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[Ch02] Quand le voile du secret se soulève (2/2)

Cíqiǎo inspire, les yeux clos. Sur la petite table basse en bois noir laqué, une quinzaine de rainures sont venues s'ajouter depuis la désastreuse visite de Chánzhé, gravées chaque jour avec une application minutieuse. Le temps s'est dépourvu de toute signification, comme un manteau élimé familier qu'on répugne à jeter. Sans cette rangée de traits maladroits pour prouver le contraire, ils pourraient aussi bien être enfermés en ces lieux depuis des années. Ils appartiennent à une bulle immobile, figée loin de toute préoccupation humaine. Le monde extérieur poursuit sans eux ses grondements besogneux, ses tumultes outragés, ses blessures amères. Il a oublié ses héros.

Les méditations n'apportent aucune illumination, juste un rituel qui permet, à pas laborieux, d'avancer vers plus tard au rythme lent des battements de son cœur.

Cíqiǎo ouvre les yeux au grincement du cuir sur le parquet, bien différent du claquement d'une paire de cothurnes. Derrière les bambous épars, elle croit apercevoir une fumée grise qui s'étiole dans un soupir. Un frisson se coule le long de son échine. Ce n'est pas la première fois qu'elle surprend ainsi un fantôme fugace. Pour l'instant, ces spectres informes les laissent en paix. Pour combien de temps ? Qui les éveille ?

Un mouvement dans la pièce coupe le fil de ses questions. Quelqu'un est entré. Depuis le centre de sa cage, agenouillée sur son coussin, elle l'aperçoit déambuler d'un pas légèrement titubant, un amusement discret au fond de la gorge. Les pans de son chángpáo dénoué lui balaient les jambes. Les broderies dorées chatoient sous les reflets du feu. Ses cheveux descendent dans son dos en une longue natte, à peine ébouriffée et, cette fois, il porte une coiffe, un simple carré de soie jaune, un peu de guingois.

Il termine son manège en se plantant devant sa prison, le regard braqué sur elle, un sourire mutin aux lèvres. Il s'incline dans un salut approximatif et écarte les bras du geste grandiloquent d'un orateur face à son auditoire.

— Ah, voilà donc où se cachent les fameux gredins qui ont trahi la confiance de notre bien-aimé Lumière Éternelle ! Ma foi, je ne suis pas déçu de ma visite, ces écrins se révèlent à la hauteur des joyaux qu'ils recèlent.

Sa voix un peu traînante se mue en rire éméché. Cíqiǎo tord le nez, chatouillée par un relent d'alcool de riz. Comme elle est déjà à genoux, elle se contente de frapper son front au sol.

— Prince Shı̄. Je ne m'attendais pas à un tel honneur. Comment êtes-vous arrivé en ce lieu ?

Il agite le bras dans un ample moulinet de manche en direction du paravent menant au bureau du souverain.

— Par la porte, tout simplement, en attendant qu'il me pousse des ailes, sourit-il. Les gardes ont hésité à l'entrée, mais n'ont pas osé porter la main sur ma royale princitude ou me barrer le passage. Je ne suis qu'un inoffensif poète dont les vers enivrés hantent ce palais.

Il vacille d'un pas de côté.

— Ah, pardon, se rattrape-t-il. Permettez que je vous imite ?

Il s'agenouille en face d'elle avec une maladresse d'ivrogne, presque à toucher les bambous.

— Voilà qui est mieux, bien mieux, rit-il en toute insouciance des convenances. Mon frère est en conseil, avec ses ministres. Tous ces palabres sentencieux s'éternisent souvent, nous avons un peu de temps pour une quiète conversation de salon, en bonne intelligence.

Cíqiǎo incline la tête de côté, piquée malgré elle de curiosité. Quel jeu joue le troisième fils dans toute cette histoire ? Que sait-il d'eux ? Il paraît aussi aviné que lorsqu'il déclamait ses vers au pied de la statue de Qū Yuán, pourtant ses réponses ne sont pas dépourvues de finesse.

— Comment nous avez-vous trouvés ? On ne peut guère prétendre que notre retraite est facile d'accès.

Il se penche en avant, le regard brillant d'ivresse :

— Ah, certes, mon frère tenait à vous garder pour lui. J'ai suivi le fantôme d'un souvenir. N'avez-vous pas entendu les âmes s'éveiller ? Elles emplissent les confins de ce palais de leurs chuchotements désenchantés. Si vous y prenez garde, vous pouvez entrapercevoir, au creux de la nuit, leur suaire poussiéreux de regrets.

