C3 - Le serviteur de ces dames (2/3)
Raoul ne regretta plus son coupe-vent et brossa la boue gluante sous ses doigts. En maugréant. Pourquoi se gêner ? Les policières l'ignoraient à nouveau. Ce n'était pas un bon signe pour la suite, mais Elliot déclarait que Pravisam abritait des transmutés inoffensifs.
Enfin, Dorei lui avait rapporté ces propos de leur ami.
Raoul se tut lorsque ses gardiennes atteignirent une enceinte. Son esprit de journaliste s'éveillait. La construction en pierre, d'une hauteur variable, datait de plusieurs siècles. Peu entretenue, peu utile sur ce côté du bourg : les montagnes encerclaient la vallée de Pravisam. L'enclave perdue au milieu de nulle part servait de repaire idéal à une communauté de vampires, au nez et à la barbe des humains.
Ses policières longèrent le mur vers le sud, par un chemin qui descendait, un changement de pente bienvenu pour son souffle. Une entrée en éboulis franchi, et elles s'engagèrent dans une ruelle. Le trajet se termina à l'abord d'une place.
— Attendez ici, ordonna la rousse.
Quand Raoul s'assit sur son aile, posée au sol, la brunette lui décocha un coup d'œil railleur. Il ne retint pas un grognement. Que savait-elle cette vampire d'un vol ? Il s'avérait plus épuisant que les non-initiés ne le croyaient, avec la concentration requise. Sitôt un pied sur le "plancher des vaches" de Dorei, la fatigue tombait sur les épaules, manger et dormir devenaient des besoins vitaux.
N'oublions pas celui de se soulager.
Autant le mettre à profit pour une revanche. Avec un sourire en coin, Raoul se leva et s'éloigna vers une rangée d'arbres.
— Elle t'a dit d'attendre, assena sa gardienne.
Il ignora ses injonctions, alors qu'elle le suivait. Arrivé à destination, il jeta d'un ton innocent :
— Tu veux vérifier s'il n'y a pas d'embrouilles ?
La policière poussa une exclamation énervée et repartit en arrière, il avait réussi à effacer son air hautain. Une fois son affaire effectuée, Raoul gagna son siège la tête haute, tant récupérer sa dignité valait tout l'or du monde.
Confortablement installé, il étudia les alentours. Deux longues bâtisses, positionnées à angle droit entre elles, s'accolaient à l'enceinte. Sombres, massives, menaçantes. Elles n'avaient rien à voir avec les habitations pimpantes qu'il avait aperçues durant son vol. Des hangars de stockage ? Quoi d'autre, sinon ? Il fallait protéger les récoltes dans cet endroit isolé de la civilisation.
À l'opposé de ces hangars, une simple maison en pierre se dressait, et la rousse qui s'y était engouffrée en sortait. Elle cria depuis le seuil :
— Amène-le !
— J'arrive, répliqua-t-il avant la brunette.
La contrariété froissa les traits de la vampire. Deuxième revanche. Son aile portée sur une épaule, il rejoignit le logement d'un pas déterminé. La rousse lui barra le passage.
— Laisse ton parapente, ici.
— Au prix où il coûte ? Je le conserve avec moi.
Une voix ferme à l'intérieur empêcha son adversaire de le contredire.
— Il peut venir avec.
Raoul fit une révérence à sa gardienne et pénétra dans la pièce principale. La surprise le figea. Si la décoration ressemblait à tout chalet de montagne, la disposition des tables avait de quoi inquiéter : en U, autour d'une chaise.
La chaise du condamné.
La comparaison lui parut pertinente avec le comité d'accueil. Sept femmes vêtues de capes sombres, capuches remontées, affichaient des visages durs. Des regards glacés. Malgré lui, Raoul glissa un doigt entre le col de son pull et son cou... avant de se secouer. Qu'avait-il à craindre ? Elles n'allaient pas l'envoyer à la guillotine. Il s'assit, sa voile contre les jambes, tel un rempart de protection. Ce geste futile le rassura.
Face à lui se tenait une vieille femme à la peau fripée et tachée. Elle n'arrivait pas à la cheville d'Anaël, question beauté, même ses cheveux blancs étaient ternes. Il la jugea de santé fragile, peut-être malade ou proche de la fin.
Pourquoi pas ? Les vampires transmutés vivent quatre cents ans... et meurent.
Cependant, il ne devait pas la sous-estimer. Elle détenait le pouvoir si elle se trouvait au centre de cette étrange assemblée. Son timbre autoritaire le lui confirma :
— Nous sommes le Conseil de Pravisam et t'avons convié à cette réunion pour discuter de ton cas.
Il grimaça. La patronne de cette farce jouait avec les mots. "Convié" aurait convenu à la Plume Acerbe, un terrain connu.
— Je suis tout ouïe. Que me voulez-vous ?
Son ton doucereux ne perturba pas son interlocutrice.
— Nous savons que tu es arrivé ici avec Litsiane Hautbois. Comme elle est blessée, nous lui proposerons l'hospitalité...
— Je vous en remercie, coupa-t-il. Quand pourrais-je la voir ?
Sa tentative de la déstabiliser échoua. Elle gardait un air impassible, au contraire de ses collègues. Une onde colérique parcourait les capes. À la droite de la vieille femme, une jeune fille d'une vingtaine d'années cingla :
— N'interromps pas la Veilleuse, homme !
Si le qualificatif à son sujet le fit grincer des dents, il évita de verser de l'huile sur le feu.
— Je ne souhaitais pas vous offenser, mais la santé de mon amie me préoccupe beaucoup.
— Elle a juste une jambe blessée et restera à Pravisam jusqu'à sa guérison, déclara la patronne. C'est elle qui décidera de te voir, c'est elle qui décidera de votre départ. En attendant, tu travailleras pour payer ton séjour.
— J'ai de l'argent, je préférerais dessiner le bourg. Il est très joli.
— Nous aviserons lorsque tu auras effectué tes tâches quotidiennes.
Il n'insista pas. Dès que Dorei l'avait prié de se joindre à Litsi, il avait eu l'idée d'utiliser son talent afin de se promener au milieu des vampires. Il avait même emporté des esquisses. L'occasion se présenterait plus tard.
— Je me plierai à vos ordres. Quelles seront ces... tâches ?
— Tu le découvriras demain. Le Conseil est levé.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro