Aria franchit le seuil de sa nouvelle maison, un carton dans les bras. L'intérieur était aussi charmant que l'extérieur, avec des boiseries en chêne foncé et des planchers en bois poli qui craquaient doucement sous ses pas. Le salon, à sa droite, était baigné par la lumière dorée du soleil couchant qui filtrait à travers les grandes fenêtres. À gauche, une salle à manger s'ouvrait sur une cuisine aux comptoirs en granit. Tout semblait si... normal. Si paisible.

"Ta chambre est à l'étage, la deuxième porte à droite," dit Elena, posant un carton sur le comptoir de la cuisine. "Pourquoi n'irais-tu pas y jeter un coup d'œil pendant que je commence à déballer ici ?"

Aria hocha la tête et se dirigea vers l'escalier. Les marches grinçaient légèrement sous son poids, comme si la maison lui souhaitait la bienvenue à sa manière. Arrivée à l'étage, elle trouva facilement sa chambre et poussa la porte.

La pièce était plus grande que son ancienne chambre, avec deux grandes fenêtres qui donnaient sur le jardin arrière et le grand chêne qu'elle avait aperçu plus tôt. Les murs étaient peints d'un bleu pâle apaisant, et un petit bureau en bois était placé sous l'une des fenêtres. Aria posa son carton et s'approcha de la fenêtre, observant le jardin qui s'assombrissait avec le crépuscule.

C'est alors qu'elle le vit à nouveau. Pas en personne, mais dans son esprit. Le garçon du trottoir, celui qui semblait avoir... réagi à sa présence. Elle ferma les yeux, essayant de se rappeler chaque détail. Ses cheveux noirs en bataille, ses yeux sombres, la façon dont les ombres semblaient danser autour de lui.

Soudain, une sensation familière picota le bout de ses doigts. Aria ouvrit brusquement les yeux et vit avec horreur que ses mains émettaient une douce lueur blanche. "Non, non, non," murmura-t-elle, serrant les poings. "Contrôle-toi, Aria. Contrôle-toi."

Elle ferma à nouveau les yeux, se concentrant sur sa respiration comme sa mère le lui avait appris. Inspire, expire. Lentement, la lueur s'estompa, laissant Aria tremblante et inquiète. Cela faisait des mois qu'elle n'avait pas perdu le contrôle ainsi. Qu'est-ce qui avait changé ?

Un coup frappé à sa porte la fit sursauter. "Aria ? Tout va bien là-dedans ?" demanda Elena.

Aria prit une profonde inspiration avant de répondre. "Oui, maman. Tout va bien. J'arrive pour t'aider à déballer."

Pendant ce temps, à quelques rues de là, Lucas Blackwood franchissait le seuil de la maison familiale, une imposante demeure victorienne qui semblait avoir sa propre aura de mystère. À peine avait-il fermé la porte derrière lui qu'une voix grave l'interpella depuis le salon.

"Lucas ? C'est toi ?"

"Oui, papa," répondit-il, hésitant un instant avant d'ajouter : "Je peux te parler une minute ?"

Damien Blackwood apparut dans l'encadrement de la porte, grand et imposant, avec les mêmes cheveux noirs que son fils et des yeux d'un brun si foncé qu'ils en paraissaient presque noirs. Son expression était sérieuse, comme toujours.

"Que se passe-t-il ?" demanda-t-il, son ton indiquant qu'il se doutait déjà de la réponse.

Lucas prit une profonde inspiration. "C'est arrivé à nouveau. Mes pouvoirs... ils ont... Je n'ai pas pu les contrôler."

Le visage de Damien se durcit. "Montre-moi," ordonna-t-il, guidant Lucas vers le sous-sol de la maison.

Le sous-sol des Blackwood n'avait rien à voir avec le reste de la demeure. Là où le rez-de-chaussée et l'étage étaient décorés avec goût dans un style victorien moderne, le sous-sol ressemblait à une sorte de chambre forte médiévale. Les murs étaient en pierre brute, des symboles étranges gravés ici et là. Des étagères couvraient la plupart des murs, remplies de livres anciens, de bocaux contenant des substances non identifiables, et d'artefacts à l'aspect mystérieux.

Au centre de la pièce se trouvait un grand cercle tracé sur le sol en pierre, rempli de symboles complexes qui semblaient presque bouger dans la faible lumière des lampes à huile accrochées aux murs.

"Entre dans le cercle," ordonna Damien, sa voix ne laissant place à aucune discussion.

Lucas obéit, se plaçant au centre du cercle. Il connaissait bien cette routine, l'ayant vécue des dizaines de fois depuis que ses pouvoirs s'étaient manifestés pour la première fois à l'âge de 13 ans.

"Maintenant, montre-moi ce qui s'est passé," dit Damien, croisant les bras et observant son fils avec intensité.

Lucas ferma les yeux, se concentrant sur le souvenir de ce qui s'était passé dans la rue. Il se rappela la voiture passant devant lui, la fille aux cheveux blonds presque blancs, le choc de leurs regards qui se croisaient. Et puis...

