C1 - Une matinée percutante (1/2)
— Me... tronome, va voir ailleurs si j'y suis ! maugréa Litsi contre une mèche, échappée de sa queue de cheval.
L'impudente osait se balader devant ses yeux sans son consentement. La narguer même ! Alors qu'elle s'échinait à verrouiller sa petite voiture Citroën mutine. Il est vrai qu'insérer cette maudite clef dans la serrure, les bras chargés de provisions en plus de ses affaires de plongée sous-marine, tenait de la gageure.
Quand le « cling » de la fermeture centralisée du véhicule résonna enfin dans le parking de son immeuble, elle soupira d'aise.
Une bonne chose de faite, Blondinette, rentrons vite à l'appartement.
Le regard posé, par-dessus les paquets, sur l'ascenseur à une cinquantaine de mètres, elle se dirigea vers lui à grandes enjambées. Pas en raison de son fardeau, juste parce qu'elle avait une sainte horreur de sentir les poils de ses bras se hérisser. Ils semblaient quémander une lumière rassurante que les néons de l'immense souterrain se refusaient de leur fournir.
Je ne préfère même pas t'imaginer, Dorei ! Tu hurles déjà au moindre couinement de souris.
L'image de sa sœur en train de s'arracher ses magnifiques cheveux frisés noirs, toujours impeccablement coiffés, ou de sauter sur la première chaise la fit pouffer. Heureusement, jamais elle n'assisterait à une telle scène. Dorei ne conduisait pas et répugnait à descendre dans cette « antichambre de l'enfer », comme elle surnommait le parking. Litsi avait donc le devoir d'amener la mutine au pied de leur entrée.
Toutefois, le son de pas lourds derrière elle éteignit son rire d'un claquement de doigts. Elle déglutit et accéléra l'allure, se félicitant d'avoir choisi un jean et des sandalettes plates, tandis que ses mains se crispaient sur les paquets. Hélas, à chaque mètre effectué, la porte de l'ascenseur paraissait reculer d'autant.
Et les secondes s'allonger.
Puis ce traître d'esprit qu'elle logeait gratuitement profita de l'occasion pour l'embarquer dans le train des faits divers de femmes agressées. Des visages tordus par la terreur défilèrent dans sa tête. Son cœur cogna contre sa poitrine. À l'instar d'un oiseau affolé, il désirait s'échapper de sa cage.
De son destin funeste.
Qu'un souffle saccadé dans le silence lugubre lui promettait.
— Mlle Hautbois, Mlle Hautbois, l'interpella soudain l'intrus d'une voix cassée.
Si Litsi sursauta sous le coup de la surprise, elle parvint à conserver son fardeau et à ne pas pousser un cri d'effroi. Avant de réaliser un point.
L'homme l'avait appelée par son nom.
Comment la connaissait-il ? S'était-il renseigné sur elle et sa sœur ? Avait-il découvert qu'elles vivaient seules ? Projetait-il...
Arrête tes hallucinations ! Tu es dans un parking sécurisé.
— Mlle Litsiane, vous avez fait tomber un paquet de... euh... bas résille, balbutia son potentiel agresseur dans son dos.
Les mots murmurés avec gêne figèrent Litsi et son cœur dans leur tentative de fuite. Elle demeura interdite, alors que M. Potinet, le concierge de l'immeuble, la contournait pour lui faire face. Les joues enflammées, elle bénit le peu de lumière dans le souterrain. Il suffisait à cacher son malaise, causé à moitié par sa réaction ridicule, à moitié par l'objet que lui tendait le vieil homme.
— Merci, voulez-vous bien le remettre avec mes courses ? Je suis désolée, mais le faible éclairage m'a empêchée de vous reconnaître.
Idiote, il marchait derrière toi ! Ton imagination te fait raconter n'importe quoi.
M. Potinet ne releva pas non plus l'illogisme de sa remarque. Pendant qu'il se débarrassait du colis, comme s'il craignait de le voir lui exploser en pleine figure, il rebondit même dessus :
— C'est à moi de m'excuser. Avec mon rhume, vous ne pouviez pas deviner. Quant à la lumière, la copropriété a voté pour une rénovation du parking. Le problème disparaîtra bientôt.
J'aurais intérêt à mieux planquer les affaires intimes de Dorei. Tu me revaudras ce moment au centuple, Pain d'épices !
— Décidément, je manque à tous mes devoirs, enchaîna le concierge. Je vais vous aider.
