grand chose en réalité. Sauf à imposer une présence qui permettait au policier de faire parler ses mouchards.
Certains étaient plus retors que d'autres et Javert était diminué. Incapable de serrer une gorge ou de cogner un mur de sa matraque. Faire l'acteur pour intimider et pousser à parler.
En fait, Valjean était impressionné par le policier. Jamais M. Madeleine n'avait vu travailler son chef de la police. Il l'avait accompagné parfois, il l'avait souvent critiqué et admonesté. Mais l'avoir vu au travail. Jamais !
Oui, Javert était un bon policier.
Et Valjean était capable d'apprécier en connaisseur la capacité de l'inspecteur de se mêler aux ombres. Javert semblait savoir où s'arrêtait le faisceau de lumière que diffusait chaque lanterne ; il parcourait sans hésitation les moindres recoins des ruelles les plus reculées ; il serrait les dents contre le froid et se fondait avec la muraille pour attendre le moment où sa proie apparaîtrait.
Et puis il se jetait sur elle, sauvage et implacable.
Javert connaissait sa ville ; il connaissait son métier, et l'étendue de ses connaissances était si vaste que, au début, Valjean était aveuglé par la confiance que le policier distillait dans chaque geste, et négligea certains détails qui l'irritèrent petit à petit.
Des détails telle que l'agressivité de l'inspecteur, qui semblait émaner de lui tout naturellement, mais être sous contrôle absolu.
Aux yeux de l'ancien forçat, la violence dont Javert faisait étalage n'était pas si loin des prouesses techniques que déploierait un chanteur lorsqu'il exécute des roulades dangereuses sans la moindre crainte de ce que sa voix se casse.
Jusqu'à ce que Javert montre des signes de frustration. Alors, quelques mouchards se trouvèrent épinglés au mur, claquant des dents devant la menace représentée par l'inspecteur. Et, Valjean en était sûr, aussi par l'homme massif à ses côtés.
Puis Javert commença à jouer dur.
" Je ne sais pas inspecteur, souffla l'un des mouchards.
- Te fous pas de moi, Broucke ! Tu es du Nord !
- Je ne sais rien inspecteur.
- Mange le morceau ! Des chauffeurs ! Tu en as forcément entendu parler, tu es dans les affaires ! Monsieur l'escarpe ! Faut-il que je t'empoigne jusqu'au quart [commissariat] ?
- Un gonze... Un gonze est arrivé il y a quelques semaines... Il cherchait de l'embauche... Pour un fric-frac...
- Hé bien, tu vois quand tu veux ! "
Un sourire carnassier.
Des visages blêmissaient.
Mais c'était difficile d'avancer. On n'osait pas tout dire, même en ayant peur de la rousse. Même en ayant peur de Javert. Sa proie devait être une brute, prêt à tuer d'autres malfrats pour effrayer autant les mouchards de l'inspecteur redoutable et redouté.
" Péronne, je crois, inspecteur, lâcha un autre mouchard, une prostituée.
- Tu crois ?, grognait le policier.
- Je vais chercher, fit la femme, affolée de voir le regard dur du policier posé sur elle.
- Bien. Je sais où te trouver. Toi et ta fille. Hein la Jacquotte ?
- Oui, monsieur..."
Des visages livides et des mains qui tremblaient.
Mais Javert n'avait pas le choix. Il lui fallait une piste !
" Son NOM ?
- Le Poron ?
- Je sais ! SON VRAI NOM ! Faut-il que je te poisse ? Une nuit au mitard te déliera la langue. Imagine tes compères lorsqu'ils apprendront que tu m'as parlé.
- Non, non. Pitié inspecteur !
- Alors le Poron ?
- Je ne sais pas, inspecteur.
- TE FOUS PAS DE MOI ! Quand un gonze a besoin d'une turne [chambre], il vient te voir. Le gonze est arrivé il y a quelques semaines. Alors le Poron ?
- Je...je vais regarder inspecteur... Je n'ai pas logé ce type mais j'en ai entendu parler. J'ai des contacts.
- Tu as intérêt sinon ta turne se réduira à la taille d'une cellule à la Force. "
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Valjean avait commencé la soirée en se sentant impressionné, mais il ne lui fallut que très peu de temps pour être écoeuré du jeu de Javert.
Depuis que l'inspecteur avait mentionné la fille de cette Jacquotte, il était aussi terriblement indigné.
Comme si quelqu'un dans sa situation pouvait se le permettre !
Il fit ce qu'on attendait de lui : il garda le dos de Javert et se débrouilla pour que sa silhouette obscurcisse la vue des malheureux que le policier tourmentait.
Mais il avait commencé à serrer les mâchoires pour se forcer au silence, et il ne se cachait plus pour fixer le policier avec la colère froide qu'il avait ramenée avec lui du Bagne.
De son côté, Javert était satisfait pour une première nuit.
La nuit rattrapait le jour. Il n'avait pas grand chose, mais il avait tiré quelques ficelles, il fallait attendre que quelqu'un quelque part réagisse.
Bien entendu, il devait tenir suffisamment ses mouchards pour qu'ils ne le trahissent pas. Dieu merci, la présence inquiétante de cette statue de sel qu'était Jean Valjean avait servi ses intérêts.
Chacun avait regardé avec inquiétude, voire terreur, cet homme silencieux qui se tenait au côté de l'inspecteur.
Javert était satisfait...puis il comprit que quelque chose n'allait pas avec Valjean...
La présence de l'ancien forçat devenait de plus en plus agaçante. Ses regards se faisaient plus insistants et énervaient le policier.
Javert se retourna avec vivacité et lui fit face.
" QUOI ?
- Je n'ai rien dit, inspecteur."
