☢︎ chapitre 11
— • ☢︎ • —
Un pas devant Minho, lui tenant fermement la main, Felix courait aussi vite qu'il le pouvait. Les bruits derrière eux s'approchaient dangereusement, ni l'un ni l'autre n'osait jeter le moindre coup d'œil en arrière. Leur course les approchait d'une forêt plus dense, dans laquelle leurs compagnons s'étaient déjà enfoncés et où ils pouvaient espérer semer leurs poursuivants. S'ils ne se prenaient pas les pieds dans des racines en premier...
Plusieurs fois, ils entendirent leurs poursuivants se crier des mots qui leur demeuraient inintelligibles. Le vent leur fouettait le visage, le sang battait à leurs tempes et dans leurs oreilles, leurs souffles saccadés étouffaient tout autre son... Ils étaient pourtant certains qu'ils parlaient coréen, et qu'ils se pressaient les uns les autres de leur mettre la main dessus.
Les pas se firent soudain moins nombreux, et Felix risqua un regard par-dessus son épaule. Deux femmes et un homme s'étaient arrêtés, chacun brandissant un lasso à boules. Il n'avait vu cette arme de jet que dans les films, et son sang ne fit qu'un tour ; il leur était crucial de rejoindre la forêt, là où la densité de la végétation les protègerait.
Mais c'était compter sans la rapidité de leurs poursuivants.
Un premier lasso s'enroula autour de ses cuisses ; en un éclair, Felix s'échoua par terre. Minho le suivit rapidement. Il roula dans l'herbe sèche, et Felix rampa aussitôt vers lui dans l'espoir de le défaire de ses liens, enroulés juste au-dessus de ses genoux. C'était peine perdue ; les membres de la secte les toisaient déjà de leur ombre.
Tous deux se débattirent autant que possible ; Felix parvint à faire un croche-pied à l'une des femmes et il lui donna un coup dans les genoux alors qu'elle titubait. Qu'elle chute dans un buisson ne déstabilisa pas le moins du monde ses compagnons, lesquels empoignèrent avec force Felix et Minho pour les immobiliser. Impuissants, ils ne purent lutter contre les deux individus qui s'approchaient d'eux, un tissu humide dans les mains qu'ils leur plaquèrent sur le nez et la bouche. En quelques secondes à peine, leurs forces les quittèrent et ils s'endormirent.
*
Minho fut le premier à ouvrir les yeux, un mal de tête lancinant l'empêchant de se redresser tandis que de longs sifflements brouillaient son ouïe. Il baignait dans le noir complet, ou peut-être que sa vue aussi lui faisait défaut. Tâtonnant autour de lui, il sentit le tissu de vêtements puis la chaleur d'un corps inerte. Avec un peu de chance, Felix était juste là, à ses côtés.
Une lumière jaunâtre s'alluma soudain, éclairant le mur de béton à sa gauche et le corps à sa droite, lequel se soulevait sous une respiration régulière. Minho força sur ses bras, ignorant la douleur lui vrillant le crâne, pour se redresser en position assise. La première chose qu'il prit le temps d'inspecter fut la personne à ses côtés : il reconnut les cheveux blonds de Felix, son visage aux traits androgynes et moucheté de taches de rousseur. Ils n'étaient pas séparés. Un lourd soupir de soulagement lui échappa à ce constat.
— Réveillé ? retentit une voix.
Minho releva trop vite la tête ; papillonnant des yeux, il vacilla et se raccrocha au bras de Felix. Il fallut quelques secondes pour que les murs arrêtent de tanguer, autour de lui, et son regard finit par tomber sur une femme, vêtue d'un long manteau noir, qui se tenait debout à quelques pas de lui, les mains croisées dans le dos. Des barreaux les séparaient.
— On est en prison ? marmonna Minho d'une voix éraillée.
— En cellule de transition, rectifia-t-elle.
Minho plissa les yeux et la dévisagea de la tête aux pieds ; ses cheveux bruns parsemés de gris étaient ramenés en une queue de cheval basse, bien que deux mèches encadrent son visage aux traits creusés, plus par la fatigue que par l'âge. Elle devait avoir une petite quarantaine d'années, pas plus.