Les ombres dans le sous-sol commencèrent à s'agiter, s'étirant et se tordant de manière surnaturelle. La lumière des lampes vacilla, comme aspirée par l'obscurité grandissante. Lucas rouvrit les yeux, luttant pour garder le contrôle.

"C'est... c'est plus fort que d'habitude," haleta-t-il, ses mains tremblant légèrement.

Damien observait le phénomène avec un mélange de fascination et d'inquiétude. "Qu'est-ce qui a déclenché ça, Lucas ? Qu'est-ce qui était différent cette fois ?"

Lucas hésita. Devait-il parler de la fille ? De la sensation étrange qu'il avait ressentie en la voyant ? Mais non, c'était probablement son imagination qui lui jouait des tours. Et puis, la dernière chose dont il avait besoin, c'était que son père pense qu'une fille était responsable de sa perte de contrôle.

"Je... je ne sais pas," mentit-il finalement. "Ça s'est juste produit d'un coup."

Damien fronça les sourcils, peu convaincu. "Lucas, tu sais à quel point c'est important. Le contrôle est tout. Sans lui..."

"Je sais, papa," l'interrompit Lucas, fatigué d'entendre le même discours. "Sans contrôle, nous sommes un danger pour nous-mêmes et pour les autres. Je sais."

Damien soupira, son expression s'adoucissant légèrement. "Je ne dis pas ça pour te tourmenter, fils. C'est pour te protéger. Notre famille porte ce don - et ce fardeau - depuis des générations. Nous devons être vigilants."

Lucas hocha la tête, sentant le poids familier de son héritage peser sur ses épaules. Il savait que son père avait raison, mais parfois, il ne pouvait s'empêcher de se demander à quoi ressemblerait une vie normale. Une vie où il n'aurait pas à constamment surveiller ses émotions, de peur que les ombres ne prennent vie autour de lui.

"Concentre-toi maintenant," reprit Damien. "Essaie de canaliser ce pouvoir. Donne-lui une forme, une direction."

Lucas ferma à nouveau les yeux, se concentrant sur les ombres qui dansaient autour de lui. Il les sentait, comme des extensions de lui-même, attendant ses ordres. Lentement, avec une concentration intense, il commença à leur donner forme. Les ombres se rassemblèrent, s'étirant et se modelant jusqu'à former la silhouette sombre d'un loup majestueux à côté de Lucas.

Damien observa la création de son fils avec un mélange de fierté et d'appréhension. Le loup d'ombre était impressionnant, ses yeux brillant d'une lueur surnaturelle. C'était un témoignage de la puissance croissante de Lucas, mais aussi un rappel du danger potentiel que représentaient ces pouvoirs.

"Bien," dit-il finalement. "Maintenant, dissipe-le. Doucement."

Lucas se concentra à nouveau, et lentement, le loup d'ombre commença à se désagréger, retournant à l'état d'ombres normales qui dansaient sur les murs du sous-sol. Quand ce fut fait, Lucas chancela légèrement, épuisé par l'effort.

Damien s'approcha, posant une main sur l'épaule de son fils. "Tu t'améliores," dit-il avec un léger sourire. "Mais nous devons comprendre pourquoi tu as perdu le contrôle aujourd'hui. Y a-t-il quelque chose que tu ne me dis pas, Lucas ?"

Lucas hésita à nouveau. Il pensait à la fille, à la sensation étrange qu'il avait ressentie. Mais comment expliquer quelque chose qu'il ne comprenait pas lui-même ?

"Non, papa," répondit-il finalement. "Il n'y a rien d'autre."

Damien le regarda un long moment, comme s'il cherchait à lire la vérité dans les yeux de son fils. Finalement, il hocha la tête. "Très bien. Va te reposer maintenant. Nous reprendrons l'entraînement demain."

Lucas acquiesça, soulagé de pouvoir enfin quitter le sous-sol. Alors qu'il montait les escaliers, il ne put s'empêcher de penser à nouveau à la fille mystérieuse. Qui était-elle ? Et pourquoi avait-elle eu un tel effet sur ses pouvoirs ?

De retour dans sa chambre, Lucas se laissa tomber sur son lit, épuisé. Son téléphone vibra, signalant un message de Marcus.

"Hé mec, t'as entendu la nouvelle ? Il paraît qu'on a une nouvelle en ville. Elle commence les cours demain. J'ai entendu dire qu'elle était canon !"

Lucas fixa le message, son cœur s'accélérant. Ça ne pouvait pas être une coïncidence, n'est-ce pas ? Il tapa rapidement une réponse.

"Cool. On verra bien demain."

Il posa son téléphone et fixa le plafond, perdu dans ses pensées. Demain promettait d'être une journée intéressante.

Pendant ce temps, chez les Luminosa, Aria aidait sa mère à déballer les cartons dans la cuisine. Le silence entre elles était confortable, chacune perdue dans ses propres réflexions.

"Maman," dit finalement Aria, brisant le silence. "Tu crois vraiment qu'on peut avoir une vie normale ici ?"

