Je n'avais jamais imaginé qu'un personnage comme Dohän décrit comme étant aussi imbu de lui-même et arrogant puisse être aussi mal dans sa peau.

Rien que de l'entendre s'épancher sur sa vie privée me prouve à quel point il me considère et a confiance en moi. Dans notre relation professionnelle, nous avons passé un cap et ceci est important si jamais nous sommes voué à travailler plus longtemps ensemble. Quoiqu'il en soit, même si je ne deviens pas sa danseuse attitrée, je serais heureuse de faire partie de ses connaissances, peut-être même de ses amis avec un peu de chance.

– Riva ?

– Oui ? m'exclamé-je en sortant de ma torpeur.

– Tu sais, quand tu tentes de percer dans n'importe quel domaine que ce soit, il y a toujours des obstacles à franchir. Moi, j'ai réussi à en escalader plusieurs, mais petit à petit, je me suis affaibli et plus ça allait, plus cela devenait difficile de les surmonter.

Je pourrais l'écouter parler durant des heures. Sa voix, veloutée, apaisante et un peu trop efféminé pour certains, ont un effet enivrant sur moi.

– Alors parfois, j'ai flanché, mais je n'ai jamais lâché. J'ai beau avoir fait face à des critiques ou des insultes qui m'ont énormément touché et pourtant, je suis toujours là, prêt à tout donner...

– Mais au péril de ta santé, Dohän ! Je le coupe ahurie par la banalité de ses paroles. Jusqu'à quand cela va durer ? Tu comptes prendre des anxiolytiques toute ta vie où aller de l'avant ?

– D'après toi, Riva ? Tu crois que je ne le sais pas ? Tu penses que je prends tout ça à la légère ?

– Je n'ai pas dit ça, mais la façon dont tu en parles laisse penser que...

– Que quoi ?

Sa voix douce se transforme en un ton sec et froid. Ses iris verts me fusillent du regard comme si je l'avais trahi. Je ne comprends pas sa réaction.

– Dohän...

– Ça ne m'amuse pas, Riva ! J'ai vécu un enfer, si tu savais ! Jamais j'aurais pensé m'en sortir alors oui, je peux le répéter, mais je suis fier d'être encore là aujourd'hui.

– Non, je ne le sais pas. Comme tu le sais, avant ce casting, je ne te connaissais pas. Du moins, en France, personne ne te connaît.

La mine sévère de Dohän disparaît enfin, le calme sur son visage est de nouveau visible, mais avant qu'il ne s'en veuille de s'être emporté, j'essaye de ne pas mettre fin à cette discussion. Il faut à tout prix que je profite de cette conversation pour en savoir plus sur lui.

– Je ne demande qu'à te connaître et à te comprendre, c'est tout.

– Tu penses vraiment ce que tu dis ? Ou c'est simplement de la curiosité mal placée, Riva ?

– On a passé assez de temps ensemble, alors tu as sûrement déjà la réponse à ta question.

Le sourire qui se dessine sur ce portrait si parfait à mes yeux me fait fondre. Voguant entre celui d'un petit enfant espiègle et celui d'un plus innocent.

– Je n'aime pas parler de moi, ça me gêne.

– Nous sommes entre nous, Dohän.

D'abord hésitant, il se lance enfin :

– J'ai toujours eu une âme d'artiste et mes parents ont tout fait pour réaliser mes rêves depuis que je suis tout petit. Quand j'étais au lycée, ma passion pour la danse a grandi. On me charriait pas mal parce que je préférais pratiquer un sport de fille plutôt que de faire du football avec les garçons. Rien n'allait en s'arrangeant à cause de ma voix dite fluette. On se moquait tout le temps de moi, de mes choix, de mon corps, de ma sexualité. Le lycée était une période très difficile, je dois l'avouer.

Mon partenaire fait une pause avant de reprendre, les yeux dans le vide :

– C'est juste la nature qu'on m'a donnée, cependant, j'ai appris à vivre avec, même si je me suis longtemps détesté à cause de toutes ces critiques. J'aime à dire aujourd'hui que j'assume de provoquer tous ces haineux. Tu sais, Riva, pendant un bon moment il y a eu une sorte de croyance qui laissait penser que tous les danseurs étaient homos et rien de plus. C'est quand même une vision un peu simplette, tu ne crois pas ?

J'acquiesce en silence, attendant une potentielle suite.

– J'ai commencé ma carrière alors que je faisais ma dernière année de lycée. J'ai tenté une émission de chant et j'ai terminé dans le top trois. Ensuite, tout s'est enchaîné, j'ai été contacté pour représenter mon pays lors d'une compétition mondiale de musique. Je suis une fois de plus arrivé deuxième, cela m'a permis d'être repéré par une émission de danse américaine. Je me suis dit que ça pouvait être amusant alors j'ai accepté. Je n'avais que vingt ans, on me prenait pour le petit branleur de la bande qui dirait jamais non à quoique ce soit, mais malgré quelques déboires durant ma participation, cela m'a permis de lancer officiellement ma carrière de chanteur. J'ai peu de temps après sorti mon premier album, celui que tu t'obstines à écouter dans la salle de danse.

Je souris en repensant à la réaction excessive qu'il a eue lorsqu'il m'a surprise avec ce CD.

– Riva, j'ai tout laissé tomber non pas parce que j'ai préféré choisir la danse, mais tout simplement parce que je ne voulais plus entendre ces critiques sur mon style et ma voix. Cela ne devrait même pas être le sujet principal à aborder quand une personne parle de ta musique. Alors même si avant on me riait au nez parce que je dansais, aujourd'hui ce n'est plus le cas, car les hommes qui dansent, c'est devenu monnaie courante et c'est enfin entré dans les mœurs. Néanmoins, ma voix, elle, n'a pas changé. Elle me suivra toute ma vie et les médisances aussi.