— D'après ce qu'on m'a raconté, vous avez failli nous échapper, reprit-elle.
Baissant la tête vers Felix, encore inconscient, Minho soupira en se retenant de secouer la tête. Les mots lui échappèrent pourtant :
— Pas vraiment...
— Oh, détrompe-toi. Il y a bien une raison pour que vous ne soyez que deux dans cette cellule ; suivre la trace de tes amis n'aurait pas été compliqué du tout, nos membres ont été entraînés pour ça.
À nouveau, Minho plissa les yeux. La femme arborait un petit sourire espiègle, à travers lequel il la sentait incapable de retenir son savoir. Avant qu'elle ne puisse poursuivre, il trouva la force de se mettre sur ses jambes, découvrant au même instant que des chaînes étaient attachées à ses chevilles et à celles de Felix. Les murs de barreaux ou de béton ne leur laissaient pourtant pas la possibilité de s'enfuir, tout comme la fatigue qui engourdissait ses muscles ou la douleur qui continuait à lui percer le crâne. À petits pas, il parvint à contourner Felix pour se mettre entre la femme et lui, comme une barrière.
— Je ne vous étonnerai pas en disant que je suis rassuré que nous ne soyons que deux.
La femme pencha la tête sur le côté, croisant les bras sur sa poitrine alors qu'elle l'observait avec un mélange de curiosité et d'amusement.
— Que sais-tu de notre organisation ?
— Ce que j'ai besoin de savoir.
Lentement, elle secoua la tête, son sourire s'agrandissant, et glissa les mains dans les poches de son manteau.
— J'en comprends que tu ne sais pas grand-chose ; ça ne m'étonne pas plus que ta remarque. Il faut dire que si tu viens d'une région qui a été frappée tôt par les catastrophes, tu ne dois pas avoir beaucoup entendu parler de nous. Permets-moi donc de me présenter : Cho Haneul, je supervise la plupart des mutations et des candidats d'ici.
Un frisson désagréable remonta le long de la colonne de Minho. L'ignorant, il prit soin de détailler chaque parcelle visible du corps de cette femme, qui lui paraissait des plus humaines.
— Vous n'êtes pas...
— Une mutante ? le coupa-t-elle.
Elle s'humecta les lèvres, toujours aussi souriante, et tourna les talons pour s'approcher d'une porte au fond de la pièce que Minho n'avait pas encore repérée. Dans le dos du manteau noir était peint le même logo abstrait que sur les drapeaux des camps et les vêtements de leurs poursuivants. Haneul éteignit la lumière et Minho l'entendit se rapprocher de nouveau, d'une démarche si sûre et souple qu'il aurait juré qu'elle pouvait voir dans le noir.
Bientôt, un faible rayonnement apparut devant lui, où Haneul se tenait précédemment. Plus il s'habituait à l'obscurité ambiante et plus les formes lui apparaissaient nettement ; cette lumière épousait les contours de la silhouette d'Haneul et était bien plus vive là où sa peau était à découvert, au niveau des mains et de son visage.
— Les mutations prennent bien plus de formes que tu l'imagines. Et pourquoi crois-tu que je suis devenue superviseuse ? Depuis ma mutation, je suis considérée comme guide dans l'obscurité. Un peu comme une étoile ; c'est à moi de faire en sorte que les mutants s'adaptent à leur nouvelle condition pour s'épanouir dans cette nouvelle vie, sur cette nouvelle Terre. Nous seuls pouvons survivre aux conséquences des catastrophes.
Sur ces mots, son éclat s'intensifia, jusqu'à aveugler Minho qui se couvrit le visage. Quelques secondes plus tard, les lumières jaunâtres étaient de nouveau allumées. Minho ancra son regard dans celui d'Haneul, tâchant de lui paraître imperturbable. Il ne pouvait lui laisser voir ou comprendre toutes les pensées qui le traversaient ; si certaines mutations ne pouvaient se voir que sous certaines conditions, peut-être que certains d'entre eux avaient déjà mutés sans en avoir conscience ? S'il y avait bien des protocoles, Jeongin était peut-être même le seul encore sain, bien qu'ils l'aient sûrement contaminés au cours des derniers jours. Sa proximité avec Changbin ne pouvait pas lui avoir apporté que du positif...
