☢︎ chapitre 9
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Le regain d'énergie que l'espoir leur conférait leur permit d'avancer plus vite, au cours de l'heure suivante. Ils continuaient à descendre vers la vallée, où s'étaient autrefois épanouies des forêts entre lesquelles serpentaient des cours d'eau, petits et grands. Malheureusement, la plupart des arbres avaient indéniablement souffert des catastrophes ; malgré la saison, leurs branches étaient nues et leurs troncs, parfois cassés, revêtaient des teintes bien trop sombres pour de l'écorce. Nul doute que les incendies avaient gagné ces bois, bien qu'ils aient majoritairement touché les zones urbaines.
À l'est, c'était pourtant une forêt dense et luxuriante qui s'offrait à eux. Mille et un verts drapaient les plantes, parfois des bleus, des jaunes, des marrons et quelques couleurs plus vives et chatoyantes. Les lieux étaient certainement riches en fleurs et en fruits, peut-être même que des animaux se cachaient entre les fourrés.
— Est-ce que... Vous croyez que cet endroit a été épargné ? demanda Felix sans pouvoir se détourner de tous ces verts.
Dans ses yeux comme dans ceux des autres brillaient des étincelles de joie et d'incrédulité. Était-ce finalement si facile de trouver un lieu sûr ? Était-ce celui dont la femme parlait dans son journal ?
— On devrait aller voir de plus près, répondit Jisung.
Chan le retint par le poignet alors qu'il s'apprêtait à faire quelques pas.
— Restons prudents, leur rappela-t-il. On ne sait pas ce qui peut se cacher là-bas, peut-être qu'il vaut mieux qu'on ne s'y rende pas directement, histoire d'observer à bonne distance.
Cette fois-ci, sa proposition – ou plutôt, sa décision – n'appela aucune protestation. Même Jisung, qui n'avait plus cessé de le contredire ces dernières heures, approuva sans hésiter. Si la femme disait vrai et que la vie coulait toujours dans ces bois, proies comme prédateurs pouvaient s'y cacher. Peut-être même que des mutants s'y étaient établis, entre-temps.
— C'est pas que je suis pas d'accord pour aller voir, mais... je pense qu'il y a plus intrigant à l'ouest, déclara Seungmin.
Légèrement à l'écart du groupe, il était monté sur un rocher pour observer la direction qu'il avait indiquée. Ses sourcils froncés ne laissaient en rien deviner la nature de ce qu'il voyait, aussi ses camarades le rejoignirent-ils sans attendre.
— Je suis en train de rêver... ? souffla Hyunjin en posant une main sur l'épaule de son ami.
— Dans ce cas, on rêve tous, répondit Changbin.
Si la nature était reine à l'est, l'Homme occupait la majeure partie du terrain à l'ouest. De nombreux bâtiments se dessinaient plus loin en aval, au bord d'un lac. Des filets de fumée s'envolaient vers les nuages, comme s'ils sortaient de cheminées d'usines ; ce n'étaient pas l'œuvre d'incendies, à n'en pas douter.
— Ce serait logique que des survivants se soient installés là, non ? S'il y a une forêt encore intacte à côté, c'est un endroit rêvé..., commenta Minho. Peut-être même que le lac n'est pas contaminé, ou qu'ils sont capables d'assainir l'eau ?
— Si c'est le cas, garder cap vers le nord a été la meilleure décision que tu aies pu prendre, Chan ! enchaîna Changbin.
Il accompagna ses mots d'une tape amicale dans le dos de leur camarade, lequel esquissa un sourire en guise de réponse.
— Alors on commence par aller voir les survivants ? demanda Seungmin. Ils auront sûrement plein de choses à nous apprendre sur cette forêt et tout le reste.
Les garçons approuvèrent cette nouvelle proposition et se mirent en route sans plus perdre de temps. S'ils avaient retrouvé un peu d'énergie grâce aux mots du journal, voilà que cette découverte leur donnait des ailes. Le point lumineux qu'ils avaient aperçus dans la nuit n'était plus qu'un vague souvenir ; dorénavant, seul leur salut comptait.
Après environ encore une heure de marche, ils atteignirent les berges d'une rivière qui, depuis leur poste d'observation, avait semblé couler vers le lac ; il ne leur restait plus qu'à la suivre. L'excitation rendait les garçons bavards, bien moins alertes vis-à-vis de leur environnement et des possibles dangers s'y cachant. Cette insouciance retrouvée leur gonflait le cœur d'un bonheur insoupçonné. Ils avaient survécu ensemble et seraient sauvés ensemble, et rien ne pouvait être plus beau. Savoir Jeongin à leurs côtés, même alors qu'ils ne se connaissaient que depuis deux jours, avait le don de les rassurer et de les réjouir. Lui qui avait tant enduré pourrait enfin bénéficier d'un repos et de soins bien mérités.
