Chapitre quinze
— Le pire, c'est que j'y ai cru ! J'ai cru que c'était un vrai magicien avant de comprendre que ce n'est que de l'illusion ! s'exclame Savana avant de tremper son pain dans le potage au potimarron que nous a préparé Stella. Je suis stupide !
— Mais non, Savana, réplique Stella. Tu n'es pas stupide, même moi j'y ai cru ! Tu as juste été surprise !
— Et bien préparez-vous à y être souvent ! enchaîne ma tante avec un air espiègle.
— N'empêche, ils savent en faire des choses ! rajoute Stella.
C'est la fin de notre deuxième journée en tant que lycéennes de cet univers. Cela ne m'a pas déplu, même si je préférerais de loin être à l'école de mon monde.
Je crois même que Kaitlyn et Gwendolyn me manquent. C'est drôle et pitoyable en même temps. Je ne les ai jamais apprécié et je ne sais même pas où elles sont. Pourtant, j'éprouve un pincement au cœur en me demandant où elles se trouvent. Ont-elles été changées en statues ? Ont-elles été capturées ? Sont-elles avec ma sœur Daisy ?
Je sais que Stella pense comme moi. Je ne l'ai presque pas vu sourire une seule fois depuis que nous avons fait notre rentrée.
Difficile de sourire quand votre monde part en cacahuète.
Au contraire de nous deux, Savana est joyeuse. Mais je sais que c'est une façade et qu'au fond, elle est également profondément affectée par les évènements.
Honnêtement, elle le cache bien !
— À part ça, rien de nouveau ? nous interroge ma tante en nous regardant tour à tour.
Aucune de nous ne semble avoir quelque chose à dire, jusqu'à ce que Savana intervienne :
— Un dénommé David a l'air de bien nous aimer, même s'il nous connaît que depuis hier, il nous a déjà beaucoup parlé !
Stella et moi nous échangeons un regard puis nous soupirons ensemble.
C'est la première fois de la soirée que Stella me regarde depuis toute à l'heure. Je sais qu'elle est fâchée. Nous ne sommes pas venues sur Terre en tant que touristes. Nous sommes venues pour développer nos capacités magiques avant de pouvoir retourner dans notre monde et éliminer la menace, c'est-à-dire Jaffe. Nous ne devons pas traîner après le lycée. Chaque minute d'entraînement est précieuse.
— Et bien méfiez-vous de pas dire des bêtises à cette personne... nous met en garde tante Martine. Même un tout petit faux pas peut coûter.
Elle n'a pas tort.
— Lili-May...
Oh non !
Je sursaute. Un chuchotement reprend. Je les avais complètement oublié !
— Qu'est-ce qui se passe, Lili ? m'interroge Stella en s'arrêtant nette à la fin de sa phrase.
— Les chuchotements ont repris... je réponds avec angoisse en laissant échapper la cuillère que je tenais dans la main.
— Quels chuchotements ? me demande Savana. T'entends une licorne qui t'appelle ?
Elle s'esclaffe avant de redevenir sérieuse. En effet, la situation est loin d'être amusante.
Je soupire. Oh Savana ! Si seulement c'était une licorne, et non la voix familière d'une fille ! Si seulement tu avais raison !
Puis je réalise que je ne leur ai même pas parlé de ces appels.
Quelle idiote ! On avait dit qu'on devait tout dire aux autres ! Que chaque détail est important ! Chaque détail est crucial ! Chaque détail peut changer les choses !
— Depuis l'apparition de Jaffe, je n'arrête pas d'entendre des murmures, je confesse.
— Des murmures ? répète Stella comme si elle n'était pas sûre des mots que j'avais prononcé.
— Oui. J'entends comme une voix enfantine ou de jeune adulte. Cette voix m'est familière mais je n'arrive pas à mettre un visage et un nom dessus. C'est comme si c'était quelqu'un que je connaissais...
Après ça, je n'ose plus parler.
— Lili-May...
Les chuchotements reprennent à un rythme irrégulier. Ils ont un vrai effet sur moi. Ils m'oppressent, me compriment la poitrine et me terrifient au point que je me sens perdre le contrôle.