Avant qu'elle ne puisse protester, il s'empara d'un des deux sacs de provisions. Pas n'importe lequel ! Celui qui ne contenait pas l'objet infâme.
Litsi se mordit les lèvres pour se retenir de pouffer. Néanmoins, le rire emprisonné prit sa revanche sur son ventre, le tordant comme une serviette imbibée d'eau. Afin d'y échapper, elle se précipita dans le large ascenseur, où elle dissimula son visage derrière ses paquets. Un parfum boisé, l'instant d'après, lui indiqua que le vieil homme l'avait rejointe. La cage se déplaça ensuite.
— Avez-vous déjà récupéré votre courrier, s'enquit-il quand cette dernière s'immobilisa au rez-de-chaussée, ou souhaitez-vous que je vous l'apporte ?
— Volontiers, ma sœur n'a certainement pas eu le temps de s'en occuper avec le repas du midi. Un poulet créole. Elle vous en offrira une part.
Le concierge était une perle à gérer les lieux en conformité avec le règlement sans faillir. Tous les habitants de l'immeuble en convenaient. Il ne fallait se fier ni à son allure ni à son nom. M. Potinet ne colportait aucun ragot. Au contraire, il s'assurait du bien-être des uns et des autres ; et chacun rendait cette bienveillance à sa manière au veuf solitaire.
Lorsqu'elle dégagea sa tête pour fixer le vieil homme, celui-ci lui décocha un quart de lune sur sa belle bouille, décorée d'une légère couperose et encadrée de cheveux gris épars.
— Mlle Dorémielle est un vrai cordon bleu ! Un grand merci à elle.
Litsi, de nouveau avec tous ses sacs dans les bras, le suivit dans le hall, dont le marbre blanc, veiné de rose pâle, reflétait la lumière du jour. Éblouissant. Un changement brutal après l'éclairage tamisé de l'ascenseur. Dans l'incapacité de s'en protéger, elle avança à l'aveugle et évita un pilier de justesse, mais pas la personne qui avait eu le malheur de se trouver sur son parcours.
À moins que ce fût l'inverse.
Sous le choc, ses paquets en profitèrent pour se jeter en vrac sur le sol carrelé dans une cacophonie de bruits divers : du plus aigu des boîtes de conserve au plus mat des fruits et légumes.
J'aurais mieux fait de monter directement à l'appart !
— Excusez-moi, murmura le fauteur d'une voix si polaire que des milliers d'aiguilles transpercèrent la peau de Litsi.
Accroupie à ramasser ses affaires, elle releva la tête. Quand elle croisa deux yeux durs au milieu d'un visage blafard, en partie masqué par une capuche, un frisson l'envahit. Qui disparut sitôt que l'inconnu rompit le contact visuel. Il s'était renfoncé dans sa longue cape noire.
Dans sa longue cape noire ?
Drôle d'habit ! Halloween, c'est seulement dans six mois.
— Dites donc, vous bousculez une jeune dame et vous osez vous défiler, intervint M. Potinet. Revenez ici !
Hélas, les mots du concierge eurent l'effet contraire de celui escompté. Le coupable prit la poudre d'escampette. Litsi n'avait jamais vu quelqu'un s'enfuir aussi vite : il remporterait la médaille d'or du cent mètres aux Jeux olympiques.
Charmant, le monsieur !
— Un vrai malotru, répéta à sa façon M. Potinet sans le savoir. Il ne perd rien pour attendre, mais laissez-moi vous aider.
— Inutile, j'ai bientôt terminé. Pouvez-vous plutôt récupérer mon courrier ?
Le concierge ne se fit pas prier deux fois. Plusieurs lettres s'empilèrent, la minute suivante, par-dessus les sacs qui avaient retrouvé leur place dans les bras de Litsi. Elle se rua dans l'ascenseur, après avoir souhaité au vieil homme un bon rétablissement.
Car elle ne désirait qu'une chose.
S'éloigner du hall où un étrange froid persistait.
******
Lors de la lecture de cette histoire, j'aimerais préciser que derrière certaines scènes - comiques ou non -, il y a des aspects vécus ou des points de réflexion, si ce n'est une forme d'alerte. Celle du parking souterrain dans ce chapitre en est une (en Allemagne, il y a une loi obligeant à établir un certain nombre de places réservées pour les femmes à des endroits plus sécurisés). Donc, ne pensez pas que je les traite à la légère, tant s'en faut et ne vous arrêtez pas juste au côté humour/ironique. Ceci s'applique aussi aux clichés ou aux stéréotypes (exemple avec le concierge).
Bonne continuation.
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