Je me sens différent. Non pas que j'ai changé, mais jamais je n'aurais imaginé partager les mêmes sentiments qu'une femme. La réciprocité n'avait pas fait partie de mon expérience jusqu'ici. Je suis donc quelque peu dérouté, c'est arrivé sans crier gare, d'une manière aussi inattendue de la part de Riva. Cette danseuse à l'apparence discrète et peu loquace m'a ouvert son cœur tandis que j'agis avec elle comme un vrai goujat.

Qu'est-ce qui peut bien l'attirer chez moi ? Après tout, les gens s'amusent à croire que je suis une personne peu intéressante, narcissique et prétentieux, qui finira sans aucun doute ses vieux jours seul, aigri et grincheux.

Qu'avais-je dit il y a quelques jours à propos de Riva ? Oui, c'est certain aujourd'hui, j'ai bel et bien décroché la perle rare. Aussi bien pour ma carrière que pour une possible vie privée.

Je ne finirais donc pas mes jours avec des chats. C'est ce que les gens disent tous, non ?

- Dohän ? M'interrompt l'objet de mes convoitises. Je te trouve bien pensif.

- Je retravaille la danse dans ma tête. Tu me connais maintenant.

Peu convaincue, elle laisse couler tandis que nous frôlons les premiers grains de sable.

- Tu es un piètre menteur Dohän van rein, jette-t-elle d'un coup en se positionnant face à moi.

Malgré nos déclarations respectives, nous n'avons pas bouleversé nos rapports l'un à l'autre. Certains se seraient enlacé dans un moment chaleureux, d'autre se seraient embrassé langoureusement. Riva et moi, nous continuons de faire comme si rien ne s'était déroulé et ça me convient très bien.

Je déteste les niaiseries !

- C'est toi qui rêvasses, Riva. Au boulot !

La matinée passe en un temps record, ma partenaire connaît la danse sur le bout des doigts. Dans quarante-huit heures maximum, nous serons déjà sur New-York face à Delly, avec à mes bras, Riva, mais aussi Claire.

- Dis-moi, Dohän ? lance ma danseuse alors que nous marchions en silence en direction de la maison.

- Quoi ?

- Pourquoi tu n'écrirais pas certaines musiques en français ?

- Pourquoi je ferais ça ? L'anglais est beaucoup plus utilisé dans le monde.

- Tu devrais t'amuser avec les langues que tu pratiques. Tu es à mes yeux un brillant polyglotte, utilises à bon escient tes dons. Je serais heureuse de chanter tes chansons dans ma langue.

- Tes propos sonnent ambiguë à mon sens.

- Tu trouves toujours de l'ambiguïté là où il n'y en a pas forcément, Dohän, objecte celle-ci en me faisait face.

M'arrêtant dans mon élan, elle s'arrête aussi et nous nous regardons comme si le temps s'était arrêté.

Oui, je déteste les niaiseries, mais j'ai diablement envie de l'embrasser, là, maintenant. Ses yeux noisette m'envoûtent depuis le premier jour. Elle m'a jeté un sort cette fille, ce n'est pas possible autrement !

- Tu m'entends ? Radote cette dernière en secouant sa main devant mon visage d'apparence impassible, mais bouillonnant intérieurement.

- Bien sûr !

- Ah oui ? Alors répète-moi ce que je viens de te dire dans ce cas.

Saloperie ! Elle m'a à tous les coups !

- Très bien, tu as gagné. Je lève le drapeau blanc.

- Je suis sérieuse lorsque je te parle de la musique. J'ai de nombreux souhaits, mais un autre vient se rajouter à tous les autres de ma vertigineuse liste. Celui-ci s'est hissé à la première place depuis que j'ai découvert ta voix. Alors, s'il te plaît, Dohän, exauce mon vœu.

- Tu me bassines avec ça depuis des jours...

- Dohän ! Réponds-moi !

Riva a du cran, c'est bien la seule qui me tienne tête au jour d'aujourd'hui et je commence à apprécier ce caractère insouciant et rebelle.

Ses yeux ancrés aux miens, comment ne pas accéder à sa demande ? Je crois bien que je serais capable de tout accepter pour la rendre heureuse.

- Ton souhait sera réalisé, Riva.

Ses yeux s'éclairent soudain, comme s'ils étaient éprit d'une vie nouvelle, d'un nouveau souffle, d'un regain d'espoir même.

Riva est apparu au moment où je me perdait de plus en plus chaque seconde qui s'écoulait, quand je l'ai regardé danser, elle m'a fait oublier le temps d'une danse la misérable vie que je menais. Je n'avais goût à rien, je ne pensais qu'à danser, même si la passion m'avait quitté depuis un moment. Mon travail était devenu un boulet que je traînais bien malgré moi sans trouver d'issue à ma lassitude.

Ce premier jour de casting incongru a été une bénédiction, ou devrais-je dire, Riva. Celle-ci est arrivée comme un cheveu dans la soupe. Personne ne l'attendait, autant de gens croyait en elle, mais pour moi, elle a illuminé instantanément la pièce. Sa danse a été le summum de l'excellence et de la révélation. En l'admirant effectuer ses mouvements, mon cœur s'est remis à battre, mes yeux se sont ouverts et mon cerveau à de nouveau reprit conscience. Riva m'a réveillé de cette longue léthargie dans laquelle j'errais et m'enterrais un peu plus.

Elle est ma bouée de sauvetage que je cherchais en vain, me noyant sans que personne ne le remarque.

- Pardon ?

- Tu as raison sur toute la ligne. Il y a un tas de choses que je veux raconter et partager. Et tu sais quoi, Riva ?

- Dis-moi ?

- Tu seras ma principale source d'inspiration.

Parce que c'est grâce à elle que je suis encore debout aujourd'hui, prêt à m'engager dans un nouveau projet que j'ai laissé choir impunément face aux critiques que je prenais beaucoup trop à cœur.