☢︎ chapitre 8
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Bien que le feu se soit éteint environ deux heures plus tôt, Jisung parvenait à distinguer les alentours grâce aux rayonnements de la lune. Son éclat était bien plus faible que dans ses souvenirs, comme si les incendies et autres catastrophes avaient recouvert la Terre d'un air trouble, tantôt grisâtre, tantôt rougeâtre. Changbin et lui avaient vu les dernières braises du feu disparaître, englouties par la nuit, et un simple contact leur avait suffi pour décider de ne pas le rallumer. Les quelques brindilles qu'il leur restait ne l'auraient pas assez alimenté et ne leur permettraient pas de le faire repartir. Il valait mieux qu'ils se contentent de la faible clarté lunaire pour ne pas prendre le risque de réveiller leurs compagnons ou d'attirer un quelconque danger par des bruits.
Au bout de quelques dizaines de minutes, Changbin quitta son poste d'observation pour s'asseoir à côté de Jisung, sur un rocher légèrement devant l'alcôve.
— J'arrête pas de penser à la réaction de Jeongin, murmura-t-il. Il a dû voir des trucs vraiment horribles...
— On a tous vu des trucs qu'on aurait préféré ne jamais voir, non ? répondit Jisung alors qu'il repensait au corps dans le bunker.
— C'est pas ce que je voulais dire, mais tu as raison. Je voulais parler de la secte, de ce qu'ils font avec les mutants. Jeongin a dit qu'ils pensaient que les mutations étaient le salut de l'humanité, alors j'imagine pas les expériences qu'ils ont pu faire sur des mutants... et peut-être sous les yeux de Jeongin.
— J'espère qu'il n'a pas été le seul à pouvoir s'échapper, vraiment. Personne ne mérite de subir quoi que ce soit de bargeots pareils.
Changbin approuva d'un signe de tête, pressant doucement le genou de Jisung. Ce n'était pas son genre de se confier ou d'user de mots pour exprimer ses ressentis. Les gestes et les regards lourds de sens lui correspondaient bien mieux, surtout quand il craignait de trop en dire et d'impacter le moral des autres. Au fond, Chan et lui se ressemblaient sur ce point ; ils considéraient qu'il valait mieux ne rien dire si ça pouvait épargner leurs compagnons.
Alors qu'il allait se lever pour trouver un nouveau point d'observation, Jisung le retint par le poignet. Il ne pipa mot et plissa les yeux pour percer l'obscurité ; bientôt, il se leva et se pencha légèrement en avant, sans jamais lâcher Changbin.
— Qu'est-ce qu'il y a ? demanda ce dernier.
— Là-bas, droit devant, souffla Jisung. J'ai l'impression de voir une lumière.
Il guida son ami pour qu'ils regardent dans la même direction, et le sang de Changbin ne fit qu'un tour. Au loin, un point lumineux légèrement jaunâtre se déplaçait.
— Tu crois que ça peut être des survivants ?
— Ou cette secte de merde qui a trouvé notre trace, répliqua Jisung.
— Réveille-les, je remballe nos affaires.
Aussitôt, Jisung se jeta sur leurs compagnons pour les tirer de leur sommeil le plus silencieusement possible. Sans surprise, Chan avait entendu leur conversation, bien qu'elle n'ait été qu'un murmure, et l'aida à ranger les couchages à mesure que les garçons se levaient. Personne ne dit rien, mais Jeongin fut incapable de dissimuler ses tremblements. Dès que Changbin s'approcha de lui, il s'agrippa à son bras comme si sa vie en dépendait.
— Ils m'ont retrouvé ? souffla-t-il.
Sa respiration rapide accompagnait son corps tremblant ; Changbin dut le tenir par la taille pour s'assurer qu'il ne s'effondre pas dans la nuit.
— Personne ne t'emmènera, d'accord ? On veille sur toi. Peu importe qui se trouve là-bas, on en est encore loin.
Ces mots furent les derniers prononcés avant que le groupe ne soit plongé dans un silence oppressant, seulement entrecoupé de bruits de pas ou de froissements de tissus. Chan, de nouveau en tête de file, contourna l'alcôve pour guider ses compagnons au-dessus, tandis que Minho assurait leurs arrières, guettant les mouvements du point lumineux. Ce dernier ne semblait pas s'approcher d'eux, mais mieux valait ne prendre aucun risque. Il leur fallait fuir tant qu'ils le pouvaient, et le plus loin possible.