En trois quarts d'heure de plus, le terrain devant eux se dégagea ; les arbres étaient de plus en plus épars, tantôt nus, tantôt feuillus, et la rivière continuait sa course à travers une plaine pour bel et bien se jeter dans le lac, autour duquel quelques camps habillaient le paysage. Chacun d'eux arborait un drapeau affublé d'un logo peint à la main, une forme abstraite qu'ils ne surent identifier. Les fumées des cheminées, quant à elles, se dressaient toujours vers le ciel nuageux, sur les berges est du lac. Les lieux avaient tout l'air d'une ville, à la fois semblable au passé et différente. Certains bâtiments paraissaient effondrés, d'autres rafistolés, mais ils étaient encore trop loin pour saisir toutes les subtilités de cette zone humaine qui tenait encore debout.
— Il y a quelques camps sur le chemin, on va d'abord voir là ? proposa Jisung.
Si la plupart des garçons approuvèrent sans se concerter – commencer par un petit rassemblement de personnes serait sûrement moins éprouvant –, Changbin les retint d'un mot avant qu'ils ne quittent le couvert des arbres.
Jisung fut le premier à lui accorder un regard, pour simplement découvrir Jeongin, tremblant de la tête aux pieds entre les bras de Changbin. Son regard écarquillé ne quittait pas l'horizon tandis que sa respiration, rapide et saccadée, résonnait de plus en plus fort dans le silence de la nature.
— J'arrive pas à le calmer, ça l'a pris tout d'un coup.
Felix s'approcha doucement d'eux et prit les mains de Jeongin entre les siennes. Il caressa délicatement ses doigts et ses paumes froides et moites, tâchant de capter son regard.
— Respire avec moi. Inspire, dit-il avant de prendre une longue inspiration, et expire.
Il recommença plusieurs fois, jusqu'à ce que Jeongin parvienne à caler, ne serait-ce qu'un peu, sa respiration sur la sienne. Son rythme était toujours trop rapide, mais il ne risquait plus de s'évanouir, et que Felix monopolise son attention lui permettait de presque oublier ce qui l'avait soudainement mis dans cet état.
— Tu peux nous dire ce qui se passe, maintenant ? demanda Changbin de sa voix la plus douce.
Jeongin déglutit difficile, son souffle de nouveau saccadé. À nouveau, Felix l'invita à suivre le sien, et le rouquin parvint à murmurer entre deux inspirations :
— C'est... c'est eux...
Papillonnant des yeux, Felix croisa le regard confus de Changbin avant de se tourner vers Chan, lequel ne semblait pas plus comprendre.
— Il faut partir..., souffla Jeongin.
Le sang de Minho ne fit qu'un tour.
— Putain, la secte.
Ces quelques mots suffirent à déclencher un mouvement de repli : sans lâcher Jeongin, Changbin se précipita dans la direction opposée à ces camps qui arboraient sans aucun doute l'emblème de cette secte de fous. Les autres garçons lui emboîtèrent aussitôt le pas, Minho fermant la marche comme à son habitude.
Derrière eux, des pas précipités retentirent. Un écho inquiétant, d'abord lointain, mais qui se rapprochait bien plus vite qu'ils ne couraient. Leur long périple, leurs maigres repas et leur épuisement avaient raison d'eux ; ils n'étaient plus aussi endurants, plus aussi rapides, plus aussi forts qu'avant.
Changbin conservait une petite avance sur les autres, sa main fermement accrochée à celle de Jeongin qui courait par lui-même, de nouveau motivé par l'énergie du désespoir. Hyunjin et Seungmin les suivaient de près, tandis que Chan et Jisung s'efforçaient de les rattraper. Felix n'était que quelques pas devant Minho, mais ce dernier se sentait trop à la traîne.
Les pas se rapprochaient de plus en plus.
Son sang battait à ses tempes, dans ses oreilles. Sa gorge le brûlait et l'air atteignait de moins en moins ses poumons. À ses pieds, les racines semblaient grandir, sortir du sol pour lui faire des croche-pieds. Felix jeta un coup d'œil par-dessus son épaule, simplement le temps d'une seconde, et tendit la main à Minho. Il ralentit même son allure pour lui permettre de l'attraper plus facilement.
Minho tendit le bras devant lui, ses doigts effleurant ceux de Felix.
Les racines profitèrent qu'il détourne les yeux pour le piéger, son pied butant contre l'une d'elles. Il perdit l'équilibre, sa course le projetant en avant. Felix s'arrêta aussitôt pour revenir sur ses pas, attrapant les bras de Minho pour l'aider à se remettre debout le plus vite possible.
