Mercredi 22 Février

Aujourd'hui, on va faire une randonnée dans la Forêt-Noire, mais je crois que personne n'a la tête à ça. Hier soir, Mélissa a vu Delmar et Théo s'embrasser et l'a dit à tout le monde. Depuis, on ne fait que parler de ça. On a discuté avec Caroline à propos de ça avant de s'endormir. On pense toutes les deux que ce n'était pas Mélissa de partager ça avec nous. La vérité, c'est qu'on s'en fiche un peu qu'ils soient ensemble.

Étant donné que tout le monde est déjà au courant, j'en ai parlé à Léopold pour avoir son avis. Je n'ai pas mauvaise conscience de toute façon, dès qu'on sera au collège la nouvelle se propagera.

Léo : C'est vraiment la reine des connasses.

Moi : Tu crois ? Elle ne voulait pas les blesser...

Léo : Ça n'empêche que c'était pas son rôle de révéler leur vie privé. C'est dégueulasse de faire ça !

Il a totalement raison, mais c'est ma meilleure amie, je dois la soutenir. Je suppose. Même si c'est vraiment horrible de sa part de les avoir sorti du placard comme ça contre leur avis.

Ce matin, Caroline semble en pleine forme. Elle a mieux dormi que la nuit précédente. Tant mieux ! Je m'assois à côté de Caro à la cantine face à Léopaul. Il a l'air hyper fatigué, comme s'il n'a pas dormi de la nuit. Camélia regarde son téléphone avec son petit thé devant elle. On mange sans trop parler, car on n'ose pas ressortir le sujet Delmar/Théo devant lui. Les autres tables ne se gênent pas. Les Allemands ont même l'air plus intéressés que nous alors qu'ils ne les connaissent même pas.

Delmar est l'un des derniers à arriver dans la cantine accompagné de Jiao. Dès qu'il apparaît, tous nos regards sont braqués sur lui. Il n'a même pas l'air de le remarquer contrairement à Jiao qui fixe ses pieds, gêné. Ils vont pour s'asseoir à une table derrière celle du correspondant de Léopaul et Maxime. Ce dernier à un rictus mauvais sur le visage et lâche un truc en allemand qui fait rire toute la table. On dirait une insulte à l'égard de Delmar, mais celui-ci ne bronche pas alors l'allemand continue.

Devant moi, Léopaul a l'air d'avoir moins de tenue que son frère et bouille. Il va exploser, il tient sa cuillère tellement fort qu'il la tord légèrement. L'allemand se lève pour déposer son plateau non sans partir avec une derrière remarque, mais cette fois en anglais afin que nous pussions tous comprendre. Ses potes rient, mais de notre côté, on est tous horriblement mal à l'aise. Je ne sais pas où regarder. Mélissa regarde son plateau en essayant de se faire petite. Elle doit regretter d'avoir fait tourner l'information.

Soudain, Léopaul se lève de sa table avant de s'adresser à son correspondant. Ses mâchoires sont serrées, il est prêt à casser des bouches.

- Ferme ta gueule connard ! Tu parles pas à mon frère comme ça, tu crois que t'es qui putain ?

L'allemand rit seulement et lâche un truc en allemand. Ses amis rient de plus belle. À la table de ma correspondante, je vois qu'elles ont l'air affligées de la tournure des choses.

- Je crois que t'as pas compris ce que je te dis. Tu veux que je traduise ? Shut the fuck up. Tu le veux en allemand aussi ou t'as compris sac à merde ? Si quelqu'un ici à un problème avec le fait que mon frère soit gay qu'il vienne me voir, gronde l'Indien en nous regardant tous les uns après les autres droit dans les yeux. Ça vaut pour tout le monde ! La prochaine fois que quelqu'un fait une remarque de merde quelle que soit la langue, je l'éclate.

Les profs réagissent à ce moment-là et lui disent de se calmer. Ils emmènent Léopaul et son correspondant à l'écart pour leur parler. Tout le monde se remet à discuter.

- C'est bien qu'il ait mis les choses au clair, fait Maxime.