Valjean se servit des inflexions de voix polies de Madeleine dans un suprême effort pour ne pas se dévoiler. Depuis des heures, il essayait de se convaincre que c'était de la charité chrétienne que d'être compréhensif envers Javert, car son combat était sans merci et, par la force des choses, il devait faire des victimes. Mais une petite voix sournoise répétait dans sa tête qu'il était devant le même loup qui avait patrouillé les rues de Montreuil, et que cet animal était toujours prêt à jouer ses sales tours.
Cette même petite voix lui demandait d'ailleurs avec insistance comment il avait pu penser, ne serait-ce qu'un instant, que Javert et Fraco n'étaient pas le même chien portant des colliers différents.
" Déballe, Valjean ! Je n'ai plus la patience pour tes petits jeux de bourgeois de pacotille.
- Bourgeois ? Quand aux yeux de la loi et aux vôtres, je ne serai plus jamais un homme ? Je ne suis pas libre de dire ce que je pense, ce qui est juste, parce que je ne suis pas censé être capable de penser. Je ne vois donc pas ce que vous voulez de moi, inspecteur. "
Le ton désinvolte de l'ancien forçat ne trompa pas l'inspecteur.
Javert sourit. Cela ne fut pas agréable à voir.
Mais il prit doucement le coude de Valjean et le pressa de continuer à marcher.
" Nous sommes entre collègues, tu te souviens ? Ce n'est pas quelque chose que j'aime, mais jusqu'à nouvel ordre, tu es libre de dire ce qui te vient à l'esprit. Je préfère ça à tes regards qui me font regretter ma matraque.
- Dans ce cas, inspecteur. Mais ce que je dois vous demander est plutôt délicat. "
Valjean prit une profonde inspiration.
" Vous est-il déjà venu à l'esprit que, parmi toutes ces gens que vous terrorisez, il y a peut-être quelqu'un qui essaie de se refaire une vie ? De se remettre sur le droit chemin ? "
Valjean leva la main pour gratter son oreille rougie. Puis il échappa brusquement à l'emprise du policier.
" Avez-vous la moindre idée d'à quel point il doit être difficile de passer leur vie à craindre de vous voir débarquer pour les faire chanter ? "
Javert fut amusé par l'attaque.
Amusé, pas fâché.
Il regarda Valjean et son rire éclata dans la rue. Vilain, il fit plisser les yeux de Valjean.
" Le droit chemin ! M. Madeleine... Alors allons-y et devisons un peu de rémission. Vous y croyez hein ? A la rémission ?
- Javert..., commença Valjean, un bref instant, menaçant malgré lui.
- La Jacquotte est une faiseuse d'anges, tu imagines cela Valjean ? Une faiseuse d'anges ! Elle aurait dû finir sous la lame de la Veuve. Pourquoi n'y est-elle pas ? Car je l'ai sauvée ! Elle est une indicatrice. Sa fille est une punaise. Elle hante les trottoirs de la rue des Francs-Bourgeois. Je la sors de la rue de temps en temps pour une soupe chaude et une discussion à l'abri de mes cellules. Figure-toi que j'essaye de lui trouver une place dans un bordel de bon aloi.
- Pourquoi ne pas les laisser en paix ? Qu'elles payent une bonne fois leur dette envers vous !
- Ce sont des dettes à perpétuité !, asséna durement le policier. Elles me doivent la vie et la protection ! Tu veux que je te parle de Broucke ? Lui c'est un floueur ! Il joue dans les cercles de jeu de Saint-Honoré et il arnaque les clients. Un joueur professionnel ! Je l'ai protégé de la prison.
- Mais pourquoi ? Je ne comprends pas cela ! Vous ne sauvez pas les hors-la-loi !
- Plaît-il Valjean ! Je sauve les criminels qui peuvent servir mes intérêts et ceux de mon patron. J'ai mis dix ans pour me faire un réseau de mouchards. Cela englobe tous les milieux, tous les quartiers. Je travaille aux Affaires politiques !
- Vous êtes cruel et cela s'appelle du chantage ! Vous me décevez inspecteur ! Vous... me dégoutez !"
Nouveaux rires et Javert sourit, amèrement.
" J'ai hésité à t'utiliser au bagne, 24601 ! Tu étais trop insoumis, trop stupide pour saisir ta chance de travailler avec la garde. Vidocq a été moins regardant... Coco-Lacour... Coco-Lacour a réussi à survivre par d'autres services... On offre ce qu'on peut pour sauver sa vie ou sa liberté.
- Je vous croyais...droit...
- Déçu monsieur le maire ? Je ne suis plus à Montreuil, je sers une ville de presque huit cent mille habitants et nous sommes deux cent officiers de police à peine. Nous avons la sécurité des habitants à assurer. Et moi...je suis chargé de la sécurité du gouvernement. Alors tu m'excuseras Valjean mais la sécurité de tous passe avant le bien-être de quelques mouchards.
- Vous étiez un salopard à Toulon, je vois que vous êtes resté le même, cracha Valjean.
- Non. J'étais plein d'idéalisme à Toulon, je croyais à la rédemption, à la réinsertion... J'ai même surveillé la classe de lecture... Aujourd'hui... Je sais ce que les hommes valent. Je sais leur prix.
- Quel est le vôtre si ce n'est pas indiscret ?, demanda brutalement Valjean.
- Pas très élevé. Je veux juste assurer mon travail de mon mieux et rendre mes supérieurs satisfaits de moi. Je ne mérite rien de plus. "
Cela calma Valjean. Le policier n'avait pas beaucoup d'ambition ni d'illusion sur lui-même.
Mais M. Madeleine ne s'avoua pas vaincu et repartit à l'attaque.
" Ce que je peux vous assurer, inspecteur, c'est que si j'avais entendu la moindre rumeur concernant vos méthodes à Montreuil, je vous aurais fait surveiller la porcherie de Chaillan pendant une année entière. En service de nuit.
- J'aurai tout fait pour vous, monsieur le maire. Vous m'auriez ordonné cela, je l'aurai fait. Je suis quelqu'un de soumis et d'obéissant, monsieur.
- Mais vos mouchards ? Vous les terrorisez souvent ?