— Barre-toi, souffla Minho entre deux respirations laborieuses.
Pour toute réponse, Felix secoua la tête. Ils reprirent leur course quelques secondes plus tard, mais leurs poursuivants les talonnaient. Ils n'entendaient plus seulement leurs pas, ils pouvaient les voir quelques pas derrière eux s'ils se risquaient à guetter leurs arrières. Des hommes et des femmes qui ne payaient pas de mine, des hommes et des femmes qui portaient cet emblème que Jeongin n'avait pas manqué de reconnaître.
*
Ils coururent peut-être dix ou vingt minutes avant de se retrouver encerclés par une végétation si dense qu'ils furent contraints de ralentir l'allure. Les racines sortant de terre étaient de plus en plus nombreuses, les branches basses aux larges feuilles leur fouettaient le visage. Plusieurs fois, ils durent se baisser et grimper par-dessus des troncs en travers de leur passage, quand ce n'étaient pas des buissons fleuris ou des rochers couverts de mousse.
Leur chemin les conduisit de retour au pied de la montagne qu'ils avaient descendue quelques heures plus tôt, aussi purent-ils trouver refuge dans une petite grotte, un peu plus en amont et protégée par les bois. Les pas dans leur dos avaient disparu, à la fois étouffés par la densité de la végétation et par la distance. Ou du moins, ils l'espéraient.
Dès qu'ils eurent un peu repris leur souffle, écroulés par terre ou les mains agrippées aux genoux, Chan s'empressa de les compter.
— Six, lâcha-t-il.
— Hein ? répondit Jisung en grimaçant.
Il expira lourdement, les poumons en feu, et s'ébouriffa les cheveux pour en chasser les gouttes de sueur. À son tour, il compta ses camarades, et la réalité le frappa peut-être plus fort encore que Chan qui regardait partout autour de lui. Il se précipita hors de la grotte, les mains en porte-voix.
— Felix ! Minho ! hurla-t-il à s'en déchirer les cordes vocales.
Seungmin se jeta sur lui pour le faire taire, les mains sur sa bouche, tandis que Chan avançait vers la forêt, l'air hagard ; Changbin se chargea de le retenir, et Seungmin et lui traînèrent leurs compagnons dans la grotte.
— Faut qu'on aille les chercher, ils ont peut-être perdu notre trace dans la forêt ! insista Jisung.
— C'est pas en hurlant que tu vas leur rendre service ! le réprimanda Seungmin. Manquerait plus que tu attires ces fous ici ! On a eu de la chance de les semer, et encore plus de trouver un endroit où nous cacher.
— C'est ma faute..., souffla Chan. Je suis désolé... Je savais que je prenais que des décisions idiotes depuis quelque temps... C'est moi qui vous ai conduits là... Je dois aller les chercher, on a peut-être encore une chance de les retrouver s'ils sont juste perdus dans la forêt.
Sur ces mots, il tenta de nouveau de quitter la grotte, mais c'était compter sans la poigne de fer de Changbin contre laquelle il ne chercha même pas à lutter.
— Premièrement, commença ce dernier, tu pouvais pas savoir que la secte se trouvait là. Deuxièmement, hors de question qu'on se sépare, surtout si ces types sont toujours à nos trousses. Et troisièmement, j'ai... j'ai franchement peu d'espoir. Si Minho et Felix sont dans la forêt à nous chercher, c'est qu'ils ont vraiment eu beaucoup de chance.
— Mais on peut pas les laisser errer comme ça, faut qu'on en ait le cœur net. J'ai promis de vous protéger, je peux pas rester sans rien faire, je peux pas les abandonner, je peux pas laisser Minho...
Sur ces mots, Chan se laissa tomber par terre, la tête entre les mains. Il avait été sûr que le moindre rapprochement avec Minho aurait entraîné mille et un malheurs, mais pas aussi rapidement. Dans ce monde ravagé, ils n'avaient visiblement pas le droit d'être heureux, ils ne pouvaient qu'être ensemble sans vraiment l'être, en conservant un mur invisible entre eux. Ils n'avaient pas la chance de Hyunjin et Seungmin, sûrement parce que la nature de leurs sentiments n'était pas la même. Et jamais Chan n'aurait pensé les jalouser.
— Laissez-moi au moins aller faire un tour, je sais me repérer en forêt, c'était mon métier. Je pourrai revenir ici. Dans une heure et demie, deux heures maximum, je suis de retour.
— Pas tout seul, je viens avec toi, déclara Seungmin.
Si Hyunjin secoua la tête en guise de protestation, il n'eut pas même le courage de le prendre dans ses bras pour le retenir. Alors Chan et Seungmin quittèrent la protection de la grotte pour à nouveau s'aventurer entre les arbres trop verts de cette forêt trop dense.
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