On hoche la tête, mais je ne l'écoute plus. J'ai les yeux fixés sur Delmar. Il fait le mec impassible, mais je vois derrière son air maussade, un certain soulagement. Pour la première fois, j'ai vu Léopaul agir autrement que comme une sorte de mannequin pour les pubs Colgate. Il n'a jamais eu l'air aussi sympathique à mes yeux qu'aujourd'hui. J'espère qu'il ne va pas avoir des problèmes pour avoir voulu défendre son frère.

Je remarque que Théo n'est pas descendu manger, il ne se sent sûrement pas bien. Le pauvre. 

 On se prépare pour la randonnée, il va sûrement faire très froid. On prend le train pour un petit village où on rencontre un homme qui sera notre guide. Il est très sympa, mais au bout de trente minutes, je me rends compte que cette rando va être la pire chose de la semaine. Il fait hyper froid, il neige et ça glisse. Les profs ont prévu des raquettes, mais la neige ne tient pas assez. On caille juste.

Mélissa vient derrière moi pour discuter. Elle a l'air soucieuse ce qui n'arrive pas souvent.

- Tu crois que je devrais m'excuser auprès de Léopaul ?

- Je ne suis pas sûre qu'il veuille te parler là tout de suite, attend un peu, conseille-je.

Maxime arrive à son tour et ils recommencent à s'embrasser. Ils sont vraiment mignons. Dommage que Mélissa ne le préfère pas à Léopaul, car même si ce dernier est remonté dans mon estime ce matin, je le trouve toujours hyper bizarre.

D'ailleurs, depuis son coup de ce matin, il est collé à son frère et lance des regards noirs à quiconque les approchent.

Ça me fait penser à Théo. Il tire une gueule de six pieds de long à l'arrière. Il a ses écouteurs enfoncés dans ses oreilles et est tout seul. Même Safia qui est sensé être sa meilleure amie l'a abandonné. Je voudrais bien l'aider en allant lui parler, mais ce n'est pas mon ami. Ce serait un peu inapproprié, mais il a l'air si malheureux.

Devant moi, Lisa pète un plomb.

- Putain, mais lâche moi sale taré ! hurle-t-elle en s'adressant à Eugène avant de s'éloigner de lui.

Il est rouge de honte et baisse la tête. Je ne sais pas ce qu'il s'est encore passé, mais il se fait tout le temps humilier. À sa place, j'aurais essayé de me venger il y a longtemps.

Vers midi, on s'arrête dans un petit village quasi abandonné pour manger. On gèle vraiment, j'aurais dû prendre encore plus de couches de vêtements. Caroline s'installe à côté de moi. Elle fixe le couple Maxime/Mélissa totalement ailleurs.

- Tu crois qu'on devrait aller voir Théo ? Il me fait de la peine là tout seul dans son coin, fais-je interrompant ainsi ses pensées.

- Je crois que Blanche a eu la même idée que toi, sourit-elle en me montrant la scène.

En effet, la jeune blonde se dirige vers le laissé-pour-compte et s'assoit à côté de lui. Elle lui dit quelque chose que je ne peux entendre d'ici, mais cela illumine le visage de Théo. Je suis contente pour lui.

On reprend la route avant de s'arrêter dans une sorte de grande clairière recouverte de neige pour prendre quelques photos. Églantine est aux anges. Les profs proposent à ceux qui le veulent d'utiliser les raquettes.

J'observe à nouveau les jumeaux. Je ne les ai jamais vu aussi proches. Ils semblent plaisanter, car je vois apparaître un rictus sur les lèvres de Delmar. C'est assez rare pour être mentionné.

Soudain, il s'agenouille, assemble une grande poignée de neiges dans ses mains et envoie tout sur Léopaul. Celui-ci le voit venir et l'esquive alors la neige s'écrase en plein sur la tête de Jiao. Il ouvre exagérément la bouche sans trop savoir comment réagir avant de se jeter au sol afin de se venger. Il envoie une bonne poignée de neige sur Delmar, mais lui aussi l'esquive et elle tombe sur un Allemand.

- Bataille de neiges ! s'écrie brusquement Maxime notre délégué.

Très vite, ça finit en français contre allemands. Sans nous vanter, on les éclater ! Je suis recouverte de neige, mais je sens à peine le froid pour la première fois de la journée. Un énorme sourire est scotché sur tous nos visages quand nous quittons cette clairière.