- Je n'ai pas d'autres solutions..."
Puis, un sourire illumina les traits du policier, faisant étinceler les yeux et briller le regard du loup.
" Dans deux jours, je rejouerai la même scène. Je visiterai à nouveau mes mouchards. Seulement...
- Seulement ?
- Je poserai une bourse avec quelques pièces d'argent dans le creux de leurs mains. Je paye mes mouchards pour leurs informations. Cela me coûte une bonne partie de mon salaire. Car comme vous l'avez dit, monsieur Madeleine, je suis quelqu'un d'honnête.
- Alors... alors je ne comprends pas pourquoi vous avez besoin de toute cette violence ?
- Car je dois jouer le rôle d'un cogne ! Car je dois leur faire peur pour qu'ils parlent ! Car je dois les tenir assez pour qu'ils ne me vendent pas à des escarpes. On serait trop content de démolir l'inspecteur Javert dans certains milieux de Paris.
- C'était déjà ainsi à Montreuil ?
- Aux remparts...je ne dis pas... Mais Montreuil était une ville tranquille. Je n'ai jamais eu à jouer ainsi. J'avais quelques putes à mes ordres... Quelques-uns de vos ouvriers... Mais sans plus..."
M. Madeleine frémit à cette idée.
Javert le surveillait à Montreuil, il le surveillait de près et avait des yeux qui le surveillaient aussi en son nom.
Le silence retomba dans la conversation.
Mais la colère séparait dorénavant les deux hommes... Un mur d'incompréhension difficile à abattre...
**********************
On marcha encore quelques rues puis ce fut la fin de la patrouille.
Javert décida d'abandonner la chasse aux petites lueurs du jour. D'une part, il était épuisé et d'autre part, il ne voulait pas attirer l'attention. La suite aurait lieu le lendemain.
Et puis les questions de M. Madeleine avait énervé le chef de la police de Montreuil. Oui, il faisait son travail de son mieux.
Mais Javert avait appris à la dure la réalité du terrain.
Paris n'était pas Montreuil.
Et aussi honnête, aussi droit, aussi procédurier que l'était Javert, la réalité était plus difficile à appréhender.
Les hommes ne changeaient pas. De cela Javert en était convaincu. Les lois étaient les seules choses dignes d'intérêt dans ce monde. Javert était prêt à tout pour les protéger.
Qu'avait-il à perdre ?
Sa vie était entièrement dévouée à la Loi. Pour cela, Javert n'avait pas changé. Il trouvait cela plaisant qu'un forçat évadé du bagne vienne lui faire la fine bouche.
Vidocq en aurait ri à en pleurer.
Non, Javert n'avait rien à perdre...alors il offrait tout pour plaire à ses supérieurs. Conscience, honneur, vie.
Il n'avait rien d'autre à offrir de toute façon.
La nuit se finissait et Javert se forçait à se concentrer sur l'affaire en cours.
Une patrouille, une surveillance, une enquête dans les rues de Paris à la recherche des différentes planques où pouvait se terrer le Poron.
Javert avait besoin d'un visage sous le nom. Et après le Poron, il pourra chasser le jeune tueur à qui il devait son estafilade embellissant sa joue.
***********************
Une estafilade qui lui avait valu une remarque inquiète de M. Chabouillet, à sa profonde mortification.
" Javert ?! Que vous est-il arrivé ?
- Un échange houleux avec un criminel, monsieur.
- L'inspecteur Gramont a fait un rapport à propos d'une vilaine affaire survenue chez M. Loisel. Il vous a cité. Qu'en avez-vous à dire ?
- Ce ne fut pas une réussite, monsieur.
- Expliquez-vous inspecteur. "
Javert s'expliqua et eut du mal à tolérer le regard déçu de son protecteur, posé sur lui sans faillir. Javert se voulait irréprochable. Ce n'était plus possible aujourd'hui.
Il avait l'impression de revenir des années en arrière, après l'échec de l'arrestation de M. Madeleine.
Un seul regard déçu de la part de son patron avait suffi à briser Javert, l'homme voulait par-dessus tout prouver qu'il avait de la valeur. M. Chabouillet lui avait donné sa chance. Javert se devait de montrer qu'il la méritait.
Alors ce soir, il n'avait montré aucune pitié face à ses mouchards, il lui fallait avancer et avancer vite !
Au diable Valjean et son empathie !
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Donc la nuit était satisfaisante.
Le dernier mouchard que devait rencontrer le policier l'attendait dans un estaminet de basse qualité.
L'homme se fit payer par une pinte d'eau de vie.
" Le Poron ? Inconnu, monsieur, mais je vais en jaspiner avec mes gonzesses. Si une punaise sait quelque chose, je vous tiendrais au fait.
- Bien le Marquis, bien..."
Le Marquis, habile proxénète, salua le policier en souriant. L'homme connaissait le policier, il commanda une nouvelle tournée et regarda Javert, amusé :
" Un glace, inspecteur ? "
Une hésitation. Mais Javert était fatigué. Il avait faim, il avait soif, il avait froid, il avait mal. Il se rendit et le sourire du Marquis devint large. Et puis Javert connaissait le Marquis, l'homme ne lui parlerait vraiment que devant un repas et un verre.
Ce n'était pas pour rien qu'il avait voulu le voir en dernier.
Oui, les deux hommes se connaissaient depuis longtemps. Le Marquis savait les règles de la négociation avec Javert, le policier n'avait pas dû manger ni boire depuis des heures. Raison de plus pour se faire offrir un repas chaud aux frais de la princesse. En l'occurrence au frais de la Sûreté et de ce vendu de Vidocq.
" Un zif pour moi, répondit le policier, le regard sombre.
- Et votre poteau ? "
Un regard posé sur Valjean et le forçat commanda aussi un café, desserrant les dents pour la première fois de cette discussion.
" Et des victuailles !, renchérit le Marquis.
