Jeudi 23 Février

Je sais qui a posté la photo de Lisa. Je ne veux pas me mêler de ce qui se passe dans cette classe, mais je crois que je vais être obligé et ça me saoule un peu.

Il est encore tôt, mais je fais des insomnies. Ca a commencé depuis la rentrée des classes en fait. Je manque cruellement de sommeil depuis cinq mois, mais je n'arrive pas à dormir. Mes rêves sont envahis de figures sombres et grimaçantes chaque fois que je ferme ne serait-ce qu'un œil. Tant pis, je décide de descendre pus tôt. J'attrape le téléphone de Lisa que cet imbécile d'Eugène a laissé traîner à côté de son oreiller. Il n'est vraiment pas prudent.

Nous sommes seulement à trois dans cette chambre. Il a dû penser que personne ne le remarquerais. Cependant, Lisa a tout le temps ce gadget en main. À force, je le reconnais. En plus, après les événements de hier soir, tout le monde l'a en tête.

J'arrive pas à croire que cet idiot a eu les couilles de poster une photo intime de Lisa sur le site de classe. Il l'a sûrement fait sur un coup de tête et doit flipper. Quand il est stressé, il a des gaz. En ce moment, il est très stressé à cause des menaces faites à l'auteur de ce méfait par les élèves de la classe alors en sortant, j'ouvre les fenêtres pour aérer la chambre.

Je sais pourquoi il l'a posté. Lisa hier a été désagréable avec lui. Elle n'a pas été plus méchante que d'habitude, mais ça a été la goutte de trop. En rentrant hier, il était agité puis est sorti brusquement de la chambre. Pour la première fois depuis plusieurs fois, il ne ressemblait pas à cet idiot que je côtoie maintenant tous les jours, mais à un vrai mec. Il connaissait son code pour l'avoir vu faire plusieurs fois à force de traîner dans ses pattes. Il est revenu avec le téléphone de Lisa puis n'a plus quitté la chambre avant le dîner.

Mon correspondant ne dira rien et moi non plus. Je sais que ce qu'il a fait est mal. Mais, s'il se fait attraper, les autres vont l'éclater. Il a beau être bizarre et dégoûtant, il ne mérite pas la colère populaire pour une seule erreur. Sur ce coup, je vais le protéger. Je crois que c'est la chose juste à faire dans cette situation. Rendre le téléphone à Lisa et oublier cette histoire en espérant pour elle que personne n'a fait une capture-d'écran de la photo.

Je dépose le téléphone de Lisa sur le baby-foot et m'apprête à sortir prendre l'air quand j'entends un raclement de gorge. Je me retourne pour voir Ilyess. Il me regarde avec surprise. Il m'a vu déposer le téléphone.

- Alors c'est toi ? amorce-t-il d'un ton accusateur.

Je ne prends pas le temps de réfléchir et dis rapidement la première chose qui me passe par la tête.

- Non. J'ai juste trouvé le téléphone dans le coin et je l'ai mis à un endroit où il serait plus visible. Je ne le donne pas directement à Lisa, car je n'ai pas envie d'avoir d'embrouilles. J'ai vu comment elle t'a cassé les pieds hier alors que t'essayais juste de l'aider.

Ça le convaincs et il sourit un peu. J'ai réussi à noyer le poisson.

- T'as vu ! Hyper chiante la meuf. Ça m'apprendra à être sympa avec les gens, souffle-t-il. Sinon, pourquoi t'es debout à cette heure ?

- J'arrive pas à dormir, réponds-je honnêtement.

Il hoche la tête. Lui non plus n'a pas trop sommeil. On décide de se balader dehors tous les deux. On a tous les deux nos casques sur les oreilles et on ne se dit rien. C'est agréable. On observe ensemble le soleil se lever sur le Rhin avant d'aller se préparer pour la journée.

Je prends mon temps pour manger. Hier, le petit-déjeuner a été le théâtre de la menaçante intimidation de Léopaul, mais tout le monde est calme ce matin. Le contre-coup de la randonnée ainsi que des émotions de la veille, ils sont tous crevés.

Eugène me remercie quand il comprend que j'ai fait en sorte que Lisa retrouve son téléphone sans le mettre en danger. Je n'y fais pas attention. Cette dernière est d'ailleurs pendu à son précieux appareil. Elle doit y supprimer toutes les photos compromettantes, mais c'est déjà trop tard.

Je la plains quelque peu. Sa situation est incontrôlable et elle doit compter sur notre bonne conduite pour que l'histoire ne s'ébruite pas. Étant donné la manière dont elle a parlé hier, Djamila se fera un plaisir de tout répéter au collège. Elle n'a pas de chance.

Aujourd'hui, c'est la dernière journée d'activité, car on rentre demain au bercail. On va à Colmar et cette fois, c'est les Français en charge des groupes. Ça ne change pas grand chose pour moi. Le trajet de bus se passe en un éclair grâce à ma musique.

Je me retrouve dans le groupe d'Ilyess. Étant donné qu'Akem est parti avec sa petite amie, ils m'ont pris à la place. Nous sommes avec Quentin et son correspondant. Je ne fais pas trop attention aux jeux de la matinée. C'est le même genre de délire que le matin à Freiburg. Après le déjeuner, c'est temps libre. Plus ou moins. On doit rester en groupe et on a une liste d'endroits à voir, mais sinon on fait ce qu'on veut.

Au début, pleins de bonnes volontés, le correspondant essaie de nous motiver à bien faire les choses, mais on se retrouve rapidement tous les cinq dans un café en train de siroter des diabolos fraise au frais d'Ilyess. Ça lui fait plaisir de payer alors Quentin prend aussi un plat. Il abuse un peu...

On ne parle pas à notre table. À force de côtoyer Ilyess en classe, on pourrait croire que c'est un grand bavard, mais il faut croire qu'il n'y a qu'en présence d'Akem qu'il prend plaisir à fanfaronner.

Soudain, je vois deux visages familiers passer dans la rue. Il s'agit de Delmar et de Théo, ils ont l'air de se disputer. Je n'entends pas ce qu'ils se disent, mais Théo a l'air furieux. Tout le monde sait qu'ils se sont embrassé avant-hier soir pourtant ça n'a pas l'air d'être le grand amour.

Je hausse les épaules avant de me reconcentrer sur mon diabolo. Une fois que Quentin a fini de manger, Ilyess lui passe un chewing-gum et décide d'aller acheter des souvenirs pour sa famille. On l'accompagne sans trop d'enthousiasme. Ce soir, c'est le carnaval. Je n'ai pas pris de costume et j'ai hâte d'être demain que ce voyage soit enfin fini. C'est bien moins bien que ce à quoi je m'attendais.