Elena s'arrêta, posant la casserole qu'elle était en train de ranger. Elle se tourna vers sa fille, son expression un mélange de détermination et d'inquiétude.

"Je l'espère, ma chérie," répondit-elle doucement. "C'est pour ça qu'on est ici. Une nouvelle ville, un nouveau départ. Personne ne nous connaît ici, personne ne sait ce qu'on peut faire."

Aria hocha la tête, mais elle n'était pas entièrement convaincue. "Et si... et si ça arrive à nouveau ? Si je perds le contrôle ?"

Elena s'approcha de sa fille et la prit dans ses bras. "Ça n'arrivera pas," dit-elle avec une fermeté qui ne laissait pas de place au doute. "Nous sommes plus fortes maintenant, plus prudentes. Et je serai toujours là pour t'aider à contrôler tes pouvoirs."

Aria se blottit contre sa mère, puisant du réconfort dans son étreinte. Mais au fond d'elle, une petite voix lui rappelait ce qu'elle avait ressenti dans la voiture. Cette connexion inattendue, cette résonance avec une énergie qui n'était pas la sienne.

"Et l'école ?" demanda-t-elle, changeant de sujet. "Tu crois que ça ira ?"

Elena sourit, reculant légèrement pour regarder sa fille dans les yeux. "Bien sûr que ça ira. Tu es intelligente, gentille, et belle. Tu te feras des amis en un rien de temps."

Aria essaya de sourire, mais l'inquiétude persistait dans ses yeux. "Et si quelqu'un découvre... tu sais..."

"Personne ne découvrira rien," l'interrompit Elena. "Tant que tu restes prudente et que tu contrôles tes émotions, tout ira bien. Tu te souviens des exercices que je t'ai appris ?"

Aria hocha la tête. "Respiration profonde, concentration, visualisation. Je sais, maman."

"Bien," dit Elena, caressant doucement la joue de sa fille. "Maintenant, pourquoi n'irais-tu pas ranger tes affaires dans ta chambre ? Il faut que tu sois prête pour demain."

Aria acquiesça et se dirigea vers l'escalier, un carton dans les bras. Arrivée dans sa chambre, elle commença à déballer ses affaires, plaçant soigneusement ses livres sur l'étagère au-dessus de son bureau. Ses doigts s'attardèrent sur la couverture usée de son livre préféré, un recueil de contes de fées qu'elle avait depuis l'enfance.

Elle se demanda si sa vie ressemblerait un jour à ces histoires qu'elle aimait tant. Y aurait-il un jour où elle pourrait être elle-même, pleinement et sans peur ? Où elle n'aurait pas à cacher une partie d'elle-même au monde ?

Secouant la tête pour chasser ces pensées, Aria se concentra sur sa tâche. Demain serait un nouveau jour, un nouveau départ. Elle devait se concentrer sur le présent, sur l'importance de s'intégrer, de paraître normale.

Alors qu'elle rangeait ses vêtements dans l'armoire, Aria tomba sur son uniforme de l'école. Elle le tint devant elle, observant le logo du lycée de Ravenswood brodé sur la poche de la veste. C'était un rappel tangible de la nouvelle vie qui l'attendait, une vie où elle devrait jongler entre normalité apparente et le secret de ses pouvoirs.

Aria soupira, posant délicatement l'uniforme sur le dossier de sa chaise de bureau. Elle s'approcha de la fenêtre, regardant le ciel nocturne parsemé d'étoiles. La lune, presque pleine, baignait le jardin d'une lueur argentée, donnant au grand chêne un air mystérieux et presque magique.

Pour la première fois depuis leur arrivée, Aria se permit de ressentir un peu d'espoir. Peut-être que Ravenswood serait vraiment un nouveau départ. Peut-être qu'ici, elle pourrait enfin trouver sa place, apprendre à maîtriser ses pouvoirs, et qui sait, peut-être même se faire de vrais amis.

Ses pensées dérivèrent vers le garçon qu'elle avait aperçu plus tôt. Il y avait quelque chose en lui, quelque chose de familier et d'intrigant à la fois. Se reverraient-ils ? Et si oui, que se passerait-il ?

Secouant la tête pour chasser ces pensées, Aria se détourna de la fenêtre. Demain serait un grand jour, et elle avait besoin de repos. Alors qu'elle se préparait pour la nuit, elle ne pouvait s'empêcher de ressentir un mélange d'excitation et d'appréhension pour ce que l'avenir lui réservait à Ravenswood.

Ce qu'Aria ignorait, c'est que de l'autre côté de la ville, Lucas Blackwood s'endormait avec les mêmes questions en tête, inconscient du lien invisible qui commençait déjà à se tisser entre eux.

Ainsi s'achevait leur première journée à Ravenswood, une journée qui marquerait le début d'une aventure bien plus grande qu'ils ne pouvaient l'imaginer. Car dans cette petite ville en apparence tranquille, les secrets avaient la fâcheuse habitude de ne pas le rester très longtemps, et la magie, qu'elle soit de lumière ou d'ombre, trouvait toujours un moyen de se manifester.