- N'exagère pas le Marquis, gronda Javert.
- Allons ! Vous ferez passer les frais au Mec ! "
Un rire, partagé. Entre le policier et le criminel.
Valjean en était stupéfait. Il ne comprenait pas l'atmosphère joviale qui s'était établie si naturellement entre les deux hommes, même si ce Marquis était fort louche. Encore une mise en scène de Javert ? Assistait-il à l'interprétation d'une nouvelle variation sur Fraco, alias le Rabouin ?
La perspective ne l'intéressait point, mais le vieux forçat était reconnaissant de ne pas avoir à assister encore à quelque odieuse offensive de Javert.
Valjean ôta son manteau et s'installa sur la chaise avec le flegme de celui qui loue une loge à l'opéra.
Impassible, il subit l'examen impertinent du Marquis. Il endura même le clin d'œil que Javert lui lança, sans doute pour l'importuner, et les laissa parler.
Malgré son humeur morose, Valjean ne tarda pas à réaliser qu'ensemble, ses convives avaient l'air comique. Peut-être était-ce à cause de la disparité physique entre les deux hommes ?
D'un côté, l'homme grand, maigre à la mine terreuse et aux vêtements anodins ; de l'autre, le petit bonhomme potelé au teint sanguin qui tripotait de temps à autre ses cheveux pommadés, et dont la garde-robe était trop voyante, même pour la norme quelque peu disloquée de l'ancien forçat.
Malgré son scepticisme, il fut tout de même contraint de reconnaître qu'il y avait un lien entre les deux hommes qui était visible et qui semblait authentique.
Ou alors Javert était le meilleur escroc que Valjean ait jamais connu, ce qui n'était pas peu dire...
"Alors, qu'en dites-vous, inspecteur ? "
Javert se mit à sourire, plus doux et céda au mouchard.
" Très bien ! Victuaille et boissons ! "
Applaudissements nourris et le repas fut commandé.
Et comme prévu, le Marquis se mit à table.
" Je ne connais pas le Poron, mais j'ai entendu parler du fric-frac qui a mal tourné chez Loisel. Ce n'est pas dans les habitudes de la Grande Vergne, cela. On dirait des chauffeurs du Santerre.
- Je connais, le Marquis, fit Javert, fatigué
- Des transfuges du Nord ? Mais la bande du Santerre est tombée depuis des années, non ?
- Je suis bien placé pour le savoir, fit Javert, illisible. Et le Mec aussi."
Valjean se redressa sur la chaise. Les réponses évasives de Javert, bien qu'habiles, n'étaient pas passées inaperçues.
" Je me souviens de cette époque. Les journaux parlaient de plusieurs bandes et d'attaques à des endroits très éloignés les uns des autres. Mais après l'exploit de Vidocq, le sujet n'a plus jamais été abordé. Pourtant, les gens avaient encore peur, même dans le Pas-de-Calais. "
Valjean s'arrêta pour étudier l'expression hermétique du policier, essayant de comprendre. C'était impossible.
" Et je me souviens aussi que c'est à ce moment-là que vous êtes arrivé dans la région. Par hasard, inspecteur ? "
Javert sourit. Sans plaisir.
Le Marquis le regardait.
Le policier baissa les yeux et d'un geste blasé il vida son verre.
" Montreuil..., souffla Javert en ricanant, amer. Savez-vous comment j'ai obtenu le poste d'inspecteur en chef de Montreuil, monsieur Madeleine ?
- Non, inspecteur, répondit monsieur le maire.
- Ce fut une récompense obtenue pour une enquête réussie. Il y avait des chauffeurs dans la Somme. Ils ont massacré de nombreuses personnes. Le préfet de la Somme a fait appel à Paris et le chef de la Sûreté a été envoyé sur place. Vidocq n'est pas venu seul. M. Chabouillet m'a nommé comme son adjoint.
- Dans la Somme ?, fit Valjean, surpris.
- J'ai quitté Paris en espérant y revenir un jour. Je suis obligé d'admettre que Vidocq a été un bon professeur, j'ai beaucoup appris à son service.
- Ce fut une réussite ?, demanda le Marquis, furieusement intéressé.
- Trois hommes ont été tués. Mais ce fut une réussite, nous avons pu infiltrer la bande. J'ai côtoyé les criminels durant plusieurs semaines. J'ai joué un rôle et j'ai fait illusion.
- Mais les chauffeurs du Santerre sont connus pour leur cruauté !, opposa le Marquis, perdu dans sa réflexion. Pour être accepté dans un tel groupe d'escarpes, il a fallu se comporter comme tel."
Deux paires d'yeux se posèrent sur Javert mais l'inspecteur ne dit rien, il se reversait en vin avant de déguster lentement l'alcool.
" Paris vous a nommé à Montreuil en récompense de cette affaire ?, reprit Valjean, suspicieux.
- M. Chabouillet et Vidocq m'ont obtenu le poste de Montreuil. Vu mon passé et mes antécédents, je ne pouvais rien espérer de meilleur..."
Le silence retomba sur la conversation.
***************************
Les Chauffeurs du Santerre furent une troupe de brigands, d'assassins et de voleurs qui sévit en Picardie, dans le pays de Santerre, entre 1818 et 1820. La gendarmerie locale n'arriva pas à les arrêter. Le préfet de la Somme demanda de l'aide à Paris et Paris envoya Vidocq, le chef de la Sûreté sur place. Le Mec se montra admirable, il infiltra la bande et la fit tomber. Le 17 octobre 1820, le chef de la bande, une femme du nom de Prudence Pezé, surnommée la Louve de Rainecourt, fut guillotinée à Rosières-en-Santerre. Cela sonna le glas des Chauffeurs du Santerre.
Cette affaire se déroula sur une longue période.
Javert fut nommé par M. Chabouillet comme accompagnateur de la Sûreté. On lui offrit sa chance et Javert s'en montra digne.