Ils restèrent les uns collés aux autres, s'accrochant aux vêtements ou aux lanières des sacs à dos pour ne pas se perdre de vue, bien que la lune les aide à percevoir les silhouettes de tout un chacun. Nombre de fois, ils trébuchèrent sur des pierres ou des racines ; nombre de fois, ils se prirent des branches dans les épaules ou le visage. Mais jamais ils ne réduisirent l'allure, jamais ils n'exprimèrent une quelconque peur ou une quelconque fatigue. C'était comme si ouvrir la bouche, formuler tout haut ce qu'ils craignaient tous au fond d'eux, allait faire surgir le danger pile en face d'eux.
La nuit étant déjà bien avancée, ils n'eurent pas à marcher longtemps avant que les lueurs de l'aube ne commencent à éclairer le ciel. Bientôt, ils perçurent les arbres et les rochers autour d'eux plus distinctement.
Chan prit soin de marcher sur les cailloux et racines pour laisser le moins de traces possible derrière lui et ses camarades l'imitèrent sans qu'il ait besoin de leur expliquer quoi que ce soit. Heureusement pour eux, les sols, bien qu'humides de la nuit, n'étaient pas glissants, aussi ne trébuchèrent-ils plus. Même Jeongin, toujours tremblant et soutenu par Changbin, parvenait à suivre le rythme et évitait autant que possible de poser les pieds dans la terre meuble. Minho, quant à lui, se retournait tous les quatre ou cinq pas, mais avec la nouvelle luminosité, il lui était impossible de discerner le moindre indice prouvant qu'ils étaient suivis. Tout ce qu'il pouvait espérer était qu'ils avaient fui assez vite et que quiconque ait été près d'eux n'ait pu trouver leur trace.
Leur chemin les mena malgré eux sur des sols de plus en plus humides ; le bruissement de l'eau leur parvint bientôt dans le calme plat de la nature. Un ruisseau ou une rivière, dont ils s'approchaient de plus en plus.
Chan fut inévitablement le premier à voir le cours d'eau ; le courant était faible, mais traverser à la nage ou à gué était aussi idiot que rester sous la pluie. À sa gauche, Hyunjin se percha sur un rocher.
— J'ai pas l'impression que ce soit très profond, commenta-t-il.
Le simple fait d'entendre une de leur voix eut le don de les rassurer ; ils étaient encore ensemble, encore sains et saufs, et le silence oppressant se dissipait peu à peu. La rivière ajoutait même une once de normalité, comme si elle parvenait à rendre à la nature une partie de son charme désormais perdu.
— Si on la longe, on trouvera peut-être un endroit où traverser. Un pont, ou des rochers, continua Hyunjin.
— Des rochers, ce serait l'idéal, ajouta Felix.
Chan approuva ; traverser la rivière de cette façon était le meilleur moyen de semer des possibles poursuivants. En d'autres circonstances, ils auraient pu faire une partie du trajet les pieds dans l'eau pour masquer leurs traces, mais il y avait bien longtemps que cette option était devenue inenvisageable.
— Mais on risque de laisser trop de traces en longeant la rivière, intervint Minho. Il faudrait peut-être qu'on la suive de loin.
— Et dans ce cas, on risque de rater des occasions de la traverser, argumenta Seungmin.
— Le plus prudent reste de traverser, répondit Chan. Même si quelqu'un suit nos traces, une fois qu'on sera de l'autre côté, on courra moins de danger.
Alors le choix était fait. Le groupe remonta la rivière en gardant le cap vers le nord ; autant qu'ils purent, ils continuèrent à se servir des cailloux pour éviter de creuser les sols, bien que de la terre accrochée à leurs semelles se dépose parfois sur la pierre. Ils ne pouvaient pas être aussi furtifs que des animaux.
Plusieurs fois, ils repérèrent de gros rochers émergeant du cours d'eau, mais rien autour ne leur permettait de les atteindre. Ils n'étaient que des îlots hors de portée, et plus les minutes s'écoulaient, plus Hyunjin regrettait d'avoir soumis cette idée. À cause de lui, le moral de ses compagnons devait baisser. Il leur avait donné un peu d'espoir là où il n'y en avait finalement pas. Retenant un soupir, il pressa tendrement la main de Seungmin, toujours blottie au creux de la sienne. Il était encore trop tôt pour baisser les bras et abandonner cette piste, d'autant plus que s'ils ne parvenaient pas à traverser la rivière, ils auraient pris des risques considérables pour rien en laissant leurs empreintes sur les berges.
Quand ce n'était pas l'absence de rochers qui les bloquaient, c'étaient les algues. Chan refusait qu'ils prennent le risque de glisser, mais à force d'éliminer tous les possibles chemins qu'ils repéraient, il les mettait lui-même en danger.
