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1. Un festin de corbeau

          Dépérit le jeune pin
          Qui se dresse en lieu sans abri :
          Ne l'abritent ni écorce ni aiguilles ;
          Ainsi de l'homme
          Que n'aime personne :
          Pourquoi vivrait-il longtemps ?


Edda poétique – Hávamál (Les dits du Très Haut)

La chaleur, insoutenable.

Mon souffle, haché.

L'épée dans ma main, visqueuse.

Je sais où je suis. Depuis le temps que je reviens ici, je n'ai plus besoin des silhouettes élancées des cyprès ou de celles, plus trapues, des oliviers, ni de la terre ocre harassée de soleil, ni même du miroitement des eaux trompeuses du al-Wādi al-Kabīr.

Cette fois, je voudrais m'échapper, fuir loin de ce carnage qui agresse mes sens, mais la rage m'emporte.

Jamais je ne parviens à lutter. Elle déferle en torrents de feu et m'entraîne sous ses flots. Une étreinte familière, presque aimante, mais mortelle. Je ne pense plus. Je subis.

Mon bras vole, mon bouclier écarte, ma lame tranche. Je plonge. Un guerrier à la peau sombre bascule devant moi. Deux autres se dressent à sa place, le visage déformé par cette même rage qui me consume. La sueur coule dans mes yeux. Ou le sang ? Je m'essuie d'un revers de manche. Un cri résonne. Le mien. La gorge me brûle.

Derrière le cordon d'ennemis, d'autres guerriers refluent, chassés par les forces inattendues, vers le fleuve en contrebas, vers notre navire à l'ancre. Il n'en reste bientôt qu'un, qui protège leur retraite. Entre deux moulinets d'épée, j'accroche un visage flou. Qui est-ce ? Que représente-t-il pour moi ? L'homme blond m'observe, puis se détourne. Je ne ressens rien. Que la rage. Encore.

Un choc manque de m'envoyer à terre. Je rugis de plus belle, me redresse. D'autres soldats mordent la poussière. Ils pleurent des larmes de sang. Et moi ? Est-ce que je ris ?

Je ne sais pas. Tout se brouille. J'ai perdu mon bouclier. Un étau me broie la poitrine. Un coup de taille a dû m'enfoncer une côte. Plusieurs, peut-être. La douleur arrive. Elle perce ma carapace. Je boite. Mes attaques volent moins vite. Un autre choc. Je vacille.

Je ne vois pas venir la lame qui me terrasse. Un ouragan éclate dans mon dos et roule dans chacun de mes nerfs. L'épée s'échappe de mes doigts. Je recrache une salive rougie. Le monde s'abîme, le soleil se voile. Je sens la terre sur ma joue, chaque aspérité sous mon corps.

Autour de moi, le martèlement de bottes s'éloigne. Un chef hurle en sarrasin. Ils partent vers le navire, à la poursuite de ceux qui se sont échappés.

Je suis seul.

Seul sur un champ de sang, de fer et de mort.

L'air pénètre dans mes poumons avec un chuintement plaintif. Ma rage se déchire, emportée par la brise dans le ciel. Une voûte d'un bleu aveuglant. Sans nuages. Derrière ce voile en lambeaux, cette illusion de vie, il n'y a rien. Que du vide. Qu'ai-je fait du destin accordé par les Nornes ? Gâché, dilapidé.

C'est mieux que tout se termine ainsi. J'attends les valkyrjur. Sur leurs chevaux ailés, elles emporteront mon âme jusqu'au Valhöll. Bientôt, je trinquerai parmi les einharjar.

Un mouvement, un froissement d'aile. Un corbeau se pose sur une branche basse. Il incline la tête, intrigué, et me contemple de son œil de suie. Comme je ne bouge pas, il s'enhardit, hésite à une lance de moi, sautille, se perche sur mon front. Ses griffes me piquent la peau. Je voudrais le chasser, mais mon bras ne m'obéit plus. Ce globe sombre m'obsède, j'éprouve l'impression dérangeante d'être un repas offert en pâture. Un frisson me traverse.

Le bec, noir, acéré, affamé, plonge sur moi, sur un autre œil, juteux. Je hurle. Finalement, j'en trouve encore la force. Au bout de tout, il me reste un souffle, une étincelle de lutte, un lambeau de vie.

Le corbeau s'enfuit dans un croassement.

La douleur me vrille le crâne, comme si une húsfreyja consciencieuse m'enfonçait la navette de son métier à tisser dans l'orbite. Un liquide coule sur ma joue. Le paysage se dérobe derrière un voile nébuleux. Je tente de me relever, mais je pourrais aussi bien essayer de voler. Pourquoi ne suis-je pas encore mort ? Où sont les valkyrjur, la délivrance ? Est-ce ma punition ?