Il apprit beaucoup au contact de Vidocq. Il apprit à être un mouchard, il apprit à jouer les espions. Il apprit à se fondre dans la masse.
Il apprit à jouer un rôle.
Il apprit à le jouer très bien.
Il dut accepter de se salir les mains en attendant l'hallali.
Grâce à cette affaire, Javert obtint son grade d'inspecteur de police de première classe, son poste de chef de la police à Montreuil...son désabusement sur les hommes...et sur lui-même...
Un homme au service de la préfecture, le chien de Chabouillet...
Il était hors de question que le policier raconte ses faits d'armes du passé et ses crises de conscience à un ancien forçat évadé et à un proxénète intéressé.
*******************
Javert regretta bientôt d'avoir accepté le repas. Des assiettes et des verres furent déposés devant eux, avec du pain, des saucisses, des omelettes...
La conversation pesait sur lui. Et Javert n'aimait pas cela.
De plus, le policier n'était pas content de la situation. Il dut se servir de ses mains et retirer ses mitaines. Chacun put voir ses doigts abîmés par le froid avec plus de facilité. On se tut pour examiner avec attention ses mains bandées, bien visibles.
Javert les montrait le moins possible et surtout il ne les utilisait pas.
" Le froid est vicieux, hein ?, s'enquit le mouchard.
- Dur, mais nous sommes tous logés à la même enseigne, rétorqua simplement Javert, serrant les dents en s'efforçant de saisir sa fourchette.
- Certes, mais vos mains sont bien handicapées...
- Suffit le Marquis ! Je n'ai pas besoin de ton expertise !
- Si une de mes gonzesses avait des mains comme les vôtres, je l'aurai mise au vert.
- Hé bien, tu es un coeur bon, le Marquis ! Pour un souteneur [proxénète]. "
Un sourire, partagé. Un monde de secret se transmettait dans les yeux des deux hommes. Javert et le Marquis se connaissaient...bien...
Javert serra le verre de café entre ses doigts pour les réchauffer. Cela fit mal.
" J'espère avoir de tes nouvelles, le Marquis. Le gonze que je recherche est dangereux. Prends garde à toi et à tes punaises. C'est un escarpe, certes, mais aussi un putassier porté sur le viol.
- Tu t'inquiètes pour nous, vieux cogne ? ", lança le Marquis en usant du tutoiement pour la première fois.
Valjean nota l'adoucissement de la voix et la réelle sollicitude dans le discours.
Javert sourit, amusé.
" Dix ans, ça compte, asséna Javert en hochant la tête.
- Dix ans ! Putain ! Buvons à cela ! "
Deux verres furent entrechoqués. Un policier et un criminel. Un cogne et son mouchard.
" Et ton poteau ?, demanda encore le Marquis en désignant Valjean.
- Un rembroqueur [témoin].
- Un fagot qui accepte de collaborer avec la Rousse ! Prends garde à ton aminche, il risque gros dans le quartier.
- Je sais le Marquis, je sais.
- Est-ce que j'ai l'air d'un forçat, monsieur ?," intervint Valjean de façon catégorique, la colère très lisible dans ses yeux.
Il voyait sa couverture voler en éclats devant un homme à la moralité plus que douteuse et sentait la panique monter en lui. Malgré le sourire rassurant de Javert.
Il y eut un silence pesant. Puis le Marquis haussa les épaules et sourit à son tour.
" Ici, l'ami, dit-il, montrant l'inspecteur de la tête, ne s'entoure pas souvent d'aristocrates. Mais ne vous inquiétez pas, je ne suis pas homme à gerber [juger] mon prochain. Même que parfois je préfère un forçat à un duc : ils sont toujours partants pour la riolle [fête, débauche].
-Ta gueule, gargoine [bouche sale]," s'écria Javert.
Mais les deux hommes éclatèrent de rire à l'unisson alors que Valjean fronçait les sourcils et cherchait à ignorer le possible sens scabreux de la phrase.
La soirée bascula dans l'étrange. Javert se permit un verre d'eau de vie entre deux cafés avec du pain et de la charcuterie. Valjean se contenta d'un bout de pain qu'il mâcha sans enthousiasme et assista en silence aux conversations faites à demi-mot, la plupart du temps en argot. Le Marquis riait souvent, à gorge déployée.
Javert écouta les affaires du Marquis et prit note de plusieurs noms qui pouvaient lui servir. Dans d'autres affaires, dans d'autres crimes. Un mouchard était un mouchard.
Le Marquis était le meilleur de ses mouchards avec son réseau de prostituées. Il connaissait Paris et ses habitants les plus dangereux. C'était plus un échange de bons procédés qu'une histoire de soumission.
Oui, dix ans de collaboration avaient permis de se tolérer. Ce n'était pas la première fois que Javert entretenait des relations avec des criminels.
Déjà au bagne, il était connu pour savoir faire parler les forçats afin de faire tomber les camarades.
Comment Jean-le-Cric aurait-il raté autant d'évasions sinon ?
*****************
La nuit était vieille lorsqu'ils sortirent du café. Le Marquis était vacillant et tenait le bras du policier contre lui.
" Je vais vous le trouver, inspecteur. Je vais le chercher.
- Ne t'occupe pas de cela ! C'est mon turbin !
- Non, non. Je vous dois beaucoup.
- Le Poron est dangereux. Garde-toi en sécurité !
- Ne t'inquiète pas le cogne ! Je vais t'aider.
- Le Marquis ! Rentre chez toi. Le vin te rend sentimental. "
Un rire et le proxénète disparut dans les rues plongées dans l'obscurité.
Javert le regardait marcher, inquiet.
" C'est un ami ?," demanda tout à coup une voix proche du policier.
Javert sursauta et se tourna vers Valjean. Il avait oublié la présence du forçat, tellement Valjean savait se faire discret.
" Non... Un mouchard...
- Il semble vous être proche.
- Il l'est. C'est vrai.
- Vous l'avez sauvé ?
