Chapitre sept
— Lily-May ! Debout ! crie une voix près de moi.
J'ouvre les yeux. C'est Savana qui m'a réveillée.
— C'est l'heure ! s'exclame-t-elle.
— L'heure de quoi ? je demande tout en bâillant, ce qui rend ma question presque incompréhensible.
— Bah c'est l'heure d'aller faire du shopping !
Je prends alors conscience que nous sommes samedi. J'étire mes bras de part et d'autre de moi et jette un coup d'œil à l'horloge. Il est neuf heures et quart.
Tante Martine nous a demandé d'aller aujourd'hui acheter nos fournitures pour la rentrée. Nous irons au lycée dès lundi. J'appréhende terriblement ce moment, où je vais me retrouver au milieu d'adolescents humains. Ce qui m'effraie le plus, c'est de me dire que nous allons devoir mentir. Personne ne doit savoir d'où nous venons et qui nous sommes vraiment.
Tout va tellement vite. Cela fait presque une semaine que je suis restée allongée dans mon lit, incapable de faire le moindre mouvement. Mes deux amies ont été incroyables, elles m'ont vraiment traitée comme une princesse.
Je suis déjà une princesse.
Elles sont venues me tenir compagnie quand j'étais éveillée, m'ont fait des blagues pour essayer de détendre l'atmosphère et m'ont apporté les repas.
Aujourd'hui, nous allons donc devoir acheter des sacs de cours, des cahiers et des stylos. Il va nous falloir également nous trouver des vêtements, et le matériel nécessaire à notre nouveau quotidien sur Terre.
Je me redresse et m'étire en bâillant encore.
— Tiens, si tu veux de la musique pour t'aider à te lever !
Mon amie me tend une sorte de boîtier noir.
Je l'attrape, intriguée.
— Qu'est-ce que c'est ?
Déjà, je suis sûre que ce n'est pas ma grand-mère en sous-vêtements.
— C'est un mp3 !
— Un mp quoi ?
J'arque un sourcil interrogateur.
— Un mp3 ! C'est un petit objet digital pour écouter de la musique ! Appuie sur le plus petit bouton sur le côté pour l'allumer !
Je fais ce qu'elle me dit et l'allume. Quand une image avec des symboles s'affichent dessus, je laisse échapper un petit cri qui témoigne de ma stupeur.
— Les humains sont fantastiques ! Ils ont créé pas mal de technologies incroyables ! Nous avons de la magie, ils ont des innovations merveilleuses !
Technologie. Innovations. Aidez-moi, je vous prie.
Je ne réponds rien et me contente d'inspecter l'objet qui est censé jouer de la musique.
— Appuie sur le symbole avec une note de musique !
Je lui obéis.
— Va ensuite dans répertoire principal. C'est l'endroit où ta tante a mis ses chansons. Puis tu en choisis une.
C'est ce que je fais. J'appuie sur le nom d'une chanson au hasard et celle-ci se diffuse ensuite dans la chambre.
"Qui dit étude dit travail, qui dit taf te dit les thunes, qui dit argent dit dépenses. Et qui dit crédit dit créance, qui dit dette te dit huissier et lui dit assis dans la merde. Qui dit amour dit les gosses, dit toujours et dit divorce..."
Je reste muette de stupéfaction.
Comment un si petit objet peut-il faire une si grande chose ?
— Et ce n'est pas la seule chose qu'il peut faire ! Tu peux aussi chronométrer avec, c'est à dire compter le temps ! Tu peux regarder des minis vidéos ! C'est des successions d'images. Tu as la possibilité aussi de sauvegarder des données informatiques et compter le nombre de pas que tu fais dans la journée !
Je sens ma mâchoire prête à se décrocher. Informatiques ? Vidéos ? J'ai du mal à saisir tous ces termes, comme une mélodie qui irait trop vite et qui m'empêcherait d'en saisir les notes.
— Ce n'est pas la dernière chose que tu vas découvrir sur cette planète, ma chère ! Aller, debout ! Stella nous attend pour prendre le petit déjeuner !
Je me lève et remarque une pile de vêtements sur le tapis.
— C'est pour toi, m'indique Savana. Je te laisse aller prendre une douche parce que là, Lili-May, tu pues !
Elle rigole avant d'afficher à nouveau une mine lugubre.
— On te laisse te laver, te changer et tu nous rejoins à table ?
— D'accord.
Savana sort de la chambre en chantant. Elle essaie de se détendre.
— Alors on danse ! HMMMMMMMM
Pitié, faites la taire...
— He ! Savanaaaaaa ! Reviens ! Tu m'as pas dit comment on éteint le mp... Cet objet !
Elle ne me répond pas et chantonne encore.
Super, je vais devoir toucher à tous les boutons avant de savoir comment on l'arrête !
Si je le jette par la fenêtre, vous pensez qu'il va s'éteindre ?