Je me noie. Dans un flot tellement agité que je ne distingue plus rien. Ni le bien, ni le mal. Ni le blanc, ni le noir. Ni la pureté, ni la violence.
Je ne me reconnais même plus.
— J'ai même parfois la sensation qu'il n'y a pas qu'une seule voix et qu'elles sont en fait deux ou trois.
Je deviens folle.
Je sais que je ne suis pas au bout de mes surprises.
Aucune des filles n'ose parler non plus.
Je réfléchis. Si bien que je m'arrête de manger. J'essaie de rassembler mes esprits quand je réalise une chose.
— Il n'y a qu'ici que j'entends les chuchotements. Ça a commencé à Sorcellia et depuis ça le fait tout le temps quand je suis ici. Sur le coup, je pensais que c'était juste le choc qui me rendait folle mais non. Même ici ça continue. Encore et encore.
— Et bien, peut-être y a-t-il un fantôme enfermé dans la maison mais qui a réussi à te suivre jusqu'ici et à traverser le portail avec toi... lance Savana en mordant dans sa part de gâteau au chocolat.
Je crois que je ne serai nullement surprise...
Bientôt, je serai vaccinée contre l'étonnement.
— Bon ! s'exclame Stella en tapant des mains. Je vous retrouve en bas dans dix minutes. On commence la séance au plus vite.
Elle se lève, débarrasse ses couverts et son assiette puis se dirige vers l'entrée de la cuisine, là où des escaliers mènent au sous-sol, notre lieu d'entraînement.
Stella lance un regard dur en direction de Savana qui vient de reprendre une part de gâteau plus énorme que son assiette et répète :
— On commence la séance au plus vite ! Au plus vite !
— Oui bah eh ho j'ai faim, rétorque Savana. Si je deviens l'esclave de Jaffe je pourrais peut-être plus manger ça !
Elle n'a pas tort.
Même si je refuse de coopérer avec Jaffe et que je me battrai jusqu'au bout, il refusera sûrement de nous nourrir si nous devenons ses esclaves. Et rien que pour une part de gâteau, je refuse de m'agenouiller et lui obéir.
*
— Bon cette fois Lili, tu donnes tout ce que tu as ! Je ne tiens pas à te provoquer en imitant cette pétasse de Kaitlyn ou son amie !
Je souris en me remémorant l'épisode d'hier soir. Stella me sourit aussi avant de m'encourager, mains sur les hanches, les yeux pétillant d'espoir.
J'essaie de me concentrer mais les chuchotements ne s'arrêtent pas. J'ai parfois l'impression que ce sont des prisonniers qui veulent être libérés et qui crient l'espoir.
Et si c'était quelqu'un que je connaissais ?
Et si c'était un membre de ma famille ?
Et si c'était ma joie ? Emprisonnée quelque part non loin de moi ?
J'essaie de sortir quelque chose. De la magie doit jaillir.
Je dois y arriver.
Je serre les dents, les poings et même les fesses, mais rien ne sort.
Je m'énerve, me concentre et fais le vide dans mes pensées mais rien ne va. Rien ne fonctionne.
— Argh ! J'EN AI MARRE !
Mes pensées fusent et c'est tout sauf vide dans ma tête.
Je tape du poing contre le mur avant de remarquer que les filles ne sont plus dans la pièce.
Elles m'ont laissée toute seule.
— Savana ? Stella ? Tante Martine ?
Elles m'ont laissée seule avec moi-même.
Que faut-il faire bon sang, pour que de la magie sorte ? Dois-je chanter une berceuse, danser une chorégraphie des Vikings, me mettre à genoux et prier pour y arriver, parler anglais, dire à David que je l'aime même si je viens de le rencontrer ?
Quelle originalité. Si Savana était là, elle m'aurait dit d'invoquer la licorne céleste.
Hein ? C'était quoi ma dernière pensée ?
Je ne suis plus folle. Je suis carrément atteinte de troubles du cerveau.
Pourquoi je pense soudain à cet humain ? Achevez-moi tout de suite.
Je tape une nouvelle fois dans le mur. Je tape des pieds. Je tape dans la table basse. Rien n'y fait.
Pauvre mur. Pauvre meuble. Ils n'ont rien demandé.
Je suis maudite.
Je suis maudite.
Rien n'y fait.