- La vie ! Il allait se faire poisser pour une vilaine affaire et je l'ai sauvé. Il aurait risqué la Veuve. Il est devenu mon mouchard par la force des choses. Et je lui dois... beaucoup...
- Peut-il connaître quelque chose de notre affaire ?
- Il a des yeux et des oreilles partout dans Paris. Il peut en effet découvrir des informations.
- C'est un proxénète et vous le protégez ?"
*****************
Face au silence du policier, Valjean poursuivit.
" Voyons si je comprends bien : une créature qui commet une contravention du ressort de la police administrative est méprisée, humiliée et emprisonnée, même si elle supplie pour sa vie et pour celle de sa fille. C'est la loi. "
Valjean allongea un peu ses foulées pour rattraper Javert.
" Mais il est également légitime de protéger et de faire confiance à un criminel qui fait de l'exploitation de ces créatures son mode de vie. Disons que la différence réside dans les avantages que vous et votre police pouvez tirer de cette protection. "
Le regard de l'ancien forçat devint orageux. Il baissa les yeux.
" Non, je ne crois pas comprendre. "
*****************
Javert eut un sourire dédaigneux. M. Madeleine et sa moralité !
" Paris n'est pas Montreuil Valjean. Je ne peux pas simplement rester de surveillance dans les bas quartiers de la ville pour découvrir tout ce que je désire savoir. J'ai besoin d'informateurs ! Donc je le protège en effet."
La voix se fit de nouveau froide. Valjean comprit qu'il fallait se taire.
" J'étais encore trop jeune à Montreuil et Fantine ne m'était rien. Peut-être aurai-je pu la protéger... Si elle avait eu quelque chose à m'offrir en retour. "
Les deux hommes reprirent leur marche, silencieux et hostiles. La nuit se teignait des couleurs de l'aube.
Javert n'en pouvait plus.
Chaque pas était difficile. Valjean le vit et glissa sa main sous le coude du policier, le muscle se crispa sous le toucher.
" Valjean !, gronda la voix menaçante.
- Vous allez vous effondrer ! Laissez-moi vous aider !
- Je vais bien ! Lâche-moi !
- Mais oui, inspecteur ! "
Javert allait rétorquer violemment mais il pouvait y avoir des témoins. Le policier ne dit rien, il se laissa mener. Il ne voulait pas se faire remarquer mais il se promit de remettre le forçat à sa place avec soin.
Valjean arrêta un fiacre et y fit monter le policier. Il fut évident que Javert était trop épuisé pour garder les yeux ouverts et encore moins se disputer avec M. Madeleine.
Javert abandonna...et se laissa dériver... Il parlerait plus tard, il ne se laisserait plus traiter ainsi comme un enfant... Il le ferait...
Javert perdit conscience... Imprudent... Il se retrouvait à la merci d'un forçat...
La nuit était satisfaisante, mais il aurait fallu faire un peu plus. Remplir un rapport, faire le point, discuter..., mais le sommeil était le plus fort.
*****************
Une main secoua, doucement, Javert. Une fois, deux fois. Et Javert ouvrit les yeux.
Des yeux inquiets l'observaient.
" Nous sommes arrivés au couvent... Je dois descendre...
- Bonne nuit Valjean, rétorqua Javert en baillant.
- Bonne nuit, inspecteur. "
Puis, presque hésitant, le forçat demanda :
" A ce soir ?
- Sûr. Nous allons visiter d'autres mouchards..."
Javert eut tellement envie de rire en voyant le regard interloqué de Valjean à cette mention.
Oui, tellement envie mais la fatigue fut la plus forte. Il se tut et hocha la tête.
Le fiacre repartit en direction de la rue des Vertus, une fois Valjean déposé à bon port.
Javert rêvait de son lit.
Mais le cogne n'était pas mauvais dans son travail. Malgré les erreurs des derniers jours, il était bon à son travail.
Et ce fut ce qui le sauva.
Alors que Javert montait les marches de son immeuble, il entendit distinctement un craquement dans l'escalier de bois. Quelqu'un grimpait les marches quatre à quatre devant lui.
Cela aurait pu être un détail anodin de la vie parisienne. L'inspecteur ne disposant pas de moyens financiers très importants logeait dans les étages supérieurs.
Seulement il reconnut le grincement caractéristique de sa propre porte. Et la fatigue disparut comme par magie pour laisser la place à la concentration. Javert ralentit le pas et écouta.
Oui, c'était sa porte, elle venait d'être refermée à clé.
Ce ne pouvait pas être sa logeuse. Javert lui permettait d'accéder à son logement pour faire le nettoyage que certains jours de la semaine.
Puis, il se souvint de la voix soufflant contre sa joue, goguenarde et vicieuse.
" On te connaît bien le cogne. Hein, Javert ? "
Oui, on le connaissait bien manifestement. L'adresse personnelle du policier n'était pas un secret mais il avait fallu corrompre un collègue pour l'obtenir.
Cela mit en rage Javert qui sortit le couteau de sa botte et reprit sa montée, gardant son pas habituel, bien reconnaissable.
Le couteau prêt à être utilisé, il arriva à sa porte. Fermée, comme de juste. Javert se fit un malin plaisir de faire tinter ses clés en jouant avec la serrure. Histoire d'annoncer sa venue.
Puis d'un geste théâtral, il ouvrit la porte et la repoussa violemment d'un grand coup de pied. On poussa un cri de douleur de l'autre côté.
" PUTAIN ! Mon nez ! "
Et Javert entra dans son propre appartement l'arme à la main. Il faisait froid, il faisait sombre. Les rideaux, l'un de ses rares luxes, étaient fermés. Mais Javert connaissait très bien les lieux. Il referma la porte derrière lui.
Puis, il se jeta dans un angle de la pièce, ayant peur de se faire tirer dessus. Tout était silencieux.