*
Quelques minutes à déjeuner et quelques minutes à se préparer et nous voici, mes amies, ma tante et moi, devant la porte d'entrée de la maison.
J'ai déjà aperçu le voisinage depuis la fenêtre mais je sais que c'est rien et que je vais être surprise en ouvrant la porte.
Nervosité et excitation se mêle dans mon corps et me rendent agitée au point de trembler.
— On y va ? demande Stella avec une mine lugubre.
— Oui, vous pouvez sortir ! nous indique ma tante.
Étant la plus proche de l'entrée, c'est moi qui actionne la poignée pour ouvrir la porte.
Mon étonnement est sans précédent devant le paysage qui s'offre à ma vue.
Un immense champ nous fait face. Quelques arbres se trouvent de part et d'autre de cette étendue verte qui me donne une sensation de paix. Ils se tiennent majestueusement et rendent l'atmosphère très agréable.
Tout est étrangement calme et paisible. De temps en temps, un oiseau chantonne au loin mais sinon, un silence apaisant règne.
Il n'y a pas de différence avec Sorcellia. On y trouve le même type de champ. Les oiseaux chantent aussi. Mais quelque chose me paraît différent.
L'air n'est pas le même. J'ai le sentiment de respirer autre chose.
Quelque chose, une petite voix au fond de moi me chuchote :
On est bien sur Terre.
*
— Regardez cette robe, elle est trop belle ! s'exclame Savana, en bavant presque sur la vitrine d'un magasin de vêtements pour femme. Pourquoi n'a-t-on pas acheté cette merveille ?
Elle nous désigne une splendide robe bleue qui descend jusqu'aux genoux et qui comporte un bustier à bretelles et une ceinture à la taille. Je dois avouer qu'elle est magnifique. J'ai soudain un pincement au cœur de ne plus porter mes robes de princesse.
— Parce qu'elle est un peu chère ! répond ma tante. Et puis ce n'est pas une tenue appropriée pour aller dans un lycée. En plus, je ne connais toujours pas le sortilège pour fabriquer des billets.
Stella et moi rions à cette réplique. Notre magie consiste juste en des flux de couleurs. Personne n'est capable de fabriquer des objets. Enfin, avec une vraie concentration, j'ai entendu dire que l'on peut fabriquer des formes, mais uniquement de la couleur de notre magie.
Après, techniquement, j'ai réussi à me protéger de l'attaque de Jaffe avec un bouclier crée de mes propres mains.
— Triste, je suis sûre qu'elle m'irait bien !
Nous marchons dans une grande rue bordée de magasins, la plupart étant des boutiques de vêtements et de décorations.
Il fait froid. En réalité, la température est plutôt correcte, mais un vent glacial me fouette le visage. Des feuilles volent dans tous les sens, signe que l'automne est présent. Les passants sont vêtus de long manteaux et certains portent des gants et des bonnets. Tante Martine a pu nous dégoter pas mal d'affaires dont des manteaux dans sa garde-robe car elle en a gardé beaucoup de sa jeunesse.
Pendant le petit déjeuner, ma tante nous a expliqué plusieurs choses sur la vie humaine.
Les adolescents humains sont comme nous. Ils vont à l'école toute la journée puis ils rentrent étudier avant de se consacrer à quelques loisirs. Beaucoup font du sport ou toute autre activité. Mais rien à voir avec les disciplines de Sorcellia ! Nous faisons du tir à l'arc, des courses de chevaux, des courses avec les sirènes, des vols avec les fées... Les humains font quant à eux de nombreux sports comme le football ou le badminton. J'ai appris par ailleurs que ces noms sont des mots anglais. Nous apprenons cette langue à Sorcellia, mais je ne connaissais pas le nom de ces disciplines.
Sur Terre, on parle plusieurs langues. Enfin non, rectification. Sur Terre, on parle énormément de langues !
Je sais également qu'il y a ce qu'on appelle internet. C'est incroyable ! Une rapidité d'information, une communication instantanée avec la Terre entière...
— Allons dans ce magasin, s'il vous plaît, nous dit tante Martine, m'interromptant dans mon extase.
Nous faisons une dizaine de pas vers une grande surface. Je me sens vraiment bizarre. Je ne réalise pas encore que je marche sur le sol de la Terre, et que je suis au milieu d'humains qui ignorent totalement l'existence de Sorcellia. C'est dingue. Impensable. Incroyable.
Je me sens vivante comme je ne l'ai jamais été.
Même si mon cœur est fracturé en deux.
— Nous allons déjà vous chercher des stylos et des cahiers.
— Super ! crie Savana avant de se précipiter loin devant nous en chantonnant : Des stylos et des cahiers et puis on ira travailler ! Oh-he, oh-he...
— Savana, tu nous attends ! s'exclame Stella avant d'essayer de la rattraper. Comment elle fait pour rester aussi dynamique et joyeuse ?