Cíqiǎo frémit. Les paroles ravivent une angoisse latente au fond de ses os. Les spectres s'agitent-ils en réponse au de jade qui a été dérobé ? Que sait le prince à ce sujet ? Elle se souvient l'avoir aperçu parmi la confusion des habitants du pavillon royal, tirés de leur sommeil par la manifestation aquatique. Se serait-il emparé du disque percé ?

Tián Shı̄ se redresse déjà sur ses talons, toute lugubre allusion oubliée.

— Qu'ils sont beaux les héros du royaume, derrière leurs barreaux créatifs ! raille-t-il. Vraiment, Jiàn ne vous apprécie pas à votre juste valeur.

Une paume sur la poitrine, il prend une inspiration et déclame d'une voix pénétrante, qui s'installe dans la pièce en propriétaire des lieux :

— Leur fragrance louée, cinq fleurs, joyeux fanions,
Chantent avec les oiseaux, dansent sous les rayons.
Souffle la tempête, brise le piédestal.
Brûlés par le soleil, se fanent les pétales.

Cíqiǎo grimace. La remarque et le quatrain répondent au moins à une de ses précédentes interrogations. Héros du royaume ? Cinq fleurs déchues ? Brûlées par le soleil ? Aucun doute, le prince sait qui ils sont.

— Que voulez-vous ? Pourquoi êtes-vous ici ? questionne-t-elle, sa suspicion éveillée.

— Ah, ne le devinez-vous pas ? souffle le Poète, un peu déçu, dans une bouffée alcoolisée.

Il se penche vers elle, une étincelle exaltée s'allume dans ses prunelles.

— Le cycle tourne ; le passé se rejoue. L'ennemi se masse de nouveau à nos frontières. L'Empereur de Jade a retiré sa protection à mon frère. Rejoignez-moi. Ensemble, sauvons le royaume !

L'offre s'abat sur ses épaules avec tout le poids de la surprise ; un hoquet lui échappe. Elle s'attendait à tout de la part de l'ivrogne patenté du palais, sauf à ce qu'il lui renvoie, tel un miroir, ses propres aspirations. Prendre les rênes, sauver le Qí : ce qu'elle appelle de ses vœux depuis leur discussion avec Lumière Éternelle, présenté sur un plateau d'argent. Ses mains tremblent de tentation contenue.

— Pourquoi ? Pourquoi nous ? balbutie-t-elle.

— Vous connaissez les secrets des gardiens, le peuple vous adule, explique-t-il dans un sérieux singulier.

Ses yeux s'égarent sur des brumes lointaines :

— Je me souviens de ce jour comme si c'était hier, gravé dans ma mémoire en traits de feu : Jiàn chevauchant la qílín dans les rues de la ville après la victoire ; le voile céleste jeté sur ses épaules étincelait de mille diamants ; les gens scandaient son nom, lançaient des poignées de pétales, se prosternaient devant lui, devant vous. Vous étiez des dieux. Vous étiez immortels.

Il secoue sa transe avec un frisson, toute trace d'ébriété a disparu de son regard. Sa voix s'affermit :

— Vous êtes les héros de la Bataille du Sorcier au Bì de Jade. Si vous vous rangez à mes côtés, nous serons victorieux. Je chevaucherai Corne Céleste et vous repousserez l'invasion avec vos pouvoirs. Róng a eu son heure. Celle de Jiàn s'achève aujourd'hui. Le dragon lui a tourné la tête. Il ne sait même plus ce qu'il dit. À croire que c'est lui qui est saoul ! Déjà, les ministres ont mis en place un second conseil, dans son dos, pour traiter les affaires qu'il oublie de mentionner.

Elle le considère avec un étonnement accru. Ce sont les mots les plus censés qu'elle ait entendus depuis qu'elle est enfermée ici. Est-il vraiment ivre ? Ou au contraire, saoul de lucidité ? Elle a l'impression de faire sa connaissance pour la première fois, comme si un voile de secret se soulevait pour révéler un prince dont elle ignorait jusque-là l'existence : Shı̄, le frère écarté, qui a grandi dans l'ombre de Lumière Éternelle, entre les mains vénéneuses de Mǎ Yàntíng. Elle ne s'était jamais posé la question de ce qu'il devait ressentir. C'est Měifèng, la première, qui lui a ouvert les yeux sur son sort.

Elle se souvient avec un frisson de compréhension des quelques vers entendus dans les jardins du palais. Un rêve d'enfant, une aspiration de prince.

— Preux messager du ciel, le dragon de lumière,
chevauche dans le vent la noble qílín fière.