Javert écouta, le couteau dans les doigts, malgré la douleur. Il n'allait pas se laisser faire cette fois-ci. Il entendait un halètement perdu dans l'obscurité. Quelqu'un souffrait.
Javert eut un mauvais sourire, un peu cruel. Il tâtonna sur un meuble qu'il savait là, près de l'entrée, une solide armoire dans laquelle il rangeait ses rares vêtements. Il trouva une chandelle et il ne lui fallut pas longtemps pour illuminer la pièce.
Une fenêtre était ouverte, brisée et faisait entrer de l'air glacial dans la seule pièce qu'il louait.
Il fut estomaqué en voyant son appartement. Tout était dévasté. On avait déchiré les rares livres qu'il possédait, on avait dispersé ses effets partout dans la pièce, on avait détruit les quelques denrées qu'il conservait. On s'était bien amusé.
On allait en payer le prix !
L'homme était seul. Il était à genou sur le sol et se tenait le visage. Du sang gouttait et il pleurait de douleur. A ses pieds il y avait un pistolet.
Javert n'eut aucune pitié, il saisit l'homme par le collet et le força à se lever.
" Qui es-tu ?, grogna le policier.
- Je...je suis... Putain ! Ca fait mal !
- Crois-moi que tu vas avoir autrement plus mal lorsque je me serais occupé de toi ! Ton nom ?
- Je... La Berloque...
- Qui t'as envoyé ? "
Javert maudit sa malchance. Et le sérieux de sa logeuse. La brave femme avait entendu crier et s'inquiétait pour le policier. Sachant son métier et sa réputation, elle préférait venir vérifier s'il allait bien.
On frappa donc à la porte et une voix féminine, inquiète, retentit :
" Vous allez bien inspecteur ? "
Cela suffit à déconcentrer Javert et l'homme se débattit. Il réussit à échapper aux mains fragilisées du policier et à ouvrir la porte à la volée. Bousculant la femme se tenant dans l'encadrement de l'appartement et la jetant sur Javert, l'escarpe descendait les marches de l'escalier quatre à quatre.
Javert ne put le retenir. Il tenait une femme dans ses bras et l'empêchait de tomber sur le sol.
Javert soupira, lassé de perdre encore un criminel. Il relâcha la logeuse, qui rougissait adorablement.
La femme, ébahie, se rapprocha de lui, un pâle sourire aux lèvres.
" Comment allez-vous insp...? "
Le reste de la phrase fut perdue dans les limbes, ainsi que le sourire, elle venait d'apercevoir l'intérieur de l'appartement. Son appartement ! Et en fut horrifiée.
Javert n'eut d'autre choix que de prendre une malle et de la remplir de vêtements. Il devait se trouver une chambre pour quelques nuits.
La vie n'était plus sûre rue des Vertus.
Et de toute façon, sa logeuse exigeait que la police rembourse les dégâts. Ce que Javert n'était pas capable de se permettre. Elle lui avait copieusement hurlé dessus, oubliant qu'elle parlait à un policier.
Javert préféra s'enfuir plutôt que de supporter ses cris de colère.
La question était celle-ci : où trouver à se loger ?
La migraine qui se préparait allait être terrible, Javert la sentit avant même que les points rouges n'apparaissent derrière ses paupières.
IL DEVAIT DORMIR !!!!
*****************
A sa décharge, le Mec fut compréhensif.
Javert s'attendait à des rires et des moqueries. Il s'attendait à ce qu'on se lave les mains de son sort. Il s'attendait à ce que la Sûreté le laisse tomber.
Il n'en fut rien !
Vidocq écouta son nouveau rapport avec intérêt et préoccupation.
" Pas une bonne nouvelle ça, le cogne, fit le Mec, en glissant ses mains joliment entretenues sous son menton.
- En effet."
Honnêtement, que pouvait répondre Javert à cela ?
" Il faut que tu déménages. Je peux te loger si tu le souhaites ? "
L'idée de vivre ne serait-ce que quelques jours avec Vidocq, un ancien forçat, fit frémir Javert. Il était certain qu'il ne lui suffirait que de quelques heures pour lui fracasser la mâchoire.
" Je vais me débrouiller, préféra répondre l'inspecteur prudemment.
- J'espère pour toi. Mais ne t'inquiète pas pour ta tapissière [logeuse], je vais me charger des frais. Un passage à la préfecture et tout sera réglé.
- Comment cela ?
- Tu es un cogne, Javert ! Bon Dieu ! Tu crois que je vais laisser un de mes hommes en plein désarroi ? Je vais rendre une petite visite à Chabouillet et à nous deux, on trouvera bien un peu de thune pour payer les travaux.
- Il n'y a pas trop de dégâts, expliqua Javert, horrifié à l'idée que son patron allait devoir payer pour lui. Juste la fenêtre et quelques livres."
Et quelques livres, pensa amèrement Javert. Bien trop onéreux pour ma bourse.
" Je vais me charger de tout ! Ne t'inquiète pas ! Mais as-tu pensé au Cric ? "
Ce fut une révélation douloureuse.
Non, il n'y avait pas pensé.
Non, il était tout entier à ses propres problèmes.
Javert résuma la situation par un simple :
" Merde. "
Comme à son habitude.
L'inspecteur jeta son sac sur le plancher devant le bureau en bois précieux du chef de la Sûreté. Il allait repartir, en coup de vent mais le Mec l'arrêta, amusé et surpris de voir toute cette agitation de la part d'un homme aussi pondéré que l'inspecteur Javert.
" Non, pas comme ça et pas de jour ! Et surtout pas toi ! Ils ne doivent pas connaître son adresse mais ils connaissent ta silhouette. Ils vont te filer !
- Alors qui ?, jeta Javert, sèchement, ne préférant pas relever le manque de confiance flagrant que Vidocq avait en ses compétences. Le filer lui ?
- Un message tout d'abord, pour le faire venir ici. Et une cachette pour lui aussi.