Je soupire. En effet, notre amie a certes une expression de frayeur et de tristesse mais elle reste joyeuse.
Trop tard. Savana est entrée dans le magasin. Elle semble ébahie par des portes qui s'ouvrent... toutes seules !
— Évite de montrer ta surprise à chaque truc nouveau, je lui dis après l'avoir rejointe, même si je suis moi aussi surprise, au point d'en baver.
— Oups ! Tu as raison ! Ils vont tous nous prendre pour des folles !
Nous avançons jusqu'à un rayon de fournitures scolaires et je n'arrive pas à oublier ces portes qui s'ouvrent seules.
On dirait de la magie.
Ma tante pousse un caddie juste derrière nous.
— Prenez en quatre chacune, je pense que ça va suffire, nous verrons s'il faut en acheter d'autres plus tard !
— D'accord ! mes amies et moi nous exclamons en chœur.
Bien évidemment, Savana part à la recherche de cahiers bleus, et Stella de cahiers jaunes.
Pour ma part, je n'aperçois aucun cahier de ma couleur.
Je grogne, telle un enfant qui fait un caprice.
— Qu'y a-t-il, ma chérie ? m'interroge ma tante.
— Il n'y a pas de cahiers roses !
— Prends-en des bleus alors ! me dit Savana en posant ses affaires dans le caddie.
— Non, affirme Stella. Prends-en des jaunes comme moi !
Je ris.
— Vous savez quoi ? Je vais en prendre deux bleus et deux jaunes.
— Oui !!! s'exclame Savana en me déposant un petit bisou sur la joue.
Je crois que tout le monde nous regarde.
Une fois nos cahiers pris, tante Martine part à la recherche de stylos et autres éléments qui nous seront utiles.
Elles revient avec plusieurs trousses et des crayons.
— J'ai pris plein de fournitures, on choisira à la maison qui prend quoi.
Nous acquiesçons.
Une fois les courses terminées, nous prenons le chemin de la maison, qui n'est pas très loin du centre-ville de Torry. Et oui, c'est comme ça que s'appelle la ville ou ma tante habite ! Je trouve le nom charmant, même si pour moi, ça ne vaut pas la capitale de Sorcellia, Rosea.
— Il va falloir que je vous explique quelque chose, nous précise tante Martine une fois que nous sommes arrivées devant la maison.
Ma tante fouille dans son sac à la recherche de ses clés. Elle ouvre le portail en fer forgé et referme derrière nous.
— Je pose les affaires et je vous explique.
Nous rentrons dans la maison. Il fait bon, contrairement à dehors où le froid est mordant. Je m'empresse de retirer mon manteau et de l'accrocher au porte-manteau.
—Vous entendez ? demande soudain Savana en tendant l'oreille.
Tout le monde se tait pour écouter.
" ... Ils m'entraînent au bout de la nuit, les démons de minuit. Ils m'entraînent jusqu'à l'insomnie, les fantômes de l'ennui... "
— C'est quoi ça ? je lui demande.
Je ne comprends pas. Il y a quelque chose qui chantonne. On dirait que ça vient de ma chambre. Puis, en même temps que je me souviens, Savana se tourne vers moi pour me crier :
— T'AS OUBLIÉ D'ÉTEINDRE LE MP3 !
Oups !
En même temps, elle avait qu'à me dire comment on l'éteint..
*
— Que voulais-tu nous dire, tata ? je demande à ma tante, tout en mangeant une délicieuse part de gâteau aux petits beurres et au chocolat.
—J'ai réalisé qu'il y a de fortes chances que des gardes de Jaffe soient sur Terre.
— Oui, ça on le sait déjà, objecte Stella qui tient dans ses mains une tasse de chocolat chaud.
— Oui, mais si tu m'avais laissé finir, je t'aurais dit qu'il va y avoir un petit problème.
Je fronce les sourcils. Un petit problème ?
Ma tante se tourne vers moi.
—Lili-May, ton prénom n'est pas courant. De plus, les gardes savent très bien que tu t'es enfuie.
Elle marque un temps de pause. Que veut-elle me dire ? Je sens mon cœur battre fort dans ma poitrine. J'ai presque envie de mettre un corset qui me comprimerait tellement les côtes que je ne sentirai plus le moindre battement.
— Tu es la fille de la reine. Tout le monde te connaît. Il faut que tu changes de prénom.
Elle marque à nouveau un temps d'arrêt, avant de reprendre :
— Ici, tu ne peux plus être Lili-May.
Je ne réponds pas. Je ne bouge pas. Je ne respire plus.
Je ne suis plus une princesse ici. Je suis devenue une humaine avec des pouvoirs.
Si je n'étais pas une princesse, je dirais putain, qu'est-ce que ça fait mal !
Ça y est, c'est dit.
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