Qu'est-ce que je fais dans cette boîte, exactement ? Rejoindre Mathieu est la pire des mauvaises idées de l'été. 

Nous nous croisons parfois mais essentiellement dans des cadres professionnels. Et heureusement parce que le Mathieu fêtard m'insupporte toujours autant ! Quatre nuits en boîte à le regarder jouer son rôle de macho me suffisent. Comme il le crie sur tous les tons, son objectif n'est pas de trouver une copine mais de "se faire le max de petits culs et de grosses poitrines". Et il y parvient sans difficulté. 

Je jette un regard autour de moi, puis à ma montre, et je me lève.

 Stop.

Sur le parking, sans aucune hésitation, j’appelle un taxi. Il est temps de rentrer à Bordeaux.

Les plaisirs de la campagne, vingt-cinq minutes d'attente, cela me servira de leçon.

Je pourrais envisager de retourner à l'intérieur, le videur ne poserait sûrement pas de problème. J'opte pour une de mes distractions de prédilection : l'étude comportementale de mes compatriotes.

Tout un programme.

Quelques groupes traînent sur le terre-plein qui sert de parking. Peu de nanas, quelques groupes qui papotent ou fument. Un de ceux- là, un peu plus bruyant, lâche des propos au passage d'un mec. Les poils de ma nuque se hérissent illico.  

C'est une des raisons pour lesquelles je déteste ces lieux. Les débordements sont très souvent incontrôlables. Aucune surveillance vidéo dans le parking et le videur à l'entrée a largement de quoi s'occuper. 

Les mots ont éveillé mon attention mais je me suis laissé surprendre par la rapidité de l’attaque. Je hurle pour tenter d’enrayer le passage à tabac, puis je mitraille de photos le groupe, avec  mon portable, hurlant aussi fort que je peux. Il paraît, m'a dit un pote, que c’est efficace.
Est-ce un coup de chance ou la réalité, aucune idée mais les agresseurs lâchent l’affaire lorsque mes cris commencent à ameuter les badauds .

Je me précipite vers le mec au sol, il est conscient.

— Ne bougez pas. Vous voulez que je vous aide à vous lever ?

— Pas pour l’instant, non ! C’est toi qui criais si fort ? 

—Un ami m’a dit que c’était efficace, j’ai tenté le coup. Ils ont fui, c’est le principal. 

—Ils auraient pu tout autant se retourner contre toi. Tu fais souvent ce genre de truc ? questionne-t-il en essayant de se mettre debout.

— Non, c’est une première. Appuie-toi sur moi, on va essayer de se mettre à la lumière pour regarder ton état de plus près. 

—Parce qu’en plus tu gères les soins !

—Tu as tout compris. Je ne sais pas quoi faire de mon temps le week-end. Alors je choisis une boîte au hasard et j’attends tranquillement que le grabuge commence ! Tu as du bol, je commençais à m’ennuyer, j’allais partir.

Je ne sais pas s'il a compris que je blaguais parce qu'il ne réagit pas. Son arcade saigne mais cela n’a pas l’air d'être très grave.  

—Quelqu'un que je peux prévenir à l’intérieur ? dis-je en montrant l’entrée de la boîte.

—Personne. 

D’accord. Cela se complique. Il était au sol,  a-t-il reçu des coups pouvant entraîner des complications ?  

—Peut-être est- ce raisonnable de demander de l’aide, non ? Tu ne comptes pas prendre le volant, j'espère ? 

Il m’écoute sans trop réagir, le sang continuant à glisser sur sa joue. Je fouille dans la poche arrière de mon jean, j’ai toujours des kleenex sur moi. 

—Ton arcade saigne. Pose un mouchoir dessus pour tenter de stopper l’écoulement. 

Il me regarde avec un petit sourire insolent qui précède sûrement une petite remarque mais quand il se redresse, son équilibre me semble précaire, très précaire même. 

—Pas question que je prenne cette responsabilité ! Ou j’appelle le videur pour qu'il gère le truc, ou je te raccompagne chez toi. 

— C’est original comme méthode de drague. Je te jure, je ne porterais pas plainte contre toi parce que tu as laissé un pauvre pédé agressé sur un parking ! 

—Très malin ! Et les personnes que tu accrocheras éventuellement  sur la route, tu leur demanderas à elles aussi de ne pas porter plainte ?

—Tu crois que je peux être si dangereux que cela ? 

— Je suis juste prudent. Qui me dit que tu ne vas pas t'évanouir sur la route ? 

—Et ma voiture, je la laisse sur le parking ? 

—Je ne blaguais qu'à moitié tout à l’heure. J’allais vraiment partir.  J’ai commandé un taxi qui ne devrait pas tarder. Cela me rassurerait de ne pas être responsable d'un accident ! 

Son kleenex teinté de rouge collé au sourcil, il me fixe bizarrement. 

—En fait, je me demande si ce n’est pas toi le danger immédiat. Qui ferait un truc pareil ? Sérieux ? Pourquoi tu perdrais ton temps pour raccompagner un inconnu qui s’ est fait tabasser sur un parking ?