Je suis maudite.
Rien ne se passe.
Je suis maudite.
Aucun pouvoir ne se manifeste.
Je suis maudite.
La voyante s'est trompée.
Je suis maudite.
Dénuée de pouvoirs. Dénuée d'utilité. Dénuée de capacités pouvant sauver mon monde.
Comme ma tante.
— Lili-May... Lili-May... Lili-May...
Oh non ! Non, non et non !
Pas encore ça ! Quand est-ce que ces choses vont se taire ? Quand est-ce que je retrouverai la paix intérieure ?
Mon sang est en train de bouillir. Je constate tout de même que les chuchotements sont assez faibles.
Je commence à tourner en rond dans la pièce.
Comme si une réponse tomberait du ciel.
Comme si tourner allait mettre les choses au clair.
Comme si tout allait être résolu en un tour de pièce.
Je me noie dans des chuchotements.
C'est alors que je remarque une chose étrange. Depuis un certain endroit de la pièce, les murmures qui hantent mon esprit se font plus forts. Si je bouge, le son varie. Je m'approche alors.
Un pas. Le son est faible.
Deux pas. Le son est moyen.
Trois pas. Le son est fort.
Je me dirige vers les escaliers et le son va crescendo.
Je monte les marches et le son est plus intense et plus violent.
Une marche.
Deux marches.
Trois marches.
Toutes les marches.
— Lili ! Qu'est-ce que tu fais ? m'interroge Stella en me voyant sortir des escaliers.
Je l'ignore et je poursuis mon chemin, m'arrêtant de temps à autre pour repérer l'intensité du bruit. Parfois, je m'éloigne, et d'autres fois, je m'approche.
Il me faut quelques minutes avant de comprendre que cela vient de ma chambre.
De ma chambre ?
Il y a un fantôme dans ma chambre ?
Le fantôme de Jaffe ? C'est pour ça que je le rencontre dans mes rêves ?
Je sais que les filles sont derrière moi. Je le sens. Elles sont probablement en train de me suivre sans faire de bruit pour ne pas interrompre ma quête. Elles sont probablement en train de s'échanger des regards d'incompréhension entre elles. Elles sont probablement en train de se demander si je ne me suis pas endormie et que je suis somnambule.
Rien n'est impossible après tout.
Le couloir de la maison est court et pourtant, il me paraît interminable, de la même longueur que les corridors du château.
J'ai peur. Terriblement peur. Comme si Jaffe m'attendait derrière la porte de ma chambre.
J'entre dans la pièce et remarque que mon diadème, ou plutôt celui de ma mère, scintille. Il est posé au centre de mon lit. Je ne me souviens même pas l'avoir mit ici.
Normal, je deviens folle.
Ça devient redondant. Je le pense tout le temps que je suis folle.
Les chuchotements viennent de s'arrêter.
Je n'ai même pas besoin d'allumer les lumières tant l'accessoire de ma mère brille et éclaire toute la pièce.
— Lili-May...
Oh non !
J'ai été mauvaise langue. L'angoisse me fait délirer, si bien que je ne sais plus réfléchir. Les chuchotements sont là. Ils m'oppressent la poitrine, me serrent la gorge, ils me brûlent le cerveau.
— Lila, tout va bien ?
Au même moment où mon amie Stella m'interroge, je réalise.
Je ne lui réponds pas tout de suite et ça l'inquiète, si bien qu'elle me relance.
— Lili ? Que se passe-t-il ? Pourquoi tu ne t'entraînes plus ?
Elle pose une main sur mon épaule et avance pour me faire face. Savana est restée dans l'encadrement de la porte avec tante Martine.
— Je crois bien que les chuchotements ont un lien avec cette couronne, j'annonce dans un long soupire après ce qui me paraît avoir duré une éternité.
— Comment ça ? interrogent ensemble dans un parfait chœur mes deux amies.
— Il y a quelqu'un de coincé dans la couronne de ma mère. Les chuchotements sont des appels à l'aide.
Je marque une pause et termine :
— J'en suis persuadée. La couronne de ma mère n'est plus seulement précieuse pour ses joyaux. Elle enferme quelqu'un.
Si ça pouvait être un génie qui va exaucer mes souhaits se serait top !
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