Le silence, bruyant de ses pensées, dura de longues secondes, peut-être même quelques minutes. Haneul ne bougeait pas, ses mains de retour dans ses poches, bien que son regard scrute à nouveau Minho avec curiosité. Peut-être tentait-elle de déterminer l'effet de sa démonstration, ou le genre de mutant qu'il pouvait devenir ?
Minho fut coupé dans ses réflexions par le bruit des chaînes, derrière lui. Il n'en attendit pas plus pour couper court à cet échange visuel et s'accroupit auprès de Felix, lequel porta difficilement sa main à son visage qu'il frotta sans aucune énergie.
— Minho ? appela-t-il dans un murmure.
— Je suis là, souffla ce dernier. Je laisserai rien t'arriver.
Malgré la douleur qu'il devait lui aussi ressentir, Felix se redressa en position assise, les yeux grands ouverts. Il jeta des regards circulaires à son environnement, alarmé, tout en s'accrochant à Minho pour ne pas s'effondrer. Son attention fut finalement attrapée par la femme, laquelle leur tournait le dos, discutant à voix basse avant un homme près de la porte au fond de la pièce.
Quelques secondes plus tard, il s'en alla et Haneul s'en retourna près des barreaux, un carnet dans les mains. Elle fit mine de le lire avant d'adresser un regard aux deux garçons, un sourire mesquin aux lèvres. Minho fronça les sourcils et se releva, tâchant de nouveau de faire barrière de son corps pour Felix.
— Nous avons pris soin de faire quelques prélèvements pendant votre... sommeil, expliqua-t-elle. Des analyses sanguines et génétiques, avec le matériel qui a pu être sauvé ou réparé. Je suis sûre que vous savez très bien pourquoi.
Elle s'humecta une nouvelle fois les lèvres, comme pour retenir son sourire de s'agrandir. Quoi qu'elle ait à leur dire, ça n'allait pas leur plaire, mais l'un comme l'autre préféreraient qu'elle crache le morceau sans tarder ; Haneul semblait savourer le plaisir de les faire languir. De sa démarche souple, elle s'approcha d'une table pour s'y appuyer, et Minho ne put résister à l'envie de réduire la distance entre eux. Malgré ses chaînes, il se décala de quelques pas dans la cellule ; Felix était toujours dissimulé dans son dos.
— J'ai le plaisir de vous annoncer que vous êtes tous les deux contaminés, et pas qu'un peu, annonça-t-elle comme si elle leur remettait un prix. Selon nos calculs, il vous reste une à deux semaines avant de muter. Mais entre nos mains, ça ne prendra que quelques heures pour toi, Minho. Ton ami aura droit à un peu plus de répit, même avec nos soins il ne pourra pas muter avant deux ou trois jours.
Si un frisson de dégoût remonta dans son dos lorsqu'elle prononça son prénom – qu'elle avait dû entendre au réveil de Felix –, Minho fut rassuré d'entendre que Felix avait plus de chance que lui. Il osait même espérer que ce temps lui permettrait de fuir loin du joug de ces fous ; qu'il mute ou pas, il serait sauvé de leur influence et de la case dans laquelle ils comptaient le confiner.
— Nous n'avons pas encore trouvé de moyens de prédire en quoi nos candidats vont muter, alors dites-moi, tous les deux, qu'aimeriez-vous devenir ? Vous seriez surpris du nombre de personnes qui trouvent de l'espoir en cette question. C'est l'occasion de recommencer sa vie de zéro, de devenir la personne qu'on aurait rêvé être, d'accomplir tout ce qu'on n'a pu faire avant les catastrophes !