Alors qu'ils s'arrêtaient face à une nouvelle possibilité, Chan secoua de nouveau la tête. La plupart de rochers étaient couverts d'algues, mais l'espace entre chacun d'eux était suffisamment petit pour ne pas demander de sauts.
— Ça suffit maintenant ! s'emporta Jisung. À ce rythme-là, on traversera jamais. Alors tu restes ici si tu veux, mais moi j'y vais.
Il n'attendit pas la moindre réaction de ses camarades pour poser le pied sur le premier rocher avant d'enjamber l'eau. Sa semelle sur les algues, il ne présenta aucun signe de déséquilibre. Il ouvrit la voie avec souplesse et agilité et ne se retourna qu'une fois sur la terre ferme, de l'autre côté.
— À qui le tour ? lança-t-il.
Il haussa un sourcil en croisant le regard de Chan, l'air de le défier. Ce dernier se retint de lever les yeux au ciel et invita les garçons à suivre les pas de Jisung. D'abord Felix, qui ne montra aucune difficulté à conserver son équilibre, bien qu'il avance moins vite que Jisung.
Changbin et Jeongin furent les suivants ; ils avancèrent lentement, Changbin assurant les appuis de Jeongin sur chacun des rochers. Avec ses muscles encore faibles et tremblants, il était le plus à même de déraper. Après tout ce qu'il avait dû subir, une chute dans une eau assurément contaminée pouvait bien lui être épargnée.
Avant qu'ils n'aient atteint la rive opposée, Seungmin se lança dans la traversée, rapidement suivi de Hyunjin. Chan fit signe à Minho de leur emboîter le pas sans plus tarder ; Jisung avait eu raison d'insister, même de les forcer, ils avaient assez perdu de temps à longer la rivière alors qu'ils avaient déjà eu presque une dizaine d'occasions de la franchir.
— Ça a l'air si simple quand on les regarde faire..., souffla Minho.
— Aucune raison que tu n'y arrives pas, et je suis juste derrière toi.
Minho quitta l'eau des yeux pour adresser un regard reconnaissant à son ami – son amant ? –, lequel lui rendit un sourire avant de se pencher vers lui, simplement le temps de lui déposer un rapide baiser sur la joue. Ce contact eut le don de donner un peu d'énergie à Minho, suffisamment pour qu'il ravale ses craintes de glisser et se lance dans la traversée. Bien qu'il soit prudent, ses pieds ne lui paraissaient jamais stables, peu importe où il les posait.
Après seulement deux rochers, il perdit l'équilibre et battit des bras pour se stabiliser ; la réussite de la manœuvre n'était due qu'à Chan, lequel le tenait par la taille, les pieds sur deux rochers différents.
— Je suis là, murmura-t-il. On avance ensemble.
Il attrapa l'une des mains de Minho et l'invita à avancer ; ils prenaient soin de toujours rester l'un près de l'autre en ayant au moins un pied sur le même rocher, et si leur progression fut lente, elle ne le fut tout de même pas autant que celle de Jeongin et Changbin.
Enfin tous réunis, Chan reprit la tête du groupe, bien que Jisung décide de marcher à son niveau. Il avait assez usé de son autorité pour la journée ; si ses prochaines décisions se révélaient à nouveau contestables, Jisung n'hésiterait pas à faire valoir son opinion.
Heureusement pour les huit garçons, aucune friction n'éclata, en partie parce que Chan n'ouvrit pas la bouche de la journée. Ils continuaient à avancer vers le nord, et leur route avait depuis longtemps déviée de la rivière. S'ils avaient dû gravir quelques pentes avant de trouver leur point de traversée, voilà qu'ils descendaient vers une vallée.
— C'est peut-être le moment de faire une pause, non ? lança Changbin. Je vous rappelle que la nuit a été écourtée et qu'on a pas tous la même endurance...
Pour toute réponse, Chan et Jisung observèrent les environs à la recherche d'un endroit où ils seraient à couvert. Les lieux étaient propices à l'observation ; ils pouvaient aussi bien surveiller leurs arrières que s'assurer qu'ils ne filaient pas droit vers le danger. Mais un tel lieu pouvait aussi compromettre leur position.
— Là-bas, sous les arbres ? proposa Jisung.
Il attendit l'approbation de Chan pour s'y diriger et, tandis que Minho et Seungmin surveillaient les environs, les autres garçons s'assirent où ils purent. Jeongin resta aux côtés de Changbin, la tête appuyée contre son épaule. Il ne put s'empêcher de piquer du nez à plusieurs reprises et Chan l'observa sans pouvoir masquer son inquiétude. S'ils continuaient ainsi, jamais Jeongin n'allait pouvoir reprendre des forces. Ils allaient l'épuiser à force de marcher sans cesse, et sans but, jusqu'à ce qu'il s'effondre pour ne plus jamais se relever.