Près de moi, une ombre bouge.

Je cligne des paupières, ravive le massacre de mon œil gauche, mais parviens à distinguer un vieil homme appuyé sur un bâton de marche. Il se voûte sous un manteau d'un bleu délavé, déchiré par endroit, gris de la poussière du chemin. Un large chapeau de cuir lui mange le visage. Je ne discerne pas ses traits, juste une barbe hirsute. Un vagabond, peut-être. Peu importe. Un autre être humain. Pour la première fois depuis le début de l'assaut, un espoir bat dans ma poitrine.

Je voudrais l'implorer, lui demander de l'eau. Pas plus que toutes les autres fois, je ne parviens à articuler un mot. Impassible, il ramasse un rouleau dans les vestiges de la caravane attaquée. Une solide corde de chanvre. Mon fragile espoir s'effondre en éclats tranchants.

Le vieillard s'affaire à mes pieds, dans un silence éthéré. Je ne vois rien, mais mon imagination me révèle des doigts osseux sur mes chevilles, des nœuds solides. L'autre extrémité de la laisse vole par-dessus la branche de l'arbre voisin. Malgré son apparence usée, le mendiant me soulève sans effort. Tout mon corps proteste. Un râle m'échappe. Me voilà pendu comme un porc en prévision du festin de noces ! Le corbeau est revenu, ravi du banquet.

Mes lèvres craquelées parviennent enfin à esquisser un son.

— Qui... ?

Un souffle se penche à mon oreille.

— Je sais que tu attends la fin. Je suis au regret de t'annoncer qu'elle n'est pas pour tout de suite.

— Co... ?

— Je t'offre la vie, Leif. Une nouvelle vie, en échange de trois bribes de ta destinée.

Je me tortille pour échapper à ce cauchemar, mais ne parviens qu'à imprimer un mouvement de balancier. La corde mord ma chair. Mes blessures et les ruines de mon œil abreuvent la terre desséchée.

La voix pénétrante du vieillard me martèle le crâne.

— Ton fils te reniera.

Un fils ? J'ai donc un fils ? Cette pensée apaise un instant le tourbillon qui m'engouffre.

— Ton frère périra de ta main.

J'ai un frère aussi. Pour l'instant. Où est-il ? Pourquoi ne combat-il pas à mes côtés ?

— À l'aube du Ragnarök, tu chevaucheras Jörmungand, nourriras Fenrir et ouvriras la porte des géants du froid.

— Non !

Le temps que le vieillard énonce sa troisième sentence, j'ai retrouvé la parole. Le rugissement qui s'échappe de ma gorge abrase tout. Les questions, la douleur et l'ensemble du paysage.

Une femme approche, entourée d'un halo de soleil.

Un pas souple, un visage sombre.

Une valkyrja?

Enfin !

Leif se redressa en sursaut, le souffle court, le front perlé de sueur, les narines encore imprégnées de l'odeur douceâtre du sang. Son cœur martelait contre ses côtes, intactes. La lueur rosissante de l'aube, filtrée par la toile huilée de la fenêtre, baignait le désordre du lit. Pas de cadavres, pas de corbeau, pas de vieillard en manteau bleu. Les draps s'entortillaient autour de ses jambes. De vrais serpents, ou plutôt une solide corde de chanvre. Il se désengagea avec un sursaut de dégoût et leva une main tremblante. Ses doigts tâtonnèrent les contours de l'orbite, vide. La blessure, cicatrisée depuis longtemps, se réveillait de picotements inconfortables.

Une porte grinça. Une mince silhouette s'invita dans la chambre, porteuse de la flamme fragile d'une lampe à huile. Le halo salutaire dispersait les démons nocturnes. L'ample tunique de lin de la visiteuse, sans doute enfilée à la hâte, ne dissimulait pas totalement la rondeur de ses hanches. Un modeste foulard rassemblait ses cheveux, mais laissait échapper quelques boucles rousses, plus sauvages. Leif grimaça sous une bouffée de honte. Thóra – ou plutôt al-Hamrāʾ comme on l'appelait ici, en référence à cette teinte inhabituelle –, la jeune esclave que son employeuse lui avait affectée.

Elle se pencha sur lui, posa une main fraîche sur son front trempé et pinça les lèvres.

— Cauchemar, encore ?

Elle s'exprimait en norrois. Toujours, quand ils étaient seuls, comme maintenant. Sans doute y voyait-elle un lien avec le pays des fjords dont elle avait été arrachée, enfant. Quels souvenirs en conservait-elle ? Plus que lui, sûrement, avec sa tête vide de tout.

— Pardon, j'ai crié ?

Elle roula des épaules.