Le visage de Shı̄ s'éclaire d'un éclat espiègle.

— Oh, vous vous intéressez à mes modestes vers ? J'en suis profondément honoré ! Mais je n'arrive pas à la hauteur de Qū Yuán !

Il se relève avec bien plus de grâce qu'il n'en avait mis à s'agenouiller, se racle la gorge :

— « Une fois les phénix dépossédés,
Dans le mausolée, les corbeaux font leur nid.
Flétri est le jasmin précieux.
Le juste est corrompu, et le corrompu devient juste,
La lumière est ténèbres, en ce jour d'obscurité.
Tristesse au cœur, je pars en hâte. » [1]

Dans un long soupir, Shı̄ lève les yeux sur le plafond enluminé. Les pans de son chángpáo, libres d'attache, retombent en voile fané derrière lui. Ainsi dressé, bras légèrement écartés dans ses habits princiers, il évoque un phénix prêt à s'envoler vers des jours meilleurs.

— Saviez-vous que Qū Yuán était un fils de la maison royale du Chǔ ? interroge-t-il d'une voix grisée en s'adressant aux arabesques dorées.

Sans même attendre de réponse, son monologue poursuit sa course le long du fil du temps :

— Il fut le conseiller du roi Huái, il y a plus d'un cycle de cela. Vaste était son savoir, sa sagesse par tous respectée. La renommée de son art de gouverner s'étendait bien au-delà des frontières du Chǔ. Le souverain prenait conseil auprès de lui, lui accordait toute sa confiance. Las ! Le succès de Qū Yuán aiguisa la jalousie d'autres moins talentueux. Les avides convoitèrent ses prérogatives. Le grand officier Shàng Guān teinta son nom de viles calomnies qui revinrent à l'oreille du roi. Huái le renvoya.

Shı̄ baisse la tête pour plonger dans le regard de Cíqiǎo, repliant ses ailes dans un froissement de vêtements.

— Chassé du pouvoir qui était sien par les manigances des envieux, il n'avait plus que la poésie pour s'exprimer. Sur les berges de la Mìluó, en proie à l'affliction devant l'aveuglement de son souverain, il composa le chant du Lí Sāo [2].

Cíqiǎo hoche la tête. Elle connaît parfaitement la vie du célèbre poète, mais le parallèle avec un autre prince, dans un autre royaume, ne l'avait pas frappée avant aujourd'hui. Un couple de vers, prononcé au bord d'un bassin, lui remonte aux lèvres :

— « Déconcerté, je m'interroge sur la folie du roi,
Si négligent des souffrances de son peuple. » [3]

Finalement, les préoccupations des serviteurs du royaume reviennent souvent sur les mêmes questionnements.

La moustache du Poète frémit sous un sourire.

— Je vois que les vers n'ont pas de secret pour vous.

— J'ai étudié l'œuvre de Qū Yuán, explique-t-elle avec un pincement au cœur en mémoire d'un autre amateur de poésie.

Il éclate d'un rire joyeux, presque enfantin, dont l'incongruité rafraîchissante s'évade de cette prison austère. Une fois de plus Cíqiǎo ne peut s'empêcher de se demander s'il est complètement saoul ou complètement sobre.

— Je n'en attendais pas moins de l'illustre Petite Pierre Noire !

Il s'incline à son attention.

— « Je cultivais la vertu, refrénais ma fierté,
Raillé dès l'aube, au soir chassé. » [4]

Il se rassied devant elle avec un faux soupir désabusé et un clin d'œil de connivence.

— Même ma propre femme me traite d'incapable. Mais vous êtes bien plus perspicace. Vous savez que la poésie nourrit le cœur, comme les préceptes des sages instruisent l'esprit ; elle n'en contient pas moins de vérité pour autant.

Cíqiǎo secoue la tête, déconcertée par la tournure de la discussion. Est-elle vraiment en train de débattre des fondements de l'œuvre de Qū Yuán avec un débauché notoire ?

— Pourquoi cette comédie, Votre Altesse ? interroge-t-elle en désignant le négligé de sa tenue. Vous avez étudié à Jìxià, brillamment, si je me souviens bien. Pourquoi ne pas avoir brigué un poste de ministre, de conseiller ?

— Pour finir assassiné par mon propre frère, comme Róng ? se récrie-t-il. Très peu pour moi. Non, j'ai préféré attendre mon heure, dans l'ombre de l'opprobre. Je ne suis pas dangereux, je musarde où bon me semble. Dans les tavernes de Línzı̄, le peuple écoute mes poèmes, trinque avec moi, se confie. Et ces derniers temps, il se pose des questions. Des rumeurs circulent.