- Et son travail ? "
Javert se mordit la langue devant le regard acéré du Mec. Vidocq se pourlècha les babines comme un chat devant une jatte de crème.
" Quel est le travail du Cric ?
- Jardinier dans un couvent, avoua Javert.
- Le couvent du Petit Picpus ? "
Oui, le Mec méritait sa place de chef de la Sûreté. Javert ne fut pas impressionné. Quel autre couvent se trouvait si proche de la demeure des Loisel ?
" Oui, répondit laconiquement le policier.
- Un message pour lui expliquer la situation. Un fiacre pour le ramener à la Sûreté. Et tu te charges de le loger. Tiens ! Avec toi ? "
Un instant, Javert se demanda ce qui était pire : vivre en compagnie de Vidocq ou rester en compagnie de Valjean. Il ne put trancher, les deux possibilités lui donnaient des sueurs froides.
" Très bien, se soumit le policier. Mais il lui faut un remplaçant. Je connais bien le couvent du Petit Picpus, les hommes n'y sont pas admis.
- A moins d'être vieux et laid, " renchérit Vidocq en riant.
Vidocq ne demanda pas à Javert pourquoi il connaissait si bien le couvent. Le Mec connaissait la chasse que menait l'inspecteur depuis des années à la poursuite de M. Madeleine. En fait, il avait assez souvent moqué le policier à ce propos.
" J'ai des gonzes, vieux et laids, proposa le Mec.
- Non, je pense à un collègue... Mais il est un peu jeune...
- Rivette ? Cela ne marchera jamais Javert ! "
Il était jeune, oui, mais il était l'une des rares personnes en qui Javert avait pleinement confiance. Ils étaient collègues depuis plusieurs années, Rivette avait commencé comme sergent sous ses ordres et il avait progressé grâce au soutien et à la formation de Javert.
Les deux hommes n'étaient pas amis mais leur relation était la chose la plus proche d'une amitié que Javert ait connue.
Et surtout, Javert avait confiance en lui !
" Fais-le venir ici Vidocq et je vais trouver une solution. Je vais arranger toute cette chienlit ! Je vais...
- Paix Javert ! "
Vidocq ne releva pas l'utilisation du tutoiement. Il examina Javert, vraiment pour une fois. Il vit la fatigue dans les cernes, il vit la souffrance dans les mains bandées, il vit la préoccupation dans le pli barrant le front.
Il soupira.
Il ne fallait peut-être pas abuser autant du garde-chiourme en fait. Même un homme aussi intraitable que Javert devait avoir un point de rupture. Et il en semblait proche.
Le chef de la Sûreté avait beaucoup de pouvoir, certes, mais Javert était le protégé de M. Chabouillet et ce dernier n'appréciait pas que l'inspecteur travaille pour un ramassis de forçats et de criminels.
Javert avait assez souffert avec l'affaire des Chauffeurs...
Il fallait lâcher du lest.
" Tu vas dormir, le cogne, asséna Vidocq.
- Pardon ?, demanda Javert, ébahi.
- Viens ! "
Vidocq se leva et marcha quelques pas en direction d'une porte. Jamais Javert n'avait pénétré dans les locaux de la Sûreté. Il n'était que toléré ici, juste un outil utilisé par le Mec.
Javert se soumit et suivit Vidocq, après avoir ramassé son sac. Les deux hommes entrèrent dans une petite pièce, attenante au bureau du Mec, une simple bibliothèque disposant d'un lit de camp. Comme celui que possédait l'Empereur Napoléon durant ses campagnes militaires.
" Tu te couches là et tu dors !, ordonna Vidocq. Tu es à l'abri ici. Nous trouverons une solution pour Valjean.
- Je ne peux pas dormir ! Je n'ai pas sommeil ! Il faut...
- Ta gueule Javert ! Tu te couches, tu dors et on réglera notre affaire plus tard."
Vidocq se rapprocha de la porte pour sortir. Puis il examina Javert, fixement. Une longue minute.
Javert n'apprécia pas cela.
" Quoi ?
- Tu as été voir Chabouillet ces temps-ci Javert ?
- Oui, Vidocq, grogna Javert, fatigué de discuter.
- Tu devrais... Tu devrais peut-être retourner le voir Javert et lui raconter ce qu'il t'est arrivé.
- Dieu ! Non ! A quelle fin ? Il le saura bien assez tôt !
- Ce n'est... Il va vouloir savoir ce qu'il s'est passé...
- Pour sûr ! Je vais rédiger un rapport. Dés que je serais capable de penser correctement.
- Oui, oui... Mais les paroles ont parfois plus d'impact que les écrits. Tu es son protégé."
Javert se rapprocha de Vidocq. L'homme était aussi grand que lui, plus massif, plus imposant.
Il semblait incertain et Javert n'aima pas voir ce visage sur un homme aussi sûr de lui que l'ancien forçat.
" Que me caches-tu Vidocq ?, demanda Javert en usant instinctivement du tutoiement.
- Rien, rétorqua sèchement le Mec. Juste un peu d'inquiétude."
Un long regard.
Vidocq laissa Javert l'examiner, lui fouiller l'âme à la recherche du mensonge. Et bien sûr, le policier ne découvrit rien. Vidocq était trop bon à ce jeu.
Le chef de la Sûreté quitta enfin la petite pièce de repos.
Une porte qui claque.
Javert se retrouva seul. Son sac à ses pieds. Il s'assit sur le lit, testant la dureté du matelas. Cela valait son propre lit. Il retira ses bottes et s'étendit.
Non, il n'était pas fatigué.
Non, il n'avait pas sommeil.
Il avait tellement de travail.
Il devait gérer son poste de Pontoise.
Il devait parler à Rivette.
Il devait sauver Valjean.
Il devait...
Et puis...quelque part...l'inquiétude étrange de Vidocq à son encontre lui laissait un goût amer dans la bouche.
Quelque part, une alarme résonnait et annonçait le danger...
Et Javert s'endormit, vaincu par l'épuisement...
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