— À réveiller un mort. Mais peu importe, c'est l'heure. Je serais venue te chercher, de toute façon. Tu te rappelles quel jour nous sommes ?

La question piqua Leif comme un dard.

— Le rendez-vous au palais !

Il écarta les draps et tenta de se lever, mais des frissons le parcouraient encore. Ses membres le trahirent. Elle le rattrapa juste avant qu'il ne s'écrase le nez sur les dalles. Ses bras solides trimaient chaque jour sur les tâches dévolues aux esclaves, ils ne manquaient pas pour autant d'une certaine douceur.

Leif ne chercha pas à se dégager, pas tout de suite. Des doigts agiles jouaient dans son dos nu, sur sa cicatrice, souvenir de l'épée qui lui avait perforé un poumon et avait failli prendre sa vie. Ils éveillaient d'autres sensations, pas désagréables. Il enfouit son visage dans le cou offert. L'odeur un peu poivrée apaisa les battements désordonnés de son cœur.

— Tu es fiévreux, constata Thóra. Je peux dire à la maîtresse que tu es malade. Elle ira sans toi.

Il secoua la tête et se sépara à regret.

— Non, ça va passer. Āisha compte sur ma présence devant le calife. C'est important.

Cette fois, il parvint à tenir debout. Elle l'aida à enfiler le pantalon bouffant et la tunique de soie brodée, sélectionnés avec un soin méticuleux pour l'occasion par le secrétaire personnel d'Ibn al-Qūtiyya. Durant l'opération, ses yeux s'attardèrent sur les détails de l'anatomie dévoilée avec une absence de pudeur qui aurait sûrement scandalisé sa maîtresse. Le message était clair ; il l'avait toujours été, depuis qu'elle était arrivée dans cette maison. La rouquine semblait avoir jeté son dévolu sur lui. Il aurait dû se sentir flatté par cette attirance de la part d'une femme moitié plus jeune, peut-être même l'inviter sur le lit pour une thérapie plus intime, mais il feignit de ne pas comprendre. Quel que soit le sens de sa vision, il ne voulait surtout pas entraîner une innocente dans les dangers qu'elle suggérait.

Il noua de lui-même le turban en touche finale et se soumit à l'inspection de son esclave attitrée. Le résultat s'inscrivit dans une moue distante, impossible à interpréter.

Quel spectacle donnait-il avec son orbite vide et sa tenue de parfait Andalou ? Il n'était qu'un barbare, un barbare costumé en Sarrasin civilisé ! Avec sa peau trop claire, sa barbe blond cendré et son œil unique couleur des fjords profonds, jamais il ne passerait pour un local. Ce n'était toutefois pas le but.

— Ça ira.

Thóra lui tendit son jambiya. Il tira la lame incurvée, au fil parfaitement aiguisé, observa le jeu de lumière sur les pierres incrustées dans le manche. Rien. Le poignard ne lui évoquait rien. Dans ses cauchemars, il ne le brandissait jamais pour sa défense. Pourtant, quand Āisha l'avait ramassé, à moitié mort, sur les hauteurs du al-Wādi al-Kabīr, c'était la seule arme qu'il portait sur lui. Elle en avait conclu qu'il était un mercenaire norrois au service de quelque émir – un guerrier valeureux pour avoir été récompensé par un tel cadeau. Il ne l'avait jamais détrompée.

Pourquoi l'aurait-il fait ? Voilà ce qu'il était devenu, depuis maintenant près de six ans ! Un serviteur auprès des puissants. Il aurait pu plus mal tomber. Āisha bint Muhammad ibn al-Qūtiyya l'avait fait soigner pendant les longs mois passés entre la vie et la mort. Il s'était remis, finalement, avec un œil en moins et un souffle trop court.

Mais sa tête, elle, était demeurée obstinément vide.

Il ne lui restait que ce nom : Leif, lancé par un vieillard morbide dans des réminiscences fiévreuses, comme si le corbeau avait dévoré ses souvenirs en même temps que sa chair. Un miraculé, murmurait-on dans son dos... plutôt un égaré encombré d'une seconde vie dépourvue de sens ! Un nouveau-né dans un corps d'adulte. Comment pouvait-on vivre sans passé ? Sans connaître le chemin qui vous avait mené, agonisant, sur les berges d'un fleuve inconnu ? Sans savoir le mal ou le bien semé dans son sillage ? Sans personne pour vous aimer ou vous soutenir dans l'adversité ? Un homme sans souvenirs est un arbre sans racines. Il s'étiole, et finit par mourir.

En toute logique, il aurait dû tourner la page, savourer la vie offerte, embrasser son statut enviable de conseiller auprès d'une érudite reconnue. Mais le cauchemar, inlassable, le tirait en arrière pour chaque pas en avant, presque plus réel dans son horreur et ses questions que tout son quotidien à Qurtuba.