Il remonte le revers de sa tunique en train de glisser de son épaule.

— En dépit de ma réputation, tous commencent à me courtiser, à s'attirer mes faveurs. Oui, même ces ministres bien pensants qui levaient leur nez hautain devant mes frasques et détournaient la tête en faisant semblant de ne pas me voir. Finalement, ils se disent qu'un ivrogne vaut encore mieux qu'un fou sur le trône. Les hypocrites. Je sais reconnaître mes véritables amis, ceux qui m'ont soutenu quand ils n'avaient rien à y gagner.

Une lueur nouvelle éclaire son regard, un éclat d'implacable qui se révèle à elle avec un léger frisson. Le prince Shı̄ qu'elle découvre aujourd'hui est bien loin de l'innocent Poète dépeint par les ragots. Il est un tigre courbant ses griffes depuis des années.

— Aussi, je vous le demande une seconde fois : aidez-moi ! Ouvrez-moi les secrets du Qíjı̄ng ; comment puis-je me concilier la faveur de Corne Céleste ? Quelle cérémonie dois-je accomplir sur le mont Tài pour recevoir le Mandat du Ciel ?

Les mots dans la bouche du prince éveillent toutes ses alarmes. Comment est-il au courant de tout ceci ? Il est un fils de la maison Tián, bien sûr, et Mǎ Yàntíng connaissait peut-être l'existence du texte sacré, mais certainement pas les détails. Róng ne s'en était jamais préoccupé. Shı̄ aurait-il donné un coup de pouce au destin pour hâter la fin du règne fraternel ? Serait-ce lui le mystérieux employeur de Trois Yeux, celui qui détient le Qíjı̄ng ? Pour s'y être usé les yeux durant des lunes, elle est bien placée pour savoir que possession n'est pas connaissance. Les secrets des hexagrammes sont difficiles d'accès. Comme Jiàn avant lui, il a besoin d'aide pour les interpréter.

Elle lève un regard incertain. Devant elle se tient une figure ressuscitée du passé. Le Poète s'exprime avec les mêmes accents de ferveurs féroces que son frère lorsqu'il plaidait sa cause. Oui, Shı̄ est vraiment le frère de Jiàn, mais il n'est pas son héritier.

Il devine sa réserve dans son attitude, un pli dur barre son front.

— Comment pouvez-vous rester fidèles à cette créature qui se délite ? demande-t-il d'une voix tranchante. Ce lambeau de dieu déjà vaincu ? Jiàn va conduire le royaume à sa perte. Rejoignez ma cause, je ne serais pas un ingrat. Vous pourriez être mes conseillers ou mes ministres.

Elle secoue lentement la tête ; leurs analyses concordent, mais leurs solutions diffèrent. Elle n'est pas désespérée au point de pactiser avec l'ennemi, avec celui qui, peut-être, a lancé Trois Yeux à leurs trousses. Ses mains ravagées se contractent. Elle a encore sa fierté, et des principes.

Son silence se fait réponse.

Il se lève avec une lenteur méticuleuse, lisse les pans froissés de son vêtement et secoue la tête d'un air désolé.

— Ceux qui ne sont pas avec moi sont contre moi. Réfléchissez bien à mon offre. Vous n'êtes pas en sécurité dans ce palais. La rumeur de votre présence se répand et vous n'avez pas que des amis. Beaucoup, ici, réclament votre tête. Les ministres s'interrogent. Dame Mǎ Yàntíng vous tient pour complices de l'assassinat de Róng. Elle ne serait que trop heureuse de vous planter une griffe dans le dos. Seule la main de Lumière Éternelle vous protège encore. Plus pour longtemps.

Tournant les talons dans une envolée de broderies froissées, il quitte la pièce d'une démarche presque droite.

Cíqiǎo reste seule avec ses pensées. Il lui semble discerner de lointains accords de cithare et les échos d'une voix perdue. Le cœur chaviré, elle se souvient de la première fois qu'elle a entendu le Lí Sāo dans son intégralité.


*  *  *

1. Qū Yuán – Qū Yuán wèn dù (Traverser la rivière)

2. Le Lí Sāo est un long poème de 372 vers composé par Qū Yuán dont le titre peut se traduire par La Complainte ou, littéralement, Tristesse de la séparation.

3. Qū Yuán – Lí Sāo (La Complainte)

4. Qū Yuán – Lí Sāo (La Complainte)

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