À moitié allongée sur la balancelle, Dorei proposait son visage aux rayons du soleil estival, pas assez chauds pour lui brûler la peau, assez pour la revigorer. Les concerts avaient avalé son énergie. Une dose de farniente avant la reprise à l'automne s'avérait vitale.

— J'espère qu'on arrivera à se reposer pendant notre mission à Pravisam.

Son souhait lancé à Litsi mourut au milieu des gazouillis des oiseaux. Elle souleva les paupières. Sa jumelle s'appuyait sur la rambarde de la terrasse, les épaules affaissées. Ses mains se crispaient sur une rose séchée. La dernière qu'elle avait reçue. Durant quatre mois, chaque semaine, elle en avait récupéré une ici. Et puis silence radio. Le Gothique pointait aux abonnés absents, et le cœur de sa sœur saignait.

— Peut-être l'empêche-t-on de te contacter ? murmura Dorei. Les ovnis pourraient être à sa recherche afin de le punir de sa trahison.

Ou décédé. Ou prisonnier, ce qui aboutissait à un résultat identique avec des vampires extrémistes. Une analyse plus logique. Or, elle ne désirait pas en rajouter, la raideur de Litsi l'inquiétant trop. Sa jumelle ouvrit enfin la bouche, des mots durs en sortirent.

— Pourquoi n'a-t-il pas essayé de me parler ? Qu'il se cache aux siens, je le comprends, mais pas à nous ! Il ne mérite pas notre intérêt. N'a-t-il pas dit : « oublie-moi et vis ta vie » ? Je vais donc appliquer son excellent conseil.

Dorei écarquilla les yeux : sa sœur arrachait les pétales orangés d'un geste sec. Ils s'effritaient déjà entre ses doigts, comme s'ils connaissaient leur destin. Disparaître avec la brise. Comment sa douce Blondinette pouvait-elle plonger dans cette colère ? Elle devait la calmer.

— Litsi...

À cet instant précis, le chant d'un rossignol retentit dans l'appartement. Quelqu'un sonnait à la porte d'entrée.

— Certainement Salim, déclara sa jumelle. Il faut le convaincre de nous aider. Sans lui, nous ne trouverons pas Pravisam ni le moyen de nous y introduire.

Quand elle bondit à l'intérieur, Dorei bougonna. L'occasion de crever l'abcès ne se présenterait pas de sitôt, même si elle endossait le rôle du Grand Inquisiteur. Elle se leva et pénétra à son tour dans le salon.

Dorei secoua la tête. Jamais elle n'avait pu discuter avec Litsi de sa souffrance. Sa sœur la tenait en échec.

Retrouver son talent lui a donné une telle confiance.

L'Ogre se méprit sur son attitude. Il lui souffla :

— La communauté se comporte correctement, nous n'avons enregistré aucune plainte. Au contraire. Je suis persuadé qu'il existe une explication simple au silence de Basile. Elliot aurait agi s'il avait eu le moindre doute à son sujet. Tu dois juste attendre le coup de fil de Litsi, pour les récupérer.

Quelle gourde, revois tes priorités !

Pendant qu'elle songeait aux états d'âme de sa sœur, Salim essayait de la rassurer sur les propos du Toqué. Sa préoccupation perçait dans sa voix. Dorei s'empressa de dévier la conversation.

— Tu as raison. La parole d'Ombrelle a plus de poids que celle du vieil homme. Vous êtes tellement différents tous les deux, la force de votre couple me surprend toujours.

Le rire tonitruant de l'Ogre envahit la pièce, elle avait réussi.

— Le Grand Inquisiteur reprend du service. Disons qu'il aura fallu un grave accident pour qu'il baisse la garde. Une amnésie y a contribué, en plus de mes soins.

Elle souleva ses sourcils. Imaginer Ombrelle en mauvaise posture ne se concevait pas. Que s'était-il passé ? Avant qu'elle ne pousse son interrogatoire, Salim la devança :

— Pas de question supplémentaire ! Mais je confirme que nous fonctionnons tels les doigts d'une main, malgré mes cachotteries. Tu devrais le comprendre. Raoul n'a pas hésité à accompagner ta jumelle, alors qu'il ne sera pas le bienvenu.

— Litsi ne pouvait s'y rendre seule, il s'est rangé à mon avis sans difficulté.

Dorei tourna le visage vers la cheminée, où les flammes dansaient. Un feu de joie brillait en apparence ; un feu sournois en réalité, à s'y frotter de trop près. Le mensonge derrière un masque de sincérité... comme elle avec Adonis.

Il aura tout le temps de découvrir la vérité sur place.