Une caresse sur sa joue râpeuse l'arracha au bourbier de ses réflexions. Deux yeux bruns le considéraient, brillants comme des châtaignes écloses de leur bogue.

— Tu es sûr que ça va ?

La lame était toujours à moitié sortie, ses doigts crispés sur le manche. Il la repoussa au fond du fourreau et força une grimace sur ses lèvres.

— Oui.

— Leif ?

Sans lui laisser le temps de réagir, elle s'avança et, sur la pointe des pieds, lui passa les bras autour du cou. Son souffle lui chatouillait l'oreille. Il avait une conscience aiguë de la poitrine pressée contre son torse. Depuis quand n'avait-il pas ressenti une telle proximité ? Sa raison commandait de la repousser ; un instinct plus primitif retint son geste.

— Parmi les esclaves, chuchota-t-elle, on murmure que la maîtresse projette un voyage, vers le nord.

Il déglutit, se concentrant sur les mots prononcés plutôt que sur d'autres signaux de son anatomie.

— Et alors ?

— Elle t'emmènera sûrement. Je veux en être !

— Pourquoi ? C'est un trajet périlleux. Long. Dans des conditions inconfortables.

— Je veux retourner là-bas, Leif. Je veux quitter cette chaleur, ces bousculades, ce ciel trop bleu. Je veux retrouver les fjords encaissés, les montagnes encapuchonnées, les tourbières et les forêts, le vent glacé sur mon visage. Un pays sauvage, peut-être. Mais mon pays.

Une ferveur inusitée vibrait dans sa voix, un tranchant aussi, comme une lame patiemment affûtée. Ses mots évoquaient des images fugaces qui se dissolvaient aussitôt. Des brumes, des fantômes. Un désir lancinant lui remuait les tripes, la sensation d'un objet convoité à portée de main et pourtant inaccessible. Tout cela, il l'avait perdu. Il se mordit la langue.

Reprenant le contrôle de ses gestes, il se dégagea de l'étreinte. Des émotions contradictoires se bousculaient aux portes de sa conscience et assombrissaient une humeur déjà peu clémente. Voilà pourquoi Thóra s'accrochait tant à lui : il représentait une planche de salut pour l'emporter vers le nord. Rien d'autre.

— Ce n'est pas moi qui déciderai.

— Si tu lui dis que tu as besoin de moi, elle t'écoutera. Ne suis-je pas ton humble servante ?

Elle roula des hanches et lui posa un doigt sur les lèvres.

Il allait rétorquer vertement, mais un nœud céda au même instant dans son esprit. Pourquoi lui refuserait-il ce à quoi elle aspirait ? Simplement par dépit, parce que ce retour à la maison ne pouvait exister pour lui ? Qui était-il pour priver une autre de ce qu'il ne pouvait posséder ? De toute évidence, ce voyage lui tenait à cœur. Ses épaules s'affaissèrent.

— Entendu, je lui parlerai.

Il détourna le regard.

— Tu peux partir, maintenant, claqua-t-il. Je n'ai plus besoin de toi. Va prévenir Āisha que je la rejoins dans la cour.

D'un pas déjà plus assuré, il se dirigea vers l'autre occupant de la pièce, le seul qui ne posait pas de questions, n'exigeait rien, ne jugeait pas, n'offrait ni pitié ni mépris. Un compagnon reposant. Dans le vieux chiffon transformé en nid improvisé, le corbeau entrouvrit un œil. Leif s'accroupit, émietta un morceau de galette conservé de la veille et vérifia le niveau de l'eau dans la coupelle voisine. Un frémissement secoua les plumes, mais l'oiseau ne broncha pas. L'aile, tordue, à demi dépliée, arborait encore les stigmates de sa rencontre avec un chat du quartier.

— Pourquoi tu t'intéresses tant à cet oiseau ? interrogea une voix dans son dos.

— Tu es encore là ? s'étonna-t-il sans se retourner.

Il s'attendait à ce qu'elle ait déguerpi, maintenant qu'elle avait obtenu satisfaction. Même sa brusquerie ne l'avait pas rebutée. Elle s'accrochait, pire qu'un lichen sur du granit.

— Il va crever, tu sais.

C'était fort probable. Le corbeau avait à peine picoré la nourriture depuis une semaine qu'il l'avait ramassé au pied du citronnier. Il se laissait dépérir. Coupé du ciel. Brisé, comme lui.

Leif se releva sans répondre.

— Pourquoi ? insista-t-elle. J'aurais cru que tu avais eu ton content de ces bestioles.

Il haussa une épaule.

— Parce que... ça m'occupe.

Puis, tout bas à en être inaudible, une prière confiée aux dieux :

— Et que je veux croire qu'il peut guérir.

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