— On pourrait en profiter pour continuer le journal, non ? proposa Hyunjin.
Changbin secoua gentiment Jeongin pour attirer son attention.
— Tu penses pouvoir encaisser ?
Le rouquin hocha simplement la tête avant de se caler confortablement contre l'épaule de son camarade.
— Tu n'auras qu'à me pincer si ça va pas.
Cette fois-ci, Jeongin répondit par un son de gorge approbatif et Chan n'en attendit pas plus pour sortir le journal, prenant soin de rester à nouveau à bonne distance de ses compagnons. Minho avait choisi de risquer la contamination, mais il ne pouvait pas leur prêter la même intention, surtout s'il restait une chance que certains d'entre eux soient encore sains.
— J'en étais au 25 juin, mais peut-être que je peux encore passer quelques entrées. On pourra s'intéresser plus tard au cas de Jaeyong.
— Le but c'était de savoir comment elle avait été contaminée, répondit Jisung, mais c'est sûrement à cause de son mari. Peut-être qu'on peut attendre tout court pour les contaminations, cherche plutôt si elle parle de lieux sûrs ou de refuges. La porte du bunker était ouverte, elle a forcément dû en sortir plusieurs fois.
Chan hocha la tête et se plongea aussitôt dans une lecture rapide et silencieuse.
— Apparemment, la douleur a commencé autour du 29 juin pour elle aussi, mais elle n'a pas muté avant... mi-juillet, on dirait, commenta-t-il en continuant à tourner les pages. Ah, là, j'ai peut-être quelque chose. 11 juillet, elle était encore en train de muter. La douleur est insupportable, je la ressens dans tout mon corps. J'ai du mal à penser, j'ai besoin de prendre l'air en ce moment. Je l'ai fait. Je suis sortie, plusieurs fois. Pendant que les filles dormaient. J'en ai toujours profité pour ramener quelques conserves de la cave, nos réserves s'amenuisent de plus en plus vite. J'ai faim... J'ai toujours faim... Seolha dit qu'elle ne me reconnaît plus, que je n'agis plus comme sa mère. La douleur me change, mais elle est trop jeune pour comprendre ce que je peux vivre. Quand j'étais dehors, la nuit dernière, j'ai entendu des bruits. J'ai cru que c'étaient des animaux, mais c'étaient des humains. Ils étaient si appétissants... Appétissants ? La douleur me rend folle. Je n'ai pas compris tout ce qu'ils disaient, mais je les entendais bien mieux que je n'aurais dû. Peut-être que j'ai tout inventé. Ils parlaient d'un lieu sûr, au-delà des montagnes. D'un endroit où les incendies n'existaient pas, où la vie coulait toujours. Un endroit protégé. Est-ce que je peux y emmener Seolha et Byulha ? Je ne survivrai jamais jusque-là, j'ai trop faim.
— Au-delà des montagnes ? s'étonna Hyunjin. C'est pas un peu trop beau pour être vrai ?
— Peut-être... Mais si c'est vrai, il faut qu'on continue, déclara Chan. J'espère qu'il était bien question de ces montagnes-là.
— N'empêche que ça peut expliquer pourquoi on a vu cette lumière, cette nuit. C'était peut-être des survivants qui ont entendu parler de cet endroit, souligna Jisung.
Changbin lui donna raison ; c'était la déduction la plus logique, et surtout celle qui leur apportait le plus d'espoir. Avec ce nouveau but, ce lieu à atteindre qui semblait si près d'eux, ils avaient une nouvelle motivation pour ne pas baisser les bras. Même Jeongin se redressa, sa fatigue s'atténuant à mesure que l'espoir faisait son chemin dans son corps.
— Alors en route, lança Minho en les rejoignant.
Son sourire, aussi doux que lumineux, ornait son visage pour la première fois depuis des jours. Il retrouvait la force de remonter le moral des autres par cette nouvelle, et si un simple sourire pouvait lui permettre de les garder debout jusqu'au bout de leur chemin, il était prêt à fournir tous les efforts du monde pour cela.
— Alors en route, répéta Chan.
Le journal de retour dans son sac, il se redressa et accorda à son tour un sourire à ses compagnons. Il n'y avait sûrement rien de plus précieux pour eux que ce fragment de bonheur sur le visage de cet homme. Si même lui espérait aussi fort, ils ne pouvaient pas se tromper. Leur périple touchait à sa fin.
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