Minho réprima une grimace. Dans d'autres circonstances, dans un lieu inspirant un peu plus confiance, il aurait presque pu croire en ces promesses. Qui ne rêvait pas, dorénavant, de se reconstruire et de reconstruire sa vie ou le monde ? Vivre en paix, sereinement, en sécurité, était même ce pour quoi ils marchaient sans cesse vers le nord. Pourtant, ce n'était pas auprès de cette femme et de sa communauté qu'ils allaient trouver refuge ou un écho de leurs idéaux. Qu'ils traitent en plus les êtres humains comme des « candidats » n'avaient rien d'attrayant ; étaient-ils même certains de trouver une place dans ce nouveau monde qui leur était promis ? Peut-être que si la mutation ne plaisait pas, ils étaient exécutés ou enfermés en attendant de leur trouver une utilité.
Tandis que Haneul patientait sans les relancer, Felix trouva la force de se relever et se positionna juste à côté de Minho, assez près pour que leurs mains s'effleurent en signe de soutien, pas assez pour que la femme ne le remarque et en joue contre eux.
— Qu'espérez-vous ? demanda Felix de sa voix grave.
Son ton avait tout d'un reproche, mais Haneul ne s'en formalisa pas. À la place, elle posa le carnet sur la table et se redressa, un sourire enjoué égayant son visage, et s'approcha des garçons. Elle demeura à une distance raisonnable des barreaux, et Minho soupçonna qu'une telle précaution trahissait d'anciens incidents. Ils n'étaient sûrement pas les seuls à remettre en cause les motivations et manières de la secte, et n'importe qui pouvait passer le bras à travers les barreaux. Bien que l'envie de montrer qu'il n'était pas prêt à se laisser faire le démange, il se retint d'avancer d'un pas.
— Vous savez, nous trouvons des utilités à la très grande majorité des mutations, qu'elles soient physiques, intellectuelles ou même émotionnelles.
— Et que faites-vous des autres ? continua Felix.
— Les mutants les plus dangereux sont enfermés et nous entamons des procédures de soumission pour qu'ils nous obéissent au doigt et à l'œil ; nombreux sont ceux à vouloir... conquérir ce nouveau monde et asseoir leur autorité et leur puissance. Croyez-moi, nous avons besoin de moyens de nous défendre. Les autres peuvent vivre comme bon leur semble dans cette ville que nous nous sommes réappropriée, en attendant de pouvoir mettre leur particularité au service de notre cause. Vous voyez, tout le monde a sa place.
— Vous voulez dire que vous les enfermez en attendant de pouvoir les exploiter, traduisit Minho.
— Pense-le si ça te fait plaisir, je n'ai rien à cacher. Nous ne sommes pas des barbares. La période de transformation est douloureuse, mais nous n'y pouvons rien, tout comme nous ne pouvons choisir la mutation. La seule chose que nous interdisons est de pénétrer dans la forêt dans laquelle vos amis se sont réfugiés.
Sans pouvoir s'en empêcher, Felix et Minho échangèrent un regard alarmé. Si des personnes armées et entraînées ne pouvaient s'aventurer dans ces lieux, que cachaient-ils ? Leurs compagnons étaient certainement en danger, peut-être même que le sort qui leur était réservé était pire que le leur, en fin de compte.
— Qu'est-ce qu'elle a de particulier ? tenta Minho.
Haneul plongea de nouveau les mains dans ses poches et se balança une seconde sur ses pieds d'avant en arrière, esquissant un sourire énigmatique. Avant que Minho n'ait pu répéter sa question, elle se détourna, récupéra son carnet et s'avança vers la porte.
— Reposez-vous, vous aurez besoin d'énergie pour traverser la transformation. On vous apportera votre repas plus tard.
Sa phrase terminée, elle disparut derrière la porte en laissant les lumières allumées. Felix n'en attendit pas plus pour s'asseoir lourdement par terre, se massant les tempes. Ce n'était pas dans leur état qu'ils allaient pouvoir tenter de s'échapper, mais il était hors de question qu'ils laissent leurs camarades en proie au danger.
— • ☢︎ • —
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro