C2 - Rencontres toquées (2/3)
Lorsque Dorei se gara devant le chalet qu'ils louaient, en dehors du village, les étoiles se dévoilaient à peine dans le crépuscule, à côté d'un premier croissant de lune translucide.
Les fameux diamants de Litsi dans leur écrin de velours.
À sa sœur l'âme de poète, à elle une bonne flambée. Un ciel sans nuages signifiait une nuit glaciale. Elle se dépêcha d'entrer dans la pièce principale et d'allumer une lampe. Des effluves assaillirent son nez : le bois ciré des meubles en pin, le cuir du canapé et des fauteuils autour de l'âtre, et surtout le chocolat du gâteau qu'Adonis lui avait réclamé.
Ils s'étaient tous les trois régalés de la pâtisserie, le reste trônait sur une commode de la salle à manger. Son ventre s'en souvenait. Il émit une série de gargouillis, lui rappelant l'heure tardive. L'eau lui vint à la bouche. Néanmoins, elle résista à la tentation : le cadre pour son repas comptait tout autant. Elle s'installerait sur la table basse du salon. Des représentations de la nature, de maisons ou des habitants au crayon s'empilaient dessus. Adonis les avait dessinés, il les utiliserait pour ses articles dans son journal de globe-trotter. Elle se réjouissait de ce changement de carrière.
Ça lui va mieux, et il s'y plaît.
Tandis qu'elle se dirigeait vers la cheminée, une odeur de cannelle l'interpella : une brume légère sous le chocolat noir de son gâteau, qui n'en contenait pas. L'origine s'imposa dans son crâne.
L'Ogre !
Elle se jeta derrière un fauteuil. Bon réflexe. Un éclair traversa l'endroit où elle se trouvait. Il ne lui servait à rien de fuir, le vampire l'abattrait avant qu'elle atteigne la porte. Trop rapide pour que ses yeux le voient, elle se concentra sur son ouïe. Le bruissement de l'air lui indiqua quand et où son adversaire se mouvait. Un autre déplacement. Encore un. Il se rapprochait d'elle, aussi vite que le fortissimo de son cœur.
Pas tout à fait.
L'Ogre effectua une pause.
Elle ne devait pas manquer ce moment décisif. Au lieu de l'encourager, cette remarque l'affola. Ses paumes devinrent moites, des sueurs froides coulèrent dans son dos. Elle tendit un poignet tremblant et appuya sur le violon qui ornait le bracelet de sa main libre. Un arc lumineux en jaillit.
Ai-je réussi ?
— Trop tard. Tu es morte !
Le murmure retentit si près de son cou qu'elle cria. La seconde suivante, elle s'envolait... pour atterrir au milieu des coussins moelleux qui agrémentaient le canapé. Un rire tonitruant accompagna cette fin peu glorieuse.
Sitôt qu'elle retrouva une position plus digne, Dorei grommela :
— T'es injuste ! Même transmuté, tu bougeras toujours plus vite que la malheureuse humaine que je suis.
Salim, le compagnon d'Elliot, avec lequel elle partageait volontiers des recettes de cuisine, la rejoignit. En tenue sombre, il ressemblait plus à un mercenaire qu'à un policier, excepté l'arme à volt à l'origine du surnom de son ami : un petit ogre, bras croisés sur sa bedaine, au bout d'une chaîne en or lui souriait.
— Pas de fausse excuse, se moqua le vampire. Tu me suivais très bien, je le voyais. Grâce à votre oreille, toi et Litsi, vous pouvez nous détecter, mieux qu'Adonis. Je vous ai assez entraînées. Ton échec vient de ta peur.
Dorei se savait froussarde, mais se l'entendre dire la crispa. Sa fierté se réveillait.
— Je voulais te tester sans ta sœur, continua-t-il. En sa présence, tu parviens à te contrôler.
— Je ne bondis plus au moindre bruit !
Un demi-mensonge. Sur le sentier, elle avait imité sa jumelle et tapé des pieds afin d'éloigner les bestioles, avec grand plaisir.
— Et je descends dans le parking de l'immeuble.
Cette fois, une vérité. Elle planta son regard dans celui de Salim, le défiant de la contredire. Il leva une paume en signe de reddition.
— Puis-je me faire pardonner avec un bon feu ?
Il affichait un visage si penaud qu'elle céda.
— D'accord, il me reste des en-cas de ce midi, charcuterie et fromages du pays, et mon gâteau au chocolat. Je vais préparer du thé.
L'Ogre tendit un pouce, puis « disparut » en un éclair. Porte du chalet ouverte, porte fermée furent les seuls indices de ses actes : il récupérait des bûches à l'extérieur.
Dorei gagna la cuisine, où elle concocta un plateau-repas en quelques minutes. Quand elle revint au salon, un crépitement égrenait des notes joyeuses dans la pièce. Elle disposa les assiettes sur la table basse, s'assit sur l'épais tapis en laine coloré et appuya son dos contre le cuir du canapé. Salim s'installa à ses côts. Ils mangèrent en silence, jusqu'à ce que son ami l'interroge.
— Leur vol s'est bien passé ?
Comment savait-il qu'il avait eu lieu aujourd'hui ? En raison de la météo ?
Elle est favorable depuis notre arrivée, et ils ont volé à d'autres endroits afin de ne pas attirer l'attention.
Il surveillait donc le chalet, d'où sa tenue. Pourquoi ne pas leur rendre visite en plein jour ? Réponse évidente.
L'Ogre n'a rien cafté à Elliot.
Si son compagnon apprenait qu'il les aidait, il lui passerait un savon. Ombrelle, chef de la police, n'aimait pas que les humains se mêlent de la vie des vampires. Danger ou non. Salim, au contraire, les entraînait, elle et Litsi, à se battre avec une arme à volt dès que leur tournée internationale le permettait.
Sa jumelle l'avait naturellement contacté.
— Je le suppose, même si Litsi ou Adonis ne m'a pas encore appelée.
— Tu n'as pas à t'inquiéter, elle finira par le faire. Le bourg appartient aux transmutés, non-buveurs de sang, et les rares originelles se plient aux règles du sang synthétique. Les extrémistes ovnis sont personae non gratae. Sinon, je n'aurais pas accepté de vous fournir les informations sur Pravisam.
Son côté paternaliste, en plus de celui de policier consciencieux, l'avait toutefois amené au chalet. Elle tenta de le piéger.
— Pourtant, tu es ici.
— Regretterais-tu ma compagnie ? Profites-en, demain je repars.
Loupé. D'un autre côté, il n'avait pas tort et personne ne résistait aux prunelles chaleureuses de l'Ogre. Dorei le remercia avant de se souvenir des paroles de Gaston, le Toqué. Elle les rapporta. Son ami l'écoutait, le front plissé.
— La communauté est dirigée par des femmes vampires, je vous l'ai expliqué. Elles refusent le contact avec l'extérieur, soignent les humaines à la suite de violences conjugales, elles-mêmes ayant vécu cet enfer, et ont une tendance à déconsidérer les hommes. Le reste est pure invention.
Salim répétait les phrases prononcées lors de la réunion que Litsi avait organisée dans leur appartement. Une réunion précédée d'une scène qui la tracassait depuis, elle se la remémora.
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